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Décisions

CA Rennes, 3e ch., 28 novembre 2002, n° 01-05782

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Avocat général :

Mme Fiasella-Le Braz

Conseillers :

M. Lourdelle, Mme Antoine

Avocats :

Mes Dersoir, Leroy, Gbedey.

TGI Rennes, ch. corr., du 4 oct. 2001

4 octobre 2001

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le Tribunal correctionnel de Rennes par jugement contradictoire en date du 4 octobre 2001, pour tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, vente de denrées alimentaires, boissons, produits agricoles falsifiés corrompus et nuisibles à la santé, détention de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié ou corrompu et nuisible à la santé.

Sur l'action publique:

A rejeté les exceptions de nullité, a prononcé la relaxe de A Christian pour l'infraction de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise; l'a déclaré coupable pour le surplus des faits qui lui sont reprochés, a condamné A Christian à 6 mois d'emprisonnement avec sursis; l'a condamné à une amende de 100 000 F soit 15 244,90 euros.

Sur l'action civile:

A débouté la société X de sa constitution de partie civile;

Les appels:

Appel a été interjeté par: X (représenté par Mme B Dulcy et les consorts B), le 10 octobre 2001 à titre principal sur les dispositions civiles Monsieur A Christian, le 15 octobre 2001 à titre principal sur les dispositions pénales M. le Procureur de la République, le 15 octobre 2001 à titre incident sur les dispositions pénales et la décision de relaxe

La prévention:

Considérant qu'il est fait grief au prévenu:

- d'avoir à Saint Brieuc, Rennes, Vlissingen, Lome, courant 1996, notamment à partir du 17 septembre 1996 et courant octobre et novembre 1996, en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert par la prescription,

1) trompé la société X et ses représentants les consorts B, sur l'origine, les qualités substantielles, l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués d'une marchandise vendue, en l'espèce un stock de poissons d'espèce dite "Chinchard" avec cette circonstance que la tromperie a eu pour effet de rendre la marchandise dangereuse pour l'homme.

Faits prévus et réprimés par les articles 213-1, 213-2, 216-2 et 216-3 du Code de la consommation.

2) exposé, mis en vente et vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, en l'espèce un stock de poissons d'espèce dite "Chinchard", qu'il savait corrompu ou toxique, avec cette circonstance que la marchandise était nuisible à la santé de l'homme.

Faits prévus et réprimés par les articles 213-3, 216-2, 216-3 et 216-8 du Code de la consommation;

3) détenu sans motif légitime dans un lieu de stockage ou vente ou dans un véhicule de transport, des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, en l'espèce un stock de poissons d'espèce dite "Chinchard" qu'il savait corrompu ou toxique, avec cette circonstance que la marchandise était nuisible à la santé de l'homme;

Faits prévus et réprimés par les articles 213-4, 216-2, 216-3 et 216-8 du Code de la consommation;

En la forme:

Les appels de la partie civile, du prévenu et du Ministère public sont réguliers et recevables en la forme.

Au fond:

Il ressort du dossier et des débats les éléments suivants:

M. Christian A, gérant de Y SARL, créée le 1er février 1996 qui succédait à la société Y1 qu'il dirigeait déjà et qui avait été mise en liquidation judiciaire le 25 octobre 1995 poursuivait une activité de négoce de produits de la mer, principalement congelés à partir de ses locaux de Rennes et Saint-Brieuc.

A ce titre, il est intervenu comme intermédiaire de la société "Aico Fleisch" afin de trouver un acquéreur pour un important lot de chinchards, sorte de maquereaux de moindre valeur, lot d'environ 1 300 tonnes, qui, exporté d'Irlande par une société allemande, avait été refoulé par l'Egypte pays de destination initial.

De retour d'Egypte, le poisson avait été entreposé dans les entrepôts frigorifiques de la société Kloosterboer, à Vlissingen, en Hollande, à partir du 19 août 1996.

Au vu de l'état général des emballages, de l'absence d'étiquettes sur certains lots, de la date de péremption portée sur certains autres et qui mentionnait une date d'avril l996, des traces de manipulation antérieures et notamment de l'écrasement de certains colis, laissant à penser qu'il y avait eu décongélation et recongélation, les services vétérinaires locaux classaient le stock en "bas risques" catégorie se rapportant aux aliments destinés aux animaux.

En septembre 1996, Christian A proposait à X, société basée à Lome d'acquérir l'ensemble du stock.

Le 7 octobre 1996, Christian A et M. B se rendaient à l'entrepôt et contrôlaient ensemble certains cartons issus de quelques palettes, sans que ce dernier ne remette en cause l'accord conclu.

La transaction se mettait en place par le truchement de la banque Belgolaise, à Bruxelles, par la transformation d'un précédent "crédit documentaire" souscrit pour d'autres produits et modifié pour tenir compte du produit vendu: des chinchards, de la quantité: 1 266 tonnes et du prix convenu: 3 120 000 F.

Christian A fournissait un certificat sanitaire des autorités irlandaises, daté du 21 octobre 1996.

Les formalités étaient accomplies pour acheminer la cargaison au X.

Le 21 octobre 1996, lors de l'embarquement, le commandant du cargo établissait deux lettres de protestation se rapportant tant à l'état des emballages qu'à celui déplorable du poisson.

22,3 tonnes restaient d'ailleurs à quai, classés en "haut risques", impropres à toute consommation.

Informée des difficultés liées à l'état général des emballages, "X" signait, le 24 octobre 1996, une lettre exonérant l'affréteur de toute responsabilité.

A l'arrivée du bateau, le 17 novembre 1996, les autorités sanitaires locales refusaient le débarquement de la cargaison.

Une expertise diligentée à la demande des consorts B confirmait les remarques déjà faites quant à l'état du poisson et écartait une éventuelle rupture de la chaîne du froid entre la Hollande et le Togo.

Il apparaît que le poisson litigieux a finalement été cédé à une société Belge implantée en Côte d'ivoire, sur la foi d'une analyse bactériologique effectuée par un laboratoire Ivoirien.

Le 12 décembre 1996 la société "X" déposait plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux, abus de confiance, tentative d'escroquerie, estimant avoir été abusée par Christian A qui n'avait fait état que de simples dégradations d'emballages.

Christian A soutenait quant à lui que "X" s'était engagée en connaissance de cause, que la marchandise n'était pas avariée et que le document émanant des autorités irlandaises était valable, toute déclaration contraire étant le fait de "fonctionnaires africains corrompus" et de "contrôleurs incompétents".

Au tenue de l'information, Mme le juge d'instruction l'a renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y répondre de tromperie ainsi que de vente et détention de denrées corrompues et nuisibles, estimant ces qualifications plus appropriées aux faits dont elle avait été saisie, que celles sur lesquelles la plainte avait été déposée.

Devant les premiers juges, Christian A contestait la validité de cette requalification ainsi que la compétence même d'un tribunal français pour statuer sur cette affaire, au vu des règles édictées par l'article 113-6 du Code pénal.

Le tribunal écartait ces exceptions, le relaxait des faits de tromperie et le déclarait coupable pour le surplus.

A l'audience, in limine litis, Christian A, par le truchement de son conseil, soulève les exceptions déjà évoquées en première instance. L'incident joint au fond a été débattu contradictoirement devant la cour.

Les conseils de "X", représentée désormais par M. Yves B, concluent au rejet des exceptions, à l'infirmation du jugement et sollicitent le bénéfice des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, le préjudice de la société ayant été réparé par une juridiction Togolaise.

Mme l'Avocat général requiert la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré Christian A coupable de vente et détention de denrées corrompues et demande à la cour d'entrer envoie de condamnation en ce qui concerne les faits de tromperie, les moyens de nullités étant inopérants.

Christian A, sur le fond, conclut à sa relaxe.

Sur quoi:

Sur la saisine du juge d'instruction:

Il appartient au magistrat instructeur de donner aux faits dont il est saisi, leur exacte qualification juridique, dans le respect des droits de la défense.

Il ressort de l'examen même de l'ordonnance de renvoi querellée qu'elle est rédigée en deux parties. La première moitié reprend intégralement le contenu de la plainte initiale. La seconde développe les moyens de défense opposés par le prévenu aux doléances de la partie civile et les investigations diligentées pour établir la véracité des déclarations des uns et des autres.

Il est établi par les déclarations de Christian A tout au long de l'information (D141, D142, D186, D226), que dés le stade de sa mise en examen il savait "de quoi il retourne...", qu'il a pu s'expliquer sur l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés et avoir accès aux pièces qui lui étaient opposées, tout en ayant toute latitude de produire les éléments nécessaires à sa défense.

D'où il s'ensuit que le magistrat instructeur a agi dans le respect des prescriptions du Code de procédure pénale et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Le moyen sera écarté.

Sur la compétence du juge national:

En application de l'article 113-2 du Code pénal "...L'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire".

Dans l'absence de contrat clair, il ressort des fax et courriers échangés avec "Aico Fleisch", "Kloosterboee", "X", "la Belgolaise" que Christian A s'est conduit comme le propriétaire de la cargaison litigieuse, qu'il a été considéré comme tel par tous ces interlocuteurs et qu'il ne les a pas détrompés sur ce point.

Le fait que la marchandise ait été entreposée à l'étranger ne fait pas obstacle à sa détention par Christian A, citoyen français, dirigeant d'une société française, puisqu'il pouvait, à tout instant en disposer, l'inspecter et l'offrir à la vente à partir de ses locaux bretons, étant remarqué de surcroît que l'entreposage en Hollande l'était sous "entrepôt libre".

Dès lors que Christian A reconnaît, y compris devant la cour que l'ensemble des actes contestés a été effectué à partir de Rennes et Saint-Brieuc, il convient d'examiner son éventuelle responsabilité pénale au regard de la seule législation française et considérer qu'il n'y pas lieu de faire application de l'article 113-6 du Code pénal.

Sur le délit de tromperie:

La constitution de cette infraction ne présuppose pas que l'ensemble de la marchandise ait été frelatée.

Il est constant que "X" souhaitait acquérir le chinchard pour le destiner à la consommation des habitants du Togo.

Cette société était de constitution récente et ses dirigeants étaient néophytes dans ce domaine d'activité.

Christian A, en revanche, qui avait précédemment dirigé deux autres entreprises de négoce d'aliments était au fait des usages et règles applicables dans le secteur.

Si Yves B n'ignorait pas que la marchandise avait été refoulée d'Egypte, il n'avait pas connaissance en revanche des conditions du refus de la cargaison. Que ce soit pour des raisons économiques ou à raison d'une législation particulièrement draconienne, ainsi que soutenu primitivement et successivement par Christian A, la seule chose certaine est que les lots avaient pâti de manipulations multiples, au détriment de l'apparence du conditionnement des lots.

C'est l'altération des emballages qui ressort du résumé de l'armateur, dont "X" a eu connaissance, sans que l'état sanitaire du poisson, objet de la deuxième lettre de protestation du commandant du cargo ait été portée à sa connaissance.

Le contrôle effectué le 7 octobre 1996, qui a porté sur quelques cartons extraits de quelques palettes sorties de la chambre froide par un cariste de l'entrepôt, n'a pas alerté l'acheteur.

Il est toutefois établi par le dossier qu'à son arrivée à Vlissingen la cargaison a été classée en "bas risque", ce qui dés lors la rendait impropre à la consommation humaine (D553).

Alors que les conditions de stockage chez M. Copoolse ne sont pas contestées par le prévenu, c'est ce même lot qui a fait l'objet d'une lettre de protestation du commandant du cargo lors du chargement, et qui a été refoulé par les autorités togolaises au débarquement en raison de la dégradation des emballages à l'aspect "vieux et anormal, certains étant déchirés, mouillés et séchés par la suite, sans étiquettes" alors qu'à l'ouverture des canons "une substance jaunâtre visqueuse adhère au sous-emballage" les poissons "présentent une odeur désagréable de rance" et une "texture molle pâteuse à la décongélation", autant d'éléments qui ont conduit le vétérinaire-inspecteur, chef de division des pêches de Lome à déclarer la cargaison "impropre à la consommation humaine", le 17 novembre 1996.

Ces constatations qui émanent, comme celles des services hollandais, de personnes habilitées à émettre un avis sanitaire sur l'innocuité des produits sur la personne humaine ne sont contrebattues par aucun élément probant contraire.

L'analyse bactériologique fournie en défense ne démontrant que l'absence de germes dans une quantité indéterminée de poissons, dont la destination finale n'est pas éclairée par l'attestation de la société Idiprom.

Dès lors que "X" a entendu se porter acquéreur de 1 266 tonnes de poissons destinés à l'alimentation humaine, que ceux-ci étaient impropres à cette consommation que Christian A ne pouvait l'ignorer, contrairement à ses déclarations contraires, un représentant des services vétérinaires hollandais étant présent à l'embarquement. Il ne peut nier cette dernière circonstance qui ressort de ses propres écritures en défense, puisqu'il a eu à gérer la partie de la cargaison qui a été refoulée par la RVV lors du chargement, compte tenu de son délabrement.

Christian A s'est donc bien rendu coupable de tromperie à l'égard de "X", avec cette circonstance que la marchandise, objet de la tromperie était dangereuse pour la santé de l'homme.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les autres délits:

Il a été démontré ci-avant que Christian A, nonobstant un lieu de stockage différent a bien été le détenteur de la marchandise corrompue.

Au surplus, c'est lui et non "Aico Fleisch" qui avait le pouvoir d'accéder à l'entrepôt sous douanes, soit pour contrôler la marchandise, soit pour effectuer le chargement.

Il est également constant qu'il a proposé à la vente les mêmes produits corrompus.

Ceci rappelé, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu Christian A dans les liens de la prévention pour les délits connexes.

Eu égard à la gravité des faits, à la réformation prononcée, à la personnalité du prévenu qui n'est pas un délinquant d'habitude, il y a lieu de le condamner à une peine d'emprisonnement avec sursis de 8 mois et à une peine d'amende de 20 000 euros.

Le présent arrêt sera publié par extrait, dans les conditions prévues à l'article L. 216-3 du Code de la consommation, dans la page régionale du quotidien Ouest-France.

Sur l'action civile:

Dans le cadre d'une instance diligentée devant la juridiction répressive de Lome, qui a condamné Christian A pour des faits qualifiés d'escroquerie, ce qui justifie qu'il ne soit pas fait application de la règle "non bis in idem", la partie civile a fait le plein de ses demandes quant à l'indemnisation du préjudice causé par les agissements du gérant de "Y SARL".

Elle ne sollicite devant la cour que le remboursement des frais exposés pour venir au soutien de l'action publique, et qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge. Il lui sera accordé une somme de 1 000 euros à ce titre.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de A Christian, X (représentée par M. B et les consorts B). En la forme, Reçoit les appels, Au fond, Réformant partiellement le jugement entrepris, Sur l'action publique, Rejette les exceptions de nullité, Déclare Christian A coupable du délit de tromperie aggravée prévu par les articles L. 213-1 et L. 213-2 du Code de la consommation, Confirme le jugement en ce qu'il l'a déclaré coupable des délits connexes de détention et mise en vente de produits corrompus et nuisibles, prévus par les articles L. 213-3 et L. 213-4 du Code de la consommation, En répression, Le condamne à une peine d'emprisonnement de 8 mois avec sursis, Constate que l'avertissement prévu à l'article 132-29 du Code pénal n'a pu être donné au prévenu absent lors du prononcé de l'arrêt, Le condamne en outre à une peine d'amende de 20 000 euros, Ordonne la publication par extrait du présent arrêt dans la page régionale du quotidien Ouest-France, aux frais du condamné et dans les conditions prévues par l'article L. 216-3 du Code de la consommation, Prononce la contrainte par corps, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné, Le tout par application des articles susvisés, 749, 750 et 800-1 du Code de procédure pénale. Sur l'action civile, Condamne Christian A à verser à "X" la somme de 1 000 euros en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.