Livv
Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 12 septembre 2002, n° 01-05732

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moignard

Avocat général :

M. Avignon

Conseillers :

Mme Jeannesson, M. Lourdelle

Avocats :

Mes Robin, Billaud, Massart, Lorillière.

TGI Rennes, ch. corr., du 4 oct. 2001

4 octobre 2001

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le Tribunal correctionnel de Rennes par jugement contradictoire en date du 4 octobre 2001, pour

tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal

a condamné D Henri à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, à 50 000 F d'amende soit 722,45 euros

pour

tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal

a condamné L René à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, à 50 000 F d'amende soit 7622,45 euros.

Et sur l'action civile

- a reçu Monique P mandataire liquidataire de la Coopérative Agricole de Production Bovine et Ovine ,(CAP 50) en sa constitution de partie civile,

- a condamné D Henri à lui payer la somme de 25 000 F soit 3 811,23 euros à titre de dommages et intérêts, la somme de 5 000 F soit 762,25 euros en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale

- a reçu Monsieur M Gilbert en sa constitution de partie civile

- a condamné D Henri à lui payer la somme de 25 000 F soit 3 811,23 euros titre de dommages et intérêts, la somme de 5 000 F soit 762,25 euros en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur L René, le 11 octobre 2001, à titre principal sur les dispositions pénales

M. le Procureur de la République, le 11 octobre 2001 contre Monsieur L René

Madame P Monique, le 12 octobre 2001 contre Monsieur D Henri

Monsieur D Henri, le 15 octobre 2001, à titre principal sur les dispositions pénales et civiles

M. le Procureur de la République, le 15 octobre 2001 contre Monsieur D Henri

La prévention:

Considérant qu'il est fait grief aux prévenus:

D Henri:

- d'avoir à Vezin le Coquet et Pleneuf Val Andre, en avril 1996, trompé le consommateur sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce des veaux de boucherie avec cette circonstance que la tromperie a eu pour effet de rendre la marchandise dangereuse pour l'homme;

Faits prévus et réprimés par les articles 213-1, 213-2, 216-1 à 216-3 du Code de la consommation;

L René:

- d'avoir à Vezin le Coquet, en avril 1996, trompé le consommateur sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce en livrant un lot de 42 veaux de boucherie provenant de Grande Bretagne, avec cette circonstance que la tromperie a eu pour effet de rendre la marchandise dangereuse pour l'homme;

Faits prévus et réprimés par les articles 213-1, 213-2, 216-1 à 216-3 du Code de la consommation

En la forme:

Les appels des prévenus, du Ministère public et de la partie civile, Mme P, sont réguliers et recevables en la forme

Au fond:

Courant 1996, compte tenu de l'apparition du phénomène de l'encéphalopatie spongiforme Bovine (maladie dite de la "vache folle") les services vétérinaires départementaux ont reçu au niveau national des consignes de vigilance particulière en matière de veaux de boucherie.

Le 5 avril 1996, la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires de Nogent sur Marne était contactée par M. Buron, vétérinaire inspecteur de la Direction des Services Vétérinaires d'Ille et Vilaine, l'informant que le servie d'inspection de l'abattoir Chapin de Vezin le Coquet avait relevé sur un lot de 93 veaux abattus le jour même, la présence de boucles métalliques utilisées au Royaume-Uni. Les veaux de ce lot arrivés à l'abattoir Chapin en tant que veaux français faisaient l'objet d'une consigne vétérinaire.

Le 9 avril 1996, les services d'inspection vétérinaires relevaient sur un autre lot de 42 veaux abattus aux établissements Chapin et présentés comme étant non britanniques, la présence de tatouage UK pour huit animaux. Ces huit animaux faisaient l'objet d'une consigne vétérinaire. Le lendemain, 10 avril 1996, les fonctionnaires de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires poursuivaient le contrôle et découvraient six autres carcasses provenant du même lot, elles aussi consignées.

L'enquête confiée aux militaire de la BRD d'Ille et Vilaine permettait d'établir que les deux lots de veaux incriminés provenaient d'un élevage des Côtes d'Armor et d'un élevage de la Manche.

Interrogé, l'éleveur de la Manche, M. Gilbert M, demeurant à la Perron (Manche), déclarait qu'il était adhérent à la Coopérative CAP 50 de Saint Lo. Il précisait n'avoir jamais possédé de veaux anglais dans son étable et n'expliquait pas leur découverte lors de leur arrivée à l'abattoir. Ses veaux provenaient des établissements D à Pleneuf Val Andre (Côtes d'Armor).

L'autre éleveur des Côtes d'Armor, M. René L, demeurant à La Motte, déclarait être un éleveur indépendant achetant ses veaux de 8 jours chez le même D.

Il précisait que lors de la commande, il ne demandait pas spécialement des veaux d'origine française.

Il ajoutait toutefois qu'il ne savait pas que des veaux anglais étaient présents dans son lot.

Interrogés également, Mrs Jean-Paul Chapin et Henri Barbot, employés à l'abattoir Chapin ne pouvaient donner d'explication sur la présence de ces veaux anglais.

Les enquêteurs adressaient aux Directions départementales des services vétérinaires des réquisitions aux fins de se faire communiquer les copies des demandes d'autorisation d'introduction de bovins de moins de six mois adressées par les établissements D en octobre et novembre 1995, les copies des déclarations de mise en place et les copies des enregistrements des éleveurs destinataires et de leurs engagements écrits, L'analyse de ces documents mettait en évidence que des veaux anglais étaient placés chez les éleveurs non agréés et sans demande d'autorisation d'introduction.

Certaines demandes d'autorisation d'introduction n'étaient pas suivies de mises en place. Enfin de nombreux documents sanitaires transmis étaient illisibles et inexploitables.

Un contact était pris avec la Direction Régionale des Douanes de Bretagne. En effet, dans le cadre d'une transaction avec un pays étranger pour un montant supérieur à 250 000 F l'acheteur d'un bien est tenu de rédiger une "déclaration d'échanges de biens".

L'examen comparatif du nombre de veaux visés dans les documents sanitaires saisis aux établissements D avec le nombre figurant sur leur listing de centralisation des achats (veaux d'origine britannique figurant sous la rubrique Friker AR Buckland Newton, soit le nom du fournisseur) avec le nombre d'animaux figurant dans les messages "animo" (messages émis par l'autorité membre de la Communauté européenne d'expédition vers l'autorité membre de la communauté destinataire de l'animal) et le nombre précis d'animaux sur les décLarations d'échanges de biens laissait apparaître de nombreuses différences.

Interrogé, Henri D fils n'apportait aucune explication au sujet de ces différences. De surcroît, il déclarait ignorer qu'il fallait tenir un registre particulier concernant les veaux provenant du Royaume-Uni, ce qui peut surprendre de la part d'un professionnel.

Il déclarait que René L lui avait commandé des animaux anglais mais René L, également entendu, niait farouchement avoir commandé des veaux anglais auprès d'Henri D.

Henri D réitérait ses déclarations devant le magistrat instructeur mais ne pouvait prouver ses allégations.

Lors de leur audition, Gilbert M et René L ne fournissaient pas plus d'explications.

Lors de la confrontation organisée entre Mrs D et L, il apparaissait que L avait passé commande de veaux litigieux le dimanche soir en téléphonant au domicile personnel de D, pratique inhabituelle et somme toute étonnante.

Aucune explication logique n'est avancée par les trois mis en examen sur la prise et la présence de ces veaux britanniques.

M. D déclarait que la présence de veaux d'origine d'outre-manche dans le lot vendu à M. M provenait d'une erreur soit lors de l'alotement, soit au cours du transport. En revanche, contrairement à M. L, il affirmait que celui-ci lui avait commandé des veaux "anglais", tout en convenant qu'il n'avait pas établi concernant cet éleveur la déclaration d'introduction de bovins âgés de moins de six mois en provenance du Royaume-Uni, ni la déclaration de mise en place.

M. L persistait dans ses dénégations. Cependant l'information établissait qu'à la même époque, 16 novembre 1995, il se fournissait également auprès d'un importateur (INIZAN) en bovins en provenance de Grande-Bretagne.

Il a été expliqué à la procédure qu'à l'époque les veaux anglais étaient moins chers pour plusieurs raisons liées notamment aux directives de 1994 sur L'ESB.

En fait le "changement de nationalité" d'un veau anglais lui apportait une forte plus value et il était important que les bêtes vendues aux abattoirs ne soient pas anglaises ainsi qu'en attestent les documents aux dossiers certifiant que les veaux livrés "ne proviennent pas du Royaume- Uni...".

Les premiers juges entraient en voie de condamnation.

Henri D, appelant, a conclu devant la cour à sa relaxe aux motifs qu'il n'était pas le dirigeant de la SA X et qu'il n'avait aucune délégation de pouvoir, qu'il n'a pas, en avril 1996, livré de veaux à M. L ou à M. M et qu'il n'a en rien trompé volontairement ses co-contractants, les veaux d'origine anglaise étant là à la suite d'une erreur matérielle, déjà jugée pour M.

Il fait encore valoir qu'il n'a jamais été en relation contractuelle avec des consommateurs et que rien ne permet d'affirmer que les veaux étaient nuisibles ou dangereux pour la santé humaine.

René L, appelant, a lui aussi conclu à sa relaxe, affirmant n'avoir jamais su que les veaux provenaient de Grande Bretagne, ceux-ci n'étant pas bagués, obligation qui n'existait pas alors pour les veaux français.

Sur ce

Henri D, et non la SA X, est apparu lors de l'enquête comme étant la personne physique qui recevait les commandes et livrait les animaux dont s'agit.

Il n'y a donc pas lieu de rechercher s'il était le dirigeant social de la SA ou le délégataire de celui-ci.

Les faits poursuivis sont qualifiés de tromperie du consommateur sur les qualités substantielles des veaux menés à l'abattoir, commis tant pas René L que par Henri D en co- action et ayant abouti aux livraisons d'avril 1996.

Si Henri D a contracté avec L et M antérieurement, cette tromperie a été caractérisée en avril 1996 lors de la découverte de l'origine des veaux.

Henri D n'a pu expliquer pourquoi il avait plus de 1 000 veaux anglais "disparus" entre leur importation en France et leur vente à des engraisseurs habilités et il existe au dossier la preuve d'un trafic constituant à "franciser" des veaux britanniques à l'automne 1995 et pendant l'hiver 1996.

Des premières constatations au procès-verbal coté D.4, il apparaît que certains veaux apportés par René L portait la boucle d'identification du cheptel engraisseur là même où se trouvaient ordinairement les boucles métalliques d'identification des veaux anglais.

Si la révélation ensuite sur ces huit veaux du tatouage UK dans l'oreille gauche apportait la preuve de leur origine, la fixation de la boucle d'identification à l'emplacement usuel des boucles anglaises démontre que l'éleveur avait ôté ces boucles et y avait substitués les siennes.

Ainsi, tant D que L ont en toute connaissance de cause "trafiqué" des veaux anglais pour en faire des veaux français certifiés.

Henri D a également fourni, non par erreur, mais sciemment les veaux M et s'il y a eu erreur c'est de celui-ci et non du premier.

Enfin, fin 1995 et en 1996, les veaux anglais étant suspects d'ESB, la tromperie dont s'agit avait manifestement pour effet de rendre la marchandise dangereuse pour l'homme et même en certains cas très dangereuse.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu les prévenus dans les liens de la prévention.

Les peines prononcées apparaissent faibles compte tenu de la gravité des faits et de leur importance.

Leurs quantum seront augmentés.

Mme P es-qualité de mandataire liquidateur de la Coopérative CAP 50, partie civile appelante, sollicite 60 980 euros à titre de dommages-intérêts et 1 500 euros pour les frais de procédure.

Le préjudice dont il est sollicité réparation est constitué par la perte des veaux consignés soit 380 000 F = 57 930,63 euros majorés à raison du temps écoulé.

Il sera donc alloué à la partie civile 60 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de celle-ci les frais engagés à l'occasion de cette instance et il lui sera alloué de ce chef la somme de 1 000 euros.

Gilbert M, partie civile, non appelant sollicite 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et 4 600 euros en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le préjudice subi par Gilbert M étant essentiellement moral, une somme de 1 500 euros le réparera équitablement, outre 1 000 euros pour les frais de procédure.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de D Henri, L René, M Gilbert et P Monique, En la forme, Reçoit les appels, Au fond Confirme le jugement sur la culpabilité de Henri D et de René L. Infirmant sur les peines, condamne ceux-ci, chacun à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 7 500 euros d'amende. Constate que l'avertissement prévu à l'article 132-29 du Code pénal n'a pu être donné aux prévenus absents lors du prononcé de l'arrêt, Prononce la contrainte par corps à l'égard des deux condamnés, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable chaque condamné, Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale. Infirme le jugement eu ses dispositions civiles et condamne Henri D à payer les sommes de: - à Mme P, es-qualité pour la Coopérative CAP 50: * 60 000 euros à titre de dommages- intérêts, * 1 000 euros en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. - à Gilbert M: * 1 500 euros à titre de dommages-intérêts, * 1 000 euros en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.