Ministre de l’Économie, 12 juin 2003, n° ECOC0300441Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils des sociétés Sucrière Berneuil SAS et Nordzucker AG
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 12 mai 2003, vous avez notifié le projet de prise de contrôle conjoint de la société Syral par les sociétés Sucrière Berneuil SAS et Nordzucker AG.
I. - Les parties et l'opération
Sucrière Berneuil SAS est une filiale à 100 % du groupe Union sucreries et distilleries agricole (ci-après " Union SDA "). Union SDA est un groupe coopératif agro-industriel dont les activités principales sont la production et la commercialisation de sucre, de mélasse, d'édulcorants et d'alcool à partir de betteraves, de céréales et de canne. Union SDA est également présent dans le secteur du négoce agricole et dans la production et la commercialisation de barres céréalières et de céréales pour le petit déjeuner. En dehors de la France, Union SDA produit du sucre en République tchèque, Slovaquie et Brésil. Lors de l'exercice 2001-2002, Union SDA a réalisé un chiffre d'affaires total de 939 millions d'euros dont [...] dans l'Union européenne et 535 en France.
Nordzucker AG est une société par action de droit allemand dont le capital est détenu par près de 21 000 planteurs de betteraves par l'intermédiaire de quatre sociétés holdings, qui forment le groupe Nordzucker : Nordzucker Holding AG (40,2 %), Zucker AG Uelzen Braunschweig (36,8 %), Union Zucker Süd-Hannover (10,5 %), Nordharzer Zucker AG (8 %), le solde (soit 4,5 %) étant directement détenu par les actionnaires des sociétés précitées (1). Le groupe Nordzucker est principalement actif dans la production de sucre en Allemagne, Pologne, République tchèque et Slovaquie, ainsi que dans la production d'acides aminés et de produits pharmaceutiques. Lors de l'exercice 2001-2002, Nordzucker a réalisé un chiffre d'affaires de 1 184 millions d'euros, dont 976 (*) dans l'Union européenne et 4 en France.
(*) Erreur matérielle : au lieu de : " 976 ", lire : " 972 ".
Syral est une société anonyme de droit français dont le capital est détenu à 64 % par Union SDA et à 36 % par Nordzucker. Syral a pour activité la production et la commercialisation d'édulcorants et de coproduits de l'amidonnerie de blé comme le gluten de blé. Syral regroupe l'intégralité des activités d'Union SDA et Nordzucker dans le domaine des édulcorants. Syral et le groupe allemand Jungbunzlauer détiennent chacun actuellement 50 % du capital de la société Staral, qui produit et commercialise des sirops de glucose et du lait d'amidon auprès de ses entreprises mères et des coproduits de l'amidonnerie de maïs comme le gluten de maïs, qu'elle vend sur le marché par l'intermédiaire de filiales de commercialisation d'Union SDA. Lors de l'exercice 2000-2001, Syral a réalisé un chiffre d'affaires total de 175 millions d'euros, exclusivement dans l'Union européenne, dont 87 en France.
L'opération consiste en l'acquisition par Nordzucker auprès d'Union SDA de 14 % du capital de Syral, ce qui a pour effet de faire passer la participation de Nordzucker de 36 à 50 %, et en l'acquisition par Syral de 50 % du capital de Staral auprès de Jungbunzlauer (2). Ces deux opérations sont liées dans la mesure où afin de financer le rachat de la participation détenue par Jungbunzlauer dans Staral, Union SDA a décidé de céder 14 % de sa participation dans Syral à Nordzucker, ce qui permettra à Union SDA et Nordzucker d'accorder à égalité un prêt à Syral pour financer ce rachat.
Selon les précédentes dispositions du pacte d'actionnaires signé le 12 septembre 2000 entre Union SDA et Nordzucker, les décisions stratégiques concernant Syral étaient adoptées à la majorité des 2/3 du conseil d'administration, composé de 5 membres, dont 3 étaient nommés par Union SDA et 2 par Nordzucker. Toutefois, pour l'établissement du budget annuel (incluant les prévisions annuelles en matière de gestion courante, de ventes et de R&D), si la majorité des 2/3 n'était pas atteinte, la version proposée par Union SDA était réputée adoptée. De même, pour la nomination du directeur général, si le conseil d'administration refusait de nommer consécutivement deux personnes proposées par Union SDA, Nordzucker s'engageait à accepter la nomination de la troisième personne proposée par Union SDA. En conséquence, Union SDA bénéficiait de la possibilité d'imposer à Nordzucker des décisions stratégiques pour le fonctionnement de Syral. Il apparaît donc, conformément à ces dispositions, qu'Union SDA exerçait un contrôle unique sur Syral même si, comme l'indiquent les parties, la gestion de la société Syral a toujours été effectuée de manière conjointe entre Union SDA et Nordzucker.
Ces dispositions ont été substantiellement modifiées par le pacte d'actionnaires conclu le 14 février 2003. Le conseil d'administration est désormais composé de 4 membres, dont 2 seront nommés par Union SDA et 2 par Nordzucker, et les décisions stratégiques (investissements, nomination du directeur général) sont adoptées à l'unanimité. Il apparaît ainsi que Nordzucker bénéficiera en vertu des dispositions du nouveau pacte d'actionnaires de droits de veto spécifiques sur le fonctionnement de Syral, et donc de Staral, dont il ne bénéficiait pas auparavant. La disparition de l'obligation pour Nordzucker d'accepter les propositions d'Union SDA en cas de blocage contraindra en effet les deux actionnaires à trouver un accord pour la gestion de Syral et Staral qui tiendra compte des orientations stratégiques de chacun d'entre eux. Syral et Staral seront donc à l'issue de l'opération contrôlées conjointement par Union SDA et Nordzucker.
En conséquence, le rachat par Nordzucker de 14 % du capital de Syral auprès d'Union SDA et l'acquisition par Syral de 50 % du capital de Staral auprès de Jungbunzlauer s'analysent comme une modification de la qualité du contrôle sur Syral et Staral (passage d'un contrôle unique à un contrôle conjoint pour Syral et prise de contrôle exclusif de Syral sur Staral) et constituent donc une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis, et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette opération relève ainsi du contrôle national des concentrations. Elle a été également notifiée en Allemagne et autorisée par décision du Bundes-kartellamt du 8 mai 2003.
II. - La définition des marchés
Les marchés de produits concernés par la présente opération ont déjà été analysés dans la décision du ministre du 7 mars 2003 relative à l'opération Syral-Staral. L'opération concerne les secteurs des édulcorants et ceux de l'alimentation animale. Pour les édulcorants, il est possible de distinguer les sirops de glucose et les mélanges, les maltodextrines et les sorbitols. En ce qui concerne les produits pour l'alimentation animale, une distinction est envisageable entre les produits à base de céréales, les farines oléagineuses, les farines animales et les pulpes. Il n'est pas nécessaire de définir plus précisément ces marchés de produits dans la mesure où les conclusions de l'analyse ne se trouveraient pas modifiées quelles que soient les définitions retenues.
En ce qui concerne la délimitation géographique des marchés des édulcorants, la Commission européenne a estimé dans sa décision Cargill/Cerestar (3) que la France, l'Allemagne, le Benelux et à un degré moindre l'Autriche et le Danemark formaient un seul et même marché, compte tenu des flux significatifs d'édulcorants entre ces pays. En revanche, le marché pertinent retenu pour l'analyse de l'opération au Royaume-Uni était le marché national britannique (4). Il n'est pas nécessaire de conclure sur ce point puisque les conclusions de l'analyse demeurent inchangées quelle que soit la délimitation géographique retenue.
Pour l'alimentation animale, la commission a estimé que le marché était probablement national (5). Pour les mêmes raisons que pour les édulcorants, la question de la dimension géographique du ou des marchés de l'alimentation animale peut rester ouverte.
III. - Analyse concurrentielle
La décision du 7 mars 2003 précitée avait déjà conclu à l'absence d'impact concurrentiel de la prise de contrôle exclusif de Staral par Syral dans la mesure d'une part où la situation de la concurrence sur le plan vertical ne s'en trouvait pas modifiée et où d'autre part Syral se trouvait être un acteur mineur sur les différents marchés des édulcorants et de l'alimentation animale, qui est en outre soumis à la pression concurrentielle de groupes de taille significative (Roquette ou Cargill). Ces conclusions restent valables dans le cadre de la présente analyse.
Par ailleurs, Nordzucker n'est pas présent sur les marchés des édulcorants autrement que par l'intermédiaire de Syral et Staral. En ce qui concerne l'alimentation animale, Nordzucker est exclusivement actif en Allemagne alors que Syral et Staral ne sont présentes que sur le marché français. Par ailleurs Nordzucker est absent des marchés amont ou aval sur lesquels Syral et Staral sont présents. L'acquisition d'un contrôle conjoint sur Syral et Staral par Nordzucker et Union SDA n'entraîne donc pas de chevauchement d'activités sur le plan horizontal ni d'intégration verticale.
Il est possible de s'interroger, en revanche, sur le risque que la prise de contrôle conjointe de Syral et de Staral par Union SDA et Nordzucker ait pour effet une coordination du comportement concurrentiel des deux entreprises mères sur les marchés où elles sont actives, à savoir les marchés du sucre industriel et du sucre de bouche. Dans ce cadre, il convient de vérifier que la prise de contrôle conjointe de Syral et Staral par deux opérateurs sucriers n'est pas susceptible d'amoindrir l'intensité de la concurrence sur les marchés du sucre, qui se caractérisent en France par une structure oligopolistique de l'offre (en particulier depuis la prise de contrôle en 2002 des actifs de Béghin-Say par les coopératives sucrières Union SDA, Cristal Union et Sucre Union) et un environnement réglementaire structurellement limitatif de concurrence, ainsi que cela a déjà été observé dans les décisions précédentes du ministre (6).
Afin d'apprécier le risque de coordination du comportement concurrentiel des entreprises mères, il faut tenir compte notamment :
- de la présence significative et simultanée de deux entreprises fondatrices sur le même marché que celui de l'entreprise commune, sur un marché situé en amont ou en aval de ce marché ou sur un marché voisin étroitement lié à ce marché ;
- de la possibilité donnée aux entreprises concernées par leur coordination résultant directement de la création de l'entreprise commune d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits et services en cause.
A cet égard, il convient d'observer en premier lieu qu'Union SDA et Nordzucker ne sont pas présentes sur les marchés des édulcorants autrement que par l'intermédiaire de Syral et de Staral. Par ailleurs, ainsi que cela a déjà été observé, Nordzucker n'est pas actif sur les marchés amont ou aval de ceux sur lesquels Syral et Staral sont présents.
Par ailleurs, le sucre industriel, que produisent les entreprises mères, n'est pas en concurrence directe avec les sirops de glucose, ces derniers ayant par rapport au sucre des caractéristiques spécifiques, en terme de viscosité, de pouvoir sucrant, de goût et de couleur, le sucre étant par ailleurs deux fois plus cher que le glucose (7). Par ailleurs, les matières premières utilisées sont différentes (betteraves pour le sucre, amidon de blé, de maïs et de pomme de terre pour les sirops de glucose) ainsi que les processus de production. En outre, les principaux acteurs présents sur le marché des sirops de glucose (Roquette, Cargill, Avebe) sont absents des marchés du sucre, et réciproquement. Ce raisonnement peut également être transposé aux maltodextrines et aux sorbitols. Il n'apparaît donc pas que le marché du sucre industriel puisse être considéré comme un marché étroitement lié à un des marchés des édulcorants. Il en est de même, a fortiori, pour le marché du sucre de bouche.
De plus, à supposer qu'il existe un lien étroit entre marché du sucre industriel et marchés des édulcorants, il apparaît qu'Union SDA et Nordzucker ne sont pas actuellement concurrents dans la mesure où ils interviennent sur des marchés géographiques distincts(France pour Union SDA, Allemagne pour Nordzucker). Par ailleurs, ainsi que l'a établi la commission dans sa décision Südzucker/Saint Louis Sucre (8), les opérateurs sucriers allemands sont principalement actifs dans des régions de vente situées autour de leurs sites de production respectifs (le sucre est un produit pondéreux qu'il n'est économiquement rentable de livrer qu'à une faible distance du site de production). Les sites de production de Nordzucker étant situés dans les Länder de Basse-Saxe et du Schleswig-Holstein, qui n'ont pas de frontière commune avec la France, il n'apparaît pas que Nordzucker puisse être considéré comme un concurrent potentiel sérieux d'Union SDA sur les marchés français du sucre.
Il apparaît donc que la prise de contrôle conjointe de Syral et Staral par Union SDA et Nordzucker ne devrait pas avoir pour effet une coordination du comportement concurrentiel des entreprises mères sur les marchés du sucre industriel et du sucre de bouche où elles sont toutes deux actives.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées.
Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) Source : site internet du groupe Nordzucker : www.nordzucker.de.
(2) Cette première opération a été notifiée au ministre le 31 janvier 2003 et a fait l'objet d'une lettre d'autorisation en date du 7 mars 2003, en instance de publication au BOCCRF.
(3) Décision M 2502 Cargill/Cerestar du 18 janvier 2002.
(4) L'opération a été renvoyée aux autorités britanniques de la concurrence, conformément aux dispositions de l'article 9 du règlement (CEE) n° 4064-89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises. Cf. rapport de la Competition Commission du 30 mai 2002.
(5) Décisions M 2271 Cargill/Agribrands du 19 février 2001 et M 2029 Tate & Lyle/Amylum du 11 août 2000.
(6) Lettre du ministre concernant l'acquisition du groupe Béghin-Say par les sociétés Union SDA et Union BS du 5 décembre 2002, en instance de publication au BOCCRF ; lettres du ministre du 9 décembre 2002 concernant l'acquisition de certains actifs du groupe Béghin-Say par les coopératives Cristal Union et SDHF, en instance de publication au BOCCRF.
(7) Cf. décision M 2501 Cargill/Cerestar précitée, point 14.
(8) Décision M 2530 Südzucker/Saint Louis Sucre du 20 décembre 2001.