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Décisions

Ministre de l’Économie, 25 juillet 2003, n° ECOC0300439Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil du groupe PeopleSoft

Ministre de l’Économie n° ECOC0300439Y

25 juillet 2003

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 26 juin 2003, vous avez notifié l'offre publique d'échange et d'achat sur le groupe américain JD Edwards & Company (ci-après " JD Edwards ") lancée par le groupe américain PeopleSoft Inc. (ci-après " PeopleSoft "). A la suite de son offre, PeopleSoft est parvenu à acquérir, le 18 juillet 2003, 110 millions d'actions JD Edwards, soit 88 % de son capital.

I. - Les parties et l'opération

PeopleSoft, groupe américain coté basé dans l'Etat du Delaware, conçoit, développe et commercialise des logiciels et progiciels de gestion à destination des moyennes et grandes entreprises. PeopleSoft fournit également à ses clients des services informatiques associés à l'installation et au développement des logiciels et progiciels. En France, PeopleSoft est actif au travers de sa filiale PeopleSoft France, créée en 1993.

En 2002, PeopleSoft a réalisé un chiffre d'affaires consolidé avoisinant 1 860 millions d'euros, dont environ 265 millions réalisés auprès de clients situés dans l'Union européenne. En France, le chiffre d'affaires réalisé par PeopleSoft sur la période considérée s'élève à 98,2 millions d'euros.

JD Edwards, groupe américain coté basé dans l'Etat du Colorado, développe et commercialise des progiciels de gestion et fournit des services liés à la vente de ses produits. A l'instar de ceux commercialisés par PeopleSoft, les logiciels et progiciels de JD Edwards permettent aux clients d'optimiser divers aspects de leurs activités, depuis la gestion des relations avec les fournisseurs, les salariés et les clients, jusqu'à la réalisation d'opérations et l'analyse de l'information interne.

Les ventes de JD Edwards ont généré en 2002 un chiffre d'affaires de 919 millions d'euros, dont 190 millions réalisés au niveau communautaire et 32,4 millions réalisés en France.

A la suite de son offre publique d'échange et d'achat lancée le 18 juin 2003, PeopleSoft détient le contrôle exclusif de JD Edwards. L'opération constitue donc une concentration économique au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.

Au regard des chiffres d'affaires précités, il apparaît que les seuils communautaires ne sont pas franchis, mais qu'en revanche les seuils de chiffres d'affaires tels qu'énoncés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont quant à eux franchis. L'opération projetée entre donc dans le champ d'application des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce.

Par ailleurs, l'acquisition de JD Edwards par PeopleSoft a fait l'objet d'une notification aux Etats-Unis ; l'opération y a été autorisée le 15 juillet 2003.

II. - Les marchés concernés

A. - Les marchés de produits

PeopleSoft et JD Edwards sont tous deux concepteurs et éditeurs de progiciels applicatifs de gestion d'entreprises.

Par ailleurs, PeopleSoft et JD Edwards offrent aux acquéreurs de leurs progiciels de gestion d'entreprises des services informatiques liés (essentiellement des services d'assistance, de maintenance et de formation).

Dans ses précédentes décisions rendues dans le secteur informatique (1), la Commission européenne, de façon constante, distingue :

1. La conception et l'édition de progiciels, parmi lesquels on peut distinguer les progiciels système et les progiciels applicatifs. Dans la catégorie des progiciels applicatifs, la Commission européenne a identifié cinq marchés : (i) les progiciels de gestion, (ii) les applications standard, (iii) l'éducation et la formation, (iv) l'hébergement de données, (v) l'automatisation industrielle.

2. Les services informatiques, eux-mêmes subdivisés en sept marchés : (i) les services de gestion globale, (ii) les services de gestion d'entreprises, (iii) les services de développement et d'intégration de progiciels, (iv) les services de conseil, (v) les services de maintenance des matériels informatiques et de support logistique et (vii) les services d'enseignement et de formation. Le ministre de l'économie, dans une décision du 25 septembre 2002 relative à une acquisition réalisée par la société Atos Origin Infogérance (2), a également retenu cette classification.

Les progiciels de gestion peuvent être décomposés en cinq types : les progiciels de gestion des ressources humaines, les progiciels de gestion des finances et de la comptabilité, les progiciels de gestion des relations client, les progiciels de gestion commerciale, et enfin les progiciels de gestion intégrés (PGI, ou " Enterprise Resource Planning ", dit " ERP "), qui offrent les fonctionnalités des différents progiciels précédents dans le cadre d'une même solution informatique. Selon PeopleSoft, il conviendrait de segmenter le marché des progiciels de gestion selon les divers types de progiciels de gestion. A l'appui d'une segmentation par type de logiciel, la partie notifiante fait valoir que chaque type de logiciel de gestion répond à un besoin unique et n'est pas interchangeable avec d'autres types de logiciel. En outre, il serait pertinent, selon PeopleSoft, de distinguer les marchés que constitueraient les divers types de progiciels de gestion selon les typologies d'entreprises auxquelles ils sont destinés. Il fonde une telle distinction sur une certaine incapacité des progiciels destinés aux petites et moyennes entreprises à gérer le volume de données inhérent à l'activité des grandes entreprises, d'une part, et sur l'addition, s'agissant des progiciels à destination des grandes entreprises, de nombreuses fonctionnalités dont les plus petites entreprises n'auraient ni l'usage ni le besoin, d'autre part.

Pour autant, une segmentation plus fine du marché des progiciels de gestion, marché considéré comme pertinent par la Commission européenne dans les affaires précitées, ne paraît pas devoir être retenue.

Sur la pertinence d'une segmentation entre les différents types de progiciels de gestion, il apparaît que, contrairement à ce que soutient la partie notifiante, il existe, sur le marché des progiciels applicatifs de gestion, une grande substituabilité entre les progiciels, tant du côté de la demande que du côté de l'offre, favorisée en particulier par l'évolution rapide des technologies. Pour répondre à leurs besoins d'organisation et d'informatisation de leur gestion, les entreprises peuvent choisir d'acquérir des solutions globales de systèmes d'information, les PGI, ou acquérir des programmes modulaires et intégrables entre eux, correspondant à une ou plusieurs de ces fonctionnalités (gestion des ressources humaines, des finances...). Si les entreprises se sont initialement équipées massivement en progiciels comptables/financiers, dans la mesure où l'offre de progiciels de gestion s'est initialement développée autour de cette fonctionnalité, on observe depuis quelques années, avec le développement de l'offre des éditeurs de progiciels et l'évolution de la technologie, une tendance croissante des entreprises à automatiser également d'autres fonctions, et en particulier leurs fonctions commerciales et de gestion de production. L'acquisition d'une solution progiciel, qu'il s'agisse d'un PGI ou de solutions modulaires, correspond dès lors, du point de vue de l'entreprise, à un même besoin de gestion de tout ou partie de ses fonctions administratives, financières et commerciales. Quant à l'offre des éditeurs de PGI et de solutions modulaires, elle a progressivement convergé pour répondre à une demande la plus large possible, en offrant les mêmes fonctionnalités et en développant les possibilités d'intégration des différentes solutions, à des conditions similaires en terme de délais d'installation et de coûts. Ainsi, sous l'impulsion de la demande croissante des entreprises, une très large partie des éditeurs de solutions modulaires est très vite devenue généraliste, seule une minorité d'entre eux (3) ayant choisi de demeurer spécialisés, dans une logique de différenciation commerciale. Les éditeurs de PGI ont également progressivement étendu les fonctionnalités offertes par leurs progiciels, afin de couvrir la gamme complète des fonctionnalités de gestion dans les mêmes conditions que les éditeurs de progiciels modulaires.

Enfin, s'agissant d'une segmentation du marché des progiciels de gestion selon les typologies d'entreprises auxquelles ils sont destinés, il est entendu qu'ainsi que le souligne PeopleSoft les progiciels de gestion les plus sophistiqués, utilisés par les entreprises les plus grandes (entreprises qualifiées de " grands comptes ", de plus de 2 000 personnes), tendent à être plus puissants et à présenter une flexibilité plus grande permettant leur adaptation aux besoins plus complexes de ces entreprises. Pour autant, si à l'origine les PGI s'adressaient essentiellement aux entreprises industrielles de grande taille, on assiste, depuis quelques années, à une pénétration des ventes de ces produits auprès des entreprises de services et des entreprises de plus petite taille. A l'inverse, les solutions modulaires, initialement destinées aux entreprises de service et aux entreprises de plus petite taille, ont progressivement évolué pour s'adresser aujourd'hui également aux entreprises industrielles de grande taille. Ce phénomène s'explique par une stratégie renforcée des éditeurs de PGI, initialement centrés sur les grands comptes industriels, en vue de leurs ventes auprès des entreprises du " mid-market " (entreprises de 100 à 2 000 personnes selon la segmentation retenue par IDC [4]) et des PME. Cette stratégie s'est accompagnée du développement de versions allégées des PGI, préparamétrés et packagés, d'utilisation plus simple et de coûts moindres que les progiciels plus " lourds " initialement destinés aux grands comptes. Ainsi, un éditeur de PGI tel que SAP, alors qu'il réalisait traditionnellement l'essentiel de ses ventes auprès de grands comptes, a progressivement développé une politique de vente de ses PGI aux entreprises du mid-market mais également auprès des PME, grâce à des solutions plus légères et plus rapidement opérationnelles. Cet éditeur de PGI a réalisé en 2002 environ 35 % de son chiffre d'affaires auprès d'entreprises autres que les " grands comptes ", alors qu'il réalisait la majeure partie de ses ventes auprès des grands comptes il y a seulement quatre à cinq années (5). A l'inverse, les éditeurs de progiciels modulaires, qui ciblaient initialement les PME, ont développé leurs ventes aux entreprises du mid-market, en offrant des solutions progicielles comportant une gamme complète de fonctionnalités, capables de communiquer entre elles. Les PGI et les progiciels modulaires présentent désormais des caractéristiques et fonctionnalités comparables, capables de répondre aux besoins de la majorité des entreprises, quels que soient leur taille et leur métier.

En tout état de cause et au cas d'espèce, il apparaît que la question de savoir s'il convient de segmenter le marché des progiciels de gestion tel qu'envisagé par la Commission est sans objet dans la mesure où, quelle que soit la délimitation proposée, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.

Quant aux marchés des services informatiques concernés, il n'est pas nécessaire de les définir précisément ; la présence de PeopleSoft et de JD Edwards sur ces marchés est marginale et limitée aux services relatifs à leurs produits progiciels.

B. - Le marché géographique

Dans ses décisions rendues dans le secteur de la conception et de l'édition de progiciels, la Commission européenne a considéré que le marché de la conception et de l'édition de progiciels applicatifs de gestion est de dimension européenne dans la mesure où il existe des réseaux de distribution permettant à un éditeur de commercialiser ses produits au-delà des frontières du pays dans lequel il est installé, d'une part, et où l'adaptation des produits aux pays présentant un caractère ou une langue spécifique demeure relativement aisée, d'autre part.

III. - L'analyse concurrentielle

Les parties n'ont pas été en mesure de communiquer d'estimations précises de leur part de marché sur les segmentations qu'elles envisagent et les évaluent sur une base mondiale.

Au niveau mondial, PeopleSoft estime que sa part dans les ventes de progiciels applicatifs de gestion à destination des grandes entreprises représente en 2001 [10-20] % des ventes totales de ces progiciels aux grandes entreprises. Celle de JD Edwards serait inférieure à [0-10] %. La part de SAP est estimée quant à elle à [60-70] %, celle d'Oracle à [10-20] %. Il ne lui a pas été possible de communiquer d'estimations des parts des parties dans les ventes mondiales de chaque type de progiciels de gestion.

Au niveau mondial toujours, PeopleSoft n'est pas en mesure de donner une estimation de la part des parties à la concentration s'agissant des ventes de progiciels applicatifs de gestion au " mid-market " et aux PME. Cibles commerciales historiques de JD Edwards, il indique simplement que les ventes de JD Edwards vers cette typologie de clientèle représenteraient plus de [0-10] % des ventes totales de progiciels applicatifs de gestion au " mid-market " et PME. Il n'apporte pas d'évaluation selon les différents types de progiciels de gestion. PeopleSoft énonce en revanche que les principaux concurrents de JD Edwards sur ces segments sont Oracle, SAP, Lawson Software, Siebel, Intentia, IFS, ADP Manugistics Group et i2 Technologies.

Sur le marché de la conception et de l'édition de progiciels applicatifs de gestion, PeopleSoft n'a pas été en mesure de communiquer d'estimation des parts de marché des entreprises concernées par la présente opération au niveau communautaire. Il estime sa part à [10-20] % des ventes mondiales de progiciels applicatifs de gestion, celle de JD Edwards à [0-10] %.

A défaut d'estimation du marché communautaire, la partie notifiante dispose en revanche d'estimations sur le segment français du marché de la conception et de l'édition de progiciels applicatifs de gestion. En France, PeopleSoft réalise [0-10] % des ventes de progiciels applicatifs de gestion, JD Edwards, [0-10] %. La nouvelle entité représenterait donc, à l'issue de l'opération, [0-10] % des ventes de progiciels applicatifs de gestion en France.

En l'espèce, dans la mesure où les ventes de la nouvelle entité en France représentent, en 2002, [20-30] % de ses ventes communautaires, et considérant qu'il peut être admis que la représentativité en valeur du segment français dans le marché européen de la conception et de l'édition de progiciels applicatifs de gestion n'excède pas ce ratio de [20-30] %, il peut raisonnablement être supposé que la représentativité des parties à la concentration au niveau communautaire ne peut être qu'au plus égale à celle estimée sur le segment français.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient de conclure que l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.

Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

(1) Voir notamment l'affaire n° COMP-M.2365 - Schlumberger/Sema, du 5 avril 2001 ; affaire n° COMP-M.2024-Invensys/Baan, du 7 juillet 2000.

(2) Décision du 25 septembre 2002, BOCCRF du 28 novembre 2002, p. 1082.

(3) Sur les 100 éditeurs de progiciels les plus importants par leur chiffre d'affaires parmi les 3 900 recensés en France par la base CXP, seuls 8 sont aujourd'hui encore spécialisés.

(4) Classification opérée par l'institut indépendant IDC dans son étude à paraître en 2003 intitulée " Le Mid-Market et les PME : relais de croissance sur le marché de l'ERP ".

(5) Source : étude IDC précitée.