CA Paris, 8e ch. D, 20 avril 2000, n° 1997-23454
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maison française de distribution (SA)
Défendeur :
Strauss
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gadel
Conseillers :
Mme Bonnan-Garçon, M. Renard-Payen
Avoués :
SCP Monin, SCP Verdun-Seveno
Avocats :
SCP Lebas, SCP Garnier-Roucoux-Peres.
Monsieur Robert Strauss a reçu le 6 mai 1996 un avis personnalisé aux termes duquel son numéro personnel 2742919 avait été tiré au sort et qu'il avait gagné le plus gros chèque possible au grand jeu de la SA Maison française de distribution.
Un avis précisait que le premier prix consistait en un chèque de 35 000 F net d'impôts.
Le 13 mai 1996, Monsieur Robert Strauss retournait la demande de prix, un bon de commande et un chèque de 755 F en paiement de sa commande.
Par courrier du 15 mai 1996, Robert Strauss recevait un chèque de réduction de 50 F à déduire de sa prochaine commande.
Par jugement du 1er septembre 1997, le Tribunal d'instance du 16e arrondissement de Paris a condamné la SA Maison française de distribution à payer à Monsieur Robert Strauss la somme de 29 616 F à titre de dommages-intérêts, outre 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le 29 septembre 1997, la SA Maison française de distribution a relevé appel de cette décision.
Procédure et prétentions des parties
Vu les conclusions de la SA Maison française de distribution en date du 29 janvier 1998 tendant à la réformation de la décision déférée, au débouté de Monsieur Strauss et à sa condamnation au paiement de la somme de 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions de Monsieur Strauss en date du 16 mars 1999 tendant à la confirmation de la décision déférée, au débouté de la SA Maison française de distribution de son appel, à la condamnation solidaire de MFD et Monsieur Monnet à lui payer la somme de 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur ce, LA COUR
Considérant que la société Maison française de distribution explique que le lot de 35 000 F devait, en fait, être partagé entre tous les participants, mais que ceci ne résulte d'aucune lecture même attentive des documents;
Considérant qu'au lieu d'expliquer le mécanisme de son jeu, la société MFD expose qu'en réalité deux jeux étaient proposés à Monsieur Strauss; que cette affirmation est inopérante et n'apporte aucune justification à la proposition faite à Monsieur Strauss;
Considérant que les explications complexes de la société MFD ne sauraient enlever aux faits leur réalité: que Monsieur Strauss, âgé de 76 ans, a reçu un dépliant qui lui était adressé personnellement; que si l'intimé avait trouvé dans sa boîte aux lettres une proposition anonyme, il est d'évidence que le problème se serait posé dans d'autres conditions;
Mais considérant que Monsieur Strauss a reçu un dépliant qui lui était adressé nominativement et qui était ainsi libellé au recto de la première feuille "Bravo, Monsieur Strauss, vous avez gagné le plus gros chèque au grand jeu MFD";que cette affirmation était sans la moindre ambiguïté et persuadait Monsieur Strauss de la réalité de son gain;que la deuxième feuille portait la mention en grosses lettres noires "1er prix un chèque d'un montant de" et en grosses lettres rouges: "35 000 F"; que la société MFD est malvenue à prétendre que ces mentions concernaient en réalité deux jeux, la première page "le grand jeu MFD" et la deuxième le "Tirage d'avril 96"; que le rapprochement naturel entre l'annonce du gain de la première feuille et le montant du gain de la deuxième inclinait naturellement Monsieur Strauss à imaginer qu'il avait gagné 35 000 F; qu'en outre, la première page ne pouvait que confirmer Monsieur Strauss dans la certitude de son gain par les termes employés: "Monsieur Strauss, je vous le confirme: votre numéro personnel a bel et bien été tiré au sort... et vous avez gagné le plus gros chèque possible à ce grand jeu MFD"; qu'ainsi, c'est bien sur le "grand jeu MFD" que portait le gain et non sur le jeu "Tirage d'avril 96"; que, s'il en était besoin, l'assurance du gain était confirmée par les termes suivants mentionnés sur le dépliant "Dans l'attente de vous envoyer l'argent que vous avez gagné, je vous présente au nom de la société MFD nos plus sincères félicitations" et "PS: J'insiste: vous n'avez pas gagné le lot de consolation, mais bien le plus gros chèque mis en jeu. Réclamez-le dès aujourd'hui"; qu'ainsi, il ne s'agissait pas pour Monsieur Strauss d'une proposition ou d'une suggestion, mais d'une certitude;
Considérant que l'article L. 121-36 du Code de la consommation dispose: "Les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière, ni dépense sous quelque forme que ce soit"; que la société MFD insiste dans ses écritures sur le fait que sur le bon de participation, il est mentionné: "jeu gratuit et sans obligation d'achat";
Mais considérant que le dépliant porte les mentions: "Pour recevoir votre argent, Monsieur Strauss, c'est très simple: retournez, après l'avoir complétée, votre demande de prix sous votre bon de commande" et "j'espère que vous profiterez de cette occasion pour commander plus d'articles";que ces termes s'analysent en une invitation pressante adressée à Monsieur Strauss de passer plusieurs commandes;que cela est si vrai que Monsieur Strauss a retourné le 13 mai 1996 sa demande avec un bon de commande et un chèque bancaire de 755 F en paiement de celle-ci;qu'ainsi la société MFD a contrevenu aux dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation;qu'en conséquence la décision entreprise doit être confirmée en son principe sur la condamnation de la société MFD;
Considérant sur le préjudice, que celui-ci est constitué par la personnalisation des documents publicitaires adressés à Monsieur Strauss et la vaine croyance dans la distribution d'une somme importante; que néanmoins, ce préjudice ne se confond pas avec le montant du gain annoncé dans la mesure où il s'analyse dans la fausse espérance d'un gain attribué et non d'une perte; qu'il s'agit d'un préjudice actif et non passif, comme c'est le cas habituellement dans la liquidation des préjudices corporels; qu'il doit être réparé par l'attribution d'une indemnité de 17 500 F; que la décision attaquée doit donc être réformée en ce sens;
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que les circonstances de la cause et l'équité justifient l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile qu'il convient de confirmer le jugement déféré de ce chef et qu'une somme de 5 000 F est allouée en outre à Monsieur Strauss en cause d'appel de ce chef;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par décision contradictoire, Reçoit la société Maison française de distribution en son appel; Confirme sur le principe de la condamnation de la société Maison française de distribution le jugement entrepris; Le réformant sur le préjudice et statuant à nouveau, Condamne la société Maison française de distribution représentée par son liquidateur amiable Jean-Michel Monnet à payer à Monsieur Strauss la somme de 17 500 F avec intérêts au taux légal à compter du jugement, outre 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Maison française de distribution aux entiers dépens; Autorise la SCP Verdun-Seveno à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.