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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. A, 31 janvier 2000, n° 97-02034

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bailet (ès qual.), Maison française de distribution (Sté)

Défendeur :

Bleynie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bizot

Conseillers :

MM. Cheminade, Carbonnier

Avoués :

SCP Henri & Luc Boyreau, Me Fournier

Avocats :

SCP Lebas, Me Szewczyk.

TI Périgueux, du 28 févr. 1997

28 février 1997

Exposé du litige:

Maître Robert Bailet, huissier de justice à Drap (Alpes-Maritimes) et la SA Maison française de distribution (MFD) dont le siège est à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) ont régulièrement saisi la cour d'un appel du jugement du 28 février 1997 du Tribunal d'instance de Périgueux, auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé des détails du litige, qui les a notamment condamnés à payer à M. Maurice Bleynie la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, pour lui avoir donné l'illusion d'un gain d'argent dans le cadre de jeux de loterie.

Vu les articles 455 et 954 du Code de procédure civile (rédaction applicable à compter du 1er mars 1999).

Vu les conclusions de Maître Robert Bailet et de la société MFD déposées et signifiées le 11 août 1997 et le 22 avril 1998.

Vu les conclusions de M. Bleynie déposées et signifiées le 2 septembre 1997.

Vu l'ordonnance de clôture de l'instruction du 25 octobre 1999.

Motifs:

1. Il est de principe que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1382 du Code civil).

Spécialement, lorsqu'il ressort de documents diffusés par une société de vente par correspondance et se rapportant aux conditions de participation et de gain à une loterie que la présentation de ces documents, destinés explicitement à provoquer dans l'esprit du destinataire désigné comme gagnant d'un lot important l'euphorie propice à l'engagement simultané d'une commande sur catalogue, est de nature à persuader le gagnant que son numéro, tiré au sort, lui a permis de se voir attribuer une somme d'argent conséquente, alors que le gain réel proposé est dérisoire, cette présentation volontairement ambiguë peut constituer une faute causant au destinataire un dommage moral constitué par la désillusion et par le sentiment de tromperie qui en résultent.

2. En l'espèce, en des motifs pertinents que la cour fait siens et qui ont déjà répondu aux moyens et arguments de nouveau invoqués par M. Bailet et la société MFD en cause d'appel, le premier juge a fait une exacte et complète appréciation des données de la cause, et notamment de la présentation ambiguë, voire fallacieuse, des documents de loterie et de commande adressés par la société MFD à M. Bleynie, avec la garantie appuyée de l'huissier de justice Me Bailet, pour retenir à bon droit d'abord que la société MFD a commis, du fait de cette présentation, une faute engageant sa responsabilité civile quasi-délictuelle à l'égard de M. Bleynie, persuadé, par ce moyen, d'un gain de 35 000 F, pour un gain réel de 5 F, ensuite qu'en prêtant son concours, par signature et cachet à six reprises reproduits sur les documents en cause dont le caractère ambigu, voire fallacieux, ne pouvait lui avoir échappé, l'huissier de justice Me Bailet a également commis une faute engageant sa responsabilité personnelle quasi-délictuelle à l'égard de M. Bleynie.

Il convient, en outre, d'ajouter, au vu des productions:

1° que ces documents ont été adressés à une personne, M. Bleynie, retraitée et âgée de 70 ans à la date des faits, circonstance de nature à diminuer, le cas échéant, son attention;

2° que l'ambiguïté calculée des documents est encore aggravée par la personnalisation voulue de l'envoi, destinée, à l'évidence à mieux persuader le "gagnant", M. Bleynie du sort particulier dont le tirage du jeu le faisait bénéficier, et par la présentation insistante de cet heureux gagnant comme seul attributaire "du plus gros chèque", sans allusion, dans ce courrier personnalisé, à une quelconque division du gain entre divers attributaires, pas plus qu'à l'existence de deux loteries distinctes, l'apposition, par ailleurs, de l'expression "Deux chances de gagner" dans un cartouche n'étant pas de nature à lever la confusion, voulue, des deux loteries, puisque pouvant être lue comme se rapportant, à l'endroit où elle était imprimée, à la seule loterie Tirage février 96 et à la distinction du gros lot et des lots de consolation;

3° que l'existence, en partie droite verticale de cette lettre personnalisée et dans le bon détachable intitulé "demande de prix", de la phrase "jeu gratuit sans obligation d'achat, n'omettez pas de lire le règlement à l'intérieur de l'enveloppe", imprimée en lettres quasi-microscopiques, donc décelables au prix seulement d'un effort d'attention bien supérieur à celui exigible d'un consommateur normalement attentif, atteste non d'une volonté réelle de la société MFD d'une information sincère sur la coexistence de deux loteries et de deux règlements distincts, mais, au contraire, de l'intention explicite de cette société d'éviter autant que possible que la confusion très apparente entretenue entre les deux loteries et entre la consistance des gains proposés soit levée par la découverte et la lecture du règlement du "Grand Jeu MFD", tout en prétendant satisfaire, a minima, aux exigences légales (articles L. 121-36 alinéa 1 et L. 121-37 du Code de la consommation);

3. Il convient, en conséquence, de déclarer mal fondé l'appel principal de la société MFD et de Me Bailet, et de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'un et l'autre tenus de réparer le dommage de M. Bleynie.

4. L'indemnité réparatrice du double préjudice moral invoqué par M. Bleynie a été justement appréciée par le premier juge. Il n'y a pas lieu de faire raison à l'appel incident de M. Bleynie réclamant d'abord l'élévation de cette indemnité à 35 000 F "en raison des méthodes commerciales douteuses et de l'appel abusif des appelants", ce dernier chef de dommage, nécessairement distinct du dommage de fond réparable, n'étant pas, de surcroît, admissible, puisque l'exercice du droit d'appel ne saurait, en l'espèce, être déclaré abusif, et réclamant ensuite la fixation du point de départ des intérêts au taux légal sur l'indemnité à la date de l'assignation, lesquels courront, en application de l'article 1153-1 alinéa 2 du Code civil, à compter de la date du jugement purement et simplement confirmé.

5. Les dépens d'appel sont à la charge, in solidum, de la société MFD et de Me Bailet.

6. L'article 700 du Code de procédure civile doit être appliqué, en équité, au seul bénéfice de M. Bleynie comme précisé ci-après.

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Recevant en la forme l'appel de la société Maison française de distribution (MFD) et de M. Robert Bailet, huissier de justice, Le déclare mal fondé, Déclare mal fondé l'appel incident de M. Maurice Bleynie, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne in solidum la société Maison française de distribution et Me Bailet aux dépens d'appel, Condamne in solidum la société Maison française de distribution et Me Bailet à payer à M. Bleynie , en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 5 000 F et les déboute de leur pareille demande commune, Autorise Me Fournier, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée in solidum ceux des dépens d'appel dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.