CA Rennes, 2e ch. com., 27 septembre 2000, n° 99-06196
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
L'Aviculteur Briochin (SA)
Défendeur :
CVP (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
MM. Poumarede, Patte
Avoués :
SCP d'Aboville, de Moncuit & Le Callonnec, SCP Chaudet & Brebion
Avocats :
Mes Avril, Druais
Par jugement du 21 juin 1999, le Tribunal de commerce de Saint-Brieuc a débouté la SA L'Aviculteur Briochin de sa demande en dommages-intérêts pour rupture brutale par la SA CVP de leur relation commerciale et condamné la première à payer à la seconde la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le 2 septembre 1999, L'Aviculteur Briochin a formé appel de cette décision.
Moyens proposés par les parties:
L'Aviculteur Briochin expose au soutien de son recours que:
- le préavis de quinze jours précédant la rupture partielle de leur relation commerciale imposée par CVP est insuffisant au regard des usages de la profession fixant le délai de prévenance à cinq semaines,
- la société CVP n'a respecté aucun préavis lors de la rupture totale qui a suivi,
- le grief tiré des faits de concurrence invoqué à son encontre par la société CVP n'est pas fondé,
- la rupture procède d'une intention de nuire de la société CVP désireuse de l'éliminer du marché.
L'Aviculteur Briochin demande en conséquence à la cour de:
- à titre principal, réformer la décision attaquée, dire et juger que la rupture des relations est fautive et condamner la CVP à lui payer la somme de 2 753 962 F en réparation du préjudice qui en est résulté,
- subsidiairement sur le préjudice, ordonner une expertise afin d'évaluer le dommage subi,
- en toute hypothèse, condamner la CVP à lui payer la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La CVP réplique pour sa part que:
- le délai de préavis de quinze jours qu'elle a observé satisfait aux usages de la profession,
- la rupture était justifiée par le comportement déloyal de L'Aviculteur Briochin caractérisé par l'acquisition d'un centre de conditionnement venant directement concurrencer son activité et l'usage de la marque Fermier d'Argoat dont elle est propriétaire,
- le préjudice invoqué n'est pas démontré, l'expertise comptable produite lui étant au surplus inopposable car non contradictoire.
En conséquence, la CVP demande à la cour de:
- confirmer le jugement attaqué dans toutes ses dispositions,
- condamner L'Aviculteur Briochin à lui payer 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées.
Motifs de l'arrêt:
Considérant que doivent être écartées des débats comme requis, pour violation du principe du contradictoire posé par l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, les conclusions déposées par la CVP le 13 juin 2000, soit la veille de l'ordonnance de clôture, l'autre partie n'ayant pas eu le temps nécessaire pour en prendre connaissance et le cas échéant y répliquer;
Considérant au fond, que la société CVP, qui depuis avril 1996, procédait au ramassage, conditionnement et commercialisation des oeufs de poule plein air et biologique produits par L'Aviculteur Briochin en élevage sous contrat d'intégration, a notifié à cette dernière, suivant courrier daté du 31 juillet 1997, sa décision "d'arrêter de reprendre les oeufs de poule plein air" à compter du 15 août suivant, en reprochant à son fournisseur l'acquisition d'un centre de conditionnement d'oeufs lui faisant directement concurrence qu'à l'expiration du délai de préavis, la société CVP a cessé de prendre livraison des oeufs de plein air en provenance de sept élevages sur treize, ce dont il résulte une rupture partielle et non une simple modification des quantités convenues, pour arrêter toute collecte au printemps 1998, après cessation progressive du ramassage des oeufs auprès des centres d'élevages restants et ce sans autre avertissement;
Considérant sur la demande en réparation pour non-respect du délai de préavis, que les relations commerciales établies entre les parties n'ont fait l'objet d'aucun écrit qu'en application des dispositions de l'article 35-5 de l'ordonnance du premier décembre 1986 issues dans leur rédaction de la loi du premier juillet 1996 relative à la loyauté et à l'équilibre des relations commerciales, une telle convention à durée indéterminée, est résiliable à tout moment sans motif, sauf à respecter y compris en cas de rupture partielle, un délai de préavis dont l'auteur de la résiliation ne peut s'exonérer qu'en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou force majeure;
Qu'en l'absence, en l'espèce, d'usages reconnus par les accords interprofessionnels visés par ce texte, il appartient au juge d'apprécier suivant les circonstances la durée du délai de prévenance;
Considérant à cet égard, qu'en raison d'une part, de l'étroitesse du marché de l'oeuf de poule de plein air rendant très difficile toute réorganisation rapide de l'activité ou recherche d'un nouveau débouché, d'autre part, des contraintes techniques liées au cheptel animal élevé sous contrat d'intégration constituant le support de la production des oeufs que la société CVP s'était engagée depuis plus de un an à collecter dans les élevages avant de les conditionner et commercialiser, le délai de préavis peut être raisonnablement calqué sur le temps nécessaire à la mise en place des lots de poules pondeuses estimé à cinq semainessuivant les appréciations concordantes de représentants de la profession qu'il n'y a pas lieu de suspecter de partialité (attestation de juriste chargé de mission à la Confédération Française de l'Aviculture et d'un représentant du Syndicat des Producteurs Avicoles Challendais);
Que cette estimation ne saurait être sérieusement contredite par les avis contraires produits par CVP fixant le délai de préavis à quinze jours voire un mois, comme visant les simples modifications de prix ou de quantité des produits ou rupture des relations à l'initiative du fournisseur et non du client;
Considérant en second lieu, que CVP ne justifie d'aucune violation grave par L'Aviculteur Briochin de ses obligations, étant observé que:
- l'acquisition en exécution d'un plan de cession des actifs du GAEC du Vieux Moulin homologué le 24 juillet 1997 par jugement du Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, incluant un centre de conditionnement et de commercialisation d'oeufs situé à Erquy, ne saurait constituer un comportement déloyal dès lors que l'appelante approvisionnait les Fermiers de Bretagne, société exploitante, depuis le premier janvier 1995, soit antérieurement à l'activité exercée par CVP à compter d'avril 1996 dans le centre situé à Laniballe dépendant des actifs de la société Fermiers d'Argoat acquis également par elle en exécution d'un plan de cession homologué le 5 avril 1996 par jugement du Tribunal de grande instance de Valence,
- la commercialisation d'oeufs en grande surface par "le Potier-Argoat" dénoncé suivant courrier du 31 octobre 1997 émanant de la SA Matines ainsi que l'usage de la marque Fermier d'Argoat, par le groupement Les Fermiers d'Argoat, constaté le 5 octobre 1998 par huissier mandaté par la même société Matines, outre qu'ils sont postérieurs à la notification de la rupture, sont le fait de personnes morales distinctes de L'Aviculteur Briochin, quand bien même ces sociétés appartiennent au même groupe financier,
- enfin, la cession de la marque Fermier d'Argoat au profit de la CVP suivant acte notarié du 7 août 1997 fait l'objet d'une action en nullité actuellement pendante devant le Tribunal de grande instance de Valence, par le Groupement Les Fermiers d'Argoat au nom de qui la marque a été enregistrée et renouvelée à l'INPI, comme étant contraire aux dispositions du plan homologué le 5 avril 1996 emportant cession au profit de CVP du seul droit de l'utilisation de la marque, compte tenu des contestations existantes, le groupement des Fermiers d'Argoat ayant par ailleurs notifié à la société CVP son retrait d'autorisation le 14 mai 1998;
Considérant qu'il résulte de qui précède que L'Aviculteur Briochin était en droit d'exiger un préavis de cinq semaines au regard de l'objet de son activité;
Considérant que CVP qui ne justifie d'aucune cause exonératoire, a commis une faute caractérisée, d'une part, en résiliant la convention la liant avec L'Aviculteur Briochin avec un simple préavis de quinze jours sans préciser que la rupture avait un caractère partiel, d'autre part, en cessant de s'approvisionner auprès de chacun des six centres de production restants au fur et à mesure des renouvellements des lots sans aucun autre avertissement, que ce faisant la CVP a engagé sa responsabilité et doit réparation à L'Aviculteur Briochin du préjudice qui en est résulté;
Considérant sur le préjudice, que l'expertise comptable réalisée à la demande de L'Aviculteur Briochin dont il a été débattu contradictoirement, constitue un commencement de preuve parfaitement admissible du manque à gagner subi par L'Aviculteur Briochin; que toutefois, en l'absence d'éléments d'information suffisants permettant de déterminer le dommage subi en relation exclusive avec les manquements établis à l'encontre de CVP, il convient de nommer aux frais avancés de L'Aviculteur Briochin, un expert qui accomplira la mission telle que précisée au dispositif;
Considérant que les demandes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que les dépens seront réservés;
Décision
Par ces motifs: LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Ecarte des débats les conclusions déposées le 13 juin 2000 par CVP, Ordonne une expertise, Commet Michel Tanguy demeurant 13 bis, boulevard Clémenceau - 22000 Saint-Brieuc en qualité d'expert avec pour mission: - déterminer le préjudice subi par la société L'Aviculteur Briochin en relation exclusive avec le non-respect d'un préavis de résiliation fixé à six mois en tenant compte des dates d'arrêts du ramassage des oeufs dans chacun des centres d'élevages objets de la convention, et de la reprise de l'élevage de Joseph Raoult par la coopération du Gouessant, - répondre à tous dires pertinents des parties, - rappelle que l'expert peut prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne, Ordonne le dépôt du rapport au greffe de cette cour dans un délai impératif de quatre mois à compter de sa saisine, Dit que les frais de cette expertise seront avancés par L'Aviculteur Briochin qui devra consigner, toujours au greffe de cette cour et avant le 13 novembre 2000, la somme de 20 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert, Rappelle qu'à défaut de consignation de cette somme dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera de plein droit caduque, Dit qu'en cas de difficultés dans l'exercice de sa mission, l'expert devra en rendre compte à Madame Teze, conseiller de la mise en état, Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou de refus de sa part, il sera, à la requête de la partie la plus diligente, procédé à son remplacement par ordonnance du conseiller de la mise en état, Réserve les dépens.