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Décisions

CA Montpellier, 1re ch. B, 29 mai 1991, n° 88-4628

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rouy

Défendeur :

Puccini

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vielles

Conseillers :

M. Guers, Mme Schoendoerffer

Avoués :

SCP Negre, SCP Argellies

Avocats :

Mes Abeille, SCP Christol.

CA Montpellier n° 88-4628

29 mai 1991

Faits et procédure

Le 15 décembre 1980 et le 22 décembre 1980, Robert Rouy, pépiniériste, a livré à Henri Puccini, arboriculteur, 6008 plants de pommier Starkrimson premier choix suivant facture du 31 décembre 1980.

Ces plants de pommier ont été plantés par Henri Puccini courant janvier 1981, sur une parcelle de 5 hectares 31 ares 89 centiares lui appartenant située à Candillargues.

Courant 1983, Henri Puccini a constaté l'hétérogénéité de son verger et l'a signalé à Robert Rouy qui est venu visiter ce verger.

Courant 1984, l'hétérogénéité s'étant aggravée, Henri Puccini a provoqué une nouvelle visite de son verger par Robert Rouy le 9 avril 1984. Celui-ci n'a fait aucune proposition de règlement amiable.

C'est dans ces conditions que, par acte du 15 mars 1985, Henri Puccini a assigné Robert Rouy devant le Tribunal de grande instance de Montpellier pour obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 600 000 F en réparation de son préjudice subi du fait du manque d'homogénéité des plants de pommier vendus.

Parallèlement, par ordonnance de référé du 20 juin 1985, le Juge des référés a désigné Monsieur Puech en qualité d'expert. Celui-ci a rempli sa mission et a déposé son rapport le 20 mai 1986.

L'expert conclut qu'il est hautement probable que les plants incriminés soient bien ceux qui ont été livrés par Robert Rouy. En effet, les seules plantations de pommiers de la variété Starkrimson ont été réalisées début 1981 sur une parcelle de 5 hectares 31 ares et 89 centiares correspondant exactement à la quantité de plants fournis par Robert Rouy à la même époque. De plus Robert Rouy n'a pas contesté ce point lors des deux visites du verger qu'il a effectuées en 1983 et en 1984.

L'expert constate l'hétérogénéité du verger comportant des pommiers de type "Spur" Starkrimson Red Delicious et des pommiers de type "Standard" Red Delicious dans la proportion de 32 % et de 68 % respectivement.

L'expert souligne que cette hétérogénéité ne pouvait être facilement décelée qu'en 1983 s'agissant de la mutation d'une variété.

Enfin, l'expert chiffre le préjudice subi par Henri Puccini du fait de cette hétérogénéité à la somme de 570 570 F.

Par jugement du 12 octobre 1988, le tribunal a:

- déclaré Henri Puccini recevable et bien fondé en son action,

- déclaré Robert Rouy responsable du préjudice subi par Henri Puccini,

- homologué le rapport d'expertise en date du 20 mai 1986,

- condamné, en conséquence, Robert Rouy à payer à Henri Puccini en réparation du préjudice causé, la somme de 570 570 F outre la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens.

Robert Rouy a relevé appel de ce jugement.

Moyens et prétentions des parties

Robert Rouy fait valoir qu'il n'est pas établi que les plants de pommier incriminés aient été livrés par lui et ce d'autant plus qu'au moment des faits Henri Puccini était lui-même pépiniériste comme étant inscrit en cette qualité sur les annuaires téléphoniques des années 1982 et 1983.

Robert Rouy fait également valoir que l'hétérogénéité constatée n'est pas le fait de variétés différentes mais d'une mutation d'une même variété.

Robert Rouy conteste ensuite la recevabilité de l'action engagée par Henri Puccini. En effet aux termes de la facture du 31 décembre 1980, il est précisé que toutes les ventes des Pépinières Rouy entraînent l'acceptation formelle des conditions de vente portées sur son catalogue. Or, ces conditions de vente stipulent qu'aucune contestation concernant l'authenticité des variétés ne pourra être faite passé un délai de deux ans de la date de livraison. Dans ces conditions, l'action engagée par Henri Puccini le 15 mars 1985 est tardive.

Sur le préjudice, Robert Rouy se réfère aux conditions de la vente aux termes desquelles "la garantie de l'authenticité des variétés est dans ce cas limitée au choix du vendeur au remplacement de l'article ou au remboursement du prix qui avait été facturé lors de la commande". Il se réfère également aux usages de la profession tels qu'ils sont définis dans une lettre de la Fédération Nationale des Producteurs de l'Horticulture et des Pépinières du 16 décembre 1986 qu'il verse aux débats et suivant lesquels "la garantie de l'authenticité des variétés est limitée, au choix du vendeur, au remplacement de l'article ou au remboursement du prix qui avait été facturé lors de la commande". La lettre poursuit "il s'agit là d'un principe qui a acquis valeur d'usage au sein de la profession et que l'on retrouve dans la quasi-totalité des catalogues professionnels" dont précisément, en l'occurrence, dans le catalogue des Pépinières Rouy.

En conséquence, Robert Rouy demande à la cour de:

- vu notamment l'article 1315 du Code civil,

- dire et juger qu'Henri Puccini, pépiniériste à l'époque des faits pour être inscrit sur le répertoire téléphonique des professionnels en la matière, ne rapporte pas la preuve de ce que les pommiers litigieux sont bien ceux qui ont été livrés et facturés par Robert Rouy,

- subsidiairement, vu notamment l'article 1134 du Code civil,

- dire et juger que les conditions de vente stipulées par Robert Rouy étaient connues par Henri Puccini notamment pour avoir valeur d'usage commun à la profession à laquelle il appartient,

- dire et juger que l'action intentée par Henri Puccini est tardive,

- plus subsidiairement, dire et juger qu'Henri Puccini ne saurait prétendre qu'au remplacement des plants ou au remboursement du prix payé et ce en vertu des stipulations contractuelles et des usages en la matière,

- plus subsidiairement encore, dire et juger qu'Henri Puccini a accepté un risque en prenant livraison de plants d'évidence dépourvus de label d'authenticité,

- plus subsidiairement enfin, dire et juger qu'Henri Puccini ne rapporte pas la preuve de son préjudice.

Ainsi:

- réformant le jugement entrepris,

- débouter Henri Puccini des fins de ses demandes,

- reconventionnellement, le condamner à payer à Robert Rouy la somme de 25 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi qu'à la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens

Henri Puccini résiste à cet appel. Il fait valoir que si l'usage dans la profession en matière d'authenticité variétale est une garantie limitée et que la charge du risque est partagée entre l'acheteur et le vendeur, il ne s'agit pas en l'espèce d'authenticité variétale mais d'une erreur sur la variété livrée. Par ailleurs, il se prévaut des usages professionnels rappelés dans la lettre de la Fédération Nationale des Producteurs de l'Horticulture et des Pépinières du 16 décembre 1986 susvisée pour soutenir que son action n'est pas tardive, la contestation devant certes être soulevée dans le délai de deux ans de la date de la livraison en principe mais, dans une formulation plus récente, ce délai de deux ans a été remplacé par la notion de "première période végétative permettant de constater l'erreur commise". Or, en l'espèce, l'hétérogénéité n'a été apparente qu'en 1983, date à laquelle Henri Puccini a précisément élevé sa contestation en demandant à Robert Rouy de visiter son verger pour constater ce défaut de conformité des plants livrés par rapport aux plants commandés. Enfin, Henri Puccini critique les évaluations de l'expert judiciaire comme étant insuffisantes à réparer son entier préjudice. En définitive, il demande à la cour de confirmer le jugement entrepris tant sur la recevabilité de son action que sur la responsabilité de Robert Rouy mais, formant un appel incident, de condamner ce dernier à lui payer la somme de 1 650 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'à 5 000 F sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de l'arrêt

Attendu que, comme en première instance Robert Rouy conteste qu'il y ait identité entre les plants de pommier qu'il a vendus et les pommiers dont l'hétérogénéité a été constatée, soutient qu'en tout état de cause l'action d'Henri Puccini est tardive et fait valoir qu'à supposer que cette action soit jugée fondée et recevable, la garantie due par le vendeur serait limitée par les conditions de vente et les usages professionnels;

Attendu sur l'origine des pommiers litigieux que le premier juge a fait, en des motifs que la cour adopte, une exacte appréciation des faits de la cause;

Qu'en effet, l'expert judiciaire a relevé une parfaite concordance entre d'une part la quantité de plants de pommier acquis par Puccini auprès de Rouy et le nombre de pommiers plantés et d'autre part entre la date de cette acquisition et la date de cette plantation;

Que de même, l'expert a noté les deux visites effectuées par Rouy dans le verger de Puccini en 1983 et 1984 soit à des dates où l'hétérogénéité de ce verger était apparente et où ces visites étaient donc manifestement motivées par la contestation de Puccini laquelle s'est traduite par l'assignation du 15 mars 1985 devant les atermoiements de Rouy;

Qu'il est ainsi établi que les plants litigieux sont bien ceux qui ont été vendus par Rouy à Puccini;

Attendu que le jugement mérite également approbation en ce qu'il a considéré que la demande d'Henri Puccini était recevable;

Qu'effectivement, si les conditions de vente auxquelles la facture fait référence et qui ont donc été acceptées par Puccini stipulent qu'aucune contestation concernant l'authenticité des variétés ne pourra être faite passé un délai de deux ans de la date de livraison, il y a lieu d'interpréter ce délai au vu des usages professionnels établis en la matière lesquels soulignent que le délai de deux ans a été remplacé par la notion de "première période végétative permettant de constater l'erreur commise ";

Qu'en l'occurrence et selon les conclusions du rapport d'expertise l'hétérogénéité du verger donc la constatation de l'erreur commise, ne pouvait être facilement décelée qu'en 1983 s'agissant de la mutation d'une même variété;

Que dès 1983, Puccini a élevé une contestation auprès de Rouy attestée par la visite du verger par ce dernier, contestation qui a été réitérée en 1984 et qui a été suivie par l'assignation du 15 mars 1985;

Que la demande de Puccini est donc recevable en l'état de ces usages professionnels;

Attendu que l'action engagée par Henri Puccini est une action en non conformité de la marchandise vendue et non une action pour vices cachés;

Qu'en effet la garantie des vices cachés s'applique à un produit altéré, abîmé ou détérioré alors que l'action en non-conformité sanctionne la délivrance d'un produit de bonne qualité mais qui ne correspond pas à ce qui avait été convenu entre les parties;

Qu'en l'espèce, Henri Puccini reproche à Robert Rouy de lui avoir vendu non pas des plants de pommier altérés mais des plants de pommier qui n'étaient pas tous du type Spur Starkrimson Red Delicious, certains, dans la proportion de 68 %, s'étant révélés être des plants de pommier de type Standard Red Delicious;

Que les clauses limitatives de responsabilité sont valables pour les défauts de conformité de la chose livrée dès lors que la vente intervient entre professionnels même de spécialités différentes;

Qu'il est donc inutile de rechercher si Henri Puccini exerçait bien la profession de pépiniériste au moment de l'achat des plants litigieux comme semble l'indiquer son inscription en cette qualité sur les annuaires téléphoniques antérieurs à l'année 1984;

Qu'il suffit de considérer qu'il a acquis ces plants de pommier comme arboriculteur;

Que dès lors la clause limitative de responsabilité incluse dans les conditions de vente lui est applicable;

Que cette clause, en pleine concordance avec les usages professionnels, limite la garantie de l'authenticité des variétés, au choix du vendeur, au remplacement de l'article ou au remboursement du prix qui a été facturé lors de la commande;

Que Robert Rouy n'ayant pas opéré son choix, il convient de le condamner au remboursement du prix soit la somme de 50 048,12 F avec intérêts au taux légal depuis le 15 mars 1985, date de l'assignation qui vaut mise en demeure;

Attendu que la demande d'Henri Puccini tendant à l'allocation de la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile est justifiée et doit être accueillie;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit, en la forme, l'appel principal de Robert Rouy et l'appel incident d'Henri Puccini Au fond, réformant partiellement le jugement entrepris Condamne Robert Rouy à payer à Henri Puccini la somme de cinquante mille quarante-huit francs douze centimes (50 048,12 F) avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 1985. Le condamne également à payer à Henri Puccini la somme de cinq mille francs (5 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Le condamne enfin aux dépens de première instance et d'appel, ceux-ci étant recouvrés par la SCP Argellies, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. Rejette toutes demandes contraires ou plus amples des parties.