CA Paris, 4e ch. A, 28 mai 2003, n° 2001-14133
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Van Goeye, Millénaire Tabac Millenium (SARL)
Défendeur :
Philipp Morris France (Sté), Seita (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Schoendoerffer
Avoués :
SCP Bernabé-Chardin-Cheviller, SCP Bolling-Durand-Lallement, Me Ribaut
Avocats :
SCP Gide-Layrette-Noël, SCP Chemouli-Dauzier, Me Ciria.
Vu l'appel enregistré par Nico Carolus Van Goeye et la société Millénaire Tabac Millenium dite MTM du jugement rendu le 11 mai 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a:
- débouté la société Philipp Morris France et la Seita de leur demande en déchéance des droits de Nico Carolus Van Goeye sur la marque " Millenium" n° 93 479 979,
- rejeté la demande d'annulation du procès-verbal de constat du 21 décembre 1999,
- rejeté toute autre demande,
- condamné in solidum Nico Carolus Van Goeye et la société MTM à verser à la société Philipp Morris France et à la Seita la somme de 18 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les dernières écritures signifiées le 16 novembre 2001 par lesquelles Nico Carolus Van Goeye et la société MTM, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté l'action en déchéance des droits qu'ils détiennent sur la marque " Millenium", demandent à la cour de:
- dire que la société Philipp Morris France et la Seita devront cesser, sans délai, toute utilisation du terme "Millenium", sous astreinte de 100 000 F par jour de retard,
- débouter la société Philipp Morris France et la Seita de leurs demandes reconventionnelles,
- condamner solidairement les sociétés Philipp Morris France et Seita à réparer le préjudice qu'ils ont subi,
- dire que la société Philipp Morris France et la Seita devront fournir tous les éléments comptables nécessaires à la détermination des quantités de cigarettes Marlboro vendues sous le signe "Millenium",
- dire que le préjudice subi par Nico Carolus Van Goeye sera au minimum équivalent à 8 % du prix des Marlboro vendues par la Seita et par la société Philipp Morris France sous le signe "Millenium",
- dire que le préjudice subi par la société MTM est équivalent au minimum à la somme de 500 000 F, soit 76 224,51 euros,
- condamner in solidum les sociétés intimées au paiement de cette somme,
- condamner solidairement la société Philipp Morris France et la Seita à leur payer la somme de 50 000 F soit 7 622,45 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions signifiées le 22 mai 2002 aux termes desquelles la société Philipp Morris France demande à la cour de:
* à titre principal
- prononcer la déchéance des droits de M. Van Goeye sur la marque "Millenium" n° 93 479 979 à compter du 5 août 1998,
- débouter M. Van Goeye et la société MTM de l'ensemble de leurs prétentions,
* à titre subsidiaire
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'en faisant usage de la dénomination "Millenium" dans son sens courant et dans le cadre d'une opération promotionnelle ponctuelle liée au changement de millénaire, elle n'a pas porté atteinte aux droits de M. Van Goeye et de la société MTM,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum M. Van Goeye et la société MTM à lui verser la somme de 18 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
* en tout état de cause
- condamner solidairement M. Van Goeye et la société MTM à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les dernières écritures signifiées le 27 mai 2002 par lesquelles la Seita poursuivant l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande en déchéance, demande à la cour de:
* à titre principal,
- prononcer la déchéance des droits de M. Van Goeye sur la marque "Millenium" n° 93 479 979 pour l'ensemble des produits et services visés dans l'enregistrement,
- débouter M. Van Goeye et la société MTM de l'ensemble de leurs prétentions,
* à titre subsidiaire, confirmant le jugement déféré,
- dire que l'usage de l'expression "Marlboro Millenium pack" compte tenu notamment de ses conditions spécifiques d'utilisation dans le contexte du changement de millénaire, n'a nullement porté atteinte aux droits de M. Van Goeye et de la société MTM sur la marque "Millenium",
- dire que l'usage de l'expression précitée n'a pas davantage constitué un acte de concurrence déloyale à leur encontre,
- débouter M. Van Goeye et la société MTM de l'ensemble de leurs prétentions,
* à titre infiniment subsidiaire,
- condamner la société Philipp Morris France à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,
* en tout état de cause
- condamner solidairement M. Van Goeye et la société Philipp Morris France à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Sur ce, LA COUR
- Sur la déchéance des droits de Nico Carolus Van Goeye sur la marque "Millenium" n° 93 479 979
Considérant que Nico Carolus Van Goeye est titulaire de la marque dénominative "Millenium", déposée le 4 août 1993, enregistrée sous le n° 93 479 979 pour désigner notamment les produits suivants: tabac, articles pour fumeurs, cigarettes, cigares, pipes, briquets, allumettes;
Qu'il a conclu, le 1er décembre 1997, avec la société Marques repères, devenue MTM, un contrat de concession de la marque "Millenium";
Considérant que la société Philipp Morris France et la Seita soulèvent la déchéance des droits de M. Van Goeye sur cette marque, à compter du 5 août 1998, pour défaut d'exploitation réelle et sérieuse faisant valoir que la mise sur le marché de 28 boîtes de cigares alors qu'il existe en France 35 000 points de vente constitue un acte de commercialisation insuffisant et artificiel;
Mais considérant que Nico Carolus Van Goeye et la société MTM justifient par les démarches administratives qu'ils ont effectuées pour la commercialisation des tabacs (obtention d'un numéro de distributeur le 9 juillet 1998, publication des prix au Journal Officiel du 3 septembre et du 28 décembre 1999) de préparatifs en vue d'un usage de la marque;
Que ces actes préparatoires ont abouti à la présentation de cigares revêtus de la marque "Millenium" lors du Salon "Losangexpo 98" à l'occasion duquel ont été diffusées des plaquettes publicitaires;
Que si, comme le relèvent à juste titre les sociétés intimées, la quantité de produits commercialisés sous la marque est réduite, ce début d'exploitation réel, dépourvu d'équivoque, même commencé à l'issue de la période de cinq ans visée à l'article L. 714-5 du CPI, suffit à écarter l'exception de déchéance;
Que la société Seita est irrecevable, faute d'intérêt à agir, à soulever la déchéance pour les produits couverts par la marque, autres que les tabacs, cigares, cigarettes, pipes, briquets, allumettes;
Qu'il s'ensuit que le jugement entrepris doit être confirmé sur ce point;
- Sur la contrefaçon de marque
Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Philipp Morris France a commercialisé, par l'intermédiaire de la Seita, en qualité de distributeur, au cours du dernier trimestre de l'année 1999, des paquets de cigarettes de la marque "Marlboro", proposés en vente sur un présentoir portant la dénomination "Marlboro Millenium pack" suivie de la mention "série limitée";
Considérant que l'apposition de cette expression "Marlboro Millenium pack", exclusivement sur des présentoirs mis en place dans les bureaux de tabacs et non sur les paquets de cigarettes, confirme le caractère ponctuel de l'opération promotionnelle lancée par la société Philipp Morris France pour célébrer le passage à l'an 2000;
Considérant que l'enregistrement à titre de marque d'un mot du langage ne peut faire obstacle à l'usage de celui-ci dans son acception courante;
Considérant que le substantif "Millenium" constitue un terme du langage courant, dont l'emploi est devenu usuel, voire familier, même pour le consommateur d'attention moyenne, dans le contexte de cet événement historique et médiatique;
Que dans ce contexte, l'association des termes "Millenium pack" était nécessairement perçue, ainsi que l'ont relevé pertinemment les premiers juges, comme désignant un conditionnement spécialement conçu pour célébrer le changement de millénaire; que l'utilisation d'une expression anglo-saxonne, à la structure grammaticale non conforme aux règles de la syntaxe propres à la langue française, ne fait pas obstacle à sa compréhension;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté le grief de contrefaçon;
- Sur la concurrence déloyale
Considérant que se fondant sur les mêmes faits, Nico Carolus Van Goeye et la société MTM soutiennent que les sociétés Philipp Morris France et Seita ont commis à leur encontre des actes de concurrence déloyale;
Mais considérant que l'usage du mot "Millenium" dans les circonstances qui viennent d'être décrites ne saurait constituer en soi un agissement contraire aux usages loyaux du commerce alors que dans l'expression "Marlboro Millenium pack", la dénomination "Marlboro reste l'élément attractif pour le consommateur et que le risque de confusion avec les produits vendus sous la marque "Millenium" n'est pas démontré;
Que ce grief sera en conséquence écarté;
- Sur les autres demandes
Considérant que Nico Carolus Van Goeye et la société MTM ont pu de bonne foi se méprendre sur la portée des droits attachés à la marque dont ils sont titulaires et licenciés de sorte que la demande de dommages-intérêts pour appel abusif formée par la société Philipp Morris France et la société Seita doit être rejetée;
Considérant en revanche que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux intimées, la somme complémentaire de 20 000 euros et de 10 000 euros devant être respectivement allouée à la société Philipp Morris France et à la Seita;
Que la solution du litige commande de rejeter la demande fondée sur ce même fondement formée par les appelants;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions; Y ajoutant, Rejette les demandes de dommages-intérêts pour appel abusif formées par la société Philipp Morris France et la Seita; Condamne in solidum Nico Carolus Van Goeye et la société MTM à verser à la société Philipp Morris France la somme de 20 000 euros et à la société Seita la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne in solidum Nico Carolus Van Goeye et la société MTM aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.