CA Paris, 4e ch. B, 30 janvier 2004, n° 2001-11378
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Groupe intelligence industrielle 21 Company (Sté), Net et Presse (SARL)
Défendeur :
Renault (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Régniez, M. Marcus
Avoués :
Me Hanine, SCP Hardouin
Avocats :
Mes Kadri, Escande.
La cour est saisie d'un appel interjeté par la société Groupe intelligence industrielle 21 Company et la SARL Net et Presse d'un jugement contradictoirement rendu le 16 janvier 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris dans un litige les opposant à la société anonyme Renault.
La société Renault ayant entrepris courant 1997 début 1998 la création et la diffusion sur internet de sites web destinés à présenter sa gamme de véhicules et son réseau, à ce jour accessibles au public depuis mi-mars 1998, a décliné le 17 mars 1998 la proposition qui lui avait été faite par Monsieur Brissiaud, Président directeur général de la société Groupe intelligence industrielle 21 Company (ci-après la société Groupe 21) de participer à un site internet ayant pour vocation de réunir l'ensemble des constructeurs automobiles du monde entier, de présenter leur réseau et proposer divers services et a mis en demeure la société Groupe 21 de ne pas reproduire ses marques.
La société Renault a constaté néanmoins qu'elle figurait parmi les constructeurs automobiles présents sur les sites "www.reseaux.com" et "www.auto5.com" et que les pages qui lui sont consacrées et plus particulièrement une page "crédit" proposant des modes de financement et des simulations de remboursement de prêts, reproduisent la marque Renault n° 1.596.439 et de façon altérée sa marque figurative losange n°1.703.511 sur un fonds de couleurs jaune et gris.
Elle a fait dresser les 2 avril et 11 juin 1998 des procès-verbaux de constat d'huissier et a assigné le 10 août 1998 la société Groupe 21 aux fins de constatation judiciaire de la contrefaçon de ses deux marques sur le fondement des articles L. 713-2 et L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle et d'actes de concurrence déloyale constitués par l'utilisation sur les sites internet incriminés des couleurs jaune et grise qui la caractérisent et l'identifient aux yeux du public; elle a fait également grief à la société Groupe 21 d'avoir commis à son égard une faute sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil en diffusant sur ses sites internet des informations erronées et incomplètes sur le réseau Renault en France et à l'étranger sans son autorisation.
Le 18 novembre 1999, la société Renault a assigné en intervention forcée la société Net et Presse qui est titulaire du site internet "auto5.com" depuis le mois d'avril 1999, celui appartenant auparavant à la société Groupe 21, aux fins de lui voir déclarer opposable le jugement à intervenir et de la condamner solidairement avec la société Groupe 21 à payer à la demanderesse les sommes dont le versement lui avait déjà été réclamé;
Par le jugement critiqué le tribunal a:
- rejeté l'exception d'incompétence territoriale,
- rejeté des débats le procès-verbal de constat dressé le 2 avril 1998 dans les locaux de la société Renault,
- dit que la société Groupe 21, en reproduisant le 11 juin 1998 sur ses deux sites internet "www.reseaux.com" et "www.auto5.com" les marques n° 1.596.439 et 703.511, sans l'autorisation de la société Renault propriétaire des dites marques, a commis des actes de contrefaçon de celles-ci par application de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle;
- dit que les sociétés Groupe 21 et Net et Presse, en reproduisant après le 11 juin 1998 sur le site internet "www.auto5.com" les deux marques n° 1.596.439 et 1.703.511, sans l'autorisation de la société Renault propriétaire des dites marques, ont commis des actes de contrefaçon de celles-ci par application de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle,
- dit que les sociétés Groupe 21 et Net et Presse ont commis in solidum des agissements parasitaires et des fautes quasi-délictuelles distinctes au préjudice de la société Renault,
- dit que la société Groupe 21, en diffusant le 15 octobre 1998 un message intitulé "On se moque de vous - Pas assez d'informations mon fils - critique du nouveau site Renault" sur son site internet "www.auto5.com", a commis des actes de dénigrement au préjudice de la société Renault,
- dit que la société Net et Presse, en diffusant les 31 août et 1er décembre 1999 des messages intitulés respectivement "Renault, la suite..." et "Renault nous assigne aujourd'hui en justice et nous sommes désolées d'être ainsi obligées de fermer auto5.com après avoir passé le cap de 1 700 000 visiteurs" sur son site internet "www.auto5.com", a commis des actes de dénigrement au préjudice de la société Renault,
En conséquence:
- interdit, en tant que de besoin, aux sociétés Groupe 21 et Net et Presse la poursuite de leurs agissements sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter de la signification de la présente décision,
- dit que les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par le présent tribunal,
- condamné la société Groupe 21 à verser à la société Renault:
- 200 000 F de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon qu'elle a commis,
- 50 000 F en réparation des actes de dénigrement,
- condamné in solidum les sociétés Groupe 21 et Net et Presse à verser à la société Renault:
- 100 000 F en réparation des actes de contrefaçon qu'elles ont commis,
- 100 000 F en réparation des agissements parasitaires et de la faute quasi-délictuelle distincte,
- condamné la société Net et Presse à verser à la société Renault la somme de 100 000 F en réparation des actes de dénigrement qu'elle a commis,
- autorisé la société Renault à faire publier le présent dispositif dans trois journaux ou revues de son choix aux frais des sociétés Groupe 21 et Net et Presse, tenus in solidum, sans que le coût total d'insertion à leur charge n'excède 60 000 F hors taxes,
- condamné in solidum les sociétés Groupe 21 et Net et Presse à verser à la société Renault la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Par leurs dernières écritures signifiées le 5 septembre 2003, les sociétés Groupe 21 et Net et Presse, appelantes, demandent à la cour de:
A titre principal:
- de surseoir à statuer sur l'appel en attendant que la juridiction d'instruction se soit prononcée
A titre subsidiaire:
- infirmer la décision du 16 janvier 2001 en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau, condamner la société Renault à verser la somme de 40 000 000 F aux appelantes en réparation des préjudices qu'elles ont subis,
En tout état de cause:
- condamner la société Renault à verser aux appelantes la somme de 30 000 F au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 2 mai 2002, la société Renault, intimée, demande à la cour de:
- juger les sociétés Groupe 21 et Net et Presse irrecevables et mal fondées en leur appel,
- les débouter de toutes leurs demandes,
- confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'il a écarté le procès-verbal de constat du 2 avril 1998 des débats.
Y ajoutant:
- juger les sociétés Groupe 21 et Net et Presse en contestant publiquement sur le site "auto5.com" le jugement entrepris, la validité des procès-verbaux établis à la demande de la société Renault et le bien-fondé de la présente instance, se rendent coupables de dénigrement à l'encontre de la société Renault.
En conséquence:
- les condamner in solidum à verser à la société Renault la somme complémentaire de 30 000 euros,
- condamner les sociétés Groupe 21 et Net et Presse à payer à la société Renault la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR
Sur le procès-verbal du 2 avril 1998:
Considérant que la société Renault conteste la mise en cause par le tribunal de la valeur probante du procès-verbal de Maître Jalaby établi le 2 avril 1998;
Mais considérant que les premiers juges ont avec raison et motifs pertinents que la cour adopte écarté ce procès-verbal des débats, que la cour confirmera leur décision sur ce point;
Sur les procès-verbaux des 11 juin et 15 octobre 1998:
Considérant que les sociétés appelantes contestent également la force probante des constats d'huissier des 11 juin et 15 octobre 1998 au motif que selon elles, le constat du 11 juin 1998 a fait l'objet de manipulations dès lors que l'accès au site internet s'effectue via l'adresse "http://www.reseaux.com" puis uniquement pour la page d'accueil via "http://www.auto5.com" et qu'à la lecture du constat, les deux pages d'accueil ne sont pas identiques, ce qui est techniquement impossible; que d'autre part, le constat du 15 octobre 1998 ayant été dressé au siège de la société Renault, il existe une suspicion sur son contenu;
Mais considérant que les sociétés appelantes ne démontrent pas la réalité de leurs dires; qu'en effet, s'agissant du premier constat, elles n'établissent pas que les deux adresses URL pointaient effectivement vers la même IP impliquant la même page d'accueil et s'agissant du second constat, elles ne justifient pas d'une quelconque contestation du contenu des articles dont l'existence a été constatée sur le site litigieux;
Que la cour les déboutera de leurs demandes.
Sur le sursis à statuer:
Considérant que les appelantes demandent qu'il soit sursis à statuer sur le fondement d'une plainte pénale qu'elles ont déposée devant le Doyen des juges d'instruction pour faux en écritures et tentative d'escroquerie au jugement et concernant les procès-verbaux des 2 avril 1998 et 15 octobre 1998;
Mais considérant que quand bien même le tribunal a t'il écarté des débats l'un des procès-verbaux incriminés, l'issue de la plainte n'aura pas d'incidence sur la solution du litige;
Qu'il n'y a pas lieu en conséquence de surseoir à statuer.
Sur les faits de contrefaçon:
Considérant qu'en premier lieu, les appelantes reprochent aux premiers juges d'avoir considéré l'existence de deux sites parallèles; qu'elles exposent qu'il n'existe qu'un seul site d'information et comparaison sur internet du marché automobile d'occasion; que ce site en cours d'expérimentation a été mis en ligne sous l'adresse d'une URL de développement "http://www.reseaux.com" et ce jusqu'au 16 mars 1998, que cette adresse a ensuite été abandonnée et remontée vers le nom de domaine officiel "http://www.auto5.com"; qu'en conséquence, au jour du constat du 11 juin 1998, le seul site mis en ligne était sous une seule adresse "http://www.auto5.com"; qu'en second lieu, s'il n'a jamais été contesté par la société Groupe 21 que le site "http//www.auto5.com" a d'abord été expérimenté puis exploité par elle, le projet a été conçu et réalisé par une salariée de la société Groupe 21, Mlle Gavinet, qui ensuite a constitué en 1999 la société Net et Presse chargée de gérer le site; qu'en troisième lieu, s'agissant d'une instance engagée par la société Renault à l'encontre d'un organe de presse spécialisé dans l'automobile, ce dernier avait vocation à employer dans un texte la marque verbale "Renault", et la marque semi-figurative "Renault" pour désigner la société homonyme;
Considérant toutefois que le tribunal a reconnu avec justesse l'implication des deux sociétés appelantes dans les faits reprochés dès lors que les pièces versées aux débats attestent que l'ensemble des démarches effectuées auprès de la société Renault pour la faire adhérer aux sites "auto5.com" et "reseaux.com" ont été faites au nom de la société Groupe intelligence industrielle 21, que la société Net et Presse ne conteste pas être devenue après la société Groupe 21 titulaire du site "auto5.com" depuis son immatriculation au RCS le 27 avril 1999 et que la société Groupe 21 était toujours propriétaire de "reseaux.com" le 2 mars 2000;
Considérant par ailleurs ainsi que l'ont relevé les premiers juges, qu'il ressort des éléments produits que les deux marques n° 1.596.439 et 1.703.511 reproduites, sans l'autorisation de la société Renault, servent à désigner dans les deux sites incriminés des véhicules automobiles et des services de financement et d'assurances visés dans le dépôt desdites marques; que ces faits sont constitutifs de contrefaçon dès lors notamment que d'une part, contrairement à ce qu'affirme la société Groupe 21, il ne s'agit pas de proposer à des fins publicitaires un calcul de financement ou d'assurance du véhicule choisi, mais bien de créer en ligne un dossier de financement ou de souscription de police d'assurance, que d'autre part, il importe peu que ces services ne soient pas directement proposés par la société Renault, la contrefaçon résultant du simple fait pour les sociétés Groupe 21 et Net et Presse de reproduire les marques de la concluante pour désigner des services visés par lesdites marques.
Qu'il s'ensuit que les premiers juges ont décidé avec motifs pertinents et que la cour adopte que la société Groupe 21 est responsable de la contrefaçon des deux marques de la société Renault sur son site "www.reseaux.com" et que les sociétés Groupe 21 et Net et Presse sont in solidum responsables de celle commise sur le site "www.auto5.com".
Que la cour confirmera le jugement de ce chef;
Sur la concurrence déloyale:
Considérant que les sociétés appelantes critiquent la condamnation pour comportement parasitaire en reproduisant la marque notoire semi-figurative "Renault" aux motifs que selon elle la marque "Renault" était citée au même titre que les marques des autres constructeurs et que l'utilisation de la couleur jaune et bleue ne saurait créer un risque de confusion avec le site officiel de la société Renault qui utilise le gris et le jaune;
Mais en considérant ainsi que l'a jugé le tribunal, qu'en reproduisant sur lesdits sites les couleurs jaune et grise, associées aux deux marques de la demanderesse, notoirement connues par le public français, les sociétés appelantes ont démontré leur volonté de se situer dans le sillage de la société Renault, d'entretenir la confusion dans l'esprit dudit public cherchant à faire croire que la société Renault était d'accord pour figurer sur les sites incriminés et enfin de profiter de la notoriété de celle-ci pour effectuer des opérations commerciales par l'intermédiaire desdits sites;
Que la cour confirmera le jugement en ce qu'il les a déclarées in solidum responsables des agissements parasitaires qui leur sont reprochés;
Sur la responsabilité fondée sur l'article 1382 du Code civil:
Considérant que les sociétés appelantes prétendent qu'à tort le tribunal a dit que la diffusion sur le site "http://www.auto5.com" d'informations erronées concernant Renault et le rajout d'un lien hypertexte vers le site officiel de la société Renault étaient constitutifs d'une faute quasi-délictuelle, alors que c'est à la suite de l'interdiction faite par Renault en mars 1998 et la suppression sur le site de toute référence à la marque que le lien hypertexte vers le site officiel de la marque a été établi; qu'ainsi la cause du préjudice allégué par le constructeur et le tribunal réside dans l'interdiction qu'il a lui même formulée;
Considérant toutefois que les premiers juges ont justement décidé avec des motifs pertinents que la cour fait siens que l'ensemble des éléments relevés dans les pièces communiquées constitue une faute quasi-délictuelle qui cause un préjudice à la société Renault qui devra être réparé in solidum par les sociétés Groupe 21 et Net et Presse;
Sur le dénigrement:
Considérant que les appelantes, à l'appui de leurs prétentions tendant à démontrer l'absence de dénigrement de la marque Renault soutiennent qu'aucune critique n'a été dirigée à l'encontre des produits de la marque et que les messages de Mademoiselle Gavinet sur le site "auto5.com" relèvent de la liberté d'expression et d'information;
Mais considérant que les premiers juges ont avec raison analysé les différents documents produits et retenu la faute de dénigrement commise au préjudice de la société Renault par la société Groupe 21 en ce qui concerne le message du 15 juillet 1998 et par la société Net et Presse pour les deux messages des 31 août et 1er décembre 1999;
Que la cour les confirmera de ce chef;
Considérant, ainsi que le relève la partie intimée, que le tribunal a justement évalué le préjudice qu'elle a subi;
Que la cour confirmera les sanctions pécuniaires prononcées par les premiers juges;
Considérant en revanche que la société Renault ne justifie pas des nouveaux faits de dénigrement qui seraient intervenus selon elle depuis le jugement;
Que la cour la déboutera de sa demande de dommages et intérêts complémentaires;
Considérant que la société Groupe 21 ne rapporte pas la preuve du grief qu'elle fait à la société Renault d'être à l'origine de la fermeture de son site internet de prospection commerciale;
Qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef;
Considérant qu'il y a lieu de confirmer les mesures d'interdiction et de publication prononcées dans le jugement, étant tenu compte du présent arrêt;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société intimée la somme de 8 000 euros pour les frais non compris dans les dépens; que les sociétés appelantes seront condamnées in solidum à lui verser cette somme;
Par ces motifs: Confirme le jugement en toutes ses dispositions Y ajoutant; Condamne in solidum les sociétés Groupe Intelligence Industrielle 21 Company et Net et Presse à payer à la société anonyme Renault la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les parties de toutes autres demandes; Condamne in solidum les sociétés Groupe intelligence industrielle 21 Company et Net et Presse aux entiers dépens et admet la SCP d'avoués Hardouin au bénéfice de l'article 699 du NCPC.