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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 21 mai 2003, n° 2001-18949

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Publication Presse Diffusion Edition (SARL)

Défendeur :

Trader Com France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Schoendoerffer

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, Me Olivier

Avocats :

Mes Meigninger-Bothorel, Casalonga.

TGI Paris, 3-2e ch., du 15 juin 2001

15 juin 2001

Vu l'appel enregistré par la société Publication Presse Diffusion Edition, ci-après PPDE, du jugement rendu le 15 juin 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a:

- dit qu'en déposant et en faisant usage des marques "La centrale des enchères" n° 1 534 788, n° 99 789 551, n° 99 791 478 et "La centrale de l'adjudication" n° 99 788 856 pour désigner des produits ou services identiques ou similaires à ceux protégés par la marque "La centrale des particuliers" et en enregistrant les noms de domaine "lacentralesdesenchères.com" et "lacentraledesenchères.fr", la société PPDE a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque "La centrale des particuliers" n° 1 624 078 dont est titulaire la société Trader Com France,

- interdit à la société PPDE la poursuite de tels agissements sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à l'expiration du délai de deux mois à compter de la signification du jugement,

- prononcé la nullité des enregistrements des marques "La centrale des enchères" précitées en ce qu'elles comportent la dénomination "La centrale" et en ce qu'elles désignent les livres, journaux, périodiques, magazines, éditions, la publicité, les affaires immobilières, l'expertise immobilière ainsi que l'enregistrement de la marque "La centrale de l'adjudication" n° 99 788 856 en ce qu'il comprend les termes La centrale,

- condamné la société PPDE à verser à la société Trader Com France la somme de 150 000 F ou sa contre-valeur en euros à titre de dommages-intérêts,

- autorisé la société Trader Com France à faire publier aux frais de la société PPDE le dispositif du jugement dans trois journaux ou revues de son choix sans que le coût total de ces insertions n'excède la somme de 60 000 F ou sa contre-valeur en euros,

- dit que le jugement sera transmis à l'INPI sur réquisition du greffier pour inscription au registre national des marques,

- débouté la société PPDE de sa demande reconventionnelle,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamne la société PPDE à verser à la société Trader Com France la somme de 18 000 F ou sa contre-valeur en euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les dernières écritures signifiées le 1er février 2002 par lesquelles la société PPDE, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée pour contrefaçon sur le fondement de l'article L. 713-3 du CPI, lui a interdit la poursuite de son activité et a prononcé la nullité des enregistrements des marques "La centrale des enchères" n° 1 534 788, n° 99 789 551 et n° 99 791 478 et "La centrale de l'adjudication" n° 99 788 856, demande à la cour de:

* à titre principal

- constater l'antériorité des ses droits sur les marques "La centrale des enchères", "Le journal des enchères" et "La centrale de l'adjudication" par rapport à la marque "La centrale des particuliers",

- constater que l'expression "La centrale des" n'est pas protégeable prise isolément et est inapte à exercer la fonction distinctive de la marque,

- constater le caractère extrêmement commun du vocable "La centrale",

- constater que plus d'une soixantaine de marques dans les classes de produits et services intéressant le présent litige ont été déposées postérieurement à "La centrale des particuliers",

- constater que le terme "La centrale" ou "La centrale des" est largement utilisé associé à un autre terme pour désigner un organisme qui centralise des produits et des services susceptibles d'intéresser telle ou telle catégorie de consommateurs,

- constater que le terme "La centrale" n'apparaît pas propre à exercer à lui seul le caractère attractif de la marque invoquée lequel réside uniquement dans l'association d'un nom et d'un complément de nom,

* à titre subsidiaire,

- constater que la société Trader Com France ne justifie d'aucun préjudice,

- infirmer le jugement sur le montant des dommages-intérêts,

* en tout état de cause

- condamner la société Trader Com France à lui payer la somme de 15 245 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 3 050 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions signifiées le 6 mai 2002 aux termes desquelles la société Trader Com France sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société PPDE au titre de la contrefaçon de la marque "La centrale des particuliers" et formant appel incident, demande à la cour de:

- dire que la société PPDE a engagé sa responsabilité à son égard en application de l'article L. 713-5 du CPI,

- dire qu'en utilisant les dénominations "La centrale des enchères" et "La centrale de l'adjudication" pour désigner notamment des journaux et périodiques, la société PPDE s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à son encontre,

- prononcer la nullité des marques "La centrale des enchères" n° 1 534 788, n° 99 789 551 et n° 99 791 478 et "La centrale de l'adjudication" n° 99 788 856 pour l'ensemble des produits et services désignés avec mention au registre national des marques,

- condamner la société PPDE à lui verser les sommes suivantes:

* 76 225 euros en réparation des actes de contrefaçon,

* 45 735 en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale,

* 7 625 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Sur ce, LA COUR

- Sur la contrefaçon de la marque "La centrale des particuliers" n° 1 624 078

Considérant que la société Trader Com France est titulaire de la marque dénominative "La centrale des particuliers" déposée le 6 juillet 1990, régulièrement renouvelée le 5 juillet 2000, enregistrée sous le n° 1 624 078, pour désigner différents produits et services des classes 16, 35, 36, 41 et 42, parmi lesquels les produis de l'imprimerie, imprimés, journaux, la publicité, les conseils en publicité, relations publiques, informatique;

Qu'invoquant ses droits sur ce signe, elle soutient que le dépôt et l'usage par la société PPDE des marques "La centrale des enchères", "La centrale de l'adjudication" ainsi que l'enregistrement et l'utilisation des noms de domaine "lacentraledesenchères.com" et "lacentraledesenchères.fr" constituent des actes de contrefaçon par imitation;

Considérant que la société PPDE oppose, en premier lieu, l'antériorité des marques incriminées faisant valoir que la société CIM lui a cédé, par acte sous seing privé du 27 juin 1990, 26 marques parmi lesquelles les marques "La centrale des enchères" déposée le 6 juin 1989, "La centrale de l'adjudication" déposée le 16 avril 1987;

Mais considérant que la transmission à la société PPDE de la propriété de la marque semi-figurative "La centrale des enchères" n° 1 534 788, déposée le 6 juin 1989, par la société CIM, n'a fait l'objet d'aucune inscription au registre national des marques, comme prévu à l'article L. 714-7 du CPI; qu'en effet, l'acte de déclaration de renouvellement versé aux débats mentionne que cette marque n'a fait l'objet d'aucune inscription; que le numéro d'inscription 6667 visé dans cet acte concerne la publicité d'un acte de renonciation partielle aux effets d'une marque "maison jardin" pour certains produits; que d'ailleurs, l'INPI a notifié, le 3 octobre 1990, à la société PPDE l'irrégularité formelle de sa demande d'inscription au registre national des marques de la cession portant sur 26 marques; que la société PPDE ne justifie d'aucune régularisation de sa demande dans les délais impartis par l'INPI;

Que le renouvellement effectué le 30 avril 1999 par la société PPDE de la marque semi-figurative "La centrale des enchères" pour désigner les produits et services des classes 16 et 41, livres, journaux, périodiques, éditions, doit donc s'analyser comme un premier dépôt; qu'il convient de relever au surplus que la société PPDE a déposé le même jour une demande d'enregistrement portant sur le même signe semi-figuratif pour désigner les émissions radio télé, la publicité, la communication par terminaux d'ordinateurs, dans les classes 35 et 38;

Considérant que la société PPDE a déposé, le 27 avril 1999, la marque semi-figurative "La centrale de l'adjudication" enregistrée sous le n° 99 788 856, pour désigner les livres, journaux, périodiques, édition de livres et de revues; qu'elle ne justifie davantage ni de l'inscription au registre national des marques de la transmission des droits attachés à la marque "La centrale de l'adjudication", déposée le 16 avril 1987, par la société CIM, ni du renouvellement de ce dépôt en avril 1997;

Qu'elle ne peut en conséquence se prévaloir de droits sur la marque "La centrale de l'adjudication" antérieurs au 27 avril 1999;

Considérant que la société PPDE fait valoir, en second lieu, que le vocable "la centrale" n'est pas protégeable pris isolément et inapte à exercer la fonction distinctive de la marque; qu'elle ajoute que l'ensemble "La centrale des particuliers" a une signification propre rendue possible par l'usage de l'article défini "des" rendant les deux mots inséparables et constituant un ensemble au sein duquel chacun des termes le composant a perdu son individualité;

Mais considérant qu'elle ne rapporte pas la preuve que l'expression "La centrale" faisait partie du langage courant à la date du dépôt de la marque, soit le 6 juillet 1990, pour désigner les produits ou services visés dans l'enregistrement, les marques qu'elle invoque ayant été déposées postérieurement au signe opposé; qu'il est donc distinctif au regard de ces produits et services;

Que le terme "Centrale" précédé de l'article défini "La" constitue l'élément essentiel de la dénomination "La Centrale des particuliers" et exerce à lui seul un pouvoir attractif, le mot "particuliers" se limitant à préciser le public concerné;

Considérant que les premiers juges ont exactement estimé que la marque "La centrale des enchères" n° 1.534.788 désigne les livres, journaux, périodiques, produits identiques à ceux visés au dépôt de la marque "La centrale des particuliers" et que les services d'éditions figurant au dépôt de la marque seconde sont similaires aux produits de l'imprimerie protégés par la marque antérieure;

Qu'ils ont, par des motifs pertinents que la cour adopte, jugé que les services d'émission de radio et télé et de communication par terminaux d'ordinateurs visés dans le dépôt de la marque "La centrale des enchères" n° 99 789 551 ne sont ni identiques, ni similaires aux services de conseil en informatique désignés par la marque première, relevant à juste titre que seuls les services de publicité sont identiques;

Que les premiers juges ont, par ailleurs, exactement estimé que les journaux, magazines et l'expertise immobilière désignés par la marque "La centrale des enchères" n° 99 791 478 sont identiques ou similaires à certains produits et services de la marque antérieure, l'expertise immobilière apparaissant complémentaire de l'activité de ventes d'immeubles visée par cette dernière;

Que les livres, journaux, périodiques, l'édition de livres et de revues, produits et services désignés dans l'enregistrement de la marque "La centrale de l'adjudication " n° 99 788 856 sont identiques pour les trois premiers, similaires pour le quatrième aux produits et services figurant au libellé de la marque antérieure, pour les motifs développés précédemment,

Considérant que la reprise de l'élément essentiel composant la marque appartenant à la société Trader Com France dans les quatre marques déposées par la société PPDE est de nature à laisser croire au consommateur moyennement attentif que celles-ci constituent une déclinaison de la marque antérieure, dont la renommée n'est pas contestée, ou que les produits ou services offerts en vente sous ces dénominations proviennent d'entreprises liées économiquement; que le risque de confusion au sens de l'article L. 713-3 du CPI est donc avéré;

Que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu le grief de contrefaçon par imitation;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les noms de domaine "lacentraledesenchères.com" et "lacentraledesenchères.fr" enregistrés au nom de la société PPDE permettent l'accès à des sites internet portant sur l'édition de revues et périodiques, services protégés par la marque de la société Trader Com France;

Que relevant qu'il existait un risque de confusion entre les journaux visés au dépôt de la marque antérieure et ceux proposés sur les sites Internet de la société PPDE du fait de la reprise de l'élément prépondérant de sa marque, les premiers juges ont à juste titre estimé que l'enregistrement des deux noms de domaine sus-mentionnés constituent des actes de contrefaçon par imitation de cette marque;

- Sur l'application de l'article L. 713-5 du CPI

Considérant que la société Trader Com France, se fondant sur la renommée dont jouit la marque "La centrale des particuliers", prétend que la société PPDE a engagé sa responsabilité au sens de l'article L. 713-5 du CPI en procédant au dépôt des marques litigieuses et sollicite la nullité de ces signes pour la totalité des produits et services visés;

Mais considérant que l'article L. 713-5 du CPI, qui instaure une exception au principe de la spécialité, doit être interprété restrictivement; qu'il ne permet de faire sanctionner que l'emploi par un tiers d'un signe identique à la marque jouissant d'une renommée mais non l'utilisation d'un signe voisin par sa forme ou les évocations qu'il suscite;

Qu'en l'espèce, les signes "La centrale des enchères" ou "la centrale de l'adjudication" du fait de la substitution des mots "enchères" et "adjudication" au terme "particulier" ne reproduisent ni à l'identique, ni de manière quasi-servile, la marque "La centrale des particuliers" de sorte que l'action engagée par la société Trader Com France sur le fondement de l'article L. 713-5 du CPI doit être rejetée;

Qu'il s'ensuit que le jugement sera confirmé sur ce point;

- Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société Trader Com France soutient que la société PPDE a commis des actes de concurrence déloyale en adoptant des signes reproduisant l'élément vedette "La centrale" du titre du journal qu'elle édite;

Considérant que le sondage effectué en octobre 1999, produit aux débats par la société Trader Com France, établit que pour 82 % des personnes interrogées la marque "La centrale des particuliers" est une marque de référence dans le domaine des petites annonces; que le journal hebdomadaire d'annonces revêtu de ce titre constitue le vecteur principal de communication de la société pour diffuser ces annonces;

Qu'en faisant usage des marques incriminées pour désigner des publications, journaux et périodiques, la société PPDE a cherché à se placer dans le sillage de la société Trader Com France afin de tirer profit de la renommée de sa revue dans ce secteur d'activité, que ces agissements caractérisent une faute distincte de l'atteinte portée à la marque du fait des actes de contrefaçon;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant que les mesures d'interdiction et de publication ordonnées par les premiers juges qui apparaissent justifiées seront confirmées sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt;

Que les premiers juges ont également à bon droit prononcé la nullité des marques déposées par la société PPDE en ce qu'elles désignent des produits et services identiques et similaires à ceux visés au dépôt de la marque antérieure appartenant à la société Trader Com France;

Considérant que les actes de contrefaçon ont porté atteinte à la valeur patrimoniale de la marque "La centrale des particuliers" en la banalisant et en affaiblissant ainsi son pouvoir attractif, que les premiers juges ont exactement apprecié le préjudice subi par la société Trader Com France en lui allouant la somme de 150 000 F, soit 22 867,35 euros;

Que l'atteinte portée à la valeur économique du titre de la revue sera entièrement indemnisée par l'allocation d'une indemnité de 20 000 euros;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Trader Com France, la somme complémentaire de 7 000 euros devant lui être allouée à ce titre;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle formée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile par la société PPDE;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société Trader Com France de sa demande au titre de la concurrence déloyale; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau; Condamne la société Publication Presse Diffusion Edition à verser à la société Trader Com France la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale; Dit que la mesure de publication fera mention du présent arrêt, Rejette le surplus des demandes; Condamne la société Publication Presse Diffusion Edition à verser à la société Trader Com France la somme complémentaire de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Publication Presse Diffusion Edition aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.