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Décisions

CCE, 29 septembre 2000, n° M.1879

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Boeing/Hughes

CCE n° M.1879

29 septembre 2000

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 57, paragraphe 2, point a), vu le règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (1), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1310-97 (2), et notamment son article 8, paragraphe 2, vu la décision prise par la Commission le 26 mai 2000 d'engager la procédure dans cette affaire, vu l'avis du comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises (3), considérant ce qui suit:

(1) Le 18 avril 2000, la Commission a reçu notification, en application de l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 (ci-après "le règlement sur les concentrations"), d'un projet de concentration par lequel The Boeing Company (ci-après "Boeing" ou "la partie notifiante") entend acquérir, au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b), dudit règlement, les activités de Hughes Electronics Corporation (ci-après "Hughes") dans le domaine de la maîtrise d'œuvre et des équipements de satellites.

(2) Par décision datée du 26 mai 2000, la Commission a constaté que l'opération notifiée soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun et elle a engagé en l'espèce la procédure prévue à l'article 6, paragraphe 1, point c), du règlement sur les concentrations et à l'article 57, paragraphe 2, point a), de l'accord EEE.

I. LES PARTIES

(3) Boeing est une société du Delaware active dans la construction d'avions commerciaux et dans les industries de défense et spatiales, y compris la production et le lancement de satellites. La principale activité de Boeing dans le domaine des satellites consiste dans la fabrication de satellites de navigation GPS (Global Positioning System) pour le ministère de la Défense des États-Unis d'Amérique. Boeing fournit des services de lancement de satellites à des clients du secteur commercial à l'échelle mondiale ainsi qu'à l'administration américaine par l'intermédiaire du programme Delta, qu'elle contrôle à 100 %. Boeing est également, avec une participation de 40 %, un actionnaire minoritaire d'un autre fournisseur de services de lancement dénommé Sea Launch. L'entreprise commune Sea Launch est entrée en activité en 1999.

(4) Hughes est une filiale de General Motors ayant son siège aux États-Unis, qui opère dans les domaines des services par satellite (notamment des services de communications et de télévision payante) et de la construction de satellites. Les actifs de Hughes dans les domaines de la maîtrise d'œuvre et des équipements de satellites comprennent les sociétés Hughes Space and Communications Company (HSC), Spectrolab Inc. (Spectrolab) et Hughes Electron Dynamics (HED). HSC conçoit et fabrique des satellites de communication pour des clients du secteur commercial à l'échelle mondiale ainsi que pour le ministère de la Défense des États-Unis et la NASA, tandis que Spectrolab et HED produisent des composants principalement destinés à l'équipement des satellites (tels que piles solaires, panneaux solaires, tubes à ondes progressives et batteries).

II. L'OPÉRATION

(5) Le 13 janvier 2000, Boeing, Hughes et HSC ont conclu un accord de rachat d'actions (Stock Purchase Agreement), en vertu duquel Boeing doit acquérir: a) toutes les actions en circulation de HSC; b) toutes les actions en circulation de Spectrolab; c) les actifs de HED; d) 2,69 % des actions ordinaires en circulation de ICO Global Communications (Holdings) Ltd. actuellement détenues par Hughes, et e) 2 % des actions ordinaires en circulation de Thuraya Satellite Telecommunications Private Joint Stock Co. actuellement détenues par Hughes.

(6) En outre, les actions du groupe Hughes dans une entreprise de recherche qu'il contrôle conjointement avec Raytheon (HRL) seront transférées à Boeing, sous réserve du consentement de Raytheon. Si cette dernière s'oppose à l'opération, Hughes et Boeing entendent créer une entreprise commune pour permettre à Boeing de bénéficier des activités de recherche et de développement de HRL.

(7) Le groupe Hughes conservera la propriété de toutes ses autres entreprises, en particulier Hughes Network Systems, PanAmSat et DirecTV.

(8) À la lumière de ce qui précède, il apparaît que l'opération projetée est une concentration au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b), du règlement sur les concentrations.

III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

(9) La partie notifiante considère que la présente transaction n'est pas de dimension communautaire et qu'elle ne relève par conséquent pas de la compétence de la Commission européenne parce que HSC n'atteint pas les seuils de chiffres d'affaires à l'échelle de l'Espace économique européen (EEE) prévus par le règlement sur les concentrations. Selon la partie notifiante, le chiffre d'affaires de HSC à l'échelle communautaire s'est élevé à [...] (*) millions d'euros en 1999 et à [...]* millions d'euros en 1998.

(10) Il est à noter, cependant, que HSC dégageait un chiffre d'affaires substantiel (environ [...]* millions d'euros en 1999) de ses transactions avec ICO Global Communications (Holdings) Ltd. (ICO). Celle-ci a été créée pour fournir des services globaux de communications personnelles mobiles par satellite. La société ICO a déposé une demande de protection au titre du chapitre 11 (procédure américaine applicable aux sociétés en situation de cessation des paiements) en août 1999 et a été réorganisée récemment. Boeing soutient que HSC ne pourrait être considérée comme dépassant le seuil de chiffre d'affaires à l'échelle de l'EEE que si ses ventes à ICO étaient incluses dans son chiffre d'affaires à l'échelle de l'EEE.

(11) Étant donné qu'ICO est inscrite dans les îles Caïmans mais est effectivement gérée à Londres, la question de savoir si ICO doit être considérée comme une société communautaire est déterminante pour établir si l'opération envisagée revêt ou non une dimension communautaire. Si le chiffre d'affaires dégagé par HSC de ses transactions avec ICO est attribué à l'EEE, l'opération relève du champ d'application du règlement sur les concentrations. La partie notifiante soutient cependant que le chiffre d'affaires réalisé par HSC avec ICO doit être attribué aux îles Caïmans.

(12) Sur cette base, la Commission a demandé des informations complémentaires à ICO, qui a répondu le 29 février 2000. Il apparaît qu'ICO a été constituée sur la base d'un projet établi par Inmarsat (organisation internationale établie à Londres, devenue à présent une société admise à la cote au Royaume-Uni) pour offrir des services de communication vocale et de données à l'échelle mondiale au moyen d'un réseau de télécommunications par satellite. À cet effet, ICO a été constituée en société en 1994 en Angleterre et au pays de Galles. Cette société a par la suite été liquidée et ses actifs ont été transférés à une société des îles Caïmans, qui a elle-même été transformée en une société des Bermudes. Ces changements, qui semblent avoir été effectués principalement à des fins fiscales, n'ont cependant pas altéré la structure de gestion de la société. Comme ICO l'a formellement déclaré, son principal lieu d'activité est Londres, où sont accomplies toutes les tâches de gestion journalière de l'entreprise et où travaillent 73 % de son personnel, la part restante étant répartie entre plusieurs endroits dans le monde. À la lumière de ce qui précède, il apparaît que, sur le plan formel, les parties font valoir à juste titre qu'ICO est une société inscrite aux îles Caïman (ou plus précisément aux Bermudes) mais que, d'un point de vue économique, ICO n'en reste pas moins une société britannique.

(13) Pour le calcul du chiffre d'affaires aux fins de l'application du règlement sur les concentrations, c'est la réalité économique d'une situation qu'il convient de prendre en considération. De fait, le paragraphe 7 de la communication de la Commission sur le calcul du chiffre d'affaires (4) dispose que "... l'ensemble des règles [concernant le calcul du chiffre d'affaires] [est] conçu de manière à garantir que le résultat des calculs donne une image fidèle de la réalité économique". En l'espèce, le chiffre d'affaires dégagé par HSC de ses transactions avec ICO doit par conséquent être attribué au Royaume-Uni.

(14) En outre, il apparaît que bien que le contrat entre HSC et ICO concernant les satellites ait été passé officiellement avec la société des îles Caïmans, il a en fait été négocié par le personnel d'ICO à Londres, et que toute modification importante de ce contrat serait négociée à Londres. Si l'on tient également compte du lieu où la transaction a effectivement été réalisée, et donc de celui où la concurrence s'exerce entre HSC et d'autres maîtres d'œuvre de satellites, il ne peut être question que du Royaume-Uni.

(15) Selon le principe énoncé au paragraphe 7 de la communication sur le calcul du chiffre d'affaires, le chiffre d'affaires réalisé par HSC en traitant avec ICO doit par conséquent être attribué au Royaume-Uni et inclus dans son chiffre d'affaires à l'échelle de l'EEE.

(16) Boeing et HSC réalisent ensemble un chiffre d'affaires total à l'échelle mondiale supérieur à 5 milliards d'euros (5) (53,403 milliards d'euros pour Boeing et 2,136 milliards d'euros pour Hughes en 1999). Elles réalisent chacune un chiffre d'affaires total à l'échelle communautaire supérieur à 250 millions d'euros ([...]* millions d'euros pour Boeing et [...]* millions d'euros pour Hughes en 1999) et ni l'une ni l'autre des entreprises concernées ne réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans la Communauté à l'intérieur d'un seul et même État membre. L'opération notifiée revêt par conséquent une dimension communautaire au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations.

IV. COMPATIBILITÉ AVEC LE MARCHÉ COMMUN

(17) L'entité issue de l'opération aura pour activités la fabrication de satellites et d'équipements et la fourniture de services de lancement de satellites. Dans sa décision du 26 mai 2000, la Commission a constaté que l'opération soulevait des doutes sérieux quant au risque de création ou de renforcement d'une position dominante de HSC sur le marché des satellites commerciaux de communication GEO, ainsi que de création d'une position dominante sur un marché des services de lancement de satellites commerciaux.

(18) Toutefois, les résultats de l'enquête approfondie menée par la Commission montrent que, pour les raisons indiquées aux sections A et B ci-dessous, l'opération ne soulève pas de problèmes de concurrence sur ces marchés.

A. Satellites

Marchés de produits en cause

(19) Les satellites sont des engins spatiaux complexes gravitant sur une orbite autour d'un corps céleste. Ils peuvent servir à différentes applications (communications, navigation, observation et objectifs scientifiques) et être utilisés par une clientèle aussi bien civile que militaire.

(20) La partie notifiante considère que les marchés de produits des satellites se différencient sur la base de deux caractéristiques: i) le type de client, et ii) l'orbite du satellite.

(21) Boeing considère que les satellites civils vendus à des clients du secteur commercial, les satellites civils vendus aux pouvoirs publics et les satellites militaires constituent chacun un marché de produits distinct. Premièrement, les satellites vendus aux pouvoirs publics (ou satellites institutionnels) appartiennent à un marché de produits différent de celui des satellites commerciaux étant donné qu'il s'agit normalement de produits spécialisés, contrairement aux satellites commerciaux qui sont souvent des dérivés de satellites antérieurs. Ces différences se traduisent par des conditions de concurrence dissemblables entre les satellites commerciaux et les satellites institutionnels: dans l'arène commerciale, la concurrence est centrée sur les "techniques de production de masse", tandis que sur les marchés publics, elle se fonde sur un degré plus élevé de spécialisation et d'implication du client. Deuxièmement, les satellites militaires constituent un marché de produits particulier, car ils sont soumis à des exigences exceptionnellement rigoureuses en matière d'équipements, qui nécessitent des spécifications et des programmes d'essai plus stricts ainsi que l'utilisation de composants spécialisés qui ne sont pas utilisés dans les autres satellites.

(22) Boeing soutient aussi que les satellites à orbite géosynchrone (Geosynchronous Earth Orbit, ci-après "GEO") et les satellites à orbite non géosynchrone [ci-après "NGSO", c'est-à-dire les satellites à orbite basse (Low Earth Orbit, ci-après "LEO") et à orbite moyenne (Medium Earth Orbit, ci-après "MEO")] appartiennent à des marchés de produits distincts étant donné que, du point de vue de la demande, chaque type d'orbite présente des avantages et des inconvénients distincts, qui font que chaque type de satellite est intrinsèquement mieux adapté à une utilisation qu'à une autre (par exemple, comme il est plus proche de la terre, un satellite LEO est mieux adapté à des applications de détection à haute résolution). En outre, du côté de l'offre, le temps nécessaire pour prouver la capacité technique exigée par la construction d'un satellite d'orbite différente peut varier de trois à cinq ans. Les satellites GEO sont, en particulier, beaucoup plus coûteux [100 millions de dollars des États-Unis (USD) pour les satellites GEO, contre 10 millions d'USD pour les satellites LEO], complexes, lourds et durables que les satellites NGSO.

(23) Dans des décisions antérieures (6), la Commission a d'abord segmenté le secteur des satellites par application, en établissant une distinction entre les satellites de communication (et éventuellement de navigation) d'une part, et les satellites d'observation et à usage scientifique d'autre part, en raison des différences de compétences techniques et de savoir-faire nécessaires pour ces diverses applications. La Commission a également considéré qu'il pourrait exister des marchés de produits distincts pour les satellites militaires et les satellites civils (essentiellement parce que les conditions de concurrence ne sont pas les mêmes pour ces deux types d'applications), et qu'une segmentation supplémentaire par type d'orbite pourrait se justifier. Une distinction par type de client (opérateur commercial ou institutionnel) a également été opérée, mais seulement aux fins de la définition des marchés géographiques.

(24) Les résultats de l'enquête menée par la Commission confirment d'une manière générale a) que les satellites utilisés pour les communications, la navigation, et à des fins scientifiques et d'observation appartiennent à des marchés de produits distincts; b) que les conditions de concurrence sont différentes pour les satellites commerciaux, les satellites civils institutionnels et les satellites militaires, et c) qu'une distinction doit être opérée entre les satellites GEO et les satellites NGSO, bien que cette segmentation se justifie peut-être davantage dans le cas des satellites de communication que dans celui des satellites scientifiques ou d'observation (parce que la plupart de ces derniers sont des satellites NGSO, et probablement aussi parce que, compte tenu de la spécificité de chaque satellite scientifique ou d'observation, il peut être moins important de disposer de plans existants ou d'une expérience concernant un type d'orbite donné dans ce segment que dans celui des satellites de communication produits "en masse").

(25) Toutefois, il ressort des estimations des parties que tous les satellites commerciaux GEO et presque tous les satellites commerciaux NGSO sont des satellites de communication. En conséquence, la segmentation du marché des satellites commerciaux par application (par exemple: communications, navigation, observation, fins scientifiques) est sans incidence sur l'appréciation concurrentielle du projet de concentration.

(26) En outre, aux fins de la présente affaire, il n'est pas nécessaire de définir de façon plus précise les marchés de produits en cause pour les satellites étant donné que, quelle que soit la définition envisagée, une concurrence effective ne serait pas entravée de manière significative dans l'EEE ou une partie substantielle de celui-ci.

Marchés géographiques en cause

(27) La partie notifiante soutient que les marchés des satellites commerciaux sont à l'échelle mondiale. Ce point de vue concorde avec les décisions antérieures de la Commission (7) et il a été largement confirmé par l'enquête menée par la Commission.

(28) Boeing estime également que les marchés géographiques pour les satellites institutionnels (civils et militaires) sont à l'échelle nationale ou tout au plus régionale. Dans la décision Astrium (8), la Commission a conclu à l'existence d'un marché à l'échelle de l'Europe occidentale (9) pour les satellites achetés par les agences spatiales étant donné que, dans cette région, les satellites institutionnels sont principalement achetés par l'Agence spatiale européenne (ESA), dont les achats sont soumis au principe géographique du "juste retour". En outre, la Commission a indiqué qu'il pouvait également exister des marchés nationaux des satellites institutionnels dans les États membres où les agences spatiales nationales appliquent des procédures similaires de passation des marchés. Enfin, la Commission a estimé qu'il pouvait exister un marché mondial des satellites militaires acquis sur la base de procédures de mise en concurrence auxquelles participent des maîtres d'œuvre de la Communauté et des États-Unis, mais qu'il subsistait apparemment des marchés nationaux dans les États membres où les satellites sont achetés exclusivement aux maîtres d'œuvre nationaux. Toutefois, aux fins de la présente affaire, il n'est pas nécessaire de définir plus précisément les marchés géographiques des satellites institutionnels (civils et militaires) étant donné que, quelle que soit la définition du marché géographique envisagée, une concurrence effective ne serait pas entravée de manière significative dans l'EEE ou une partie substantielle de celui-ci.

Appréciation concurrentielle

(29) HSC et Boeing opèrent tous deux comme maîtres d'œuvre de satellites. L'opération n'entraînera cependant pas de chevauchements directs entre les parties étant donné que seule HSC est active dans le domaine commercial et que ni HSC ni Boeing n'ont fourni de satellites institutionnels GEO ou NGSO à des clients européens. En outre, il convient de noter que les satellites de Boeing et de HSC sont utilisés pour des applications différentes (respectivement les communications pour HSC et la navigation pour Boeing) et se différencient par la taille et l'orbite (satellites GEO et MEO pour HSC, satellites LEO pour Boeing).

(30) Pour ces raisons, la partie notifiante estime qu'aucun marché n'est affecté par l'opération sur le plan horizontal. Toutefois, étant donné la part du marché des satellites commerciaux de communication détenue par HSC, il convient d'examiner si l'addition des activités de Boeing dans le domaine des satellites renforcera la position déjà forte de HSC, en particulier sur le marché des satellites commerciaux GEO.

Caractéristiques du marché

(31) Les satellites commerciaux de communication GEO sont des gros satellites (plus de la moitié des charges utiles GEO dépassent les 9 000 livres) placés en orbite géosynchrone, où ils prennent en charge différents services, tels que la téléphonie, la transmission de données, la radiodiffusion et la télévision par câble, ainsi que des services de radiodiffusion directe.

(32) La demande émane des opérateurs de satellites commerciaux, qui peuvent être de grands organismes internationaux tels qu'Intelsat ou Inmarsat ou des sociétés privées, et qui fournissent les services finals eux-mêmes ou louent des capacités satellitaires à des prestataires de services, tels que des sociétés de radiodiffusion télévisuelle, des entreprises de télécommunications, etc.

(33) Il ressort de l'enquête de la Commission que l'achat des satellites s'effectue presque toujours sur la base de procédures d'appel d'offres internationales auxquelles participent plusieurs maîtres d'œuvre, dont HSC, Space Systems/Loral (SS/Loral), Lockheed Martin, Alcatel Space Industries (Alcatel) ou Astrium. Compte tenu du manque à gagner considérable (jusqu'à un million de dollars par jour) occasionné par une panne de satellite, il apparaît également que les principaux critères de sélection du maître d'œuvre sont sa fiabilité éprouvée et le prix offert, et que la durabilité du satellite et les délais de fabrication jouent également un rôle important.

(34) Avec l'apparition de constellations de satellites NGSO plus petits offrant également des services de communication (tels que la téléphonie mobile, la radiomessagerie, la transmission de données et la télémessagerie), et compte tenu de l'encombrement des points et des créneaux orbitaux utilisés par les satellites GEO, le marché des satellites GEO devrait évoluer dans les trois directions suivantes: i) stabilisation, ou même réduction du nombre de satellites commandés; ii) augmentation de la masse et de la puissance moyennes des satellites, et iii) focalisation sur les services à large bande (que les petits satellites ne permettent pas d'assurer dans des conditions de rentabilité acceptables).

Acteurs du marché

(35) Les satellites de communication GEO sont offerts principalement par cinq maîtres d'œuvre de satellites américains ou européens, à savoir HSC, SS/Loral, Lockheed Martin, Alcatel et Astrium. Ces cinq constructeurs fabriquent, semble-t-il, des satellites de communication GEO et NGSO destinés à une clientèle aussi bien institutionnelle que commerciale.

(36) Sur la base du nombre moyen de commandes de satellites commerciaux de communication GEO enregistrées depuis 1997, HSC détient une part de marché de [35- 45 %]* et est suivie par Lockheed Martin ([25-35 %]*), Alcatel ([10-20 %]*), SS/Loral ([10-20 %]*) et Astrium ([0-10 %]*).

Incidence de l'opération

(37) Dans sa décision du 26 mai 2000, la Commission a relevé des éléments indiquant que la part de marché de HSC pourrait sous-estimer sa position réelle sur le marché. Premièrement, des tiers avaient indiqué que HSC bénéficiait d'un certain nombre d'avantages concurrentiels par rapport aux autres maîtres d'œuvre de satellites, principalement d'une réputation d'excellence et de fiabilité supérieure à celle de ses concurrents, ainsi que d'un niveau de coûts moins élevé dû à des volumes de vente supérieurs (tant dans le secteur commercial que dans le secteur militaire). Deuxièmement, il semblait que le succès de HSC pouvait être modéré par le fait que, compte tenu de son appartenance au groupe Hughes, qui est verticalement intégré jusqu'au secteur aval de l'exploitation de satellites (par l'intermédiaire de PanAmSat, DirecTV and Hughes Network Systems), HSC pouvait être considérée à la fois comme un fournisseur et comme un concurrent important de ses clients. Des documents internes des parties donnaient à penser que cette situation dissuadait une proportion importante des opérateurs de satellites d'acheter à HSC.

(38) En conséquence, le taux de succès de HSC en tant que soumissionnaire, qui est supérieur à [40-60 %]*, a été considéré comme un meilleur indice de sa position concurrentielle.Des tiers ont indiqué explicitement que, à leurs yeux, HSC détenait une position dominante sur le marché des satellites commerciaux de communication GEO.

(39) Malgré l'absence de chevauchements entre Boeing et HSC sur les marchés des satellites, la Commission a également relevé certains éléments indiquant que l'opération pourrait renforcer la position de HSC sur le marché. Premièrement, il a été considéré que l'élimination du lien entre HSC et le groupe Hughes permettrait à HSC de s'attaquer à l'ensemble du marché et donc de gagner des parts de marché (peut-être jusqu'à égaler son taux de succès de [40-60 %]*).

(40) Deuxièmement, il a été indiqué que les maîtres d'œuvre de satellites achetaient actuellement certains équipements de satellite (piles solaires, éléments de batterie, amplificateurs à tube à ondes progressives) à Hughes (en particulier à Spectrolab et HED). À cet égard, des tiers se sont dits préoccupés par le fait qu'une fois le projet de concentration réalisé, les équipements en question pourraient être achetés par Boeing pour ses propres satellites, ce qui réduirait la capacité disponible pour les tiers au point de les affaiblir vis-à-vis de HSC.

(41) À la lumière de ce qui précède, la Commission a donc considéré que l'opération pourrait encore creuser l'écart entre HSC et ses concurrents. Compte tenu du rôle que les économies d'échelle semblent jouer dans la construction de satellites (l'amortissement des coûts irrécupérables représentant une part significative du coût d'un satellite), on pouvait donc craindre la création ou le renforcement d'une position dominante de HSC sur le marché des satellites GEO.

(42) Toutefois, les résultats de l'enquête approfondie réalisée par la Commission indiquent que l'opération n'aura pas pour effet la création ou le renforcement d'une position dominante. Premièrement, il convient de noter que les marchés des satellites sont des marchés où l'on fait appel à la concurrence, où les conditions de concurrence sont déterminées par la présence d'alternatives crédibles par rapport aux produits de HSC. Dans ce contexte, et compte tenu de la position sur le marché de Lockheed Martin ([20-40 %] des ventes), de SS/Loral ([10-20 %]*) et d'Alcatel ([10-20 %]*), on peut considérer que HSC resterait soumis à la concurrence d'autres maîtres d'œuvre importants et crédibles.

(43) Deuxièmement, il ressort des résultats de l'enquête réalisée par la Commission que les avantages concurrentiels prêtés à HSC ont probablement été surestimés. Ainsi, la plupart des clients ont indiqué qu'ils ne considéraient pas les satellites de HSC comme plus fiables que ceux des autres maîtres d'œuvre, et un certain nombre de tiers ont spécifié que, bien que les satellites HSC bénéficient traditionnellement d'une meilleure réputation d'excellence et de fiabilité, ils ont également connu certaines défaillances ces dernières années. De même, la plupart des clients ont indiqué que HSC ne bénéficiait pas, selon eux, d'un avantage substantiel en termes de coût par rapport à ses concurrents. Enfin, compte tenu des principaux critères d'évaluation utilisés par les clients, il semble que l'offre de HSC ne soit pas considérée comme la meilleure offre dans une majorité des cas. La présence d'alternatives crédibles par rapport aux satellites de HSC est également confirmée par le fait que HSC n'a obtenu le marché que pour [...]* des 29 satellites commandés depuis le début de l'année 2000. On peut donc conclure de ce qui précède que HSC ne détient pas de position dominante sur le marché des satellites commerciaux GEO.

(44) En outre, rien n'indique qu'une fois l'opération réalisée, les achats de Boeing à Spectrolab et HED réduiraient l'intérêt qu'auraient ces fournisseurs à approvisionner d'autres maîtres d'œuvre en piles solaires, en éléments de batterie et en amplificateurs à tube à ondes progressives. Cela ne fait aucun doute pour ce dernier type d'équipements, puisque Boeing n'en achète pas. Cela vaut aussi pour les piles solaires et les éléments de batterie étant donné que HSC semble disposer, pour la plupart des équipements concernés, d'une surcapacité substantielle qui ne serait pas pleinement utilisée même en tenant compte de la totalité de la demande potentielle de Boeing, d'autant plus que Boeing achète déjà la plupart de ses piles solaires à Spectrolab et qu'il n'achète pas d'amplificateurs à tube à ondes progressives. Deuxièmement, les piles solaires et les éléments de batterie sont, pour l'essentiel, des produits normalisés, qui pourraient être achetés à des fournisseurs concurrents. Troisièmement, comme la plupart des maîtres d'œuvre (y compris les plus grands) n'achètent pas actuellement d'équipements à HSC, même une réduction des livraisons d'HSC aux tiers ne créerait pas de problèmes de concurrence.

(45) L'enquête menée par la Commission a également montré que, bien que Hughes possède des opérateurs de satellites (à savoir PanAmSat, DirecTV et Hughes Network Systems), le fait que HSC pouvait être considéré à la fois comme un concurrent et comme un fournisseur des opérateurs tiers ne dissuadait pas la plupart des clients d'acheter des satellites à HSC. L'opération ne devrait donc pas amener à HSC un nombre substantiel de nouveaux clients ni, par conséquent, lui ouvrir d'importantes possibilités nouvelles.

(46) Au contraire, il apparaît que, en coupant le lien entre HSC et les sociétés d'exploitation de satellites du groupe Hughes (PanAmSat, DirecTV et Hughes Network Systems), l'opération rendrait probablement ces opérateurs de satellites plus ouverts à d'autres maîtres d'œuvre. Étant donné que les achats des sociétés d'exploitation de satellites de Hughes ont représenté environ [35-45 %]* des commandes de satellites HSC entre 1997 et 1999, l'opération projetée pourrait donc considérablement affaiblir la position concurrentielle de HSC plutôt que la renforcer.

(47) À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de conclure que l'opération n'entraînera pas, sur les marchés des satellites, la création ou le renforcement d'une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans l'EEE ou une partie substantielle de celui-ci.

B. Services de lancement

Marchés de produits en cause

(48) Les lanceurs servent à placer des satellites en orbite. On désigne par l'expression "services de lancement de satellites " les services relatifs à cette mise sur orbite. On distingue généralement deux types de lanceurs: les lanceurs non récupérables (expendable launch vehicles - ELV), qui se désintègrent pendant le processus de lancement, et les lanceurs partiellement ou totalement récupérables (reusable launchers - RLV). Dans la pratique, toutefois, les services de lancement utilisent presque exclusivement des ELV.

(49) On peut classer les ELV en plusieurs groupes de produits, selon la masse de charge utile qu'ils sont capables d'emporter. Boeing soutient à cet égard que les satellites en orbite basse (LEO) et les satellites en orbite moyenne (MEO) peuvent être lancés - et c'est d'ailleurs le cas - par un large éventail de lanceurs (depuis les plus petits jusqu'aux plus grands), mais que les satellites GEO moyens ou lourds (autrement dit ceux dont la masse est supérieure à 4 000 livres, soit quelque 1 800 kilogrammes) ne peuvent être mis sur orbite que par certains gros lanceurs (ci-après les "lanceurs lourds"). Boeing estime donc qu'il existe deux marchés de produits: un marché de tous les services de lancement qui regrouperait tous les lancements de satellites et un marché "imbriqué", constitué par les services de lancement de satellites GEO moyens ou lourds (exclusivement sur lanceurs lourds).

(50) L'enquête de la Commission va également dans ce sens: les lanceurs lourds constituent donc un segment de marché de produits, car ils sont les seuls à pouvoir placer en orbite géosynchrone de gros satellites. Cette approche est conforme aux conclusions de la Commission dans des décisions antérieures (10) selon lesquelles la définition des marchés de produits dans ce secteur devait s'effectuer sur la base d'une segmentation des services de lancement en fonction de la taille du satellite ou de la capacité du lanceur.

(51) Toutefois, la Commission relève, d'une part, une contradiction dans les définitions des marchés proposées par Boeing. Si l'on admet que les satellites GEO moyens ou lourds ne puissent être placés sur orbite que par des lanceurs lourds, il ne saurait y avoir de substituabilité entre le lancement de ce type de satellites et un autre service de lancement, de sorte que le premier ne peut être inclus dans un marché de produits plus large. Dans ces conditions, il ne peut exister de marché de produits global qui regrouperait tous les lancements de satellites. Il serait plus cohérent d'envisager les deux marchés de produits suivants: un marché des services de lancement de tous les satellites à l'exception des satellites GEO moyens ou lourds et un marché des services de lancement de satellites GEO moyens ou lourds.

(52) D'autre part, des tiers ont critiqué la définition des marchés de produits avancée par la partie notifiante en ce qui concerne les services de lancement de satellites GEO moyens ou lourds. Selon eux, et contrairement à la proposition de Boeing, la segmentation du marché de produits ne doit pas être fonction de la taille du satellite ni de l'orbite, mais de la catégorie de lanceurs considérée. Ces tiers estiment que les services offerts par les lanceurs lourds ne peuvent être remplacés par ceux des autres lanceurs, quelles que soient la taille et l'orbite du satellite envisagé. Il semblerait ainsi que seuls les plus grands lanceurs soient aptes à emporter certains satellites NGSO.

(53) Dans ce cas, le marché de produits "imbriqué" devrait être constitué par les services de lancement offerts par les lanceurs grands ou moyens. Cet autre marché comprendrait tous les lancements de satellites réalisés par des lanceurs lourds et serait donc plus étendu que celui des services de lancement de satellites GEO grands ou moyens proposé par Boeing (qui ne tient pas compte des lancements de satellites NGSO ou de petits satellites GEO effectués sur lanceurs lourds). Cette autre définition des marchés présenterait l'avantage de donner une image plus exacte de la concurrence entre les différents lanceurs et de leur position respective à cet égard, puisqu'elle engloberait tous les lancements réalisés par ces lanceurs. En revanche, elle impliquerait que les lanceurs lourds ne sont pas en concurrence avec les petits lanceurs, même pour les lancements de petits satellites, ce qui n'est pas encore démontré.

(54) D'autres tiers se sont ralliés à la définition, proposée par Boeing, d'un marché de produits distinct pour les lancements de satellites GEO moyens ou lourds, mais ont contesté la ligne de partage (4 000 livres) pour les satellites GEO moyens ou lourds. Ils ont notamment fait valoir qu'il n'existe pas de limite stricte entre "petits" et "grands" satellites et que la frontière n'avait peut-être été ainsi tracée qu'à la seule fin d'exclure du marché de produits "imbriqué" le lanceur Delta II de Boeing. Il n'est toutefois pas certain que le choix d'une autre ligne de partage aurait quelque effet sur l'appréciation de l'opération sous l'angle de la concurrence, étant donné que la masse moyenne des satellites GEO est de 6 000 livres (masse qui est d'ailleurs en augmentation) et que 75 à 90 % de tous les satellites GEO entrent dans la catégorie des satellites moyens ou lourds.

(55) Cependant, pour les besoins de la présente décision, il n'est pas nécessaire de modifier cette délimitation des marchés de produits en cause pour les services de lancement, puisque, quelle que soit la définition des marchés retenue, la concurrence effective ne serait pas sensiblement entravée dans l'EEE ou une partie substantielle de l'EEE.

Marchés géographiques en cause

(56) Boeing fait valoir que les lancements institutionnels et les lancements commerciaux appartiennent à des marchés géographiques différents. Les marchés géographiques des services de lancement sont de dimension mondiale dans le cas des applications commerciales, mais de dimension nationale ou régionale dans celui des lancements institutionnels (civils ou militaires). Cette différence tient au fait que, comme pour les satellites, les administrations nationales tendent à donner la préférence aux fournisseurs de services de lancement nationaux, ou au moins régionaux.

(57) Cette approche s'inscrit dans le droit fil de la décision Astrolink, où la Commission a conclu qu'il convenait de distinguer les lancements commerciaux des lancements militaires captifs ou autres lancements institutionnels (qui ne sont généralement pas ouverts à la concurrence, même si les lanceurs utilisés sont similaires). Ces définitions ont également été confirmées, d'une manière générale, par les résultats de l'enquête de la Commission.

Appréciation concurrentielle

(58) Boeing est présent dans le secteur des services de lancement, avec sa gamme de lanceurs Delta (Delta II, Delta III et, à partir de 2001, Delta IV). Le lanceur Delta II a la réputation d'être le lanceur commercial à l'histoire la plus longue et qui compte le plus grand nombre de vols. Il jouit d'une excellente réputation de fiabilité, mais sa capacité au décollage (4 000 livres) est limitée et insuffisante pour la plupart des missions de satellites GEO commerciaux. Le nouveau lanceur Delta III et le futur Delta IV auront une capacité d'emport beaucoup plus élevée, mais Delta III est actuellement handicapé parce qu'il n'a enregistré qu'un seul vol réussi sur ses trois premiers lancements, tandis que Delta IV n'en est encore qu'à sa phase de développement et n'a donc encore jamais volé.

(59) Boeing possède aussi une participation de 40 % dans Sea Launch, société également détenue à hauteur de 25 % par l'entreprise russe RSC-Energia, de 20 % par l'entreprise norvégienne Kvaerner Maritime et de 15 % par l'entreprise ukrainienne Yuzhnoye/PO Yuzhmash. Sea Launch exploite le lanceur de fabrication ukrainienne Zenit 2 (qui utilise l'étage supérieur Block DM fabriqué par Energia), lancé à partir d'une plate-forme en mer qui navigue entre la Californie et les eaux équatoriales. Sea Launch a réalisé son premier lancement en mars 1999. Sa fiabilité est aussi mise en cause du fait de l'échec de son troisième vol.

(60) Boeing soutient que sa participation de 40 % dans Sea Launch ne lui confère aucun contrôle sur cette entreprise, étant donné qu'il n'existe pas de politique commerciale commune ni de gestion commune pour les programmes Delta et Sea Launch. Or, Boeing dispose de droits de veto sur un certain nombre de décisions stratégiques prises par Sea Launch, notamment en ce qui concerne les modifications du plan d'entreprise (qui exige l'unanimité des partenaires), la désignation des cadres dirigeants de l'entreprise et les contrats conclus avec les autres clients et les grands fournisseurs (la majorité requise étant de 67 %). En outre, Boeing a nommé trois cadres dirigeants sur les cinq que compte Sea Launch (à savoir le président-directeur général, le viceprésident chargé des affaires générales et du secrétariat, et le vice-président responsable du secteur des lancements). Par conséquent, force est de conclure que Boeing exerce un contrôle conjoint sur Sea Launch.

(61) HSC n'a aucune activité dans le secteur des services de lancement mais, comme il est dit au considérant 36, c'est le plus gros fournisseur de satellites GEO commerciaux qui sont placés en orbite par des lanceurs. C'est la raison pour laquelle il y a lieu de déterminer si le cumul des positions de HSC et de Boeing sur ces marchés complémentaires pourrait créer ou renforcer une position dominante dans les services de lancement.

(62) L'enquête conduite par la Commission confirme que la quasi-totalité des clients attachent une très grande importance au choix du lanceur qui placera finalement leur satellite en orbite. Les critères déterminants aux yeux des clients, lors de l'évaluation et du classement des fournisseurs potentiels de services de lancement, sont la fiabilité et les succès confirmés. Il ressort des résultats de l'enquête réalisée auprès des clients que ceux-ci tiennent toujours compte du prix lorsqu'ils arrêtent leur choix définitif. Les clients précisent toutefois que la sécurité du lancement de leur satellite est primordiale et qu'ils sont par conséquent disposés à payer davantage pour éviter tout échec qui pourrait nuire à leur entreprise, sous l'angle tant financier que commercial. En dernier lieu, la taille de l'entreprise qui fournit les services de lancement ne semble pas être un facteur décisif pesant sur le choix définitif opéré par les clients.

Caractéristiques du marché

Procédure de passation des marchés

(63) L'achat de services de lancement est habituellement dissocié de l'achat du satellite concerné. Dans ce cas de figure (appelé "livraison au sol"), l'opérateur de satellites passe deux contrats: un contrat (avec le maître d'œuvre) pour la fourniture du satellite et un autre (avec l'entreprise de services de lancement) pour la fourniture du service de lancement associé.

(64) On note toutefois, ces dernières années, une tendance croissante chez les maîtres d'œuvre pour les satellites à proposer (et chez les clients, à accepter ou demander) un nouveau type de contrats dits de "livraison en orbite". Dans ce type de contrat, le client commande un produit complet au constructeur de satellites qui, en vertu d'un seul et unique contrat, s'engage à lui fournir le satellite et le service de lancement. Le fournisseur qui livre en orbite supporte par conséquent la responsabilité des opérations de lancement du satellite.

(65) L'avantage des marchés de livraison en orbite est qu'ils simplifient les relations avec le maître d'œuvre. Étant donné que, dans un contrat de livraison en orbite, la responsabilité de la livraison et du lancement du satellite est transférée au maître d'œuvre du satellite, la livraison en orbite épargne au client la nécessité de gérer un certain nombre de risques, tels que retards, interfaces satellite/lanceur ou problèmes de compatibilité, etc., qui sont liés aux interactions entre le contrat relatif au satellite et le contrat concernant le service de lancement. L'inconvénient est que les contrats de livraison en orbite sont perçus par le client comme rendant moins transparents l'état d'avancement du contrat et les choix opérés par le maître d'œuvre du satellite (y compris en ce qui concerne les opérations de lancement). Les clients ont indiqué que les marchés de livraison en orbite peuvent être plus chers que les marchés de livraison au sol. Il semble donc que la livraison en orbite soit choisie avant tout par les petits clients qui ne disposent pas des ressources internes nécessaires pour gérer une procédure de livraison au sol.

(66) Quel que soit le type de marché considéré, la sélection du fournisseur de services de lancement s'effectue dans le cadre d'un appel d'offres international mettant en concurrence les principaux fournisseurs mondiaux de services de lancement. Étant donné les pertes de recettes énormes (jusqu'à un million de dollars par jour) que peuvent entraîner, pour l'opérateur de satellites, les éventuels retards ou échecs, et dans la mesure où aucune assurance ne semble couvrir pareils risques, il ressort de l'enquête de la Commission que le choix du lanceur est essentiellement fonction de la fiabilité et du prix, la souplesse du calendrier de lancement étant également un critère de choix non négligeable.

Intégration du satellite dans le lanceur

(67) Pour que le lancement d'un satellite réussisse, il faut que le satellite soit compatible avec un lanceur déterminé. Cette compatibilité peut être assurée cas par cas, mais aussi en tirant les enseignements des lancements précédents ou sur la base d'accords de compatibilité.

(68) Pour ce qui est des marchés de livraison au sol, les clients lancent généralement des appels d'offres auprès des maîtres d'œuvre de satellites et des fournisseurs de services de lancement. Ces appels d'offres peuvent être parallèles ou échelonnés, selon le client. À ce stade, les clients choisissent habituellement le constructeur de satellites et procèdent à une présélection de plusieurs lanceurs candidats. En règle générale, le choix du satellite est arrêté entre vingt-quatre et trente-six mois avant la date de lancement, et la signature du contrat pour le satellite intervient avant le choix définitif du fournisseur de services de lancement. Dans ce cadre, et afin de conserver le choix entre plusieurs options jusqu'à la sélection définitive du lanceur, les clients exigent le plus souvent du constructeur de satellites qu'il assure la compatibilité avec plusieurs lanceurs (qui peuvent ou non être identifiés).

(69) Après attribution du marché, et même si, en principe, c'est au satellite d'être compatible avec le lanceur et non l'inverse, le constructeur de lanceurs et le fabricant de satellites doivent tous deux coopérer pour assurer l'intégration du satellite dans le lanceur retenu. À ce stade, c'est toute une série de tests et d'analyses qui doit être réalisée, tant par le constructeur de satellites que par le constructeur de lanceurs, afin d'assurer la compatibilité entre le satellite et l'environnement du lanceur, notamment du point de vue mécanique, thermique, électrique, électromagnétique et des radiofréquences.

(70) Ces tâches sont accomplies cas par cas, pour chaque satellite. Cependant, étant donné que les constructeurs de satellites conçoivent souvent leur satellite de télécommunications commercial à partir d'un nombre limité de plates-formes types, il est également possible de prévoir une compatibilité générale des familles de satellites, grâce à la conclusion d'"accords de compatibilité" plus larges par le fabricant de satellites et le fournisseur de services de lancement, couvrant toute une famille de satellites. En pratique, les fabricants de satellites et les sociétés de lanceurs conviennent d'une "plate-forme générique", dont la compatibilité avec le lanceur considéré est assurée. On considère alors que les satellites qui relèvent de cette plate-forme sont généralement compatibles avec le lanceur considéré. Les accords de compatibilité réduisent donc les risques, la charge de travail et les délais liés à l'intégration dans un lanceur donné de satellites particuliers appartenant à une famille de satellites plus large.

(71) Plus on est proche de la date de lancement prévue, plus il peut être coûteux d'apporter les modifications techniques nécessaires à l'intégration du satellite dans un lanceur différent. En fonction des contrats passés entre les parties, les clients peuvent encourir des pénalités pour résiliation du contrat dont le montant s'alourdit à mesure que la date de lancement se rapproche. Bien que certains des clients qui ont répondu à l'enquête de la Commission prétendent avoir toute latitude pour changer l'un ou l'autre élément de la combinaison retenue, les clients confirment, en général, que plus tôt les modifications sont apportées au programme, mieux cela vaut pour les parties concernées.

Capacité excédentaire

(72) Il est généralement admis que le secteur des services de lancements commerciaux souffre actuellement de surcapacités.Cette situation semble être le résultat des surinvestissements réalisés dans les capacités de lanceurs pendant la seconde moitié des années 90, à la suite de prévisions optimistes sur le volume du marché des lancements. En particulier, on s'attendait à une progression de la demande de services de lancement avec le développement des constellations de satellites NGSO. C'est ainsi que, en 1997, Boeing prévoyait le lancement de quelque [...]* satellites en 2002. Étant donné que cette demande pouvait difficilement être satisfaite par la capacité disponible à l'époque, les fournisseurs de services de lancement ont massivement investi dans de nouvelles installations et souvent aussi dans de nouveaux lanceurs. Or, maintenant que les premiers systèmes lancés (tels qu'Iridium ou ICO) se sont heurtés à des difficultés financières, les projets de constellations de satellites ont été sensiblement revus à la baisse ou retardés, et les prévisions de lancement sont actuellement beaucoup plus prudentes. À l'automne 1999, par exemple, les prévisions révisées pour les services de lancement en 2002 ont été ramenées à seulement [...]* satellites.

(73) L'écart considérable enregistré entre les prévisions initiales et la réalité, s'ajoutant aux lourds investissements réalisés dans de nouvelles installations et de nouveaux lanceurs, a entraîné une situation de surcapacités importantes dans le secteur des services de lancement. C'est ainsi que la capacité cumulée des trois principaux lanceurs (Delta, Atlas et Ariane) dépasserait 50 unités par an, c'est-à-dire jusqu'à deux fois le volume actuel du marché commercial. Comme d'autres lanceurs [tels que Proton, Sea Launch, Great Wall (Chine) et Starsem] sont également disponibles sur le marché, et malgré les besoins en lancements supplémentaires pour les satellites institutionnels, ces chiffres donnent à penser que la capacité pourrait être le double de la demande totale.

(74) Cette surcapacité sectorielle affecte la structure des coûts de la plupart des fournisseurs de services de lancement à mesure que leur volume de vente réel, inférieur aux prévisions, les rapproche de leur seuil de rentabilité. Le niveau élevé des coûts fixes qui caractérise ce secteur ne peut être compensé que par un nombre de lancements important. Les fournisseurs de services de lancement se retrouvent donc fortement tributaires de l'attribution de marchés de lancements commerciaux, puisque chaque marché compte dans un contexte de compétitivité par les prix. Le fait de perdre deux marchés peut se traduire par un manque à gagner de 20 à 25 % dans le volume de ventes annuel de certains de ces fournisseurs et, ce faisant, compromettre gravement leur rentabilité.

Entreprises présentes sur le marché

(75) Les entreprises qui dominent le secteur des services de lancement commerciaux sont, de longue date, Arianespace et International Launch Services (ILS), qui représentaient respectivement, ces trois dernières années, quelque [entre 30 et 50 %]* et [entre 30 et 50 %]* des lancements de satellites GEO commerciaux moyens ou lourds. Les lancements du Delta III de Boeing, dont les deux premiers ont échoué, ainsi que les lancements de Great Wall et de Sea Launch représentent les quelques lancements restants.

(76) ILS est une entreprise commune entre Lockheed Martin et Khrunichev, chargée de la commercialisation des gammes de lanceurs Atlas et Proton auprès des clients autres que l'administration américaine. Les lanceurs Atlas sont conçus et fabriqués par Lockheed Martin. La gamme Atlas comprend actuellement deux familles, à savoir les lanceurs Atlas II et le nouveau lanceur Atlas III (qui a effectué son premier vol commercial en mai 2000). Un nouveau lanceur (qui s'appellera Atlas V) est également en cours de développement. Les lanceurs Proton sont, quant à eux, conçus, développés et fabriqués par les entreprises russes Khrunichev et Energia.

(77) Arianespace, qui a été créée en 1980, a été la première entreprise commerciale de transport spatial. Elle assure la production, la commercialisation et le lancement des lanceurs Ariane, qui sont conçus et développés dans le cadre de programmes placés sous les auspices de l'Agence spatiale européenne. Arianespace est détenue par 53 actionnaires de 12 pays européens. La gamme actuelle de lanceurs proposés comprend le lanceur Ariane IV et le récent lanceur Ariane V, de nouvelles versions plus lourdes d'Ariane V étant en cours de développement.

(78) Boeing et Sea Launch ont actuellement des parts de marché relativement limitées dans le secteur des services de lancement. Une série de facteurs sont à l'origine de cette faiblesse, la raison essentielle étant que le principal lanceur de Boeing, à savoir Delta II, n'est pas capable de lancer de gros satellites, et que la fiabilité des nouveaux gros lanceurs de Boeing et de Sea Launch a été mise en doute après de récents échecs. Les clients confirment cette situation dans leurs réponses à l'enquête de la Commission. Même si Delta II est généralement considéré comme l'un des lanceurs les plus fiables, l'appréciation que portent la plupart des clients sur les autres lanceurs de Boeing est loin d'être bonne. En 1999, Boeing et Sea Launch représentaient ensemble 17 % des lancements commerciaux, derrière Lockheed Martin (25 %) et Arianespace (22 %). Sur le marché des services de lancement de satellites GEO moyens ou lourds, la position de Boeing était même plus faible, avec 12 %, derrière Arianespace (44 %) et Lockheed Martin (44 %).

(79) Malgré la position apparemment désavantageuse que Boeing détient actuellement sur le marché, il semble aller de soi que cette entreprise deviendra un concurrent de premier plan dans les services de lancement au cours des prochaines années. Le succès des derniers lancements de Delta III et de Sea Launch vient conforter cette conclusion. En outre, le prochain lanceur de Boeing, Delta IV, qui devrait être opérationnel en 2001, devrait être le plus grand lanceur mondial et aura probablement la possibilité de s'imposer en tant que lanceur bien établi et rentable, grâce au contrat déjà conclu avec l'administration américaine qui porte sur une vingtaine de lancements garantis. La capacité de Boeing en tant que fournisseur de services de lancement de satellites commerciaux ressort aussi du fait que Delta III et Sea Launch représentent déjà ensemble [25-40 %]* des commandes de lancements commerciaux sur lanceurs lourds depuis 1997, contre [25-40 %]* pour Arianespace et [15- 25 %]* pour ILS.

(80) D'autres lanceurs, tels que le lanceur japonais H2 ou le programme "Longue marche" de la Chine, sont également capables de placer sur orbite de grands satellites GEO. Ces lanceurs ne semblent toutefois pas être des solutions de rechange crédibles aux produits des autres acteurs du marché: en effet, H2 est gravement handicapé par ses lancements ratés, tandis que Longue marche est en proie à des difficultés techniques auxquelles s'ajoutent des problèmes à l'exportation (il ne semble pas à même de lancer les satellites américains, en raison des restrictions qui découlent du régime d'exportation de ces satellites). Force est de constater, dans ces conditions, que les seuls grands constructeurs de lanceurs capables d'influer sur le fonctionnement du marché des satellites GEO commerciaux moyens ou lourds sont Boeing, Sea Launch, ILS et Arianespace.

Effets de l'opération

(81) Malgré l'absence de tout chevauchement d'activités entre Boeing et HSC dans le secteur des services de lancement, la Commission a estimé, dans sa décision d'engager la procédure dans la présente affaire, que l'opération de concentration envisagée pourrait avoir plusieurs conséquences potentiellement dommageables. La complémentarité de la fabrication des satellites et des services de lancement, produits tous deux nécessaires pour que les opérateurs aient leurs satellites placés orbite, ainsi que la position de force de HSC sur le marché des satellites GEO commerciaux, ont fait craindre que l'entité issue de l'opération de concentration ne pousse les opérateurs de satellites à passer par les lanceurs de Boeing pour la mise sur orbite de leurs satellites et, partant, ne confère à Boeing une position dominante sur le marché des lancements de gros satellites.

(82) Six conséquences potentiellement dommageables ont notamment été envisagées:

a) les fabricants de satellites semblent lancer leurs appels d'offres auprès des clients en prévoyant une marge en matière de masse. Une fois l'opération réalisée, HSC pourrait concevoir cette marge de sorte qu'elle s'accorde de manière optimale à la capacité d'emport des lanceurs de Boeing, ce qui pourrait rendre les offres des autres fournisseurs de services de lancement moins concurrentielles que celles de Boeing;

b) certains marchés de livraison en orbite donnent au maître d'œuvre de satellites quelque souplesse en ce qui concerne le lanceur qui sera utilisé. Après l'opération de concentration, HSC pourrait essayer d'obtenir que ces satellites soient emportés sur des lanceurs Boeing ou Sea Launch;

c) le lancement de satellites nécessite des travaux d'intégration préalables du satellite dans le lanceur concerné. Cette intégration peut être réalisée cas par cas, mais il est également possible de définir des accords de compatibilité générale entre le lanceur et la famille de satellites. À l'issue de l'opération envisagée, HSC pourrait refuser de conclure de tels accords de compatibilité, ce qui aurait pour effet d'augmenter les coûts et les délais d'intégration des satellites de HSC dans les lanceurs exploités par des tiers;

d) HSC pourrait refuser de fournir des renseignements sur ses prochains satellites ou futures adaptations de satellites aux fournisseurs tiers de services de lancement, de sorte qu'il serait plus difficile pour ces derniers de rendre leurs lanceurs compatibles avec ces satellites;

e) HSC reçoit, en tant que fabricant de satellites, des renseignements sensibles du point de vue concurrenciel en ce qui concerne les lanceurs dans lesquels ses satellites seront intégrés. Bien que ces informations soient normalement protégées par des clauses de confidentialité, HSC pourrait les utiliser au détriment des tiers fournissant des services de lancement;

f) à plus long terme, il se pourrait que HSC conçoive sa prochaine génération d'engins spatiaux de manière à ce qu'ils soient mieux adaptés aux lanceurs de Boeing qu'aux autres. HSC pourrait ainsi imposer des interfaces exclusives et brevetées pour ses satellites, afin de favoriser les lanceurs de Boeing. De même, il est possible que HSC développe ses satellites de sorte qu'ils puissent être lancés de manière à avoir une durée de vie plus longue que la durée habituelle des satellites.

Effets du comportement constaté

(83) Bien que le comportement décrit au considérant 82 puisse théoriquement inciter les clients de HSC à privilégier les lanceurs de Boeing, il pourrait aussi, semble-t-il, saper la compétitivité de HSC sur le marché des satellites. Le fait, par exemple, de rendre les satellites de HSC moins compatibles avec d'autres lanceurs ou d'accroître les coûts et les délais d'intégration d'un satellite de HSC dans un lanceur d'un tiers pourrait placer HSC dans une situation désavantageuse vis-à-vis des clients qui veulent que leurs satellites soient intégrés dans d'autres lanceurs. De ce point de vue, il est nécessaire d'examiner si, dans l'hypothèse où l'entité issue de l'opération de concentration adopterait le comportement susmentionné, le gain que constituerait l'attribution de marchés de lancement supplémentaires serait supérieur au manque à gagner représenté par les marchés de satellite perdus.

(84) À cette fin, la Commission a procédé à une enquête approfondie auprès des clients, afin de vérifier si les divers problèmes soulevés par les tiers étaient avérés et pouvaient réellement survenir à l'avenir. Elle a pris contact avec des opérateurs de satellites, petits ou gros clients, et les a invités à donner leur avis sur la situation concurrentielle du marché. Elle a également examiné les effets de l'opération envisagée, non seulement sur le marché dans son ensemble, mais aussi sur les activités des clients, afin de déterminer l'incidence probable du comportement concurrentiel des acteurs présents sur le marché en cause.

(85) Comme indiqué au considérant 62, les résultats de l'enquête réalisée par la Commission montrent que les clients choisissent leur lanceur avec beaucoup d'attention et de soin et considèrent généralement la fiabilité comme un critère d'une suprême importance dans la sélection du fournisseur de services de lancement. Cela tient aux risques courus par les clients en cas d'échec du lancement: les clients perdraient alors non seulement un satellite (qu'ils peuvent assurer), mais aussi l'intégralité des recettes liées au fonctionnement du satellite jusqu'à la fabrication, puis le lancement d'un nouveau satellite (qu'aucun assureur n'est apparemment disposé à couvrir). Les clients ont par exemple indiqué qu'un lancement raté ou un retard leur coûterait plus d'un million de dollars par jour en termes de manque à gagner.

(86) Dans ce contexte, les clients refuseront d'ordinaire que leur satellite soit emporté par un lanceur qu'ils n'estiment pas suffisamment fiable. C'est ainsi qu'après ses deux premiers échecs, Delta III, le lanceur de Boeing, n'a pu trouver de client commercial pour son troisième vol et a dû emporter une charge utile factice. Plus généralement, les clients s'efforcent souvent de réduire au minimum les risques liés au lancement, en exigeant que leurs satellites soient compatibles avec plusieurs lanceurs(pour leur permettre d'en changer en cas de doutes sur la fiabilité de celui qu'ils ont choisi), ou en prévoyant des clauses spécifiques dans leurs contrats, stipulant par exemple que leur satellite ne sera pas la première charge utile à être lancée après un échec du lanceur considéré, ou que le lanceur devra atteindre un taux de réussite déterminé pendant une période donnée, avant de pouvoir être utilisé pour la mise en orbite du satellite concerné.De même, les clients disposant de flottes de satellites répartissent généralement leurs tirs entre un certain nombre de lanceurs et exigent souvent de pouvoir passer d'un lanceur à un autre ou ajouter de nouveaux lanceurs, comme il leur convient.

(87) Les résultats de l'enquête de la Commission attestent par conséquent que les clients n'accepteront pas que le choix du lanceur leur soit imposé et que toute tentative de HSC de concevoir des satellites compatibles uniquement avec Delta ou Sea Launch se heurterait à une résistance de leur part.De même, ils confirment qu'il ne sera pas rentable pour HSC de tenter de persuader les clients de passer aux lanceurs de Boeing en augmentant les coûts d'intégration pour les autres lanceurs. Les clients ont en effet, pour la plupart, indiqué que si la combinaison d'un satellite de HSC et de leur lanceur privilégié était plus coûteuse que d'autres combinaisons, soit ils opteraient à la fois pour leur lanceur et leur satellite préférés, en acquittant le prix, quel qu'il soit, dans la mesure du raisonnable, pour la combinaison choisie, soit ils choisiraient la combinaison d'un lanceur et d'un satellite fiables la moins coûteuse. De ce point de vue, le fait de rendre plus difficile l'intégration des satellites de HSC dans les lanceurs autres que ceux de Boeing soit n'aurait aucune incidence sur le choix du client, soit rendrait les combinaisons de lanceurs avec des satellites de HSC proportionnellement plus coûteuses qu'avec d'autres satellites, affaiblissant ainsi la position concurrentielle de HSC dans le secteur des satellites.

(88) En outre, il convient de noter que la plupart des clients ayant répondu à l'enquête de la Commission ont indiqué qu'ils conservaient la capacité de changer de lanceurs, dans l'éventualité où ils souhaiteraient le faire. Fatalement, le coût d'un tel changement augmente à mesure que la date du lancement approche mais, étant donné les pertes subies par les clients en cas de lancement raté, on peut en déduire que les clients feront probablement usage de cette disposition, si la fiabilité ou le service de leur lanceur présélectionné ne leur donnait plus satisfaction. La plupart des clients ont également fait valoir qu'ils maîtrisent toutes les étapes de la procédure de sélection d'un lanceur et que le fabricant de satellites n'a, en tout état de cause, guère d'influence sur le choix final. Cela limiterait aussi beaucoup la possibilité pour les parties de détourner les clients du choix qu'ils ont privilégié.

(89) De plus, il convient d'observer que la capacité des acheteurs de services de livraison en orbite de choisir de manière indépendante leur fournisseur de services de lancement n'est pas inférieure à celle des acheteurs de services de livraison au sol. D'une part, en effet, rien n'indique que les premiers ne peuvent actuellement choisir leur combinaison de services en orbite en s'adressant à d'autres constructeurs de satellites que HSC. D'autre part, l'expérience montre que les acheteurs de services de livraison en orbite ont prévu des dispositions contractuelles leur permettant de changer de lanceurs à leur gré.

(90) Il se peut, il est vrai, que dans le passé, les satellites de la plupart des clients ayant acheté des services de livraison en orbite à HSC aient été lancés par des entreprises avec lesquelles HSC avait conclu des accords d'achat en masse. Toutefois, il apparaît que les contrats en question ont été passés à un moment où les anticipations d'une très forte progression du marché en termes de volume faisaient craindre que la capacité de lancement existante ne fût insuffisante pour faire face à la demande et n'aboutît de ce fait à une pénurie des services de lancement disponibles. Cette situation a poussé HSC à conclure des contrats d'achats en masse avec les fournisseurs de services de lancement, de façon à s'assurer la capacité disponible, rendant ainsi les offres de livraison en orbite basées sur ces accords à la fois moins coûteuses et plus sûres que d'autres contrats. Cela explique probablement pourquoi un si grand nombre de marchés de livraison en orbite passés avec HSC prévoyaient l'usage de lanceurs des entreprises avec lesquelles HSC avait signé des contrats d'achat en masse. Rien n'indique que la même situation pourrait se reproduire aujourd'hui: d'une part, en effet, il semble que du fait de récents échecs, les clients hésitent à conclure des contrats avec ces entreprises de lanceurs; d'autre part, comme indiqué aux considérants 72 à 74, le secteur des services de lancement souffre actuellement d'une importante surcapacité, de sorte que les prix sur le marché au comptant sont actuellement inférieurs à ceux obtenus précédemment par HSC grâce à ses accords d'achat en masse, et que la question de la disponibilité des lanceurs n'est plus considérée comme posant véritablement un problème.

(91) Enfin, il convient de noter que les risques liés à l'échec d'un lancement sont proportionnellement plus élevés pour les petits opérateurs de satellites, qui ne disposent en général que d'un ou deux satellites et risqueraient donc de faire faillite en cas d'échec, que pour les gros opérateurs, qui comptent plusieurs satellites en orbite. Cela tend à montrer que, si la puissance d'achat des gros clients est peut-être plus forte que celle des petits clients, ces derniers auront davantage intérêt à choisir soigneusement leur fournisseur de services de lancement et seront, par conséquent, encore plus prudents lorsqu'il s'agira de sélectionner le lanceur et de passer contrat pour les services de lancement.

(92) Au vu de ce qui précède, il semble que, à court terme, HSC disposera d'une marge de manœuvre très limitée pour persuader les clients de recourir à des lanceurs qui n'ont pas fait leurs preuves, comme Delta III et Sea Launch.À plus long terme, il est très probable que Boeing résoudra les problèmes de fiabilité qu'il connaît actuellement concernant l'offre de services de lancement et que, par conséquent, Boeing et Sea Launch seront considérés par les opérateurs de satellites comme offrant de bons services de lancement. Le succès des derniers vols de Sea Launch et de Delta III en est une indication supplémentaire. Toutefois, même dans ce cas, il apparaît que l'entité issue de l'opération de concentration ne sera pas en mesure de convaincre un nombre important de clients de passer aux lanceurs de Boeing ou de Sea Launch si telle n'était pas leur intention au départ.

(93) Le fait que même les concurrents sur le marché des services de lancement qui ont exprimé des préoccupations ont admis que, en l'absence de pouvoir de marché important sur les marchés des satellites, les effets décrits au considérant 82 ne pourraient se produire au bénéfice des parties à l'opération constitue une indication supplémentaire en ce sens. En outre, la Commission conclut de son appréciation du marché des satellites que HSC n'y détient pas de position dominante. L'expérience le confirme également. En effet, bien que Lockheed Martin exerce à la fois des activités de maîtrise d'œuvre de satellites et de lancement, rien ne montre qu'il ait été en mesure d'adopter le comportement décrit au considérant 82 à son propre avantage.

(94) On peut donc en conclure que si les parties se comportaient comme exposé ci-dessus, elles risqueraient avant tout que des ventes de satellites leur échappent, et que tout effet éventuel serait insuffisant pour retourner la situation actuelle sur le marché, caractérisée par les positions très fortes détenues aussi bien par ILS que par Arianespace. De même, le fait qu'ils est également présent dans les satellites et les services de lancement, et qu'il pourrait par conséquent reproduire tout comportement des parties en est une confirmation supplémentaire. Il s'ensuit que les effets décrits ne seront pas en soi suffisants pour créer ou renforcer une position dominante.

Effets boule de neiges éventuelles

(95) Des tiers ont indiqué que, en raison de l'importance des coûts fixes et de la surcapacité actuelle dans les services de lancement, il suffirait d'un petit nombre de lancements gagnés ou perdus pour modifier de manière spectaculaire leur position sur le marché. Ils ont notamment fait valoir qu'ils exerçaient déjà leur activité à un niveau proche du seuil de rentabilité, de sorte que même quelques pertes pourraient rendre leur activité déficitaire. Dans ce contexte, et du fait qu'aucune croissance importante du marché en volume n'est prévue, ces tiers ont affirmé que si l'opération envisagée les privait de plusieurs contrats, leur position concurrentielle s'en trouverait considérablement affaiblie tandis que leurs coûts augmenteraient.À l'inverse, ce même effet renforcerait la position de Boeing et entraînerait par conséquent la création d'une position dominante de cette entreprise sur le marché des services de lancement.

(96) En bref, selon ces tiers, il suffirait qu'ils perdent un nombre, même limité, de lancements pour que cela déclenche un effet boule de neige ayant des conséquences dévastatrices sur leur structure de coûts (et, à l'inverse, extrêmement favorables sur celle de Boeing), ce qui compromettrait leur position concurrentielle et améliorerait celle de Boeing dans une mesure telle que cela déboucherait sur la création d'une position dominante. Les tiers ont, à l'appui de cette théorie, insisté sur l'importance relative de l'amortissement des coûts fixes (qui, d'après certains d'entre eux, s'élèvent à 30 millions de dollars pour un prix moyen de lancement d'environ 100 millions de dollars), et sur le nombre limité de lancements de satellites qui ont lieu chaque année.

(97) Cette thèse semble toutefois être fondée sur un certain nombre d'hypothèses contestables. Il apparaît tout d'abord que la concurrence dans le secteur des services de lancement ne repose pas principalement sur le prix, mais plutôt sur la fiabilité. Les prix des services de lancement peuvent déjà varier sensiblement d'un fournisseur de services à l'autre. De ce point de vue, une hausse des coûts limitée ne semblerait pas produire les effets dévastateurs annoncés par les tiers.

(98) Deuxièmement, l'éventualité d'un effet boule de neige, tel que décrit par les tiers, dépend de manière capitale du maintien en l'état de la structure de coûts actuelle des tiers fournissant des services de lancement. Or, il apparaît que les concurrents (ILS et Arianespace, essentiellement) ont lancé des programmes de réduction des coûts, qui entraîneraient soit une diminution de capacité soit un renforcement de la compétitivité de l'entreprise de lanceurs.

(99) Troisièmement, les effets décrits sont limités aux ventes commerciales des entreprises concernées par l'opération envisagée. Or, les lancements commerciaux ne représentent pas la totalité des lancements, de sorte qu'une perte de compétitivité sur ce marché pourrait être largement compensée par l'obtention de nouveaux contrats sur le marché des lancements institutionnels.Cela est particulièrement vrai aux États-Unis, où les lancements institutionnels constituent une partie considérable de l'activité de Lockheed Martin et de Boeing dans les lancements. Dans ces conditions, et les services de lancement étant généralement considérés comme un secteur vital par les gouvernements concernés, qui financent dans une large proportion le développement des lanceurs (11), il ne fait guère de doute que si la compétitivité de Lockheed Martin ou d'Arianespace était en perte de vitesse, les gouvernements en question prendraient des mesures en vue de la rétablir.

(100) Quatrièmement, il est extrêmement douteux que le secteur des services de lancement puisse être monopolisé de la manière envisagée par les tiers, même si HSC devait adopter le comportement décrit au considérant 82. Étant donné que l'écart de prix entre une offre retenue pour l'attribution d'un marché et une offre rejetée est nettement moindre que l'amortissement des coûts fixes, si un fournisseur de lanceurs devait devenir moins compétitif en termes de coûts, il s'efforcerait d'abaisser ses prix, afin de se rattraper sur le volume et de récupérer au moins une partie de ses coûts fixes, plutôt que d'accepter de manquer un marché et de subir une perte plus importante. L'issue la plus vraisemblable est donc une intensification de la concurrence par les prix plutôt qu'une monopolisation du marché. Compte tenu de l'engagement des gouvernements dans leur secteur spatial respectif (la part du financement public dans le développement de nouveaux lanceurs n'en est qu'un indice parmi d'autres), cela ne ferait pas disparaître la concurrence effective exercée par les rivaux immédiats de Boeing et, partant, ne créerait pas de position dominante en faveur de Boeing.

(101) À la lumière des considérations qui précèdent, il apparaît que l'opération notifiée ne créera ni ne renforcera une position dominante sur les marchés des services de lancement ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans l'EEE ou une partie substantielle de celui-ci.

(102) La Commission note que les parties ont présenté, le 31 juillet 2000, certains engagements garantissant a) que toute information non publique relative aux lanceurs (ou aux satellites) que les fournisseurs de services de lancement de HSC (ou Boeing ou Sea Launch) pourraient recevoir ne sera pas fournie ni divulguée à Boeing ou à Sea Launch (ou à HSC); b) que HSC mettra les informations relatives à ses satellites à la disposition des autres fournisseurs de services de lancement en même temps qu'il les communiquera à Boeing ou à Sea Launch; c) que HSC coopérera avec des fournisseurs de services de lancement autres que Boeing ou Sea Launch pour l'intégration de ses satellites dans les lanceurs, sans pratiquer de discrimination en faveur de Boeing ou de Sea Launch, et d) que l'entité issue de l'opération de concentration et Hughes n'entretiendront pas de relation de "fournisseur privilégié".

V. CONCLUSION

(103) Au vu des considérations qui précèdent, l'opération envisagée ne créée pas ou ne renforce pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci. L'opération doit par conséquent être déclarée compatible avec le Marché commun en application de l'article 8, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations et avec le fonctionnement de l'accord EEE,

A arrêté la présente décision:

Article premier

L'opération de concentration notifiée, consistant en l'acquisition, par Boeing, des activités de Hughes dans le domaine de la maîtrise d'œuvre et des équipements de satellites [à savoir toutes les actions en circulation de HSC, toutes les actions en circulation de Spectrolab, les actifs de HED, et les participations minoritaires détenues par Hughes dans ICO Global Communications (Holdings) Ltd et dans Thuraya Satellite Telecommunications Private Joint Stock Co.] est déclarée compatible avec le Marché commun et le fonctionnement de l'accord EEE.

Article 2

The Boeing Company 7755 East Marginal Way South Seattle WE 98108, États-Unis est destinataire de la présente décision. À l'attention de M. Theodore J Collins Premier vice-président, droit et contrats.

(1) JO L 395 du 30.12.1989, p. 1. Rectificatif (JO L 257 du 21.9.1990, p. 13).

(2) JO L 180 du 9.7.1997, p. 1.

(3) JO C 53 du 28.2.2004.

(*) Certains passages du présent document ont été supprimés afin de ne pas publier d'informations confidentielles; ils figurent entre crochets et sont indiqués par un astérisque.

(4) JO C 66 du 2.3.1998, p. 25.

(5) Le chiffre d'affaires est calculé conformément à l'article 5, paragraphe 1, du règlement sur les concentrations et à la communication de la Commission sur le calcul du chiffres d'affaires (JO C 66 du 2.3.1998, p. 25). Dans la mesure où les montants se rapportent à la période antérieure au 1er janvier 1999, ils sont calculés sur la base des taux de conversion moyens de l'écu et convertis en euros sur une base de parité.

(6) Voir, par exemple, l'affaire COMP-M.1636 - MMS/DASA/Astrium, décision de la Commission du 21 mars 2000, non encore publiée.

(7) Voir l'affaire IV-M.437 - Matra Marconi Space/British Aerospace Systems, considérant 22, décision de la Commission du 22 août 1994, et l'affaire COMP-M.1636 - MMS/DASA/Astrium.

(8) Voir l'affaire COMP-M.1636 - MMS/DASA/Astrium.

(9) Aux fins de la présente affaire, on entend par "Europe occidentale" l'EEE et la Suisse (et donc tous les États membres de l'Agence spatiale européenne).

(10) Voir les affaires IV-M.1564 - Astrolink, décision de la Commission du 25 juin 1999 et COMP-M.1636 MMS/DASA/Astrium.

(11) Par exemple, les lanceurs Ariane sont généralement développés dans le cadre des programmes de l'Agence spatiale européenne; de même, le gouvernement Américain a largement financé le développement de chacun des lanceurs Delta IV et Atlas V par le biais de son programme "Evolved Expendable Launch Vehicle".