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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 22 mars 1996, n° 95-013110

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Salicis

Défendeur :

Bertrand Sud (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rognon

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

Me Nut, SCP Narrat-Peytavi

Avocats :

Mes Rouzeau, Bremard.

T. com. Corbeil-Essonnes, 2e ch., du 11 …

11 avril 1995

LA COUR, statue sur l'appel formé par Monsieur Gérard Salicis à l'encontre d'un jugement rendu le 11 avril 1995 par le Tribunal de Commerce de Corbeil-Essonnes qui a déclaré irrecevable l'opposition formée à une ordonnance prononcée le 29 juin 1993 sur requête en injonction de payer et qui maintenant les dispositions de ladite ordonnance, l'a condamné à payer à la société Bertrand Sud la somme de 42 243,97 F majorée des intérêts au taux légal courus à compter du 7 juin 1993 ainsi que celles de 40,86 F pour frais accessoires et de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure à la relation exacte qu'en ont fait les premiers juges; il suffit de rappeler que les parties ont conclu deux contrats d'approvisionnement exclusifs en diverses boissons et qu'en contrepartie de cette exclusivité, le fournisseur la société Bertrand Sud a consenti une participation publicitaire dont le montant a fait l'objet d'une demande de remboursement partiel.

Les premiers juges n'ont pas examiné le fond du litige du fait qu'ils ont constaté que M. Salicis n'avait pas formé opposition dans le délai légal d'un mois ayant suivi la signification de l'ordonnance rendue sur requête en injonction de payer.

Ayant sommé à plusieurs reprises l'avoué de la société Bertrand Sud de lui communiquer la copie de cette signification, Monsieur Salicis appelant soutient que celle-ci n'a pas été délivrée à sa personne, prie la cour d'en prononcer la nullité, et de le déclarer recevable en son opposition; sur le fond du litige, il conclut au prononcé de la nullité des contrats des 8 juin 1989 et 16 mars 1990 en raison de l'absence de détermination des prix des marchandises, et du non-respect du règlement d'exemption CEE n° 1984-83, le contrat du 16 mars 1990 ayant été conclu pour une durée supérieure à cinq ans; il demande subsidiairement à la cour de constater que la société Bertrand Sud a rompu "unilatéralement et abusivement" le contrat d'approvisionnement exclusif, de mettre à néant l'ordonnance, de la décharger de toutes condamnations et de condamner la société Bertrand Sud à lui régler la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts outre celle de 10 000 F sur le fondement de l'application de l'article 700 du NCPC.

La société Bertrand Sud, intimée, demande de rejeter comme nouvelle la demande en nullité de l'acte de signification, de dire valable celle-ci, de déclarer l'opposition irrecevable, de confirmer le jugement entrepris en condamnant l'appelant à lui régler la somme de 5 000 F au titre de ses frais irrépétibles; à titre subsidiaire, elle conclut à la validité des contrats et demande à la cour de dire que Monsieur Salicis a manqué à ses obligations d'approvisionnement exclusif et de le condamner au paiement des sommes admises par le tribunal; à titre subsidiaire, au cas où la nullité serait prononcée, de condamner Monsieur Salicis à lui rembourser la somme de 82 000 F HT.

A ces fins, l'intimée soutient que la demande en nullité de la signification est irrecevable du fait qu'elle a été formée pour la première fois en appel, que l'opposition est irrecevable comme formée au-delà du délai ayant couru à compter de la signification, que l'indétermination du prix des marchandises devant être commandées en exécution du contrat de fourniture exclusive n'est pas une cause de nullité de celui-ci et que la durée excédant 5 ans de l'un des contrats ne l'est pas non plus, puisque le contrat est soumis à la loi interne du 14 octobre 1943 qui interdit une durée supérieure à 10 ans.

Sur ce LA COUR

1°) Sur la recevabilité de la demande qui tend à faire constater la nullité de la signification:

Considérant que cette demande formulée pour la première fois en appel n'est pas irrecevable puisqu'elle tend à faire écarter la fin de non recevoir tirée par la société Bertrand de la tardivité de l'opposition consécutive à la signification, ce qui entre dans le champ d'application de l'article 564 du NCPC;

2°) Sur la validité de la signification:

Considérant qu'en dépit de la sommation de communiquer à elle délivrée le 4 décembre 1995 et réitérée le 12 décembre 1995, la société intimée n'a pas communiqué en original la signification de l'ordonnance rendue sur requête en injonction de payer;

Considérant qu'à défaut de production de cette pièce sur laquelle repose la recevabilité de l'opposition, il y a lieu de dire que la société Bertrand ne rapporte pas la preuve de la fin de non recevoir qu'elle soulève; que du fait de cette absence de communication, la cour ne peut vérifier l'exactitude des constatations des premiers juges concernant le mode de délivrance de la signification;

Que l'opposition s'avère en conséquence recevable, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la nullité de la signification susvisée;

3°) Sur la validité des deux conventions:

Considérant que les conventions respectivement passées les 8 juin 1989 et 16 mars 1990 prévoyaient la conclusion de contrats de ventes de marchandises ultérieures;qu'il s'ensuit que l'indétermination du prix de ces denrées dans ces conventions, n'affecte pas la validité de celles-ci, Monsieur Salicis n'invoquant pas en l'espèce l'abus commis par la société Bertrand dans la fixation du prix;

Considérant que pour ce qui concerne la nullité du contrat tirée de sa durée supérieure à cinq ans (en l'espèce 7 ans), cette convention passée le 16 mars 1990 est un contrat d'achat exclusif de bières, eaux minérales, jus de fruits et sodas; qu'il s'agit d'un contrat susceptible de bénéficier de l'exemption prévue par le règlement n° 1984-83 de la Commission des Communautés européennes du 22 juin 1983, sous réserve de l'application de l'article 8 dudit règlement qui exige en un tel cas en son 1) c) que la durée du contrat n'excède pas cinq ans;

Considérant que comme le prévoit expressément la communication de la Commission prise le 13 mai 1992 à la suite de la décision Delimitis c/ Henniger rendue le 28 janvier 1991 par la Cour de Justice, les accords litigieux doivent être considérés en l'espèce comme des accords d'importance mineure non susceptibles d'annulation telle que prévue par le paragraphe 2 de l'article 85 du traité de Rome modifié, puisqu'ils répondent aux trois conditions cumulatives suivantes: la part du marché de la société Bertrand n'excède pas 1 % du marché national de la revente de bière dans les débits de boissons, la société Bertrand ne produit pas plus de 200 000 hectolitres de bière par an et l'accord n'est pas conclu pour une durée supérieure à sept ans et demi; que l'annulation n'est pas davantage encourue du chef de la législation nationale;

Considérant que l'autre contrat d'approvisionnement en café, conclu pour 4 ans répond aux mêmes critères; qu'il n'est donc pas susceptible d'être annulé;

4°) Sur les demandes en paiement et sur les causes de la résiliation du contrat:

Considérant que chacune des parties impute à l'autre la responsabilité de la rupture des contrats litigieux, la société Bertrand reprochant à M. Salicis d'avoir cessé de s'approvisionner auprès d'elle et d'avoir contrevenu à son obligation d'approvisionnement exclusif, et M. Salicis soutenant que la société Bertrand lui a refusé livraison des marchandises commandées;

Considérant qu'à l'appui de ces allégations, les parties ne versent aux débats aucune pièce permettant de démontrer pourquoi les ventes de denrées ont progressivement chuté entre 1990 et 1993 et pourquoi les livraisons ont cessé à partir du deuxième trimestre 1993; qu'il convient donc de constater seulement que l'approvisionnement a cessé, à partir de cette époque et d'en tirer les conséquences au regard des clauses des contrats;

Considérant qu'à moins de démontrer ce dont elle s'abstient, que dès la fin de 1992, la chute des commandes de denrées, avait pour cause le non-respect par M. Salicis de la clause d'approvisionnement exclusif, la société Bertrand n'était pas autorisée à facturer le 11 janvier 1993 les montants des amortissements restant à courir jusqu'à l'expiration des contrats;qu'une telle facturation a en l'espèce constitué la manifestation non équivoque de sa volonté d'interrompre l'exécution du contrat, fait qui ne correspond pas au cas prévu au dernier alinéa de chacun des contrats qui permet le remboursement susvisé "dans le cas où le client cesserait de s'approvisionner à la société Bertrand dans les conditions ci-dessus";

Qu'il y a lieu en conséquence de dire que la résiliation fautive des contrats par la société Bertrand, interdit à cette dernière de réclamer le montant de la clause pénale;qu'il échet en conséquence d'infirmer la décision entreprise et de débouter cette société de ses demandes en paiements lesquelles ne comprennent pas le prix de denrées livrées;

Considérant qu'à défaut d'exprimer en quoi la résiliation des contrats lui a causé un préjudice, M. Salicis sera débouté de sa demande de ce chef;

Considérant que la société intimée qui succombe et qui sera condamnée aux dépens ne peut utilement prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant qu'en revanche, l'équité commande de faire au profit de l'appelant une application de ce texte, en fixant une indemnité de 6 000 F;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme en toutes ses dispositions la décision déférée; Et statuant de nouveau - Déclare recevables la demande d'annulation de l'acte de signification de l'ordonnance prise sur requête en injonction de payer, ainsi que l'opposition formée contre la même ordonnance; - Déboute M. Salicis de sa demande tendant à voir constater la nullité des contrats passés les 8 juin 1989 et 16 mars 1990; - Constate que la société Bertrand a rompu unilatéralement les contrats d'approvisionnement exclusif; - La déboute en conséquence de ses demandes et déboute M. Salicis de sa demande en dommages-intérêts; Et y ajoutant Condamne la société Bertrand Sud à régler à M. Salicis la somme de 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les parties de leurs demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue; Condamne la société Bertrand Sud aux dépens de première instance et d'appel, et admet pour ces derniers, Me B. Nut, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.