Livv
Décisions

CA Chambéry, ch. com., 17 février 2004, n° 99-01418

CHAMBÉRY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Volkswagen France (SA)

Défendeur :

Meynet (ès qual.), Blanchard (ès qual.), Annecy automobile diffusion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avoués :

SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, SCP Fillard-Cochet-Barbuat

Avocats :

SCP Vogel & Vogel, SCP Gosset & Ecuvillon.

TGI Annecy, ch. com., du 30 mars 1999,

30 mars 1999

La société SA Annecy automobile diffusion (AAD) constituée en juillet 1991 a commencé son activité en février 1992 après avoir signé le 17 février 1992 un contrat de concession à durée indéterminée avec la société Seat France, devenue VAG France puis la SA Volkswagen France. Il s'agissait d'un contrat exclusif d'importation et revente des produits Seat sur un territoire défini.

La SA AAD exerçait son activité dans un bâtiment loué à la SCI Ange et financé par un crédit-bail consenti par la SDR Batimur à la SCI Ange. Cette société n'ayant pas été réglée de ses loyers, a été placée en liquidation judiciaire puisqu'elle s'est trouvée elle-même dans l'impossibilité de rembourser Batimur.

Par ailleurs, en raison de la dégradation de sa situation financière, la SA AAD a été conduite à déposer le bilan le 1er décembre 1995 et mise en redressement judiciaire le 5 décembre 1995.

Maître Robert Meynet et Maître Jean Blanchard, respectivement commissaire à l'exécution du plan et représentant des créanciers de la SA AAD estimaient que sans l'appui de la société VAG France, la SDR Batimur n'aurait jamais pu accorder un financement disproportionné avec les capacités de la SU Ange. Ils soutenaient que la société Seat avait dirigé l'installation de la SA AAD en sa qualité de concédant, l'avait conseillée pour sa gestion, l'avait appuyée de façon décisive pour le montage du crédit-bail immobilier et avait continué à la livrer alors qu'elle savait sa créance non réglée et l'exploitation manifestement déficitaire.

C'est dans ces conditions que par actes des 28 mai et 3 juin 1997, ils ont assigné la SA Volkswagen France et la SA Batimur, pour voir dire que la SA Volkswagen France a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité, fautes qui sont à l'origine d'un préjudice subi par la demanderesse, égal au montant de son passif soit 15 390 948,14 F.

Après avoir écarté les moyens tirés de l'existence d'une gestion de fait ou d'un soutien abusif, le Tribunal de grande instance d'Annecy statuant en matière commerciale a, le 30 mars 1999, notamment:

- condamné la SA Groupe Volkswagen France à payer à Maître Robert Meynet et Maître Jean Blanchard ès-qualités la somme principale de 7 149 986,79 F à titre de dommages-intérêts outre intérêts au taux légal à compter du 28 mai 1997, en considérant que cette société avait commis une faute dans la conclusion du contrat en fournissant au concessionnaire des analyses prévisionnelles erronées qui ont eu un caractère déterminant dans l'élaboration et la mise en œuvre du projet,

- sursis à statuer sur le surplus de la demande principale, dans l'attente de l'intervention d'une décision définitive sur l'admission de la créance déclarée (8 240 961,35 F) de la SA Batimur au passif de la SA AAD.

La SA Volkswagen France a interjeté appel de cette décision le 12 juin 2002.

Par arrêt prononcé le 15 octobre 2002, la cour a notamment:

- déclaré irrecevables les demandes de Me Blanchard, en qualité de représentant des créanciers,

- déclaré irrecevables les demandes dirigées contre la société Groupe Volkswagen France sur le fondement de l'article 1382 du Code civil en ce qu'elles sont fondées sur sa qualité de dirigeant de fait,

- confirmé le jugement en ce qu'il a mis hors de cause la société Batimur,

- Confirmé également le jugement en ce qu'il a écarté le grief de soutien abusif formulé contre la société Seat France aux droits de laquelle se trouve la société Groupe Volkswagen France,

- dit qu'il n'y a pas eu non plus, de la part de la société Seat France, immixtion fautive dans la gestion de la société Annecy Automobile Diffusion,

- avant-dire droit sur le grief relatif au caractère erroné des études prévisionnelles, invité les parties à s'expliquer sur l'application en la cause des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce.

La SA Groupe Volkswagen France, dans ses dernières conclusions du 10 décembre 2003 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions, moyens de fait et de droit, conclut à l'infirmation du jugement et demande notamment à la cour:

- de constater que l'action de Me Meynet ès-qualités est prescrite,

- de dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute dans l'établissement des études prévisionnelles,

- subsidiairement qu'elle n'a commis aucune faute dans l'établissement des études prévisionnelles, et qu'elle a rempli ses obligations en ce qui concerne l'information pré-contractuelle.

Me Meynet dans ses dernières écritures du 11 décembre 2003 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions, moyens de fait et de droit, demande que, sur le fondement des articles 1382 du Code civil et L. 330-3 du Code de commerce, la SA Groupe Volkswagen France soit notamment condamnée à lui verser ès-qualité la somme à parfaire, eu égard à l'absence de vérification définitive du passif, de 2 346 334,92 euros (15 390 948,15 F), outre intérêts au taux légal à compter de la date d'expertise.

Sur ce:

Sur le moyen soulevé par la SA Groupe Volkswagen France tiré de la prescription:

L'appelante expose que Me Meynet n'a jamais fondé son action sur une éventuelle déficience de l'information pré-contractuelle prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce. Elle soutient par ailleurs qu'elle n'était pas tenue en vertu de ce texte de mettre à disposition de sa co-contractante des études prévisionnelles et elle conclut de ces prémisses que l'action engagée sur ce fondement par des conclusions déposées en avril 2003 est prescrite en application de l'article L. 110-4 du Code de commerce, le contrat ayant été conclu en 1992.

Mais, comme le soutient à raison l'intimée, le point de départ de la prescription ne peut être la date de conclusion du contrat mais celle à laquelle le dirigeant de la SA AAD a eu conscience du caractère éventuellement erroné de tout ou partie de l'information pré-contractuelle.

Le contrat de concession a été signé le 17 février1992. Or, dès la fin de cette année, il est apparu que le nombre de véhicules vendus (132 pour 10 mois et demi d'activité) était très inférieur aux prévisions critiquées selon lesquelles, dès le premier exercice, 270 véhicules pouvaient être vendus sur 12 mois.

Le responsable de la société, Mme Cheveu d'Or, disposait donc de l'information simple et claire lui permettant de douter de la fiabilité en tout cas sur ce point de l'étude de marché et d'envisager éventuellement une action judiciaire après consultation d'un spécialiste. Elle n'a pas agi en ce sens car elle n'a manifestement jamais eu le sentiment d'avoir été trompée. En effet, comme cela a déjà été relevé dans l'arrêt susdit, Mme Cheveu d'Or écrivait le 2 février 1995 à la société Seat France, une lettre ainsi rédigée: "la malchance a voulu que nous commencions cette activité en pleine crise du marché automobile, alors que tous nos projets basés sur les prévisionnels de Seat France et selon les normes préconisées étaient calculés sur un volume de 300 VN bien que notre prédécesseur (Groupe Maurin) ait réalisé 104 VN à 0,94 % de pénétration.. S'il vous plaît, ne laissez pas la marque s'effondrer sur le secteur pour la 3e fois, après le travail que nous avons fait pour reconstituer le fonds de commerce".

Il est donc établi que dès la fin de l'année 1992, la responsable de SA AAD qui n'estimait manifestement pas avoir été induite en erreur, était en tout cas en possession de l'information lui permettant éventuellement d'engager l'action fondée sur l'article L. 330-3 du Code de commerce,

Il convient en conséquence de constater l'irrecevabilité de ce chef de demande.

Sur la demande fondée sur l'article 1382 du Code civil la faute invoquée tenant au caractère erroné des études prévisionnelles:

Il importe de rappeler que la cour a déjà statué sur ce chef de demande en considérant que la société Seat n'avait commis aucune faute en établissant les prévisions litigieuses.

En effet de telles prévisions présentent par nature une part d'aléa, et les époux Cheveu d'Or, principaux associés et dirigeants successifs de la société AAD, étaient bien placés, compte-tenu des fonctions antérieurement exercées par Mme Cheveu d'Or à un poste de responsabilité du service marketing de la société concédante, pour apprécier le risque qu'ils prenaient, même s'ils ne possédaient pas une vue d'ensemble aussi affinée de l'implantation de la marque et des possibilités de pénétration du marché. Cette conscience du risque ressort clairement de la lettre susdite et du fait que jamais les époux Cheveu d'Or, au cours de leur exploitation, n'ont reproché à la société Seat France de les avoir induits en erreur; puisqu'au contraire, à plusieurs reprises, ils l'ont remerciée de sa compréhension et de son soutien.

Il convient en conséquence d'infirmer sur ce point le jugement.

Par ces motifs: Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Vu l'arrêt rendu le 15 octobre 2002, infirme le jugement en ce qu'il a: * condamné la SA Groupe Volkswagen France à des dommages et intérêts au titre d'études prévisionnelles erronées, * sursis à statuer sur le surplus de la demande principale, dans l'attente de l'intervention d'une décision définitive sur l'admission de la créance déclarée de la SA Batimur au passif de la SA AAD; * condamné la SA Groupe Volkswagen France aux dépens et au paiement d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC, Statuant à nouveau, Déclare irrecevable la demande dirigée contre la SA Groupe Volkswagen France sur le fondement des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce; Déboute la SA Groupe Volkswagen France, Maître Meynet et Maître Blanchard ès-qualités de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne Maître Meynet, ès-qualités, en tous les dépens d'appel et de première instance comprenant notamment les frais d'expertise, dont distraction au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon, avoués, en application des dispositions de l'article 699 du NCPC.