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Décisions

CA Paris, 15e ch. B, 24 octobre 1991, n° 89-10094

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Victor Hugo (SA)

Défendeur :

SOPADIBO (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gourlet

Conseillers :

Mme Jaubert, M. Betch

Avoués :

Mes Lecharny, SCP Fanet

Avocat :

Me Laredo.

CA Paris n° 89-10094

24 octobre 1991

Aux termes d'une convention conclue le 28 juin 1979 avec la société SOPADIBO, la société Victor Hugo s'est engagée pour six ans à écouler au moins 900 hl de bières et de ne débiter que des bières, limonades, sodas, colas, eaux minérales, cidres, sirops et jus de fruits provenant de la société SOPADIBO. Cette dernière s'est en contrepartie portée caution de la société Le Victor Hugo pour garantir le remboursement d'un prêt consenti par le CIC et a pris en charge le coût de différents investissements (25 045 F).

La société Le Victor Hugo a cessé ses approvisionnements le 10 décembre 1984.

Par jugement du 27 janvier 1986 le Tribunal de commerce de Paris a:

- dit que la clause d'expertise en cas de désaccord sur le prix des produits insérée au contrat s'appliquait à l'ensemble des produits fournis par la société SOPADIBO le rendait déterminable; qu'était donc valable le contrat conclu,

- constaté la résiliation fautive par la société Le Victor Hugo de ce contrat et, avant dire droit sur le montant du préjudice subi, désigné en qualité d'expert M. Le Guen.

Après dépôt du rapport et par nouvelle décision du 28 novembre 1988, le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Le Victor Hugo à payer à la société SOPADIBO les sommes de 98 204,68 F et 22 048,67 F, outre 4 300 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

La société Le Victor Hugo a interjeté appel de ces deux décisions et les dossiers ont fait l'objet d'une jonction.

Sans contester la cessation en décembre 1984 de son approvisionnement l'appelante fait valoir:

- que le contrat conclu est nul puisque la détermination du prix à dire d'expert n'a été prévue que pour les fournitures de bières et non pour les autres produits,

- que son engagement portant sur le débit de 900 hl de bières ne pouvait se réaliser qu'avec la poursuite du contrat d'exclusivité pendant une durée de 16 ans, délai illicite selon les dispositions limitatives de la loi du 14 octobre 1943 et de l'ordonnance du 30 juin 1945,

- que dans ces conditions la clause pénale insérée dans la convention se trouve frappée par la nullité de celle-ci,

- qu'enfin il ressort du rapport d'expertise déposé que la société SOPADIBO n'a pas été en mesure de produire les éléments propres à établir son préjudice et que celui-ci a été chiffré par l'expert d'une manière approximative ou imprécise.

Elle conclut à l'infirmation des décisions déférées avec constat de la nullité de la convention du 28 juin 1979 et du défaut de justification du préjudice allégué, au rejet de la demande en paiement de la somme de 22 048,67 F correspondant au remboursement du coût des investissements non amortis et à l'attribution d'une somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Subsidiairement, la société Le Victor Hugo demande la limitation à 33 531,06 F du montant des dommages-intérêts éventuellement dus.

La société SOPADIBO s'oppose à ces prétentions en soutenant que c'est à la suite d'une interprétation fallacieuse des dispositions du contrat que la société Le Victor Hugo conclut à l'indétermination du prix des produits autres que les bières,

que cette société ne peut critiquer les conclusions de l'expert sur le montant du préjudice dès lors qu'elle n'a elle-même pas été en mesure de produire ses factures antérieures à 1985,

qu'elle ne peut enfin arguer des dispositions de la loi du 14 octobre 1943 pour soutenir l'illicéité du contrat puisque c'est elle-même, l'intéressée par les contreparties apportées par la clause d'exclusivité, qui a indiqué les quantités minimales de bières qu'elle était susceptible d'écouler et qu'elle ne peut soutenir non plus que la prise en charge opérée du coût de certains investissements a été remboursée,

La société SOPADIBO conclut à la confirmation des décisions déférées avec attribution d'une somme de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Cela exposé:

Considérant que la société Le Victor Hugo soutient que seul le prix des fournitures de bières est déterminable à dire d'expert selon la convention conclue et que celle-ci qui prévoit la fourniture d'autres produits doit être déclarée nulle pour indétermination du prix de ces boissons,

Il ressort des termes du contrat qu'il a eu pour objet tant la fourniture de bières que celle de "limonades, sodas, colas, eaux minérales, cidres, sirops et jus de fruits" qui n'y ont pas fait l'objet d'un sort contractuel distinct et se sont trouvés annoncés comme le complément inéluctable de la fourniture de bières seule quantifiée;

Considérant que dans ces conditions la détermination du prix à dire d'expert a nécessairement été entendue non seulement pour la bière mais également pour les autres boissons couvertes par l'approvisionnement exclusif, cette volonté, peu contestable, se trouvant en outre traduite par la lettre même du contrat prévoyant le recours à cette procédure à défaut d'accord "sur le prix des produits";

Considérant que la nullité de la convention pour indétermination du prix ne peut être valablement soutenue;

Considérant que si la société Le Victor Hugo affirme encore que cette convention serait illicite en regard des dispositions de la loi du 14 octobre 1943 comme emportant obligation, compte tenu des quantités à écouler, à une durée de plus de dix ans, il apparaît à l'examen des documents produits que la société SOPADIBO n'était pas, en juin 1979, le fournisseur de la société Le Victor Hugo et ne disposait donc pas de la faculté d'évaluer la capacité d'écoulement offerte par celle-ci;

qu'ainsi le volume annoncé (900 hl) n'a pu être que celui promis par l'appelante peut-être optimiste mais sans doute pas insensible aux contreparties financières qu'à cette époque elle en retirait;

Considérant que l'illicéité alléguée ne peut davantage être retenue, l'erreur d'estimation de la société Le Victor Hugo n'étant pas de nature à modifier le délai de six ans convenu à la conclusion du contrat;

Considérant qu'il ne peut être contesté que la société Le Victor Hugo a unilatéralement et sans motif établi mis un terme à ses approvisionnements dès le 10 décembre 1984 et que la résiliation du contrat est de son fait;

que si elle excipe de l'insuffisance des documents comptables remis à l'expert, il ressort du rapport déposé qu'en 1987 elle n'était déjà plus elle-même en mesure de lui fournir ses pièces comptables antérieures à l'exercice 1985 ce, à ses dires, à la suite d'un changement d'actionnaires et de son président-directeur général; qu'elle est donc mal venue à discuter le mode opératoire adopté par l'expert ou les critères d'évaluation utilisés par lui;

Considérant que M. Le Guen a réuni les éléments permettant d'établir le préjudice subi par la société SOPADIBO à partir d'une marge moyenne appliquée au chiffre d'affaires perdu (322 737 F HT) par celle-ci tant en raison de l'insuffisance d'approvisionnement que de la rupture prématurée du contrat que, la société SOPADIBO n'ayant pas fourni à l'expert le niveau de cette marge et celui-ci évoquant, mais l'évoquant seulement, pour exemple, une marge de 20 % il convient à partir de ces éléments de limiter, pour tenir compte du refus par la société SOPADIBO de fournir le chiffre de sa marge brute et par là de son acceptation de la limitation que ce refus peut entraîner de fixer à 30 000 F seulement le montant du préjudice subi à ce titre par la société SOPADIBO;

Considérant que la créance de cette dernière au titre des investissements dont elle a avancé le prix et restés non amortis est justifiée à hauteur de 22 048 F par les pièces produites aux débats;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, LA COUR: Confirme le jugement rendu le 27 janvier 1986, Réformant partiellement le jugement rendu le 28 novembre 1988 et seulement sur le montant des condamnations principales prononcées, Condamne la société Le Victor Hugo à payer à la société SOPADIBO la somme globale de 52 048 F, Rejette toutes demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Le Victor Hugo aux dépens et admet l'avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.