CA Rennes, 3e ch. corr., 6 mars 2003, n° 02-00517
RENNES
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chavin
Avocat général :
Mme Fiasela- Le Braz
Conseillers :
Mme Antoine, M. Lourdelle
Avocats :
Mes Thomas-Belliard, Marville,
LE JUGEMENT:
Le Tribunal correctionnel de Morlaix par jugement contradictoire en date du 22 novembre 2001, pour
commercialisation ou distribution sans autorisation de mise sur le marché de médicament, spécialité pharmaceutiques générateur, trousse ou précurseur
a déclaré Monsieur G Ricardo coupable des faits qui lui sont reprochés ,l'a dispensé de peine en application de l'article 132-59 du Code pénal
pour
complicité de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise
a condamné P Gérard à 50 000 F d'amende dont 40 000 F avec sursis
pour
exercice illégal de la pharmacie,
préparation, importation ou distribution de médicaments à usage humain sans respect des bonnes pratiques
direction d'une entreprise comportant un établissement pharmaceutique sans pharmacien délégué
tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise
a condamné P Marcel à 100 000 F d'amende dont 80 000 F avec sursis.
LES APPELS:
Appel a été interjeté par:
M. le Procureur de la République, le 23 novembre 2001 à titre principal contre Monsieur P Marcel, Monsieur P Gérard, Monsieur G Ricardo
Monsieur P Marcel, le 4 décembre 2001 à titre incident
Monsieur P Gérard, le 6 décembre 2001 à titre incident
LA PREVENTION:
Considérant qu'il est fait grief aux prévenus:
Marcel P:
- d'avoir à Saint Martin des Champs de 1998 à 2000, effectué sciemment des opérations réservées aux pharmaciens sans réunir les conditions exigées pour l'exercice de la pharmacie, en l'espèce en fabriquant et commercialisant de l'éosine, par ailleurs non conforme à la composition légale puisque contenant un conservateur "thiomersal"
Faits prévus et réprimés par les articles L. 4223-1, L. 4211-1, L. 4221-1, L. 4223-3 al. 1 du Code de la santé publique;
- d'avoir à Saint Martin des Champs de 1998 à 2000, préparé, importé ou distribué des médicaments à usage humain sans respect des bonnes pratiques, en l'espèce en ayant un laboratoire dont la salle de prélèvement, le poste de transfert et la tabla d'accumulation des flacons vides ne sont pas ventilés, en exerçant l'activité sans responsable de pharmacovigilance ou en l'absence de pharmacien intérimaire;
Faits prévus et réprimés par les articles L. 5421-1, L. 5121-5, L. 5111-1, L. 5421-7 al. 2 du Code de la santé publique, article 1 de l'arrêté ministériel du 10 mai 1995.
- d'avoir à Saint Martin des Champs de 1998 à 2000, dirigé une entreprise comportant un établissement pharmaceutiques sans pharmacien délégué;
Faits prévus et réprimés par les articles L. 5423-2, L. 5124-1, L. 5423-7 al.2, L. 5124-2 al.3, al. 4 du Code de la santé publique;
- d'avoir à Saint Martin des Champs de 1998 à 2000, été l'auteur d'une tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, en l'espèce de l'éosine en lui ajoutant un conservateur nommé "thiomersal"
Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;
Gérard P:
- d'avoir à Saint Martin des Champs de 1998 à 2000, été complice d'une tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, en l'espèce de l'éosine en lui ajoutant un conservateur nommé "thiomersal", tromperie commise par P Marcel, en ayant en tant que directeur administratif, approvisionné la société en thiomersal;
Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;
Ricardo G:
- d'avoir à Saint Martin des Champs de 1998 à 2000 commercialisé ou distribué sans autorisation de mise sur le marché un médicament, une spécialité pharmaceutique, un générateur, une trousse ou un précurseur, en l'espèce en ayant mis sur le marché un produit le "Z" non conforme à son autorisation de mise sur le marché puisqu'il ne contenait pas le taux de flavanoïdes prévu dans le document ;
Faits prévus et réprimés par les articles L. 5421-2, L. 5121-8, L. 5111-1, L. 5111-2, L. 5121-1 8, 9°, 10°, L. 5421-7 al. 2 du Code de la santé publique;
EN LA FORME:
L'appel principal du Ministère Public, contre les 3 prévenus et les appels incidents de MM. Marcel et Gérard P sont réguliers et recevables en la forme,
AU FOND:
Il ressort du dossier et des débats les éléments suivants:
Alertée par un courrier adressé le 14 décembre 1999, par M. Ricardo G, ancien pharmacien de la société et le rapport d'inspection établi à la suite d'une inspection diligentée les 16 et 17 septembre 1999, dans les locaux de X (laboratoire du mercurochrome), situés à Saint Martin des Champs, l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, avisait M. le Procureur de la République de Morlaix d'un certain nombre de faits susceptibles de constituer des infractions pénales.
L'enquête était confiée aux gendarmes de la brigade territoriale de Plourin.
De cette enquête et des constatations des contrôleurs de l'agence française de sécurité sanitaire, il en résultait les éléments suivants:
La société X, société à responsabilité limitée, appartient à un groupe exploité par la famille P.
X, gérée par Marcel P bénéficiait d'une autorisation en date du 4 septembre 1998, délivrée par l'agence française de sécurité sanitaire pour exercer une activité pharmaceutique (vente et production de spécialités pharmaceutiques).
Entre autre produits, l'entreprise fabriquait le Z, solution buvable, sédative et apaisante selon le Vidal, constituée à partir d'éléments actifs, appelés Flavonoïdes, extraits des baies d'aubépines.
Remboursé par la sécurité sociale, le Z a fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché et sa diffusion se faisait en officine.
L'analyse d'échantillons mettait en évidence un taux de Flavonïdes inférieur à celui prévu : soit 0,03 % pour une norme située entre 0,05 % et 0,08 % selon le bulletin d'analyse notifié le 3 mai 2000.
La visite des locaux mettait en évidence l'absence de ventilation par air filtré des lignes de fabrication.
Constatant également, lors du contrôle initial, que le contrat à durée déterminée de Ricardo G, pharmacien prenait fin le 30 septembre 1999 et que Marcel P n'avait pas procédé à son remplacement, malgré mise en demeure, une décision de suspension d'autorisation d'ouverture de l'établissement pour une durée de 1 an était prise le 16 février 2000;
En mars 2000, M. Baillet, missionné par l'agence se rendait sur place pour vérifier qu'aucune activité pharmaceutique ne s'y déroulait.
Selon les déclarations d'Olivier P, autre fils de la famille travaillant dans le groupe, la ligne sur laquelle était fabriqué le Z avait servi depuis lors à fabriquer de l'éosine aqueuse, à 2 % destinée à être vendue, via une société du groupe, en grande surface. Ce produit dit "frontière" est généralement considéré comme un médicament.
Une analyse de ce produit, à partir d'un échantillon provenant d'un magasin Champion de Roscoff qui en vendait, mettait par ailleurs en évidence la présence d'un conservateur appelé Thiomersal sans que cet additif figure sur l'étiquette.
Placé en garde à vue le 24 mai 2000, Marcel P niait, comme il le fera tout au long de la procédure, toute responsabilité pénale de sa part.
Pour lui la non-conformité du Z, tout comme les manquements constatés en septembre 1999 aux "bornes pratiques" sont imputables à Ricardo G, l'éosine n'est pas un médicament mais un produit cosmétique qu'il peut donc commercialiser, sans être pharmacien. S'agissant de ce dernier produit, l'ajout d'un conservateur ne constitue pas une tromperie.
Son fils, Gérard P, administrateur de X et cadre administratif au sein de W, a reconnu, lors de son audition du 19 juin 2000 avoir été l'acquéreur auprès de la société Prolabo du conservateur trouvé dans l'éosine mais a réfuté, y compris lorsqu'il a été réentendu le 25 août 2000, toute responsabilité dans les fautes relevées.
Au vu des déclarations de Ricardo G, de Mme Janique Frostin, qui a tenu une liste de tous les dysfonctionnements constatés dans 3 carnets annexés à la procédure, de celles de Mmes Guillevic et Le Gall, respectivement ingénieur chimiste et aide chimiste, outre les déclarations de Mme Verhulst, qui avait, dans nu premier temps témoigné sous couvert de l'anonymat, les prévenus ont été renvoyés devant le tribunal pour y répondre des faits visés à la prévention.
A l'audience, le conseil de Marcel P sollicite le renvoi de l'affaire, compte tenu de l'état de santé de son client.
La cour, après avoir recueilli les observations des antres prévenus présents, du Ministère Public et en avoir délibéré, a décidé de disjoindre le cas de Marcel P, de renvoyer l'affaire, en ce qui le concerne à la date reprise au disposition et de ne retenir que les infractions reprochées à Gérard P et Ricardo G.
Mme l'Avocat général s'en rapporte à la sagesse de la cour, en ce qui concerne Ricardo G et requiert une aggravation de la peine, s'agissant de Gérard P.
Ricardo G, qui comparait seul, sollicite l'indulgence de la cour.
Arguant des délégations de pouvoir consenties aux responsables de production, de sou absence de connaissances dans le domaine commercial, de sa. propre sujétion à l'autorité du responsable de l'entreprise, Gérard P conclut à la relaxe, au moins en considération de l'absence d'élément intentionnel en ce qui concerne la complicité de tromperie qui lui est reprochée.
Sur quoi:
Sur la demande de renvoi:
Il résulte du certificat médical fourni, que l'état de santé de Marcel P fait obstacle à ce qu'il soit présent devant la cour. Il souhaite toutefois s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés.
Outre le caractère légitime de celte demande, il apparaît au vu des éléments du dossier pénal, que son audition peut se révéler primordiale compte tenu de son rôle prééminent au sein du groupe familial.
Eu égard aux infractions connexes reprochées à son fils et à l'ancien pharmacien de X, il y a lieu pour une bonne administration de la justice de faire droit à la demande de renvoi présentée par le prévenu malade, mais de retenir l'examen des infractions en ce qui concerne Gérard P et Ricardo G.
Sur l'infraction reprochée à Ricardo G:
Les faits, en ce qui le concerne, sont établis et reconnus.
Compte tenu de son attitude, durant l'enquête, du fait qu'il ne travaille plus à X, que, grâce à son intervention le trouble à l'ordre public et le préjudice causé aux consommateurs ont pu cessé, c'est à bon droit que les premiers juges l'ont déclaré coupable des faits visés à la prévention mais dispensé de peine.
Sur l'infraction reprochée à Gérard P:
Il ressort des propres déclarations du prévenu qu'il n'était employé que de la société W.
C'est à cette société qu'il est reproché la tromperie par adjonction d'un excipient ne figurant pas sur l'étiquette.
Il n'est nullement fait grief à Gérard P d'être l'auteur de cette tromperie.
En revanche il lui est reproché, ce qu'il reconnaît, d'avoir acheté le Thiomersal, conservateur ajouté à l'éosine, et d'avoir ainsi fourni à l'auteur principal les moyens de commettre la tromperie reprochée.
Professionnel dans le domaine du cosmétique, administrateur des sociétés familiales, Gérard P, qui savait l'utilisation qui serait faite du produit ainsi acquis(PV 217-00 Pièce 11 p. 3), ne peut arguer de l'absence d'élément intentionnel dans la commission de l'infraction,dès lors qu'il est établi parle dossier que les étiquettes étaient confectionnées, au vu de la composition du produit telle qu'elle était communiquée par le fabricant, voire commandées par W elle môme (Pièces n° 35, 36, 37 et 38 fournies par Gérard P).
Au surplus, outre que les délégations de pouvoir, dont fait état l'appelant ne figurent dans aucune pièce du dossier, il ressort des déclarations de l'ensemble des employés entendus lors de l'enquête pénale et des pièces mêmes fournies en défense (n° 40, 41 et 42) que Gérard P s'immisçait dans les secteurs qui ne ressortissaient pas du seul domaine de l'achat, dont il avait la maîtrise, à tel point que son père a été amené à interdire, par notes de service des 27 octobre 1997 et 5 mars 1999 au personnel de recevoir ses ordres et qu'il lui a été adressé un avertissement, le 27 septembre 1999, à raison de son comportement vis-à-vis du personnel.
Il ressort de ce qui précède que l'ensemble des éléments constitutifs de la complicité de tromperie par fournitures de moyens, reprochée à Gérard P, sont réunis.
Compte tenu de la gravité des faits, de leur impact dans un domaine qui touche à la santé des consommateurs, de l'attitude du prévenu, qui s'entête à nier sa responsabilité, contre l'évidence du dossier, ce. qui comporte un risque évident de récidive, il convient de lui adresser un sévère rappel à la loi et de le condamner à une peine d'amende de 7 000 euros.
Par ces motifs: LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de G Ricardo, P Gérard et de P Marcel; En la forme: Reçoit les appels, Au fond: Ordonne la disjonction des infractions reprochées à Marcel P, renvoie l'examen de l'affaire, en ce qui le concerne à l'audience de la cour du 19 juin 2003, à 16 H, Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré Ricardo G et Gérard P coupables des faits qui leur sont reprochés, Sur les peines: Condamne Gérard P à une peine d'amende de 7 000 euros; Prononce la contrainte par corps; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné; Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale; Confirme le jugement en ce qu'il a dispensé de peine Ricardo G; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable chaque condamné, Le tout en application des articles susvisés, 800-1 du Code de procédure pénale.