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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 24 septembre 1997, n° 97-12116

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Forum du livre (Sté)

Défendeur :

Fédération française des syndicats de libraires, Vallée

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tric

Conseillers :

Mmes Grzybek, Charoy

Avoués :

Me Olivier, SCP Fanet

Avocats :

Mes Bardèche, Jouy

TGI Paris, du 23 avr. 1997

23 avril 1997

Dans l'enceinte du Lycée de Bréquigny à Rennes, ont été distribués à des élèves, lors de la rentrée scolaire 1996, des bons faisant état d'un rabais de 15 % sur les livres scolaires à la librairie le Forum du livre.

Se prévalant des dispositions de l'article 1er de la loi du 10 août 1981 - qui fait obligation au détaillant de pratiquer un prix de vente au public compris entre 95 et 100 % du prix pratiqué par l'éditeur - et de l'article 7 de cette loi - interdisant toute publicité annonçant un prix de vente inférieur au prix de vente au public -, la Fédération française des syndicats de libraires et Mme Vallée, dont la librairie est située en face du Lycée de Bréquigny, ont demandé au juge des référés de mettre fin à ce trouble manifestement illicite. Elles précisaient que l'exception sur le taux de remise, prévue à l'article 3 de la loi précitée, n'était pas applicable dans la mesure où elle ne concernait que les associations facilitant l'acquisition des livres scolaires pour leurs membres.

La cour statue sur l'appel formé par la société Forum du livre contre une ordonnance de référé rendue le 23 avril 1997 par le Président du Tribunal de grande instance de Paris qui s'est déclaré compétent, a dit recevables les demandes présentées par la Fédération française des syndicats de libraires et qui a:

- fait défense à la société Forum du livre de vendre, sauf aux associations facilitant l'acquisition des livres scolaires pour leurs membres, ou d'exposer à la vente, des livres édités en France et n'ayant pas fait l'objet d'une réimportation, avec un rabais de plus de 5 % dans les huit jours de la signification de l'ordonnance, sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 500 F par infraction constatée,

- fait défense à la société Forum du livre, dans les mêmes conditions, de faire des publicités en infraction avec l'article 7 de la loi du 10 août 1981,

- condamné la société Forum du livre à payer à la Fédération française des syndicats de libraires la somme de 1 F en réparation de son préjudice et à Mme Vallée une indemnité provisionnelle de 15 000 F à valoir sur la réparation de son préjudice,

- désigné un expert, avec pour mission de rechercher si le chiffe d'affaires de Mme Vallée a baissé, donner son avis sur les causes possibles de cette baisse et fournir tous éléments utiles permettant de déterminer le préjudice éventuellement subi par cette dernière,

- condamné la société Forum du livre à payer à la Fédération française des syndicats de libraires et à Mme Vallée une somme de 6 000 F à chacune au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Autorisée à assigner à jour fixe, la société Forum du livre demande l'infirmation de cette décision en toutes ses dispositions. Précisant que les remises concernaient les membres des associations de parents d'élèves, elle fait valoir que :

1) la Fédération française des syndicats de libraires et Mme Vallée ne justifient ni de l'urgence ni d'un trouble à la date de l'assignation ni d'un dommage imminent,

2) il existe une contestation sérieuse sur les demandes des parties adverses, en ce qu'elles nécessitent une interprétation de l'article 3 de la loi du 10 août 1981, puisque pour trancher le litige il convient de dire si le rabais autorisé par cet article s'applique aux seules associations ou également à leurs membres pris individuellement,

3) elle n'a commis aucune infraction en ce qui concerne la publicité de ses rabais, les bons distribués aux élèves afin de leur faire connaître les remises sur les livres l'ayant été à l'initiative d'une association de parents d'élèves,

4) le dispositif de l'ordonnance doit être rectifié en ce qui concerne l'interdiction qui lui est faite car il ne tient pas compte des autres dérogations édictées par l'article 3 alinéa 2 et l'article 5 de la loi du 10 août 1981,

5) le préjudice subi par Mme Vallée n'est pas démontré.

La Fédération française des syndicats de libraires et Mme Vallée, intimées, concluent à la confirmation de l'ordonnance entreprise et sollicitent chacune une somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elles répliquent qu'il y a urgence à voir statuer avant la prochaine rentrée scolaire et que l'article 809 du nouveau Code de procédure civile n'impose pas qu'il y ait urgence et autorise le juge des référés à prescrire des mesures conservatoires même en cas de contestation sérieuse. Elles déclarent que l'article 3 de la loi du 10 août 1981 ne donne pas lieu à interprétation et que la matérialité des faits reprochés à l'appelante est établie.

Discussion:

Sur l'urgence :

L'assignation introductive d'instance demande la cessation du trouble manifestement illicite commis par la société Forum du livre. L'article 809 du nouveau Code de procédure civile, sur lequel se fonde cette demande, n'exige pas que l'urgence soit démontrée. Il est donc sans intérêt de rechercher s'il y avait ou non-urgence au jour de l'assignation, étant observé toutefois qu'il était légitime pour les intimées de vouloir que le litige soit tranché avant la rentrée scolaire de septembre 1997.

Sur la contestation sérieuse:

Le juge des référés peut ordonner des mesures en application de l'article 809 précité, même en cas de contestation sérieuse.

L'argument de la société Forum du livre selon lequel le juge des référés doit interpréter la loi dans le présent litige est improprement qualifié par elle de contestation sérieuse. Il s'agit en réalité de rechercher si le trouble est bien prévu par la loi et comme tel constitue un trouble manifestement "illicite".

Il s'ensuit que le moyen de l'appelante sur la portée de l'exception instaurée par l'article 3 de la loi du 10 août 1981 en faveur des associations n'est pas inopérant du seul fait de sa qualification erronée.

Sur le caractère illicite du trouble :

Le trouble manifestement illicite allégué par la Fédération française des syndicats de libraires et Mme Vallée consiste d'une part dans la pratique de taux de remise supérieurs à 5 % et d'autre part en une publicité interdite.

En ce qui concerne le taux de remise :

Les exceptions doivent être strictement interprétées.

L'article 3 de la loi du 10 août 1981 qui prévoit une exception à l'article 1er de la loi sur le prix du livre au bénéfice des associations - facilitant l'acquisition des livres scolaires pour leurs membres - ne vise nullement les membres desdites associations pris individuellement.

La lecture de ce texte ne nécessite aucune interprétation et son application aux membres des associations constitue une extension injustifiée de la dérogation tolérée.

Il s'ensuit que la pratique de remises de 15 % à des membres d'associations constitue un trouble manifestement illicite auquel le juge des référés est tenu de mettre fin.

En ce qui concerne la publicité:

En prétendant être étrangère à la publicité qui lui est reprochée, la société Forum du livre ne fait que reprendre devant la cour, sans justifications complémentaires utiles, un moyen qu'elle a déjà soumis au premier juge et auquel celui-ci a exactement répondu, par des motifs que la cour adopte.

Il sera seulement relevé qu'il n'est démontré ni que les bons ont été remis aux seuls élèves membres d'associations ni qu'ils l'ont été à l'insu et sans l'accord de la société Forum du livre, seule bénéficiaire de la publicité.

Sur le préjudice de Mme Vallée:

Malgré les dénégations de la société Forum du livre, il est incontestable que la remise de bons annonçant une remise de 15% dans une autre librairie a causé à Mme Vallée, laquelle vend des livres scolaires en face du lycée, une perte de clientèle.

Selon l'attestation du 17 février 1997 de son expert comptable, Mme Vallée a vu son chiffré d'affaires "rayon livres net TTC" passer de septembre 1995 à septembre 1996 de 404 069,04 F à 241 719,79 F. Il importe peu que son commerce compte également une activité de vente de papeterie et presse, puisqu'il est bien spécifié que la perte constatée est celle du rayon livres.

La provision de 15 000 F allouée par le premier juge à l'intimée en réparation de son préjudice n'apparaît pas excessive et la mesure d'expertise ordonnée permettra précisément de recueillir tous éléments sur l'étendue de ce préjudice, en vue de sa réparation pleine et entière.

L'ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions.

Il sera précisé toutefois que l'interdiction de vendre visée au 1er paragraphe du dispositif, qui ne s'applique pas aux associations facilitant l'acquisition des livres scolaires pour leurs membres, ne s'applique pas non plus aux organismes énumérés au paragraphe 2 de l'article 3 de la loi du 10 août 1981 et aux livres visés à l'article 5 de le loi.

La solution du litige emporte le rejet de la demande formée par l'appelante au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. En revanche, il sera alloué à chaque intimée une somme de 8 000 F pour les frais, non compris dans les dépens, qu'elle a engagés pour assurer sa défense en cause d'appel.

Décision

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, Confirme l'ordonnance entreprise, Y ajoutant, Précise que l'interdiction figurant au 1er paragraphe dû dispositif de l'ordonnance, de vendre, sauf aux associations facilitant l'acquisition des livres scolaires pour leurs membres, ne s'applique pas non plus aux organismes énumérés au paragraphe 2 de l'article 3 de la loi du 10 août 1981 et aux livres visés à l'article 5 de cette loi, Condamne la société Forum du livre à payer tant à la Fédération française des syndicats de libraires qu'à Mme Vallée une somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes conclusions autres, plus amples ou contraires, incompatibles avec la motivation retenue, Condamne la société Forum du livre aux dépens et autorise la SCP Fanet, avoué, à en poursuivre directement le recouvrement conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.