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Décisions

CA Besançon, ch. corr., 15 septembre 1988, n° 715

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Theron

Avocats :

Mes De Fosse, Uzan.

CA Besançon n° 715

15 septembre 1988

Par déclarations du 30 octobre 1987, appel a été interjeté par les parties civiles ci-après dénommées et par le Ministère public :

- l'Association FO Consommation du Jura,

- l'Union départementale des associations familiales du Jura,

- l'Organisation générale des consommateurs du Jura (Orgeco),

- la Confédération syndicale du cadre de vie (CSCV),

Contre le jugement rendu le 21 octobre 1987 par le Tribunal correctionnel de Dole qui a relaxé Yves J des fins de la poursuite et a déclaré régulières en la forme mais irrecevables au fond les constitutions de parties civiles ;

Les appels sont recevables.

Yves J est prévenu d'avoir à Dole (39), le 20 avril 1987, trompé le contractant sur la nature, l'espèce ou l'origine, les qualités substantielles, la composition et la teneur en principes utiles de la marchandise vendue, en l'espèce en délivrant un rapport de contrôle d'un véhicule en vue de sa vente ne mentionnant pas l'état réel et dangereux de ce véhicule,

Fait prévu et réprimé par les articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905.

Les faits

Yves J est le Président-directeur général du garage du même nom sis à Dole, agréé depuis le 28 août 1985 pour procéder aux contrôles techniques des véhicules routiers.

Ce contrôle a pour objet d'informer le propriétaire du véhicule de son état par rapport à une norme Afnor. Il se traduit par la remise d'un document dont la présentation est obligatoire en cas de changement d'immatriculation d'un véhicule de plus de 5 ans d'âge.

C'est en application de cette réglementation que M. Touitou faisait examiner par le garage J le 15 avril 1986 une camionnette de 12 ans d'âge, aménagée en camping-car, qu'il se proposait de vendre à un certain M. Gauche.

Le rapport de contrôle remis par le garage mentionne 9 défauts impliquant une remise en état "dès que possible".

Ce rapport est un imprimé dont les cases sont cochées par le vérificateur qui doit apprécier le degré de gravité du défaut constaté suivant que la sécurité commande une remise en état "immédiate" ou "dès que possible".

En possession de ce rapport, M. Touitou le remettait à son acquéreur et faisait affaire avec lui. Celui-ci, alerté par son propre garagiste soumettait le véhicule au contrôle d'un autre centre technique à Dijon, qui constatait, le 5 juin 1986, alors que le compteur kilométrique ne marquait que 181 Km de plus, 7 défauts impliquant une remise en état immédiate et 9 autres en catégorie "dès que possible".

A la différence du premier rapport d'examen dont la rubrique "observations" était restée vierge de toute annotation, le second rapport mentionnait notamment que le soubassement du véhicule était fortement corrodé, notamment au point de renfort de l'ancrage du train avant ; que le berceau moteur était corrodé et "réparé" de façon sommaire ; que l'efficacité du freinage à l'avant gauche et à l'arrière droit était à parfaire ; qu'un des pneus arrières était dangereux ; que les roulements du moyeu arrière gauche étaient hors d'usage etc...

Yves J, entendu par un commissaire du service de la Répression des fraudes, comme suite à la plainte de l'acquéreur du véhicule, déclarait, suivant procès-verbal du 9 juillet 1986

- qu'il n'avait aucune déclaration à faire sur le second contrôle, effectué 2 mois après le premier,

- que le mauvais état du véhicule était suffisamment constaté par les cases cochées et qu'il n'était pas nécessaire de rajouter des observations,

- à propos du pneu dangereux, que, n'ayant pas la possibilité d'imposer son remplacement immédiat, le défaut était coché dans la colonne "dès que possible".

A sa demande, un contrôle contradictoire était diligenté. Régulièrement convoqué, M. J ne s'y rendait pas. Ce troisième examen confirmait l'exactitude des mentions et observations du second rapport.

Par la suite, Yves J devait déclarer qu'il n'était pas l'auteur matériel du rapport délivré par son garage ; que le chef d'atelier signataire du rapport était décédé depuis ; que cependant il le mettait hors de cause, n'ayant aucun doute sur sa conscience professionnelle.

Les parties civiles demandent à la cour de dire que le prévenu qui est chef d'entreprise, n'a pas agi comme aurait dû le faire tout professionnel diligent pour éviter que des défauts nécessitant réparation immédiate soient passés sous silence, ce qui a eu pour effet de tromper l'acquéreur du véhicule.

Chacune des parties civiles demande que lui soient allouées les sommes suivantes 1 000 F à titre de dommages-intérêts et 1 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le Ministère public soutient que le prévenu en s en remettant à la conscience professionnelle de son préposé, n'a pas procédé aux contrôles qui lui incombaient personnellement en sa qualité de président-directeur général ; que sa carence est constitutive d'une faute en ce sens, que, s'abstenant de vérifier la conformité des rapports avec l'état réel du véhicule contrôlé, il a nécessairement accepté le risque de tromper des tiers sur la prestation de service qu'ils attendaient de son établissement ; qu'en conséquence l'élément moral du délit de tromperie est constitué ; que par ailleurs l'élément matériel n'est pas discuté, à savoir la remise d'un rapport de contrôle laissant croire que le véhicule objet de la prestation de service, ne présentait aucun défaut impliquant une remise en état immédiate, à peine d'insécurité.

Le Ministère public requiert que le prévenu soit déclaré coupable et condamné à telle peine que la cour appréciera.

Yves J sollicite confirmation du jugement de relaxe il fait déposer un mémoire en défense tendant à faire juger que dans son cas l'élément moral c'est-à-dire l'intention coupable, fait défaut.

Qu'en effet " si cette intention coupable peut être assimilée à la seule imprudence, c'est uniquement et exclusivement au cas où l'auteur de l'infraction est le cocontractant et par conséquent le bénéficiaire de la fraude. Hors ce cas, la mauvaise foi ne saurait résulter d'une simple erreur dans l'information donnée par imprudence au contractant. "

Sur quoi :

Le prévenu ayant eu la parole le dernier,

Attendu qu'il est constant que le rapport de contrôle établi par le garage J et remis à M. Touitou, propriétaire du véhicule, avait pour finalité, notamment, de renseigner un tiers, acquéreur éventuel ;

Qu'il est non moins constant, les déclarations du prévenu devant la cour étant parfaitement claires sur ce point, que le rapport de contrôle du 15 avril 1986 donnait une idée fausse sur l'état technique apparent du véhicule, laissant penser que les défauts ou anomalies constatés n'impliquaient pas qu'il y soit remédié immédiatement ;

Qu'enfin les insuffisances du rapport sont doublement substantielles : d'abord parce qu'il ne s'agit pas d'erreurs vénielles dans l'appréciation de la gravité des anomalies ou défauts constatés mais bien d'une faute professionnelle lourde consistant à donner un avis totalement erroné sur l'état technique apparent d'un véhicule d'occasion assez âgé ; ensuite parce que les défauts en question se rapportent à des qualités substantielles du véhicule.;

Attendu que le prévenu a indiqué à la cour qu'il lui arrivait de procéder lui-même à ces examens techniques, conjointement avec son chef d'atelier, ce qui lui permettait d'affirmer que celui-ci était compétent et consciencieux ;

Qu'il apparaît ainsi que la dimension de l'entreprise et son organisation n'étaient pas telles que le prévenu soit fondé, pour se disculper, à invoquer une délégation de pouvoir sur la personne de son chef d'atelier - aujourd'hui décédé ;

Attendu qu'en s'en remettant entièrement à un préposé pour la délivrance des rapports d'examen, sans qu'aucun contrôle n'apporte à l'usager la garantie de la fiabilité du document remis, le prévenu, qui est un professionnel du commerce et de la réparation automobile, a nécessairement accepté l'idée que ses clients et des tiers supporteraient le risque d'une information fausse sur l'état du véhicule et, comme en l'espèce, sur sa sécurité. Ce dol éventuel par inaction ou négligence suffit à caractériser l'élément moral de la tromperie l'intention délictueuse existe dès lors que le prévenu, qui a le devoir et le pouvoir de prévenir le risque de tromperie, risque connu, banal en cette matière, ne justifie pas qu'il a pris, en sa qualité de chef d'entreprise, les mesures nécessaires ;

Attendu qu'Yves J qui n'y était nullement obligé, a sollicité de l'autorité préfectorale l'habilitation de son garage à délivrer ces rapports de contrôle techniques ; qu'il n'a jamais allégué que c'était une démarche désintéressée ; qu'il n'est donc pas fondé à soutenir que n'étant pas bénéficiaire de la fraude, il ne saurait être punissable pour une information donnée " par imprudence " a son contractant ;

Attendu surtout que les dispositions, parfaitement claires, de l'article 1er de la loi du 1er août 1905 n'établissent aucune graduation dans l'appréciation de l'intention coupable selon que le prévenu est ou non partie au contrat : dès lors que celui qui fournit une prestation, en l'espèce le contrôle d'un véhicule d'occasion, sait qu'elle trompera l'acquéreur du véhicule, il est passible des sanctions de la loi même s'il n'est pas le vendeur du véhicule ;

Qu'aussi bien faut-il observer que, s'il en était autrement, l'acquéreur trompé par un autre que le vendeur, ne serait admis à porter plainte contre quiconque ;

Attendu que dans la présente affaire, M. Gauche, acquéreur du véhicule vendu par M. Touitou, a été trompé par J, professionnel agréé, qui s'en est remis à un préposé du soin de délivrer le rapport de contrôle, sans rien faire pour prévenir le risque d'une prestation trompeuse, soit par collusion avec le vendeur, soit par incurie ;

Sur les actions civiles

Attendu que ces actions sont régulières ; qu'elles sont fondées que le prévenu ne les discute pas ; que la somme demandée à titre de dommages-intérêts correspond à une juste évaluation du préjudice ;

Attendu que, pour ce qui est de l'indemnité de l'article 475-1, il y a lieu d'en admettre le principe mais d'en réduire le montant pour chacune des parties civiles compte tenu du fait qu'elles ont agi en commun ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, Déclare les appels recevables, Infirme le jugement déféré, Sur l'action publique Déclare Yves J coupable du délit ci-dessus spécifié, Le condamne à une amende de dix mille francs (10 000), Le condamne aux frais envers l'Etat, Sur l'action civile Déclare recevables les constitutions de parties civiles de l'Association FO Consommation du Jura, l'UDAF du Jura, l'ORGECO du Jura, la Confédération syndicale du cadre de vie (CSCV), Condamne Yves J à payer à chacune d'elles les sommes suivantes - mille francs (1 000) à titre de dommages-intérêts, - cinq cents francs (500) sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Le condamne aux dépens d'instance et d'appel.