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Décisions

CA Riom, ch. corr., 30 novembre 1989, n° 4435-89

RIOM

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barnoud

Substitut général :

M. Bourricat

Conseillers :

Mm. Vermorelle, Azoulay

Avocat :

Me Merle

CA Riom n° 4435-89

30 novembre 1989

Jeanne F épouse P a été poursuivie devant le Tribunal correctionnel du Puy, pour avoir à Paris et Tence, les 2 juillet et 3 juin 1987, 15 juillet 1987, 15 août 1987, trompé les contractants M. et Mme Vincent, M. et Mme Bougnoux sur les qualités substantielles d'une location saisonnière en proposant à la location une maison comportant notamment une cuisine et des fenêtres américaines, une allée en L alors que ces éléments ne correspondaient à aucune réalité (évier sommaire, allée inexistante)

Infraction prévue et réprimée par les articles 1.6.7 de la loi du 1er août 1905/

Par jugement contradictoire du 6 juin 1989, Mme F a été relaxée des fins de la poursuite,

Le Ministère public a régulièrement interjeté appel de ce jugement et requiert condamnation

La prévenue sollicite la confirmation de sa relaxe

Elle réitère les exceptions soulevées en première instance, à savoir, que les contrats de location n'ayant pas été signés dans le ressort du TGI du Puy, cette juridiction, et donc la Cour de Riom, ne seraient pas territorialement compétente pour en connaître ; que, d'autre part, les immeubles sont exclus du champ d'application de la loi du 1er août 1905, et que l'article 16 de la même loi n'a pas été visé dans la citation initiale ;

Elle expose également que des contrats litigieux ont été signés par sa mère, âgée de 82 ans, et que si elle a accepté de comparaître c'est dans le but de lui éviter les soucis afférents à une telle procédure ; qu'en tout état de cause, les poursuites sont mal dirigées ;

Sur le fond, elle se réfère à des avis du Service de la Répression des fraudes de la Haute-Loire, qui lui sont favorables ; elle estime que les éléments matériels des délits ne sont pas réunis et qu'aucun élément intentionnel ne peut être retenu ;

Motifs

Sur les exceptions

- Incompétence territoriale :

Attendu que la délivrance ou mise à dispositions des biens objets du contrats a bien eu lieu à Tence dans le ressort du Tribunal correctionnel du Puy ; que cet élément constitutif d'une éventuelle infraction permettait bien au premier juge de se déclarer compétent, nonobstant la rédaction et la signature du contrat en d'autres lieux ;

Non visa de l'article 16 de la loi du 1er août 1905

Attendu que cet article précise simplement que la loi de 1905 est applicable aux prestations de services ; qu'a supposer cette qualification plus adaptée aux faits, elle ne modifie pas la prévention qui est celle de tromperie ; qu'à aucun moment la prévenue n'a pu se méprendre sur la nature des faits reprochés, que l'article 16 ne modifie pas les pénalités encourues, et que son absence dans la citation n'a pas pu avoir pour effet de porter atteinte aux droits de la défense, comme l'exige l'article 565 du Code de procédure pénale, pour que la nullité de l'acte sont prononcée ;

Poursuites mal dirigées :

Attendu que cette exception avait été évoquée en première instance, mais non véritablement soutenue, Mme F ayant accepté d'assumer les poursuites par piété filiale ainsi qu'elle l'expliquait alors, des conclusions ainsi rédigées : "Attendu de plus que Mme Jeanne F, propriétaire des lieux, avait laissé le soin à sa mère de s'occuper de ces locations, mais qu'elle accepte de comparaître, ne voulant pas que sa maman âgée de plus de 80 ans et malade, soit convoquée devant un tribuna1 correctionnel" ;

Attendu qu'il est au moins paradoxal, qu'elle reprenne en appel, une argumentation à laquelle elle avait expressément renoncée en première instance ;

Attendu cependant que la prévenue se présente comme propriétaire des lieux, que les contrats litigieux sont bien conclus au nom de JS F et non de Paule C, sa mère, que les quelques lignes manuscrites et la signature de celle-ci dans les contrats en cause, n'enlèvent pas à l'actuelle prévenue la direction générale des opérations ;que la qualification d'auteur unique ou de co-auteur est indifférente dès lors que l'article 1 de la loi du 1er août 1905 vise " quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers ... " ;

Attendu que cette exception ne saurait donc être retenue ;

Sur le fond :

Attendu que les contrats conclus avec les époux Vincent d'une part, les époux Bougnoux, d'autre part, concernaient la location saisonnière d'une maison meublée, comprenant au rez de chaussée un petit salon avec cheminée en ordre de marche, boiseries peintes en blanc verni avec décoration de bouquets de fleurs peints à la main dans des médaillons ; une chambre à coucher, une salle de douche avec une salle à manger avec cuisine américaine au premier étage un très grand salon avec fenêtres et portes-fenêtres, une chambre plus petite à deux fenêtres américaines.... attenant à la maison et l'entourant, un grand terrain de deux hectares avec allée en L de sapins séculaires et forêt de pins sur un hectare... ;

Attendu que la capacité d'accueil précisée était de cinq personnes, y compris les enfants ;

Attendu que le prix réclamé et payable d'avance était de 2 500 F pour une semaine pour les époux Vincent, outre un dépôt de garantie de 2 500 F également, et de 9 000 F pour un mois avec dépôt de garantie de 5 000 F en ce qui concerne les époux Bougnoux ;

Attendu que M. Bougnoux, venant du Maine et Loire a fait demi-tour après une visite des lieux, estimant que les prestations offertes ne correspondaient pas aux stipulations contractuelles et qu'il avait été trompé ; que M. Vincent pour des raisons similaires avait pratiqué la même démarche ;

Attendu qu'à la suite de la déconvenue de ces vacanciers désappointés et de la plainte de M. Bougnoux, une enquête était diligentée par la brigade de Gendarmerie de Tence, et qu'il convient pour l'appréciation des faits de s'en tenir aux constatations objectives, effectuées à cette occasion ;

Attendu, en effet, que s'il ne peut être fait grief à la prévenue d'organiser sa défense, le dossier constitué à posteriori et illustré de photographies flatteuses prises sous un angle favorable, qu'elle dépose devant la cour, n'établit aucunement l'état des lieux lors de l'arrivée des candidats locataires ;

Attendu que les constatations des gendarmes en date du 15 août 1987 sont les suivantes :

"On pénètre dans la propriété F par une porte pleine en bois, peinte en blanc. Une planche de cette porte est disjointe et tient par des liens en plastique, genre ficelle pour botteler le foin ou la paille ... la double rangée de sapins est parallèle aux murs Nord et Est de la maison et mesure une cinquantaine de mètres de longueur. Ce qui est censé être une allée prend naissance et aboutit dans le terrain en nature de prairie. Cette allée ne donne nullement accès à la maison, mais pouvait constituer à l'époque où elle était entretenue un lieu de promenade ombragé. Le sol de cette allée devait être à l'origine en terre battue. Il est actuellement envahi par des hautes herbes et des ronces et défoncé par les racines des sapins. La végétation d'une hauteur de 50 à 60 cm interdit toute promenade dans cette allée....

Au rez de chaussée de l'habitation,

- la chambre à coucher est équipée d'un lit de camp en duralumin ;

- un rayonnage de la bibliothèque n'est pas fixé ...

... dans la chambre déjà citée le radiateur de chauffage central présente une légère fuite.

La salle d'eau est équipée d'une armoire de toilette en bois et d'une chaise basse paraissant improprement appelée "prie Dieu". La pomme de douche est de toute évidence en matière plastique blanche alors que l'inventaire stipule "en porcelaine". Par ailleurs l'abattant du WC est démonté et une grande glace est suspendue par une ficelle ;

Dans la cuisine "américaine" se trouve une autre bibliothèque en lames de parquet brutes. Elle est fixée au mur et repose sur le sol par deux planchettes grossièrement rapportées faisant office de pieds. L'évier est mis sans le moindre meuble de rangement ;

A l'étage ;

Dans la grande chambre, deux lits jumeaux constituent le lit conjugal ;

La petite chambre est meublée d'un lit de camp pour une seule personne ;

Le grand salon est meublé d'un lit sur pieds pour une personne. Le mobilier de jardin qui est stocké dans cette pièce comprend une chaise pliante dont le tissu est largement déchiré.

Attendu que les photographies prises par les services de Gendarmerie complètent utilement cette description que l'on distingue nettement sur le cliché 1 une petite porte menaçant ruine, jouxtant le grand portail d'entrée, et dont la capacité à assurer le clos est pour le moins limitée ;

Que le cliché n° 3 concernant la chambre à coucher du rez de chaussée, montre un lit de camp composé d'un bâti en aluminium et d'une toile bleue que des ressorts fatigués maintiennent tendue avec peine ;

Que le cliché n° 5 représente quelque chose ressemblant davantage à un coffrage mal ajusté qu'à une bibliothèque, qu'il en est de même pour le cliché 8 représentant la " bibliothèque " installée dans la cuisine américaine ;

Que le cliché 10 montre un évier fixé au mur sans autre habillage que la poubelle et le seau qui se trouvent dessous ;

Que le cliché 11 montre deux sommiers de forme et hauteur différentes, devant sans doute être accolés l'un a l'autre pour constituer un lit de deux personnes ;

Qu'enfin les clichés 12 et 13 concernent un lit de camp métallique avec matelas mal adapté et un lit ordinaire pour une personne avec sommier et matelas tapissier ;

Attendu que ces éléments ne sont manifestement pas en concordance avec la description des lieux résultant des contrats ; que le locataire, a leur lecture pouvait espérer sinon un château, du moins une maison bourgeoise correctement agencée et meublée ; que la référence a une cuisine américaine permettait normalement d'imaginer une disposition des lieux conforme à ce critère, ainsi que les conditions d'efficacité et de confort liées à cette notion ;

Attendu qu'en ce qui concerne l'allée en L bordée de sapins séculaires, cette description sommaire mais évocatrice, permettait de s'attendre à un endroit propice à la flânerie ; que si l'allée existe bien, son état était incompatible avec son usage, qui est précisément de permettre d'aller et de venir ;

Attendu que la maison elle-même n'est pas en cause, son état général et son apparence extérieure paraissant satisfaisants ; que cependant les conditions de confort intérieur, malgré la période estivale, ne sont pas négligeables et qu'un locataire payant un prix mensuel de 9 000 F , outre une caution de 5 000 F, pour un immeuble situé dans une campagne perdue de Haute-Loire, est en droit de s'attendre à une prestation en rapport ; que contractant dans cet esprit, les époux Bougnoux et les époux Vincent, découvrant un intérieur vétuste, mal organisé, abritant un mobilier tout aussi sommaire qu'hétéroclite, ont manifestement été trompés sur les qualités substantielles du bien objet du contrat ;

Attendu qu'en contractant dans ces conditions, la prévenue qui n'ignorait pas l'état des lieux, s'est bien rendue coupable des faits visés à la prévention ;

Attendu que ce comportement ne peut être que le résultat d'un souci de profit maximum au mépris des co-contractants, et justifie donc une amende de 8 000 F, adaptée à la gravité des faits et à la personnalité de l'auteur ;

Attendu, enfin, qu'il y a lieu d'ordonner la publication du présent arrêt par extrait dans deux journaux locaux

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement Déclare l'appel recevable en la forme Au fond, Infirme le jugement déféré a Rejette les exceptions soulevées Déclare la prévenue coupable des faits reprochés En répression, Condamne Jeanne. Simone F à une amende de huit mille francs (8 000 F) Ordonne la publication du présent arrêt par extrait dans les Journaux "La Tribune" et " L'éveil de la Haute Loire " dans la limite d'un coût maximum de mille francs pour chacune des publications. Condamne la prévenue aux dépens. Dit que la contrainte par corps s'exercera, s'il y a lieu, selon les dispositions légales. Le tout en application des articles 1.6.7 loi du 1er août 1905, 473, 1477, 749, 750 du Code de procédure pénale.