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Décisions

CA Riom, ch. corr., 3 juillet 1991, n° 129-91

RIOM

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barnoud

Conseillers :

Mm. Vermorelle, Montcriol

Avoué :

Me Tixier

Avocats :

Mes Lemaire, Neouze, Lamotte, Rivière, Herman.

CA Riom n° 129-91

3 juillet 1991

B Pierre a été poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Clermont Ferrand pour avoir à Clermont Ferrand courant novembre et décembre 1986 janvier février et mars 1987

- trompé le contractant sur l'origine et les qualités substantielles des marchandises livrées en vendant des plants de pommes de terre de semence dont les conditionnements comportaient une différence moyenne de calibre par rapport à celui mentionné sur l'étiquetage de 25 % pour les sacs et de 10 à 25 % sur les clayettes et dont la composition des lots n'était pas davantage conforme à l'étiquetage quant à la variété et à la provenance des produits.

Faits prévus et punis par l'article 1er de la loi du 1re août 1905.

Par jugement contradictoire du 11 décembre 1990, le tribunal a sur l'action publique, rejeté l'exception de nullité de la procédure soulevée par le prévenu, a déclaré celui-ci coupable du délit reproché, l'a condamné à une amende de 100 000 F et a ordonné la publication de son jugement dans le quotidien la Montagne pour un coût maximum de 5 000 F.

Sur l'action civile, le tribunal a déclaré irrecevable la constitution de partie civile du Groupement National Interprofessionnel des Semences et de Plants (GNIS) et a condamné Pierre B à payer au Syndicat National des Producteurs de Plants de Pommes de Terre Germés et Fractionnés (SNPPPGF) la somme de 10 000 F à titre de dommages intérêts et celle de 2 000 F pour frais irrépétibles et à l'Union Fédérale des Consommateurs du Puy de Dôme la somme de 1 000 F à titre de dommages intérêts et celle de 1 000 F pour frais irrépétibles, ces parties civiles étant déboutées du surplus de leurs demandes.

Le prévenu Pierre B et le Ministère public le 13 décembre 1990, la partie civile GNIS le 19 décembre 1990, le SNPPPGF le 20 décembre 1990 et l'Union Fédérale des Consommateurs du Puy de Dôme le 21 décembre 1991 ont régulièrement interjeté appel des dispositions de ce jugement les concernant.

Le prévenu, in limine litis, reprend devant la cour, l'exception de nullité du procès-verbal de constatation fondant les poursuites au motif que le fonctionnaire du service des Fraudes aurait effectué plusieurs prélèvements d'échantillons sans respecter les obligations résultant des articles 10 à 13 d décret du 19 avril 1972.

Au fond il soutient que si la matérialité des faits devait être établie la non conformité de la marchandise à l'étiquetage apposé sur celle-ci ne lui serait pas imputable dans la mesure où il s'était borné à répartir dans des emballages plus petits les plants reçus en gros sacs et à reprendre sur ses propres emballages les mentions apposées sur les sacs des producteurs sous contrôle du service Officiel de Contrôle (SOC) émanation du GNIS.

Le Groupement National Interprofessionnel des Semences et Plants fait valoir qu institué par la loi du 11 octobre 1941, il a pour objet de représenter les professions intéressées par la sélection, la multiplication, la production, le commerce et l'utilisation des graines de semence et de plants, qu'il a notamment reçu pour mission des Pouvoirs Publics d'organiser le contrôle de la production, de la conservation et de la distribution de ces graines et plants, que, dans cette dernière mission, il prend le nom de service Officiel de Contrôle de Certification (SOC), que les agissements du prévenu ont eu pour effet de faire échec au dispositif réglementaire dont il est chargé d'assurer le respect et de laisser croire que le GNIS ne procède pas aux opérations de contrôle dont il a été chargé et que cette atteinte à son image lui a causé un préjudice qui doit être réparé par la condamnation du prévenu à lui payer une somme de 5 000 F, outre celle de 5 000 F pour ses frais irrépétibles.

Le Syndicat National des Producteurs de Plants de Pommes de Terres Germés et Fractionnés considère que l'importance de son préjudice a été sous évaluée par le Tribunal et il sollicite un million de francs à titre de dommages intérêts et 50 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et la publication de l'arrêt dans les journaux " La Montagne", "France-Soir", La Pomme de Terre Française ", Les Marches" et "Semences et Plants ".

L'Union Fédérale des Consommateurs du Puy de Dôme sollicite la somme de 5 000 F à titre de dommages intérêts, la somme de 1 000 F pour frais irrépétibles devant le Tribunal et celle de 1 500 F pour les mêmes frais devant la cour.

Le Ministère public requiert application de la loi.

Attendu que le 23 février 1987, les services de la Répression des fraudes effectuaient aux établissements B, SA dont le Président directeur général est Pierre B et ayant pour objet le négoce de différents produits agricoles dont des plants de pommes de terre, un contrôle qui faisait apparaître la non-conformité pour une quantité importante de plants de pommes de terre des calibres constatés avec ceux annoncés sur les étiquettes apposées sur les emballages, filets de 3,5 ou 10 Kg ou clayettes de 1 à 3 Kg, dans lesquels la société conditionnait en vue de la revente des plants achetés à des producteurs, dans des sacs de 50 kilogrammes ; qu'il était ainsi constaté que 62,5 % des lots contrôlés n'étaient pas conformes comme présentant une insuffisance de calibrage d'au moins 0 %, cette insuffisance étant d'au moins 25 % dans la totalité des filets contrôlés et dans 17 % des clayettes et une insuffisance de 10 à 20 % de calibrage étant observée encore dans 35 % de ces clayettes ;

Attendu qu'en raison des observations faites lors de ces constatations par Pierre B, les fonctionnaires du service des fraudes avaient poursuivi leur enquête et la même non conformité de calibrage était constatée chez des détaillants sur des plants livrés par la SA B alors que les plants livrés par un autre fournisseur étaient conformes ;

Attendu qu'un contrôle scriptural avait été effectué par le service de contrôle des Fraudes en vue de confronter les factures d'achat de plants de pommes de terre et les factures de revente et cette comparaison établissait que des quantités importantes de plants de variétés courantes et moins chères acquises par la SA B n'avaient pas été revendues sans pour autant figurer dans les stocks et qu'en revanche, des plants de variétés plus chères étaient revendus en quantités bien supérieures à celles acquises et qu'ainsi il apparaissait que la SA B avait revendu des plants acquis d'une variété, d'une origine ou d'un calibre sous une autre appellation de variété d'origine ou de calibre ; que le rédacteur du procès-verbal après dépouillement de l'ensemble des factures considérait que cette pratique de " démarquage " avait intéressé entre 150 et 200 tonnes de plants de pommes de terre au cours de la période considérée ;

Attendu, sur l'exception de nullité de la procédure pour le non respect des dispositions du décret du 19 avril 1972 sur les prélèvements d'échantillons, qu'elle a été écartée par le tribunal par de justes motifs que la cour adopte ;

Attendu en effet que le fait pour un contrôleur des Fraudes d'examiner, dans son emballage, la marchandise, en l'espèce des plants de pommes de terre, en vue de vérifier s'ils sont conformes à la législation et à l'étiquetage et de contrôler leur calibre en les faisant passer au travers d'une grille de calibreur et de les replacer immédiatement dans leur emballage ne saurait constituer un prélèvement d'échantillons réglementé par le décret du 19 avril 1972 qui n'a pas à trouver application dans cette procédure de constatation directe effectuée par le fonctionnaire dans l'établissement du prévenu et sous son contrôle ;

Attendu que le moyen, invoqué par le prévenu, tiré du fait que, lors d'un contrôle antérieur, la procédure de prélèvement d'échantillons avait été respectée, est inopérante dans la mesure où justement, lors de ce contrôle antérieur, il s'agissait de prélever quelques gousses d'échalotes en vue d'analyses chimiques ultérieures destinées à vérifier l'origine géographique du produit ;

Attendu que l'éventuelle nullité de la procédure de prélèvement d'échantillons de plants auquel le sieur Mazet du GNIS aurait procédé le même jour que le contrôle effectué par le service de Répression des fraudes a été justement écartée par le tribunal, aucun procès-verbal émanant du GNIS ne fondant les poursuites dont il était saisi ;

Attendu, sur le fond, que s'agissant des différences de calibrage matériellement constatées par le contrôleur le 26 février 1987, Pierre B soutient qu'il n'a fait que conditionner en emballages plus petits les plants reçus des fournisseurs producteurs en gros sacs et que reporter sur chacun de ses propres emballages les mentions figurant sur ces gros sacs et certifiés par le service Officiel de Contrôle (SOC) et que si la marchandise a été vérifiée non conforme à l'étiquetage, ce n'était que parce que cette non conformité existait déjà lors de la réception dans ses propres magasins ; qu'à l'appui de cette affirmation, il produit la preuve qu a plusieurs reprises, il a pu faire constater que la marchandise pourtant certifiée par le visa du SOC n'était pas conforme lorsqu'il en avait lui-même reçu livraison ; qu'il en déduit que lui-même trompé, il a agi de bonne foi ;

Mais attendu que les contrôles invoqués par Pierre B ont été pratiqués en décembre 1990 et qu'ils ne sauraient justifier la non-conformité des produits vendus par lui en 1987 d'autant que les défauts de calibrages relevés à l'occasion de ces contrôles étaient moindres que ceux à lui reprochés ;

Attendu que Pierre B en qualité de conditionneur et vendeur devait s'assurer de la conformité du produit vendu aux qualités qu'il annonçait sur l'étiquette par lui-même apposée ;

Attendu que l'importance de la proportion de marchandise non conforme par rapport à celle détenue et le taux très important de défaut de calibrage, toujours en défaveur du client, et notamment la circonstance que les non conformités les plus fortes étaient relevées dans les filets, emballages ne permettant pas aux clients d'examiner directement la marchandise, suffisent à établir la mauvaise foi du prévenu ;

Attendu que s'agissant de la tromperie reprochée au prévenu résultant de l'étude scripturale et portant sur le calibrage mais aussi la variété et l'origine des plants, l'explication susvisée de B prétendant avoir été trompé par ses fournisseurs n'apparaît plus du tout admissible ;

Attendu qu'en effet il n'a jamais invoqué et rien ne permet dans le dossier de penser que ses fournisseurs lui aient livré des plants dont les gros emballages portaient une étiquette mentionnant des variétés calibres et origines différentes des variétés calibres et origines figurant sur les factures; qu'affirmant n'avoir reproduit sur ses propres étiquettes et par conséquent sur ses propres factures de vente, que les mentions précisées par ses propres fournisseurs, il ne s'explique pas sur la non concordance en comptabilité des quantités achetées et vendues alors que cette non concordance est apparue dans des proportions telles qu'elle ne peut être expliquée par l'erreur matérielle ou les pertes de marchandises lors des opérations de conservation ;

Attendu qu'ainsi et pour les motifs non contraires du premier juge, la culpabilité du prévenu est établie pour avoir sciemment trompé le contractant sur les qualités substantielles des plants, le calibre la variété et l'origine déterminant le mode de culture, le type de sol à planter et la productivité ;

Attendu que les quantités de marchandises sur lesquelles la tromperie a porté, le bénéfice illicite que Pierre B a pu en retirer et le préjudice prévisible supporté par les consommateurs même si aucun d'eux ne s'est manifesté pour se plaindre, et d'autre part la personnalité du prévenu, justifient que celui-ci soit condamné à une peine de 150 000 F d'amende et que l'arrêt de condamnation connaisse dans l'intérêt des consommateurs une publication plus large que celle déjà ordonnée par le tribunal ;

Attendu que si le Groupement National Interprofessionnel des Semences et Plants (GNIS) dispose de la personnalité morale, il n'a pas vocation à défendre les intérêts moraux des professionnels ;

Attendu qu'en ce qu'il invoque un préjudice personnel, sa constitution de partie civile pourra être reçue;

Mais attendu que ce préjudice constitué par l'atteinte à l'image en laissant croire que les contrôles exercés par le SOC sont inefficaces n'apparaît pas résulter directement de l'infraction, il sera débouté de sa demande non fondée ;

Attendu que si le Syndicat National des Producteurs de Plants de Pommes de Terre Germés et Fractionnés justifie des efforts importants, à hauteur d'environ un million de francs, qu'il a dû consentir pour relancer en 1988, 1989 et 1990 la vente de ses produits, il n'établit pas que la baisse du chiffre d'affaire réalisé soit directement imputable aux seules infractions commises par Pierre B ; que la somme de 10 000 F allouée par le premier juge pour l'atteinte à la notoriété de la profession et aux intérêts commerciaux constitue une juste réparation des conséquences dommageables du délit ;

Attendu que la publication de l'arrêt sollicitée à titre de supplément d'indemnisation ne se justifie pas dans la mesure où cette publication intervient à titre de sanction pénale ;

Attendu que l'équité justifie que l'indemnisation accordée à cette partie civile pour ses frais irrépétibles par le premier juge soit confirmée et qu'au même titre, le prévenu soit condamné devant la cour à une somme supplémentaire de 3 000 F ;

Attendu que l'indemnisation du préjudice subi par les consommateurs représentés par l'Union Fédérale des Consommateurs du Puy de Dôme sera mieux évaluée par une condamnation du prévenu à 2 000 F de dommages intérêts ;

Attendu que l'équité justifie l'indemnisation de ses frais irrépétibles accordée par le premier juge comme la condamnation du prévenu au même titre au paiement d'une somme supplémentaire de 1 500 F devant la cour où cette partie civile a été attraite par un appel non fondé ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement reçoit les appels comme réguliers en la forme au fond sur l'action publique confirme le jugement déféré sur culpabilité Emendant sur les peines condamne Pierre B à une amende de 150 000 F (cent cinquante mille francs) Ordonne la publication du présent arrêt par extrait et aux frais du condamné dans les journaux " La Montagne, La Pomme de Terre Française et Semences et Plants " au coût maximum de 3 000 F pour chaque publication. L condamne aux dépens de l'action publique et dit que l'éventuelle contrainte par corps s'exercera selon les modalités légales. Sur l'action civile - Du Groupement National Interprofessionnel des Semences et Plants Infirmant le jugement, reçoit cette partie civile en sa constitution La déboute de ses demandes - Du syndicat National des Producteurs de Plants de Pomme de terre Germés et Fractionnés Confirme le jugement déféré Y ajoutant, condamne Pierre B à payer à cette partie civile une somme supplémentaire de 3 000 F (trois mille francs) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. - De l'Union Fédérale des Consommateurs du Puy de Dôme Confirme le jugement sur l'indemnisation des frais irrépétibles Emendant et ajoutant pour le reste Condamne Pierre B à payer à l'Union fédérale des Consommateurs du Puy de Dôme avec intérêt légal à compter de l'arrêt une somme de 2 000 F (deux mille francs) à titre de dommages et intérêts et la somme de 1 500 F (mille cinq cent francs) pour ses frais irrépétibles devant la cour. Condamne Pierre B aux dépens de l'action civile dans lesquels seront compris les frais et honoraires de Maître Tixier Avoué dont la présence en la procédure a été constatée. Le tout en application de l'article 1re de la loi du 1 août 1905, 424, 473, 477, 749, 750 du Code de procédure pénale.