CA Rennes, 3e ch. corr., 22 janvier 2004, n° 03-00263
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocats généraux :
Mme Fiasella-Le Braz, M. Avignon
Conseillers :
Mmes Pigeau, Antoine
Avocats :
Mes Lenoir, Horeau
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le Tribunal correctionnel de Nantes par jugement contradictoire en date du 19 décembre 2002, pour escroquerie tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, facturation non conforme - vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle
a relaxé A Martine épouse K, B Jean-François et C Philippe pour l'infraction d'escroquerie et de tromperie et a constaté l'extinction de l'action publique pour l'infraction de facturation non conforme.
Les appels :
Appel a été interjeté par : M. le Procureur général, le 10 février 2003 contre Madame A Martine, Monsieur B Jean-François, Monsieur C Philippe à titre principal
La prévention :
Considérant qu'il est fait grief au prévenu B Jean-François :
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, en sa qualité de co-gérant de la société X par l'emploi de manœuvres frauduleuses, en l'espèce en commercialisant des greffons humains supportant des TIPS non conformes, car inexacts ou erronés, trompé les acheteurs de ces produits et les Caisses Primaires d'Assurance Maladie, en déterminant les acheteurs ainsi à solliciter le remboursement et les CPAM à rembourser les greffons sur la base de ces TIPS inexacts et erronés;
Faits prévus par les articles 313-1 alinéa 1, alinéa 2 du Code pénal et réprimés pars les articles 313-1 alinéa 2, 313-7 et 313-8 du Code pénal;
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, trompé les cliniques et les médecins qui se fournissaient auprès de la société X dont il était co-gérant, contractant sur les qualités substantielles des greffons objet du contrat, en l'espèce qu'ils étaient conformes à une référence du TIPS bien précises;
Faits prévus par l'article L. 231-1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 231-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, effectué, pour une activité professionnelle en l'espèce la vente de greffons destinés à être implantés lors des opérations chirurgicales, par la société X, des ventes de produits sans factures, en l'espèce en portant sur les factures de vente des dénominations du TIPS imprécises et inexactes;
Faits prévus par les articles L. 441-3 alinéa 2, alinéa 3, alinéa 4 du Code de commerce et réprimés par les articles L. 441-4, L. 470-2 du Code de commerce.
Considérant qu'il est fait grief au prévenu C Philippe :
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, en sa qualité de co-gérant de la société X par l'emploi de manœuvres frauduleuses, en l'espèce en commercialisant des greffons humains supportant des TIPS non conformes, car inexacts ou erronés, trompé les acheteurs de ces produits et les Caisses Primaires d'Assurance Maladie, en déterminant les acheteurs ainsi à solliciter le remboursement et les CPAM à rembourser les greffons sur la base de ces TIPS inexacts et erronés;
Faits prévus par les articles 313-1 alinéa 1, alinéa 2 du Code pénal et réprimés pars les articles 313-1 alinéa 2, 313-7 et 313-8 du Code pénal;
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, trompé les cliniques et les médecins qui se fournissaient auprès de la société X dont il était co-gérant, contractant sur les qualités substantielles des greffons objet du contrat, en l'espèce qu'ils étaient conformes à une référence du TIPS bien précises;
Faits prévus par l'article L. 231-1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 231-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, effectué, pour une activité professionnelle en l'espèce la vente de greffons destinés à être implantés lors des opérations chirurgicales, par la société X, des ventes de produits sans factures, en l'espèce en portant sur les factures de vente des dénominations du TIPS imprécises et inexactes;
Faits prévus par les articles L. 441-3 alinéa 2, alinéa 3, alinéa 4 du Code de commerce et réprimés par les articles L. 441-4, L. 470-2 du Code de commerce;
Considérant qu'il est fait grief à la prévenue :
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1992, 1993 et 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, en sa qualité de gérante de la société Y et puis co-gérante de la société X par l'emploi de manœuvres frauduleuses, en l'espèce en commercialisant des greffons humains supportant des TIPS non conformes, car inexacts ou erronés, trompé les acheteurs de ces produits et les Caisses Primaires d'Assurance Maladie, en déterminant les acheteurs ainsi à solliciter le remboursement et les CPAM à rembourser les greffons sur la base de ces TIPS inexacts et erronés;
Faits prévus par les articles 313-1 alinéa 1, alinéa 2 du Code pénal et réprimés pars les articles 313-1 alinéa 2, 313-7 et 313-8 du Code pénal;
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1992, 1993 et 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, trompé les cliniques et les médecins qui se fournissaient auprès de la société Y dont elle était gérante puis de la société X dont elle était co-gérante, contractant sur les qualités substantielles des greffons objet du contrat, en l'espèce qu'ils étaient conformes à une référence du TIPS bien précises;
Faits prévus par l'article L. 231-1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 231-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation;
- d'avoir à Saint-Herblain en tout cas sur le territoire national courant 1992, 1993 et 1994 et depuis temps n'emportant pas prescription, effectué, pour une activité professionnelle en l'espèce la vente de greffons destinés à être implantés lors des opérations chirurgicales, par la société X, des ventes de produits sans factures, en l'espèce en portant sur les factures de vente des dénominations du TIPS imprécises et inexactes;
Faits prévus par les articles L. 441-3 alinéa 2, alinéa 3, alinéa 4 du Code de commerce et réprimés par les articles L. 441-4, L. 470-2 du Code de commerce
En la forme
Considérant que l'appel du Ministère public est régulier et recevable en la forme;
Au fond :
Il résulte de la procédure et des débats les éléments suivants :
Courant 1995 la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et des Fraudes procède à une enquête auprès d'entreprises susceptibles de commercialiser des greffons ou implants comportant des tissus d'origine humaine, cette enquête se faisant d'une part au regard des dispositions des articles L. 213-1 et L. 213-2 du Code de la consommation et d'autre part au regard des dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
C'est dans ce cadre qu'a été contrôlée, entre autres sociétés et pour la seule année 1994, la société Y dont la dénomination sociale est devenue au 1re janvier 1995 X SARL et dont les deux co-gérants ont été à partir du 1er janvier 1994 Monsieur B et à partir du 1er juillet 1994, Monsieur C.
Madame K avait quant à elle assumé cette fonction de gérante seule jusqu'au 1er janvier 1994 avant de devenir co-gérante avec Monsieur C et d'être remplacée en juillet par Monsieur B.
L'objet de cette société était la commercialisation d'implants, de prothèses et de matériels de chirurgie et elle se fournissait pour les greffons d'origine humaine auprès d'une société dénommée Z.
Pour l'année 1994 la société Y a facturé pour 614 810 F HT 54 greffons soit 34 tendons rotuliens, 16 ligaments " Fascia-lata" et 4 dures mères, ces greffons étaient facturés
- d'une part sous une dénomination imprécise : greffon osseux patellaire avec insert ou greffon osseux avec insertion inerte stérile pour les ligaments osseux ; prothèse ligamentaire pour les "Fascia lata " ; implant plaque DM pour dure mère;
- d'autre part avec un code TIPS inadéquat : code 30z02 réservé aux greffons humains osseux pour les ligaments osseux, et code 301z réservé aux trois catégories de greffons remboursables (greffes cornéens, osseux et vasculaires) pour les autres.
L'article R. 165-2 du Code de la sécurité sociale prévoit que ne peuvent être pris en charge par les organismes d'assurance maladie les fournitures ou appareils qui ne satisfont pas... aux conditions posées pour l'inscription au Tarif Interministériel des Prestations Sanitaires (TIPS).
Et l'arrêté du 24 juillet 1992 qui a complété et modifié ce TIPS prévoit sous le code 301z que sont considérés comme articles inertes, donc remboursables, uniquement les greffons d'origine humaine stériles cornéens (301z01) ou osseux (301z02) ou enfin vasculaires (301z03) ; ces greffons devant en outre répondre aux conditions d'un décret du 26 févier 1992 relatif à la prévention de certaines maladies.
Le code 301z du TIPS ne définit donc pas un produit mais une catégorie de produits et tout greffon qui ne rentre pas dans cette catégorie est pris en charge sur la base des prix pratiqués par les fournisseurs, sur présentation de la facture.
Pour être pris en charge un produit inscrit au TIPS doit comporter une étiquette détachable autocollante et apposable sur le volet de facturation et comportant diverses mentions obligatoires comme la désignation générique exacte du produit, le numéro d'homologation et celui du code TIPS, le tarif de responsabilité et le prix de vente public conseillé.
Au cas d'espèce, les tendons rotuliens ne peuvent prétendre à la définition de greffon inerte, les fascia-lata sont quant à eux des ligaments d'origine humaine (formation aponévrotique recouvrant muscles et organes) et enfin la dure mère est un tissu du cerveau humain prélevé sur personnes décédées et pouvant servir à de nombreuses greffes, et ni les uns ni les autres ne peuvent donc prétendre figurer sous la catégorie de greffons d'origine humaine stériles pris en charge sous le code 301z et donc remboursables.
Fin septembre 1993, la société Z s'inquiète auprès des services publics de l'absence de prise en charge des produits tels que les dures mères ou " fascia-lata " ; il lui est répondu qu'il est demandé aux Caisses de prendre les mesures nécessaires permettant la prise en charge provisoire de ces greffons ; cette demande, qui pourtant ne sera pas suivie d'effet, n'emportait pas pour autant autorisation de remboursement puisque au contraire en décembre 1993 la Direction de la santé publie une lettre au terme de laquelle il est bien précisé que les greffons d'origine humaine ne sont pris en charge que si inscrits au TIPS.
En décembre 1993, la CNAM rappelle aux CRAM et CPAM cette disposition et en mai 1994 d'abord puis en octobre ensuite, sont pris respectivement un décret rendant plus contraignant le décret de 1992 sur la sécurité sanitaire puis un arrêté suspendant la fabrication et l'utilisation de la dure mère ainsi que de tout produit pouvant en contenir.
L'enquête a permis d'établir que pour l'année 1994, ont été prises en charge six factures pour greffons rotuliens (à Saint-Herblain), six factures pour pose de six ligaments " fascia lata" (au Mans) et une facture pour une dure mère (également au Mans). Elle établissait également qu'il n'y avait eu pas de contrôle effectif par les caisses de l'appellation des greffes et de la nomenclature appliquée, pas plus qu'il n'y en avait eu de la part des chirurgiens utilisateurs et cliniques concernées.
Sont reprochées aux trois prévenus trois infractions :
- a) tromperie sur les qualités substantielles des produits vendus (article L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation).
- b) escroquerie (articles 313-1, 313-7 et 313-8 du Code pénal).
- c) facturation non conforme (article L. 441-3, L. 441-4 et L. 470-2 du Code de commerce).
La prévention vise les années 1992, 1993 et 1994 pour Madame K, la seule année 1994 pour Messieurs B et C.
Les trois prévenus n'ont pas contesté la matérialité des faits, mais ils ont indiqué d'une part que l'activité greffe ne représentait que 10 % du chiffre d'affaires de la société ce qui fait que cette activité a cessé très rapidement, et d'autre part que les produits leur étaient livrés par leur fournisseur, la société " Z " avec une étiquette à compléter. Messieurs B et C ont ajouté qu'ils n'avaient eu connaissance de la difficulté, au regard de la législation sociale, que par l'enquête de la DGCCRF. Le second a précisé, lors de son premier et seul interrogatoire par le magistrat instructeur, que son rôle dans la société consistait notamment à supprimer la vente de produits d'origine humaine.
Le premier, dont le rôle dans l'entreprise semblait être de contrôler la réalisation des objectifs commerciaux définis par X, a précisé dans les mêmes conditions être étranger à la difficulté, la facturation des produits aux chirurgiens et cliniques n'étant pas de son ressort de compétence.
Madame K a quant à elle indiqué qu'elle notait sur l'étiquette le code TIPS indiqué par son fournisseur (code non inscrit sur la facture établie par celui-ci mais uniquement sur le produit), que le code inscrit par elle n'avait pour seule finalité que d'aviser ses propres clients de l'origine humaine des greffons vendus, que son fournisseur lui avait indiqué être en pourparlers avec le ministère de la Santé pour ces différents greffons et qu'enfin elle ne connaissait pas plus l'arrêté de juillet 1992 sur la nomenclature et les tarifs des prothèses internes que la circulaire de mars 1993 émanant de la CNAM et précisant quels étaient les seuls greffons pris en charge.
La CPAM de la Sarthe s'est constituée partie civile et a sollicité du tribunal la condamnation des trois prévenus à lui payer la somme globale de 31 147,50 euros outre intérêts capitalisés depuis décembre 2001 et intérêts légaux échus depuis cette date, 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et 4 500 euros en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Le tribunal relaxait les trois prévenus des infractions d'escroquerie et de tromperie sur les qualités substantielles des produits vendus, suivant en cela les réquisitions du Ministère public qui n'entendait pas donner suite aux poursuites.
Il déclarait le délit de facturation non conforme amnistié par l'effet de la loi d'amnistie du 6 août 2002 et déboutait la CPAM de la Sarthe de ses demandes relevant que l'infraction n'était en toute hypothèse pas constituée.
Procédure devant la cour
Le Ministère public reprend les réquisitions de première instance en ce sens qu'il ne soutient pas l'accusation du chef des deux premiers délits, et constatant que le tribunal a fait une mauvaise application de la loi d'amnistie, il demande la condamnation des trois prévenus à une amende.
Messieurs B, C et Madame K née A reconnaissent que le délit de fausse facturation est exclu du bénéfice de la loi d'amnistie mais ils demandent leur relaxe, l'infraction ne leur paraissant pas constituée. A titre subsidiaire, ils sollicitent tous trois une dispense de peine et à défaut une atténuation conséquente de la peine.
Sur ce :
Le Ministère public ne reprenant pas les termes du réquisitoire et de l'ordonnance de renvoi du chef de l'escroquerie et de la tromperie sur les qualités substantielles des produits vendus, la relaxe prononcée au motif que ces deux délits n'étaient pas constitués doit être confirmée.
Par contre la loi du 6 août 2002 dans son article 14-24° exclut expressément de son champ d'application l'infraction de l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 codifié sous l'article L. 441-3 et L. 441-4 du Code de commerce, exclusion déjà prévue par la loi d'amnistie du 3 août 1995 (article 25-22°).
C'est donc manifestement à tort que le tribunal a pu retenir que l'infraction était amnistiée et de ce chef sa décision doit être infirmée.
Cependant et ainsi que l'ont relevé les premiers juges dans la discussion sur l'action civile, le délit n'est pas constitué en effet il est constant que les factures étaient complètes, détaillées et pourvues de toutes les mentions et spécifications imposées par l'article 31 de l'ordonnance de 1986, la difficulté venant de ce qu'elles mentionnaient un code TIPS non applicable.
Or le code TIPS a pour seul objet de classifier un produit et non de le définir en lui-même au regard de critères d'usage ou d'emploi; de plus ce code n'a nullement trompé les utilisateurs (cliniques et chirurgiens) sur les produits en question puisque le code employé ne les a jamais induit en erreur sur leur nature et leur qualité.
Ainsi le code TIPS ne représente pas un élément essentiel de la transaction entre le vendeur et les acquéreurs et ne contribue pas davantage à donner une définition précise du produit vendu. Il n'est donc pas un élément de la dénomination de ces produits vendus.
Enfin et pour reprendre la motivation retenue par le tribunal, le TIPS n'a de valeur que réglementaire et pour les seuls organismes de sécurité sociale à qui il appartenait en tant que de besoin d'effectuer tout contrôle sur les demandes de remboursement présentées.
Par voie de conséquence, le délit de l'article L. 441-3 n'étant pas constitué, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté la responsabilité pénale des trois prévenus.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de A Martine épouse K, B Jean-François ,C Philippe, en la forme Reçoit l'appel du Ministère public au fond Confirme le jugement en ce qu'il a relaxé Madame K née A Martine, Messieurs B Jean-François et C Philippe des chefs d'escroquerie et de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise. Constate que les lois d'amnistie du 3 août 1995 et 6 août 2002 excluent de leur champ d'application les infractions à l'article 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 codifiées sous les articles L. 441-3 et L. 441-4 du Code de commerce. Infirme en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré amnistier le délit de facturation non conforme. Relaxe les trois prévenus de ce chef.