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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 6 juin 2000, n° 99-07476

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

MM. Ancel, Nivose

Avocats :

Mes Montenot, Chazal.

CA Paris n° 99-07476

6 juin 2000

Rappel de la procédure :

La prévention :

A Jacques est poursuivi pour avoir, à Rungis, le 7 août 1997, tenté de tromper le contractant sur les qualités substantielles d'une marchandise offerte à la vente, en l'espèce en détenant en vue de la vente des colis de nectarines munis d'une étiquette mentionnant qu'elles étaient du calibre B, c'est-à-dire que leur diamètre était égal ou supérieur à 61 millimètres, alors que 67,2 % de ces fruits étaient d'un calibre inférieur

M Claude est poursuivi pour avoir à Rungis, le 7 août 1997, trompé le contractant sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce en livrant des colis de nectarines munis d'une étiquette mentionnant qu'elles étaient du calibre 13, c'est-à-dire que leur diamètre était égal ou supérieur à 61 millimètres alors que 67,2 % de ces fruits étaient d'un calibre inférieur

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré :

A Jacques coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis le 7 août 1997, à Rungis (94), infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-l, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation

M Claude coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis le 7 août 1997, à Rungis (94), infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation

Et par application de ces articles, a condamné :

A Jacques à 30 000 F d'amende M Claude à 20 000 F d'amende

A dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

- Monsieur A Jacques, le 14 mai 1999

- Monsieur M Claude, le 14 mai 1999

- M. le Procureur de la République, le 14 mai 1999 contre Monsieur A Jacques, Monsieur M Claude

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par les prévenus et le Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention ;

Par voie de conclusions, Claude M, demande à la cour de le renvoyer des fins de la poursuite ;

Il fait valoir que les éléments intentionnel et matériel du délit de tromperie font défaut en l'espèce ;

Il soutient en effet qu'il n'a commis aucune négligence dans les vérifications et la surveillance qui lui incombent en sa qualité de chef d'entreprise et que par ailleurs une différence de quelques millimètres de diamètre sur un fruit ne constitue aucunement une tromperie sur les qualités substantielles ;

Par voie de conclusions, Jacques A demande à la cour de :

- par application des dispositions de l'article 177 du traité de Rome, saisir la Cour de justice des communautés européennes de la question préjudicielle suivante :

" Les dispositions de l'article L. 213-l du Code de la consommation français relatives aux tromperies sur les qualités substantielles de la marchandise et l'application qui en est faite par la Cour de cassation française (arrêts du 9 mars 1999 et 7 décembre 1999 ) qui retiennent la responsabilité délictuelle d'un opérateur de la filière fruits et légumes pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise au motif qu'il ne s'est pas assuré de la conformité d'un produit régulièrement mis sur le marché dans l'Union Européenne ne sont elles pas contraires aux dispositions des articles 28 et suivants du traité dès lors que les marchandises dont s'agit sont normalisées en application d'un règlement spécifique (règlement 3596-90 du 12 décembre 1990 pour les pêches nectarines ) lui-même pris par application d'un règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (1035-72 du 18 mai 1972) et qu'un règlement 2251-92 du 29 juillet 1992 détermine les conditions dans lesquelles les marchandises normalisées sont mises en marché sous la responsabilité d'organismes compétents désignés par l'état membre ou d'organismes privés agréés ou d'entreprises agréées pour effectuer un auto-contrôle ce qui les dispense de notifier une mise en marché ".

- de surseoir à statuer au sort de l'arrêt qui sera rendu par la Cour de justice.

Au fond :

- s'entendre infirmer le jugement dont appel en l'absence d'éléments matériel et intentionnel et prononcer la relaxe de Monsieur A,

- s'entendre dire que l'élément matériel, tel qu'il a été retenu par le Tribunal correctionnel de Créteil constitue une violation du principe de légalité des poursuites et des dispositions des articles 6 et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

Monsieur l'Avocat général, qui s'interroge sur l'existence de l'élément intentionnel, suggère à la cour de requalifier les faits poursuivis en contravention prévue et réprimée par l'article L. 214-2 du Code de la consommation (contravention de 3e classe).

Rappel des faits

Les premiers juges ont exactement et complètement rapporté les faits de la cause dans un exposé auquel la cour se réfère expressément ;

Il suffit de rappeler que le 7 août 1997 un contrôle effectué par la DGCCRF au sein des établissements X dirigés par Jacques A grossiste en fruits et légumes, portait sur 12 colis de nectarines comportant notamment la mention produit normalisé II calibre B ;

Toutefois, sur 4 colis pris au hasard, il était observé que 67,18 % des fruits présentaient un calibre inférieur à celui annoncé, de catégorie C ;

Le bon de livraison de la marchandise avait été établi par la SARL Y dont le gérant est Claude M ;

Ce dernier bénéficiait d'une convention avec la DGCCRF de la Drôme selon laquelle il s'était engagé à mettre en place un contrôle interne par du personnel formé et qualifiée et à formaliser les opérations de contrôle ;

Sur ce,

Considérant que les dispositions de l'article 213-1 du Code de la consommation ne sont nullement contraires aux dispositions des articles 28 et suivants du traité de Rome;

Considérant en effet que la réglementation française sur la tromperie tend à la protection des consommateurs et à la moralisation des transactions ;

Que les restrictions pouvant en découler ne sont ni disproportionnées par rapport au but légitime poursuivi ni discriminatoires puisque applicables quelle que soit la nationalité ;

Que la cour dans ces conditions rejettera la demande de question préjudicielle proposée par le prévenu ;

Considérant que le délit de tromperie visé à l'article L. 213-1 du Code de la consommation est un délit intentionnel ;

Considérant que la mauvaise foi qui n'est pas présumée peut se déduire d'une absence de vérifications par un professionnel ;

Que les vérifications doivent être entreprises à tous les stades de la commercialisation ;

Considérant qu'en l'espèce il est reproché aux prévenus d'avoir commercialisé des pêches de calibre B (de 61 mm à 67 mm de diamètre) alors que 67,18 % des fruits contrôlés présentaient un calibre allant de 56 mm à 61 mm ;

Considérant qu'il ressort des éléments produits aux débats que pour certaines variétés de fruits, le contrôle au diamètre est extrêmement difficile ;

Que c'est notamment le cas pour les nectarines blanches Queen Ruby qui ont été contrôlées par les agents de l'administration;

Qu'il s'agit en effet de pêches de formes allongées dont les contrôles de calibrage peuvent être sujets à interprétation ;

Que les calibreuses utilisées dans la profession contrôlent les pêches au poids et non au diamètre théorique imposé alors que dans la réalité les conditions de diamètre, dans la largeur, ne sont pas satisfaites pour quelques millimètres ;

Que cette difficulté de contrôle doit entrer en compte pour apprécier l'élément intentionnel de l'infraction étant observé que l'installation de contrôle de la SARL Y a été agréée par la DGCCRF depuis l'origine sur le fondement d'une convention d'auto contrôle de la qualité des fruits qui a été renouvelée tous les ans, y compris en 1998 ;

Considérant que compte tenu des circonstances particulières de l'espèce la cour estime que l'élément intentionnel du délit reproché aux prévenus n'est pas indubitablement établi ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu à requalification des faits poursuivis ;

Considérant que la cour, infirmant la décision critiquée, relaxera les prévenus des fins de la poursuite ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement Rejette la demande de question préjudicielle proposée par Jacques A Infirme le jugement dont appel Renvoie Jacques A et Claude M des fins de la poursuite Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.