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Décisions

CA Montpellier, 3e ch. corr., 18 octobre 2001, n° 01-00605

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brossier

Conseillers :

M. Duchemin, Mme Salvan-Bayle

Avocat :

Me Cabrillac.

CA Montpellier n° 01-00605

18 octobre 2001

Rappel de la procédure

Le jugement rendu le 23 mars 2001 par le Tribunal de grande instance de Béziers a renvoyé Monsieur B Edmond des fins de la poursuite alors qu'il était prévenu :

* d'avoir à Capestang, le 5 mai 1995 mis en vente, connaissant leur destination des produits propres à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme, des boissons ou des produits agricoles ou naturels, en l'occurrence du moût concentré rectifié non conforme aux prescriptions en vigueur,

* d'avoir à Capestang, le 5 mai 1995, trompé ou tenté de tromper la SCEA Domaine de la Provenquière, contractant sur la nature et les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce du moût concentré rectifié pour partie avec du sucre de betterave, non conforme aux prescriptions en vigueur,

Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, L. 213-3 du Code de la consommation

Appel

L'appel a été interjeté par le Ministère public le 26 mars 2001.

Demandes et moyens des parties :

Le Ministère public appelant, conclut à l'infirmation du jugement, à la culpabilité d'Edmond B et au prononcé à son encontre, d'une peine d'amende de cinquante mille francs ; il expose que le prévenu, gérant de la société responsable de la première mise sur le marché du produit, devait s'assurer de la conformité de celui ci aux normes en vigueur, sans pouvoir exciper du caractère non obligatoire de l'analyse à résonance magnétique nucléaire, seule apte à déceler la présence de sucre provenant de la betterave, ni sans être admise, on sa qualité de professionnel à arguer de sa bonne foi.

Le prévenu intimé, dépose des conclusions dans lesquelles il sollicite la confirmation du jugement déféré l'ayant renvoyé des fins de la poursuite aux moyens suivants :

- il n'est pas le responsable de la première mise sur le marché du produit mais c'est la société espagnole Mayorista à Quero, à qui il a fait confiance on lui achetant un produit certifié conforme aux normes CEE, ainsi qu'il ressort des pièces contractuelles, ladite société espagnole, bénéficiant paradoxalement d'une totale impunité;

- aucun texte ne rend obligatoire l'analyse selon le procédé de la résonance magnétique nucléaire qui aurait permis de déceler la présence de sucre de betterave et cette analyse, coûteuse et rare, n'était pratiquée par aucun négociant en vins et spiritueux au moment des faits;

- il n'a été alerté, ainsi que les professionnels de sa branche, pour la première fois des possibilités de fraude des vins et moûts en provenance de l'Espagne que par une circulaire du 12 juillet 1996 du Comité Central du Commerce Communautaire des Vins et Spiritueux et ne recommandant même pas le recours à l'analyse susvisée;

- enfin, en considérant qu'il avait fait preuve de prudence le tribunal a fait une juste application des textes et de la jurisprudence en vigueur à la date des faits ne faisant peser sur lui qu'une simple obligation de moyen.

La Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, s'en rapporte.

Motifs de la décision

La cour, après en avoir délibéré,

Sur la procédure

L'appel régulier on la forme et dans les délais doit être déclaré recevable ;

Edmond B comparait et l'arrêt sera contradictoire à son égard ;

La Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes comparaît et il y a lieu de statuer par arrêt contradictoire à son égard ;

Sur l'action publique

Attendu qu'il résulte du dossier et des débats les faits suivants :

Le 3 octobre 1995, les inspecteurs de la Direction générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Montpellier se rendaient au siège de la SCEA Domaine de la Provenquière à Capestang pour procéder à des contrôles sur l'enrichissement de la récolte de vin pour l'année 1995 par adjonction de moût concentré rectifié, une telle opération étant susceptible de générer une aide financière au Fond Européen d'Orientation et de Garantie (FEOGA).

Ils procédaient à des prélèvements de 3 échantillons de moût concentré rectifié (MCR) dans une cuve appartenant aux chais de l'exploitation (D1.6) aux fins d'analyse par le laboratoire Interrégional à Montpellier.

Interpellé sur la nature, la composition et l'origine des marchandises, Claude Robert, co-gérant de la SCEA déclarait que les échantillons prélevés étaient entrés dans leurs chais le 5 septembre 1995 et avaient été expédiés par la société X à Sète. Il indiquait également qu'il avait demandé au laboratoire Oenoconseil de procéder à des analyses le 7 septembre 1995, analyses gui avaient déterminé un alcool probable de 50,12 % (D1.6 et D1.9).

Le 24 octobre 1995, le laboratoire informait la DGCCRF que le résultat analytique du prélèvement révélait la non conformité du produit pour présence de sucre de betterave à une concentration estimée à 150 G/L dans le "MCR" sur 842 G/L de sucres totaux.

Un rapport écrit concluait en ce sens (D1.6Bis).

Le 8 novembre 1995, Claude Robert était informé de la non conformité du produit et déclarait être surpris par les résultats des analyses et ce, pour plusieurs raisons (D1.7) :

* d'une part, il avait fait lui-même procéder à des analyses qui ne laissaient transparaître aucune anomalie (D1.8 et D1.9) ;

* d'autre part, il avait acheté cette marchandise à la SARL X avec laquelle il travaillait depuis plusieurs années (D1.11) ;

Enfin, même s'il avait pensé qu'effectivement cette marchandise était d'origine espagnole, le chauffeur de la SARL X lui avait remis une analyse du laboratoire Boetto à Sète, qui ne laissait apparaître aucun indice de non conformité (D1.10).

Le 30 novembre 1995, les inspecteurs de la DGCCRF se rendaient au siège de la SARL X et rencontraient Edmond B, gérant de cette société.

Au cours de l'entretien, Edmond B ne remettait pas en cause la bien fondé des analyses mais déclarait seulement être surpris des résultats.

Il indiquait qu'il avait acheté ladite marchandise à une société espagnole et reconnaissait ne pas avoir fait procéder à ce type d'analyses avant la commercialisation du produit, n'en ayant pas les moyens (D1.12)

Le 25 octobre 1996, le DGCCRF adressait le procès-verbal au Procureur de la République lequel requérait une ouverture d'information (D7).

Entendu par le magistrat instructeur, le 29 septembre 1997, l'inspecteur de la DGCCRF, qui avait relevé les infractions expliquait avec précision la méthode d'utilisation du "MCR" et les obligations afférentes à cette utilisation.

Il indiquait également que les contrôles s'étaient multipliés compte tenu de la difficulté à trouver sur le marché du "MCR" en France ; de ce fait la DGCCRF avait attiré l'attention des professionnels du vin sur le risque d'introduction de "MCR" non conforme de telle sorte que le gérant de la SARL X ne pouvait ignorer que les analyses demandées par lui étaient trop superficielles.

Il indiquait enfin qu'en vertu de l'article L. 212-11 du Code de la consommation, le responsable de la première mise sûr le marché d'un produit est tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions an vigueur et qu'il appartenait donc à Edmond B de faire le nécessaire an ce sens (09).

Le 24 octobre 1997, devant le magistrat instructeur Edmond B indiquait qu'en réalité il n'avait pu faire effectuer des analyses par "RMN" an octobre 1995, cette méthode n'étant pas mise an œuvre par le laboratoire du DGCCRF de Montpellier.

Il indiquait également qu'il n'avait été informé de la nécessité de procéder à de telles analyses que par une circulaire du 12 juillet 1996 envoyée par son syndicat.

Il confiait au magistrat qu'il avait témoigné à la société espagnole une grande confiance commerciale laquelle mentionnait sur son contrat d'achat "MCR aux normes CEE".

Il insistait sur le fait qu'il n'était pas le responsable de la première mise sur le marché s'agissant de la société espagnole.

Il sollicitait enfin une expertise contradictoire et s'engageait à faire désigner un expert dans un délai de 5 jours, mais ledit engagement n'était pas respecté (D13).

Entendue le 19 juillet 1999, sur commission rogatoire du juge d'instruction, la responsable du laboratoire Boetto à Sète déclarait que jamais la SARL X n'avait demandé d'analyses par "RMN" et qu'elle était au courant de ce que le laboratoire ne pouvait procéder qu'à de simples analyses de détermination du degré Brix et d'alcool puissance.

Elle faisait également observer que le coût des analyses pratiquées par le laboratoire s'élevait à la somme de 75 F alors qu'une analyse par " RMN " coûtait environ 3 000 F (D16).

Lors du contrôle du 3 octobre 1995, Monsieur B, n'était pas trouvé détenteur de moût concentré rectifié au sens de l'article L. 213-4 du Code de la consommation, an conséquence un non-lieu sera requis.

Attendu que l'annexe 1 du règlement communautaire 822-87 définit an son point 7 le moût concentré rectifié comme le produit liquide non caramélisé, obtenu par déshydratation partielle du moût; de raisin.

Attendu qu'il est établi à l'issue de l'information et des débats qu'après avoir acheté à la société espagnole Mayorista à Quero un lot de moût concentré rectifié élaboré par une entreprise non dénommée dans la procédure, Edmond B, gérant de la société X, a mis an vente ce lot auprès de la SCEA Domaine de la Provinquière ;que les analyses effectuées par la Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes selon la méthode par résonance magnétique nucléaire ont révélé la non conformité du produit pour présence de sucre de betterave ; que de son côté Edmond B avait fait pratiquer auprès du laboratoire Boetto à Sète une analyse qui n'avait révélé aucune anomalie.

Attendu qu'il est constant que la SARL X était bien le responsable de la première mise sur le marché national du moût concentré rectifié acheté directement à la société espagnole; qu'en cette seule qualité elle se devait, par son responsable légal, Edmond B, de vérifier si le produit acheté était conforme aux normes an vigueur ; qu'elle était tenue de procéder elle-même aux vérifications nécessaires sans pouvoir exciper de la responsabilité d'un tiers, an l'espèce son vendeur ; qu' elle devait procéder aux vérifications nécessaires par tous moyens mis à sa disposition y compris non obligatoires sachant que la seule méthode efficace de détection était l'analyse RMN déjà an vigueur au moment des faits;

Qu'il est avéré que l'analyse que le prévenu a faite pratiquer était insuffisante à établir la présence ou non de sucre de betterave dans les moûts importés d'Espagne alors qu'il lui incombait de mettre en œuvre tous moyens nécessaires à la vérification de la qualité du produit qu'il était le premier à mettre sur le marché ;

Attendu qu'il résulte des éléments du dossier et des débats à l'audience de la cour que bien avant la publication de la circulaire du 12 juillet 1996 dont se prévaut le prévenu pour démontrer son ignorance du risque de fraude, par divers avertissements verbaux depuis les années 1991 auprès de sociétés importatrices locales en vins et spiritueux, l'Administration des fraudes avait attiré l'attention des professionnels sur le risque de fraude des produits en provenance de l'Espagne ; que le prévenu ne peut donc arguer de sa qualité de professionnel de bonne foi.

Attendu qu'ainsi en ayant importé d'Espagne, le 31 août 1995, un lot de moût concentré rectifié élaboré pour partie avec du sucre de betterave et en ayant revendu ce lot le 5 septembre 1995, Edmond B a commis l'infraction de détention et de vente de produit falsifié qui lui est reprochée, délit prévu et réprimé par las articles L. 213-3 et L. 213-4 du Code de la consommation.

Attendu par ailleurs qu'en tant que responsable de la première mise sur le marché du produit le prévenu aurait dû s'assurer de la conformité de celui-ci et qu'en s'abstenant de cette démarche il a engagé sa responsabilité pénale et commis le délit de tromperie prévu et puni par l'article L. 213-1 du Code de la consommation.

Attendu qu'ainsi la culpabilité du prévenu est établie et qu'il convient d'infirmer le jugement déféré;

Attendu qu'il s'agit de faits graves portant atteinte à l'ordre public économique et à la loyauté des transactions commerciales et qu'une peine d'amende de 50 000 F doit être prononcée à l'encontre d'Edmond B qui a déjà été condamné pour des infractions similaires ; Que toutefois, an application de l'article 751 du Code de procédure pénale, la contrainte par corps ne peut être prononcée à l'encontre du prévenu.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard d'Edmond B et de la Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, en matière correctionnelle et en dernier ressort, En la forme, reçoit l'appel régulier an la forme, et dans les délais; Au fond, infirme le jugement déféré ; Déclare Edmond B coupable des faits qui lui sont reprochés, En répression le condamne à une peine d'amende de cinquante mille francs (50 000 F); Dit que le condamné sera soumis au paiement du droit fixe de procédure d'un montant de 800 F prévu à l'article 1018A du Code général des impôts, Le tout par application des textes visés dans le jugement et dans l'arrêt, et des articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.