CA Paris, 22e ch. B, 13 janvier 2004, n° 02-36749
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bouchet, UNEDIC AGS-CGEA de Toulouse
Défendeur :
Rey (ès qual.), Vinceneux (ès qual.), France acheminement (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Taillandier
Conseillers :
Mmes Nadal, Imerglik, Descard-Mazabraud, M. Joly
Avoués :
Me Verdun, Seveno
Avocats :
Mes Nadal, Lepy.
LA COUR, statuant sur le contredit formé le 14 mai 1998 par Sébastien Bouchet à un jugement rendu le 4 mai 1998 par le Conseil de prud'hommes de Marseille (section commerce) qui s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Toulouse, les parties n'étant pas liées par un contrat de travail,
Après cassation d'un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (17e chambre) du 30 mars 1999 par arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 4 décembre 2001;
La SARL France acheminement et Sébastien Bouchet ont conclu le 11 mars 1996 un contrat de franchise en application duquel ce dernier s'est inscrit au registre du commerce, a versé un droit d'entrée de 71 000 F et s'est engagé à payer au franchiseur des royalties proportionnelles au chiffre d'affaires.
En contrepartie, Sébastien Bouchet a obtenu le droit d'exercer sous la marque France acheminement qui avait défini au préalable avec ses clients des prix et conditions qui s'imposaient au franchisé. Sébastien Bouchet avait toute liberté de développer ensuite une clientèle nouvelle.
Il partageait avec d'autres franchisés un local au nom du franchiseur, mais il était propriétaire du véhicule de transport qu'il utilisait.
Aux termes du contrat litigieux, les obligations du franchisé avaient pour but de lui permettre de développer son activité dans les meilleures conditions:
Son activité s'inscrit dans le cadre du réseau et toutes les obligations qui lui incombent sont la conséquence de cette appartenance au réseau de franchisés qui agit de ce fait dans l'unité, la cohésion et la standardisation des méthodes de travail envers les clients.
Le 15 décembre 1997, Sébastien Bouchet a rompu le contrat conclu le 11 mars 1996, la rupture prenant effet le 5 janvier 1998.
Le 19 décembre 1997, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Marseille (section commerce) d'une demande de requalification du contrat de franchise en contrat de travail avec toutes ses conséquences de droit.
Par jugement du 4 mai 1998, le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Toulouse, au motif que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail.
Sur contredit, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé ce jugement par arrêt du 30 mars 1999 en considérant que les conditions de la requalification du contrat de franchise en contrat de gérance libre, conformément aux dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail, n'étaient pas réunies,
- le partage avec d'autres franchisés d'un local au nom du franchiseur constituant une faculté et non une obligation imposée par le contrat,
- Sébastien Bouchet étant propriétaire du véhicule de transport,
- le lien de subordination juridique inhérent au contrat de travail n'étant pas caractérisé.
La Cour de cassation, par arrêt du 4 décembre 2001, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'Aix-en-Provence, sur un moyen relevé d'office au visa de l'article L. 781-1 2° du Code du travail et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris.
La cassation a été encourue dès lors que l'arrêt a énoncé que l'on doit examiner la validité du contrat au regard de l'existence ou de l'absence d'un lien de subordination permanent caractérisant le contrat de travail, alors que les dispositions du Code de travail sont applicables dès lors que les conditions prévues par l'article L. 781-1 2° de ce code sont, en fait réunies, quelles que soient les énonciations du contrat, sans qu'il soit besoin d'établir l'existence d'un lien de subordination.
La cour de renvoi a été saisie le 11 février 2002, par Sébastien Bouchet.
Par jugement du 7 janvier 2003, le Tribunal de commerce de Toulouse a prononcé le redressement judiciaire de la SARL France acheminement et désigné d'une part Maître Rey en qualité de représentant des créanciers, d'autre part Maître Caviglioli et Maître Vigreux en qualité d'administrateurs avec mission de remplacer le débiteur.
Le redressement judiciaire a été converti ultérieurement en liquidation.
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 17 novembre 2003 par Sébastien Bouchet qui demande à la cour de:
1°) dire que Sébastien Bouchet était lié à la SARL France acheminement par un contrat de travail;
2°) dire, en conséquence, que la SARL France acheminement est redevable à Sébastien Bouchet des sommes suivantes:
- droit d'entrée versée à la société: 10 823,88 euros
- apports effectués par Sébastien Bouchet: 12 759,98 euros
- frais professionnels: 28 598,06 euros
- complément de salaire (1er avril 1996 eu 8 janvier 1998): 34 101,22 euros
- indemnité compensatrice de congés payés: 3 410,04 euros
3°) dire que l'AGS devra garantir les sommes ci-dessus spécifiées;
4°) dire que la rupture du contrat de travail est imputable à la SARL France acheminement;
5°) dire, en conséquence, que la SARL France acheminement est redevable à Sébastien Bouchet des sommes suivantes:
- indemnité compensatrice de préavis: 2 045,86 euros
- indemnité en réparation du préjudice consécutif à la rupture: 15 244,90 euros
- dommages-intérêts en réparation du préjudice moral: 15 244,90 euros
6°) dire que l'AGS devra garantir les sommes ci-dessus spécifiées;
7°) dire que la SARL France acheminement est redevable à Sébastien Bouchet de la somme de 4 600 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de leurs observations orales par le Centre de gestion et d'études AGS de Toulouse, délégation régionale UNEDIC-AGS du Sud-Ouest, et par Maîtres Rey et Vinceneux en qualité de mandataires liquidateurs de la société France acheminement, qui demandent à la cour de:
à titre principal:
- débouter Sébastien Bouchet de l'intégralité de ses demandes, faute pour celui-ci de démontrer d'une part qu'il a mis un terme définitif à toute activité de transporteur, d'autre part que les conditions de l'article L. 781-1 2° du Code du travail sont cumulativement réunies;
à titre subsidiaire:
- dire que Sébastien Bouchet ne pourrait relever que du groupe 3 bis de la nomenclature de la convention "personnel roulant de marchandises-conducteurs de véhicules jusqu'à 5 tonnes";
- juger, pour la détermination de la créance éventuelle de rappel de salaire et d'heures supplémentaires, qu'il y a lieu de déduire du salaire minimum conventionnel net les recettes hors taxes réalisées par le demandeur dans le cadre du contrat de franchise;
- dire que la créance au titre d'un rappel de salaires ne saurait excéder la somme de 7 907,09 euros;
- débouter Sébastien Bouchet de sa demande au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs;
- débouter Sébastien Bouchet de l'intégralité des indemnités sollicitées au titre de la rupture et, subsidiairement, limiter l'indemnité de préavis à 1 025,83 euros;
- dire que les sommes réclamées à titre de remboursement du droit d'entrée, remboursement des charges d'exploitation, dommages-intérêts au titre du préjudice moral et sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile sont exclues de la garantie;
Ouï le représentant du Ministère public en ses observations orales à l'audience du 17 novembre 2003;
Sur ce:
Considérant qu'aux termes de l'article L. 781-1 2° du Code du travail, les dispositions de ce code qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs sont applicables aux personnes dont la profession consiste essentiellement à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle et commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par ladite entreprise;qu'il en résulte que dès lors que les conditions sus-énoncées sont, en fait, réunies, quelles que soient les énonciations du contrat, les dispositions du Code du travail sont applicables, sans qu'il soit besoin d'établir l'existence d'un lien de subordination;
Qu'en l'espèce, la réunion des conditions énoncées à l'article L. 781-1 2° susvisé résulte des termes mêmes du "contrat de franchise" conclu le 11 mars 1996 par Sébastien Bouchet avec la SARL France acheminement; qu'en effet, ce contrat comportait une clause d'exclusivité et de non-concurrence par laquelle l'appelant, d'une part, renonçait à exercer directement ou indirectement une activité ayant un caractère annexe, accessoire ou complémentaire sur tout autre secteur géographique que celui sur lequel s'appliquait son exclusivité territoriale, d'autre part s'interdisait d'établir en dehors du contrat de franchise tout lien juridique avec une clientèle susceptible de devenir client du réseau pour les activités visées au contrat; que la SARL France acheminement veillait d'ailleurs strictement au respect de leurs obligations contractuelles par ses franchisés au point de faire surveiller ces derniers par ses préposés; que par lettre du 25 novembre 1997, elle a mis Sébastien Bouchet en demeure de cesser immédiatement toute prestation pour une société concurrente chez laquelle il avait été surpris alors qu'il terminait un chargement; qu'elle avait déjà, dans une lettre du 6 mai 1997, opposé une fin de non-recevoir aux velléités exprimées par Sébastien Bouchet de desserrer le carcan dans lequel l'enfermait son contrat; qu'en son article 4 D, ce contrat lui faisait obligation de participer à la prise à bail des locaux techniques indispensables à son activité et d'acquitter sa quote-part des loyers et charges avec l'ensemble des franchisés utilisant ces locaux; que les pièces communiquées par Sébastien Bouchet démontrent que ces derniers avaient été pris à bail par la société France acheminement qui était titulaire des abonnements auprès de France Télécom et d'EDF-GDF; que cette société facturait ponctuellement à Sébastien Bouchet une quote-part du loyer et des charges locatives, qui s'élevait à 1 569,16 F pour le premier et à 264,71 F pour les secondes, au deuxième trimestre de 1996; que les frais d'électricité et de téléphone faisaient pareillement l'objet d'une facturation; qu'au terme de l'exercice clos le 31 mars 1997, les charges de Sébastien Bouchet représentaient d'ailleurs 84,54 % des produits d'exploitation, réduisant le bénéfice de l'exercice à 39 462 F; que l'appelante ne disposait, il est vrai, d'aucune latitude dans la fixation de ses tarifs; que dans une note du 26 septembre 1996, la société a rappelé aux équipes de franchisés la nécessité d'appliquer les tarifs nationaux des clients Chausson service et Hilti; que par lettre du 10 décembre 1996, elle a convoqué Sébastien Bouchet à une réunion prévue le 19 décembre en vue de la mise à jour des tarifs 1997 pour la totalité des clients; que le 10 février 1997, elle a transmis à ses franchisés des Bouches-du-Rhône la grille de tarifs "à respecter impérativement" avec le client CGE Distribution; qu'en application de l'article 6 E du contrat signé par l'appelant, la SA France acheminement, ayant le même dirigeant et le même siège que le franchiseur, établissait les factures clients au nom de Sébastien Bouchet et les transmettait à ce dernier; qu'il n'existait donc aucune possibilité d'échapper aux tarifs définis par la SARL France acheminement; que l'ensemble des conditions exigées par l'article L. 781-1 2° du Code du travail étant réunies en l'espèce, les dispositions du Code du travail sont applicables à la solution du présent litige; que le contredit de compétence formé par Sébastien Bouchet est donc recevable et bien fondé;
Considérant qu'aux termes de l'article 86 du nouveau Code de procédure civile, la cour saisie par la voie du contredit, renvoie l'affaire à la juridiction qu'elle estime compétente par une décision qui s'impose aux parties et au juge de renvoi; qu'il résulte de l'article 89 du même code qu'elle peut évoquer le fond seulement lorsqu'elle est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente; qu'en l'espèce, le conseil de prud'hommes territorialement compétent en application de l'article R. 517-1 du Code du travail est le Conseil de prud'hommes de Marseille; qu'en conséquence, les demandes de Sébastien Bouchet sont irrecevables devant la Cour d'appel de Paris, statuant sur contredit;
Considérant, enfin, qu'il est équitable de laisser chacune des parties supporter les frais qu'elle a exposés, tant en première instance que devant la cour, et qui ne sont pas compris dans les dépens;
Par ces motifs: Reçoit Sébastien Bouchet en son contredit de compétence et le dit bien fondé; Réforme le jugement du 4 mai 1998 par lequel le Conseil de prud'hommes de Marseille (section commerce) s'est déclaré incompétent en raison de la matière et a déclaré le Tribunal de commerce de Toulouse compétent; Renvoie la cause et les parties devant le Conseil de prud'hommes de Marseille (section commerce); Déclare irrecevables devant la cour de céans les demandes formées sur le fond par Sébastien Bouchet; Déclare le présent arrêt opposable au Centre de gestion et d'études AGS de Toulouse, délégation régionale UNEDIC-AGS du Sud-Ouest; Déboute Sébastien Bouchet de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Dit que les frais afférents au contredit seront supportés par la SARL France acheminement en application de l'article 88 du nouveau Code de procédure civile.