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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 4 avril 2001, n° 00-00889

ROUEN

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Catenoix

Substitut général :

M. Gicquel

Conseillers :

M. Bisot, Mme Aymes Belladina

Avocats :

Mes Carlberg, Violet

CA Rouen n° 00-00889

4 avril 2001

En cause

Monsieur le Procureur général

Alain M accepte de comparaître volontairement devant la cour, il accepte également de comparaître si besoin est sous la qualification de tromperie ou tentative de tromperie des contractants sur les qualités des marchandises, infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation;

La partie civile UFC "Que Choisir de l'Eure" (Union Fédérale des Consommateurs) appelée à différentes reprises par l'huissier de service n'a pas répondu à l'appel de son nom;

L'UFC Que Choisir de l'Eure a déposé par courrier des conclusions, lesquelles datées et contresignées par le greffier ont été visées par le Président puis jointes au dossier.

Rappel de la procédure

Prévention

Alain M a comparu le 8 février 2000 devant le Tribunal correctionnel d'Evreux à la suite d'une citation qui lui avait été délivrée le 25 novembre 1999.

Il était prévenu d'avoir à Evreux, courant 1997 et 1998 et notamment le 5 février 1998, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, en l'espèce pour avoir conditionné et mis en vente de façon promotionnelle des boudins blancs truffés sans indication du pourcentage de truffes et alors que ces derniers étaient périmés;

Faits constitutifs de l'infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-4 et L. 213-1 du Code de la consommation.

Jugement

Par décision contradictoire en date du 7 mars 2000 le tribunal l'a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à une peine d'amende de 20 000 F.

Statuant en outre sur l'action civile, le tribunal a :

- reçu l'UFC Que Choisir de l'Eure en sa constitution de partie civile condamné Alain M à lui payer la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Appels

Il a été interjeté appel de cette décision :

- le 14 mars 2000 par le prévenu sur les dispositions pénales et civiles

- le même jour par le Ministère public

Décision

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi.

En la forme

Les appels du prévenu et du Ministère public sont recevables.

Alain M, cité à comparaître devant la cour suivant acte d'huissier remis à Parquet général le 22 janvier 2001, comparaît volontairement à l'audience de la cour, assisté de son avocat. Il sera donc statué contradictoirement à son égard.

L'association UFC Que Choisir, citée en qualité de partie civile suivant acte d'huissier en date du 6 décembre 2000, a fait parvenir à la cour par l'intermédiaire de son avocat des conclusions et des pièces qui ont été reçues le 19 février 2001. Il sera donc statué à son égard par arrêt contradictoire à signifier.

Au fond

Des inspecteurs de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du département de l'EURE ont procédé le 30 décembre 1997 à 10 heures à un contrôle au sein de l'hypermarché à l'enseigne "X" exploité à Evreux Netreville par la société Teutates, et ceci dans le cadre d'une opération nationale interministérielle relative à la commercialisation des produits festifs de fin d'année.

Ce contrôle était effectué en présence de M. Alain M, directeur du magasin.

Les inspecteurs constataient la mise en vente en libre service, au prix de 39,90 F le kilo de "boudins blancs truffés" conditionnés en une trentaine de barquettes portant la mention "OFFRE SPÉCIALE" placées dans un meuble réfrigéré situé au niveau du rayon "charcuterie à la coupe".

L'étiquetage porté sur ces barquettes mentionnait comme date d'emballage celle du 29 décembre 1997 mais ne comportait ni l'indication des ingrédients (notamment le pourcentage de truffes) ni la date de péremption si ce n'est la mention "0198" portée de manière quasiment illisible car les caractères d'une hauteur inférieure à 3 millimètres chevauchaient la mention préimprimée "prix à payer".

Monsieur M et le chef du rayon charcuterie, Monsieur Christian Étienne, invités à communiquer les documents d'accompagnement et l'étiquetage initial de ces denrées manifestement reconditionnées, indiquaient aux inspecteurs qu'ils n'avaient pas conservé les étiquetages initiaux sur lesquels figuraient les mentions portées par le fabricant en ce qui concerne la date de péremption et les ingrédients.

Au sujet du reconditionnement, Alain M leur indiquait que le produit, initialement vendu " à la coupe" pour Noël n'avait pas été totalement vendu à cette occasion et qu'il l'avait donc fait mettre en barquette pour un meilleur écoulement en libre-service.

La facture d'achat présentée par Alain M faisait apparaître que l'hypermarché s'était approvisionné auprès de la base X de Louviers qui avait livré le 19 décembre 1997 80 kilos de boudins blancs truffés à 1 % sous conditionnements unitaires de 2 kilos, au prix hors taxe de 37,53 F le kilo.

L'enquête complémentaire menée le 2 janvier auprès de la base X de Louviers révélait que la date de péremption de la marchandise était le 28 décembre 1997.

Monsieur Christian Étienne se présentait dans l'après-midi à la DGCCRF de l'Eure et déclarait aux inspecteurs "j'ai bien vu que ces denrées étaient périmées le 28/12/1997. Nous avons cependant conditionné le 29/12/1997 par inattention... Nous avons aussi conditionné du boudin blanc truffé le 26/12/1997".

Il s'y présentait à nouveau le 20 janvier 1998 pour déclarer qu'à la suite de la constatation des infractions relevées, il avait fait l'objet d'une mise à pied conservatoire le 9 janvier 1998 puis d'un licenciement le 15 janvier 1998 aux motifs qu'il avait conditionné des boudins périmés et détenu à nouveau le 9 janvier 1998 un ensemble de denrées périmées. Il précisait à cette occasion que Monsieur M lui avait expressément ordonné de conditionner les boudins le 27 décembre 1997.

C'est dans ces conditions qu'était établi le 5 janvier 1998 par les inspecteurs de la DGCCRF un procès-verbal de délit du chef de tentative de tromperie, et de contravention connexe du chef d'infraction en matière d'étiquetage informatif.

Alain M était entendu par un officier de police judiciaire le 30 avril 1998. Il déclarait que les denrées avaient été reconditionnées à sa demande le 26 décembre comme Monsieur Etienne l'avait initialement indiqué et non le 27. Il contestait avoir voulu occulter les infractions commises et faisait valoir que son préposé jouissait d'une totale autonomie et avait agi de "façon parfaitement indépendante", faisant observer que tous les chefs de rayon bénéficiaient d'un intéressement et étaient responsables des résultats économiques de leur rayon.

Devant le tribunal il invoquait la délégation de pouvoir qu'il avait consenti à Monsieur Etienne et confirmait avoir demandé le 26 décembre "qu'on emballe les boudins car ils étaient périmés le 28 décembre", précisant que Monsieur Etienne les avait reconditionnés le 29 sans l'en avertir.

Il maintient cette position devant la cour en faisant valoir notamment que Monsieur Etienne, chef de rayon titulaire d'une délégation de pouvoir écrite, était pourvu de l'autorité et des moyens nécessaires à l'accomplissement des missions dont il avait la charge, notamment celle de veiller au respect de la réglementation dans son rayon, et qu'il gérait celui-ci en toute autonomie puisqu'il avait la responsabilité de la gestion du stock, de la passation des commandes auprès de la centrale, avec le choix des produits et des quantités. Il précisait que Monsieur Etienne était en outre pourvu d'un pouvoir disciplinaire sur l'équipe qu'il dirigeait et qu'il exerçait la profession de charcutier depuis 26 années.

Alain M fait valoir en outre que, lors de l'entretien préalable à son licenciement, Monsieur Etienne n'a jamais invoqué une prétendue directive de son employeur, ce qui est d'ailleurs attesté par le représentant du personnel qui assistait Monsieur Etienne lors de l'entretien.

Il fait valoir enfin que Monsieur Etienne avait déjà été sanctionné en juillet 1997 pour avoir mis en vente des denrées impropres à la consommation, les dates limites de consommation étant dépassées, l'avertissement qui avait alors été infligé à Monsieur Etienne et les instructions formelles qui lui avaient alors été données démontrant que Monsieur M "avait instauré au sein de son magasin des procédures bien rodées pour que les denrées périmées soient immédiatement et de la façon la plus fiable possible retirées des rayons" et qu'il "veillait au respect par ces salariés de ces procédures sanitaires ".

Cela étant exposé

La matérialité des faits reprochés à Alain M et qu'il ne conteste pas est établie par les constatations relevées au procès-verbal dressé par les inspecteurs de la DGCCRF.

Ils caractérisent en réalité l'élément matériel du délit de tromperie prévu et réprimé par les articles L. 213-1 et L. 216-3 du Code de la consommation, ce sur quoi le prévenu a été invité à s'expliquer.

En effet le consommateur se trouvait trompé sur les qualités substantielles des denrées vendues, à savoir leur état de fraîcheur, leur durabilité et leur caractère consommable sans risque.

La délégation de pouvoir écrite consentie en date du 22 septembre 1997 à son chef de rayon qui l'a acceptée et signée, est rédigée dans les termes suivants

Fiche de fonctions Chef de rayon

En votre qualité de chef de rayon, d'une manière générale, vous êtes, aux termes de la convention collective, responsable de la gestion, de l'organisation, de l'approvisionnement du rayon dont vous avez la charge, dans le cadre de la délégation de pouvoirs qui vous est consentie.

Dans le cadre de vos attributions, vous êtes notamment chargé :

- de l'approvisionnement du rayon en vous assurant que les marchandises soient en quantité suffisante et que leur qualité soit irréprochable

- de vérifier la livraison, en quantité et en qualité;

- de veiller à l'application de ta réglementation publique des prix, des fraudes, de l'hygiène et des poids et mesures;

- d'organiser les conditions de vente des rayons en vous assurant de leur conformité avec la réglementation et la publicité;

- de veiller au respect des mesures d'hygiène et de sécurité et à la bonne présentation du personnel dont vous avez la responsabilité et proposer au besoin toutes sanctions disciplinaires pour faire observer ces différents points.

La fonction essentielle que vous assurez dans le cadre de notre magasin est avant tout une fonction d'engagement et de responsabilité.

En votre qualité de chef de rayon, vous agissez par délégation de pouvoirs et de responsabilité de votre Président du conseil d'administration pour apporter votre collaboration dans tout domaine de votre compétence.

Cette "fiche de fonctions" était annexée à un courrier en date du 22 septembre 1997 sous la signature de Carole Blanchard, responsable administrative de la société Teutates, rédigé comme suit :

Nous avons le plaisir de vous confirmer par la présente les termes de l'entretien que vous avez eu avec Monsieur M, directeur de notre magasin, à savoir votre changement de catégorie. En effet à compter du 1er octobre 1997, vous passez chef de rayon, catégorie agent de maîtrise, coefficient 200.

Nous joignons à la présente la fiche de fonctions "chef de rayon" que nous vous remercions de bien vouloir nous retourner après y avoir porté la mention manuscrite "lu et approuvé, bon pour accord" suivie de votre signature.

Toutefois Alain M ne peut se prévaloir de cette délégation de pouvoir alors que Monsieur Etienne ne disposait à l'évidence ni de la compétence ni de l'autonomie exigées pour la validité d'une délégation de pouvoirs susceptible de décharger le dirigeant d'un établissement des responsabilités qui lui incombent selon ses propres fonctions.

En effet les fautes déjà reprochées à Monsieur Etienne en juillet 1997 moins de trois mois avant sa nomination comme chef de rayon et moins de six mois avant les faits visés à la prévention, et qui furent sanctionnées par un avertissement de l'employeur, démontrent qu'en dépit de son ancienneté dans la profession Monsieur Etienne n'avait pas la compétence et les qualités requises pour assumer, en toute sécurité pour le consommateur, les responsabilités qui lui étaient confiées.

Il convient d'ailleurs de relever que la lettre d'avertissement notifiée le 23 juillet 1997 à Monsieur Etienne, signée de la responsable administrative de la société, mentionnait un entretien avec Monsieur Gammacurta alors Président du conseil d'administration de la société Teutates, et qu'Alain M ne prouve aucunement qu'il ait ensuite lui-même veillé au respect par Monsieur Etienne de la procédure exigée pour l'avenir dans cette lettre d'avertissement à savoir :

- repérer tous les matins les produits arrivant à péremption d'ici cinq jours et modifier leur étiquetage pour les afficher à - 50 %

- faire la liste des produits arrivant à péremption le lendemain et donner la liste au personnel du stand assurant la fermeture afin que les produits arrivant à J +1 soient retirés de la vente le soir même.

Par ailleurs Alain M a admis qu'il avait donné instruction à son chef de rayon, selon lui le 26 décembre, de reconditionner les boudins, ce qui démontre que dans la réalité Monsieur Étienne ne jouissait pas d'une réelle autonomie.

Il est évident que lorsqu'il donnait l'ordre de reconditionner les boudins, le 26 décembre si l'on retient la date qu'il a lui môme admise, Alain M savait parfaitement qu'ils étaient périmés deux jours plus tard. Dans ces conditions il lui appartenait de veiller tout particulièrement à ce que les consignes régissant la vente des produits arrivant à péremption fussent respectées, la proximité de la date de péremption nécessitant qu'un contrôle effectif soit réalisé par le directeur du magasin qui avait pris l'initiative du reconditionnement et ne pouvait ignorer le peu de fiabilité de son chef de rayon.

Au surplus il est tout à fait significatif que, lors de la visite des inspecteurs de la DGCCRF, Alain M se soit abstenu de leur indiquer la date de péremption qu'il n'ignorait pourtant pas. Cette circonstance démontre qu'en réalité Alain M admettait en fait et couvrait à tout le moins des pratiques contraires à la réglementation.

L'élément intentionnel de l'infraction reprochée à Alain M et requalifiée en tromperie ainsi qu'il a été précédemment exposé étant ainsi parfaitement caractérisé, la cour le déclarera coupable du délit ainsi requalifié sur le fondement de l'article L. 213-1 du Code de la consommation.

S'agissant de la sanction pénale, compte tenu de la nature des faits et de leur degré de gravité, et eu égard aux renseignements recueillis sur la situation et la personnalité d'Alain M qui est actuellement demandeur d'emploi et dont le casier judiciaire ne mentionne aucun antécédent, la cour confirmera la peine d'amende de 20 000 F prononcée par le tribunal et ordonnera en outre, conformément aux dispositions de l'article L. 216-3 du Code de la consommation, la publication de l'arrêt selon les modalités indiquées au dispositif ci-après.

S'agissant de l'action civile, l'Association UFC Que Choisir de l'Eure a fait parvenir à la cour des conclusions tendant à voir confirmer les dispositions civiles du jugement déféré et à voir condamner en outre Alain M à lui payer la somme de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale au titre de la procédure d'appel ainsi que les entiers dépens.

L'Association UFC Que Choisir de l'Eure, agrée pour exercer les droits reconnus aux associations de consommateurs, est fondée en sa constitution de partie civile et la cour ne trouve pas de motif à modifier l'évaluation que le tribunal a faite de son préjudice. Le Tribunal ayant fait en outre une équitable application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions civiles.

Il est équitable d'allouer en outre à l'Association UFC Que Choisir de l'Eure qui a fait déposer devant la cour des conclusions par son avocat pour assurer la défense de ses intérêts, une somme complémentaire de 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale au titre des frais exposés en cause d'appel.

Alain M sera en outre condamné aux dépens de l'action civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, l'arrêt devant être signifié aux parties. En la forme Déclare les appels du prévenu et du Ministère public recevables, Au fond Requalifie les faits visés à la prévention sous la qualification de publicité trompeuse en délit de tromperie prévu et réprimé par les articles L. 213-1 et L. 216-3 du Code de la consommation. Déclare Alain M coupable des faits ainsi requalifiés, Confirme le jugement déféré sur la peine d'amende prononcée ainsi qu'en toutes ses dispositions civiles. Y ajoutant Ordonne la publication du communiqué suivant dans le journal Paris-Normandie (édition de l'EURE), aux frais du condamné dans les conditions fixées par l'article 131-35 du Code pénal : "Par arrêt en date du 4 mars 2001 la Cour d'appel de Rouen a condamné Alain M à la peine de 20 000 F d'amende pour avoir le 29 décembre 1997, dans le supermarché à l'enseigne X situé à Evreux Netreville alors exploité par la société Teutates, en sa qualité de directeur de magasin, trompé ou tenté de tromper le contractant ou le consommateur sur les qualités substantielles de denrées alimentaires, en l'espèce en mettant en vente, après les avoir reconditionnés, des boudins blancs truffés dont la date de péremption était dépassée et en trompant ainsi ou tentant de tromper le consommateur sur l'état de fraîcheur, la durabilité et le caractère consommable de ces denrées ". Condamne Alain M à payer à l'Association UFC Que Choisir de l'Eure une somme complémentaire de 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale au titre des frais exposés en cause d'appel. Dit qu'il pourra être recouru, s'il y a lieu dans les formes de droit à la contrainte par corps pour le recouvrement de l'amende. La présente procédure est assujettie à un droit fixe de huit cents francs (800 F) dont est redevable Alain M.