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Décisions

CA Caen, ch. corr., 12 avril 2000, n° 99-00509

CAEN

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Deroyer

Avocat général :

M. Seguin

Conseillers :

Mmes Clouet, Holman

Avocat :

Me Le Masle.

CA Caen n° 99-00509

12 avril 2000

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Saisi de poursuites dirigées contre :

M. E René d'avoir à Beuvilliers, le 14 mai 1997, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en sa qualité de Président directeur général des abattoirs E-G, trompé ou tenté de tromper les contractants, à savoir André Chevreuil, le GAEC de la Grandière, Mme Liger et la SA Amas Frères, sur la quantité des marchandises vendues, en l'espèce en faisant enlever avant la pesée des parties de carcasses de bovins, cette pratique faisant minorer frauduleusement le poids desdites carcasses ;

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation;

M. G Jean d'avoir à Beuvilliers, le 14 mai 1997, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en sa qualité de Président directeur général des abattoirs E-G, trompé ou tenté de tromper les contractants, à savoir André Chevreuil, le GAEC de la Grandière, Mme Liger et la SA Amas Frères, sur la quantité des marchandises vendues, en l'espèce en faisant enlever avant la pesée des parties de carcasses de bovine, cette pratique faisant minorer frauduleusement le poids desdites carcasses ;

Infraction prévue et réprimée par les articles L.213-1, L.216-2 et L.216-3 du Code de la Consommation;

Le Tribunal correctionnel de Lisieux, par jugement en date du 22 juin 1999, a déclaré les prévenus coupables de l'infraction et les a condamnés à 20 000 F d'amende chacun.

Les appels :

Appel a été interjeté par Monsieur E René, le 1er juillet 1999 Monsieur G Jean, Le 1er juillet 1999 M. le Procureur de la République le 1er juillet 1999 contre Monsieur E René et Monsieur G Jean

Motifs :

Le 14 mai 1997, les agents de la DGCCRF du Calvados procédaient à un contrôle de l'abattoir E-G de Beuvillers et constataient un dégraissage excessif des carcasses de bovins, en infraction aux arrêtés ministériels du 5 juillet 1977.

Ainsi, les agents verbalisateurs relevaient qu'un salarié était chargé, en fin de chaîne, juste avant la pesée, d'enlever de la graisse au delà du poids autorise par les textes lors d'une opération qualifiée "émoussage", la moyenne d'enlèvement abusif de graisse voire d'une partie des muscles de la base inférieure du collier sur les gros bovins était évaluée à 4,08 kg par unité.

Il était précisé qu'une minoration de quelques kilogrammes par bête à l'occasion de la pesée pouvait occasionner pour la société E-G des profits frauduleux estimés à environ 117 000 F entre le 1er janvier et le 15 mai 1997, au vu du nombre des animaux abattus et ce au préjudice de la collectivité des éleveurs.

M. E conclut à 1' infirmation du jugement et à sa relaxe aux motifs qu'il n'a pas personnellement pris part à la réalisation des faits visés dans la prévention et que M. G était bénéficiaire d'une délégation de pouvoir.

Il résulte des pièces produites que M. E a été nommé Président du conseil d'Administration de la SA E-G le 7 juin 1996, alors que la société avait été mise en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Lisieux du 22 août 1995 et que par jugement du 6 juin 1996 le Tribunal de commerce avait adopté un plan de redressement par continuation de la société.

Le 1er juillet 1996, M. G a écrit à M. E : "Dans le cadre du sauvetage de la société E-G,vous avez bien voulu accepter les fonctions de Président directeur général, pour permettre au Tribunal d'accepter le plan de continuation qui a été proposé, je vous informe qu'en ma qualité de Directeur général de ladite société et de l'abattoir alors que je suis sur le terrain, j'accepte d'assumer toutes les responsabilités sur le plan pénal et administratif, dans le cadre du strict respect des dispositions légales applicables. Je reconnais bénéficier d'une délégation générale de responsabilité et vous dégage à ce titre de toute responsabilité pour toutes infractions qui pourraient être commises au sein de nos établissements".

En l'espèce, il est constant que M. E n'a pas personnellement pris part à la réalisation des faits visés à la prévention.

M. G ne méconnaît pas disposer de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires à l'exécution de sa délégation de pouvoir.

En conséquence, cette délégation de pouvoir est applicable aux faits visés dans la prévention et M. E sera relaxé des fins de la poursuite.

M. G affirme que la pratique de l'émoussage est généralisée, connue et admise de tous, et que même si cette opération est réalisée avant la pesée finale, elle ne porte pas préjudice aux producteurs ou négociants en bestiaux, puisqu'elle assure une meilleure présentation des carcasses aux acheteurs grossistes en viande, clients de l'abattoir, et permet donc une négociation de ces carcasses à un prix plus élevé, lequel profite aux éleveurs, puisque l'abattoir n'intervient que comme prestataire de services.

Il conclut à l'infirmation du jugement aux motifs que l'élément légal n'est, pas constitué, subsidiairement pour l'absence d'élément matériel et intentionnel.

Les arrêtés légalement pris par l'autorité compétente revêtent un caractère de permanence qui les fait survivre aux lois et décrets dont ils procèdent, tant qu'ils n'ont pas été rapportés ou qu'ils ne sont pas devenus inconciliables avec les règles tracées par une législation postérieure. En l'espèce, M. G est poursuivi du chef de tromperie sur le poids des choses livrées, en infraction aux dispositions des deux arrêtés du 5 juillet 1977 relatifs, le premier à "l'homologation d'un catalogue de classement de carcasses de gros bovins en vue de leur répartition par catégories et de leur marquage", le deuxième aux "conditions de la pesée des viandes des espèces bovine, ovine et porcine en vue de clarifier les conditions d'achat et de vente des animaux ".

Le premier arrêté du 5 juillet 1977 a été pris notamment au visa du décret n° 74-804 du 23 septembre 1974 relatif au marquage obligatoire par catégories des carcasses des espèces bovine, ovine et porcine. Il comporte deux annexes intitulées respectivement "catalogue des carcasses et des gros bovins" et "définition des carcasses et demi-carcasses de gros bovins".

Le deuxième arrêté du 5 juillet 1977 a été pris notamment au visa du premier arrêté du 5 juillet 1977 mais sans viser le décret n° 74-804 du 23 septembre 1974.

Ces arrêtés ne prévoyant aucune sanction particulière, leur non respect n'est susceptible d'être pénalement poursuivi que par application des règles pénales applicables au délit de tromperie sur le poids.

Le décret 74-804 du 23 septembre 1974 a été abrogé par le décret n° 94-808 du 12 septembre 1994 "portant application du Code de la consommation et relatif à la présentation, à la pesée, à la classification et au marquage des espèces bovine, ovine et porcine", ce nouveau décret prévoyant, en son article 7, qu'un arrêté conjoint du ministre chargé de la Consommation et du ministre de l'Agriculture fixerait les modalités d'application du présent décret, notamment en ce qui concerne la subdivision des grilles de classement, les conditions de présentation à la pesée, les modalités du marquage.

Les arrêtés du 5 juillet 1977 n'ont pas été expressément abrogés.

Cependant, le premier arrêté du 5 juillet 1977 est incompatible avec le règlement n° 1208-81 du 28 avril 1981 du Conseil des Communautés européennes, dont l'application est visée par le décret du 12 septembre 1994, établissant un catalogue unique de classement à l'échelon communautaire, applicable par les Etats membres sans subsidiarité possible.

Il doit, en conséquence, être considéré comme caduque. Le deuxième arrêté du 5 juillet 1977 doit être également considéré comme implicitement abrogé, puisqu'il précise : "par carcasses présentées entières ou en demi en vue de la pesée, il faut entendre, pour les gros bovins, la carcasse telle que définie à l'annexe II de l'arrêté du 5 juillet 1977", et qu'en raison de la caducité de ce premier arrêté, il n'existe plus de définition des carcasses.

Les dispositions de l'article 7 du décret du 12 septembre 1994 confirment la caducité des arrêtés du 5 juillet 1977, ceux-ci étant incompatibles avec la réglementation communautaire postérieure à 1977 et visée par le décret du 12 septembre 1994 en son article 1er.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, les arrêtés du 5 juillet 1977, qui n'étaient plus applicables à la date du procès-verbal, ne sauraient servir de fondement à la poursuite.

Il doit donc être recherché si le prévenu a commis le délit de tromperie sur le poids, conformément aux dispositions de droit commun de l'article L. 213-1 du Code de la consommation.

En l'espèce, il résulte des très nombreuses attestations produites, et notamment par les quatre éleveurs et marchands de bestiaux propriétaires des six carcasses ayant fait l'objet des constatations du procès-verbal, qui n'ont pas été entendus par les enquêteurs, qu'il a toujours été proposé aux producteurs et négociants en bestiaux d'assister, s'ils le désiraient, à la préparation des animaux et à leur pesée, et que lorsqu'ils y ont assisté, ils ont constaté que la présentation et pesée donnaient toute satisfaction, l'émoussage -connu de tous et dont l'abattoir ne tirait aucun bénéfice-, améliorant la présentation des carcasses et leur donnant une plus-value.

La prestation de l'abattoir étant connue des clients et fonctionnant à leur satisfaction, conformément aux usages commerciaux en vigueur, les éléments matériel et intentionnel du délit de tromperie sont inexistants en l'espèce.

En conséquence, le jugement sera infirmé et M. G relaxé des chefs de la poursuite.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire à l'égard de toutes les parties Reçoit les parties en leurs appels Rejette la demande d'audition des témoins Vu les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation Infirme le jugement entrepris Relaxe M. René E et M. Jean G des fins de la poursuite.