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Décisions

CA Toulouse, 3e ch. corr., 3 février 2000, n° 99-00672

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boyer

Substituts du Procureur général :

MM. Ignacio, Baxerres

Conseillers :

M. Lamant, Mme Baby

Avocats :

Mes Vincenti, Axisa, Baget, Pressecq

CA Toulouse n° 99-00672

3 février 2000

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, par jugement en date du 10 juin 1999 contradictoire, a déclaré Alain G coupable de : tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, courant septembre 1998, à Cahuzac-sur-Vère, infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1 L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation détention de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifie, corrompu ou toxique, le 30 septembre 1998 à Cahuzac-sur-Vère, infraction prévue par l'article L. 213-4 Al. 1 2° du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-4 Al.1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation détention de produit propre a effectuer la falsification de denrées alimentaires, le 30 septembre 1998, à Cahuzac-sur-Vère, infraction prévue par l'article L. 213-4 Al.1 4° du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-4 Al.1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation

Et en application de ces articles, l'a condamné à 80 000 F d'amende, publication dans la Dépêche du Midi, édition du Tarn et le Tarn Libre (coût maximum 3 000 F chacune).

Sur l'action civile

Le tribunal a reçu l'Institut National des Appellations d'Origine des vins et eaux de vie (INAO) en sa constitution de partie civile et lui a alloué 53 856 F à titre de dommages-intérêts, 3 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP

L'association UDAF en sa constitution de partie civile et lui a alloué 3 000 F à titre de dommages-intérêts, 500 F au titre de l'article 475-1 du CPP

Les appels :

Appel a été interjeté par Monsieur G Alain, le 21 juin 1999 M. le Procureur de la République, le 21 juin 1999 contre Monsieur G Alain

Décision :

Le 30 septembre 1998 les agents des douanes de Gaillac et ceux de la Direction régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression de fraudes procédaient à un contrôle dans l'enceinte de l'exploitation viticole "Les Domaines Philippe G" à Cahuzac-sur-Vère.

Alors que Alain G, gérant de la société propriétaire de l'exploitation, n'avait fait pour l'année en cours aucune déclaration d'entrée de sucre, ni de déclaration préalable à la chaptalisation et que le registre de détention et de manipulation des produits enrichissants ne portait aucune mention pour cette période, les agents vérificateurs découvraient dans une remise attenante au domaine 145 sacs de sucre d'un poids total de 2 900 kilogrammes.

Le prévenu avouait avoir acheté clandestinement 3 360 kilogrammes de sucre à un épicier de Saverdun (Ariège) et en avoir utilisé 460 kilogrammes pour chaptaliser 250 hectolitres de moût, obtenant ainsi 180 hectolitres de vin, qui devaient être commercialisés sous l'appellation "AOC Gaillac Rouge".

Poursuivi pour tromperie sur les qualités de la marchandise, détention de boisson falsifiée, détention de produit propre à falsifier, ainsi que pour les infractions douairières à la législation sur les vins et sur les sucres, G était déclaré coupable de ces divers délits par un jugement du Tribunal correctionnel de Gaillac en date du 10 juin 1999 et condamné au paiement d'une amende de 80 000 F et à la publication de la décision par voie de presse, ainsi qu'à diverses amendes fiscales. En outre le tribunal accueillait les constitutions de partie civile de l'institut National des Appellations d'Origine et de l'Union Départementale des Associations Familiales du Tarn et allouait au premier 53 856 F de dommages et intérêts et 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et à la seconde 3 000 F de dommages et intérêts et 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

G a interjeté appel des dispositions civiles et pénales de cette décision, à l'exception des condamnations prononcées pour infractions fiscales.

Il conteste les délits de droit commun qui lui sont reprochés.

Il soutient en effet que la falsification et la tromperie sur les qualités de la marchandise ne résultent pas automatiquement de l'absence d'autorisation de chaptaliser. Selon lui ces infractions ne peuvent être constituées que si l'opération a porté sur des moûts qui n'étaient pas chaptalisables en raison de leur taux alcoométrique volumique inférieur à 10,5°. Il affirme que tel n'est pas le cas en l'espèce, invoquant à l'appui de ses assertassions une analyse réalisée par un laboratoire oenologique de Gaillac sur un échantillon de vin prélevé dans la cuve contenant les 1.80 hectolitres chaptalisés sans autorisation administrative.

De même, le prévenu fait valoir que le délit de détention de produit propre à effectuer une falsification de denrée alimentaire ou de boisson, n'est pas constitué car le sucre n'entre pas dans cette catégorie de produit.

Il conclut donc à sa relaxe et au rejet des demandes des parties civiles.

Le Ministère public estime pour sa part que les infractions reprochées à G sont caractérisées et il demande à la cour de confirmer la décision entreprise.

De même, l'INAO et l'UDAF concluent à la confirmation de ce jugement en ce qui concerne les dispositions civiles, l'INAO demandant toutefois que l'indemnité qui lui sera accordé au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale soit portée à 7 000 F.

Sur l'action publique

Il y a lieu d'examiner successivement les 3 chefs de poursuite :

1) Détention de boisson falsifiée

Toute falsification d'un produit implique le recours à une manipulation ou à un traitement illicite ou non conforme à la réglementation en vigueur, de nature à en altérer la constitution physique.

Le sucrage du vin est licite, mais à la condition de respecter certaines limites légales et réglementaires et d'avoir été précédé d'une déclaration dans laquelle le viticulteur annonce son intention à l'administration fiscale et décrit avec précision les moûts concernés, la quantité de sucre ajoutée et les jours et les heures des opérations projetées.

En l'espèce, il n'est pas contesté que G a procédé, sans aucune autorisation préalable, à la chaptalisation de 250 hectolitres de moût à l'aide de 460 kilogrammes de sucre acquis sans qu'il ait déclaré cet achat.

Le produit ainsi obtenu n'est susceptible de recevoir ni l'appellation "AOC Gaillac Rouge", ni celle de "Vin de pays", puisque le sucrage des vins de pays est interdit dans le Tarn.

Le délit de détention de boisson falsifiée est donc constitué.

2) Détention de produit propre à effectuer la falsification de denrée alimentaire ou de boisson

Contrairement à ce que soutient le prévenu, le sucre est bien un produit pouvant servir à la falsification du vin, puisque son usage est strictement réglementé par les textes en vigueur en la matière.

G, qui est un professionnel expérimenté, en était d'ailleurs parfaitement conscient, ainsi que le démontrent ses agissements illicites. Il ne saurait alléguer sérieusement que les 145 sacs de sucre découverts par les agents verbalisateurs étaient destinés à sa consommation personnelle. La présence chez un viticulteur d'une telle quantité de ce produit, acquis sans facture, transporté à son exploitation sans titre de mouvement et n'ayant pas été mentionné dans la déclaration de stock, ne peut s'expliquer que par l'intention de procéder à des opérations de chaptalisation clandestines.

Le fait que la remise dans laquelle le sucre a été stocké ne dépende pas du domaine viticole proprement dit, mais appartienne à la mère du prévenu est sans incidence en l'espèce, puisque ce local avait été laissé à la disposition de G, qui pouvait y accéder librement.

Le délit reproché au prévenu est donc caractérisé.

3) Tromperie sue les qualités de la marchandise

Le délit de tromperie sur les qualités de la marchandise implique obligatoirement l'existence d'un contrat ou d'un acte à titre onéreux, qui est déjà conclu ou qui va l'être.

En l'espèce, il n'est pas douteux que G comptait commercialiser les 180 hectolitres de vin obtenus par chaptalisation. Toutefois ce vin n'avait pas été mis en vente et sa détention en chais ne saurait être assimilée à une tentative de tromperie, mais constitue tout au plus un acte préparatoire à la commission de r infraction.

Ce délit n'est donc pas constitué et il convient d'entrer en voie de relaxe de ce chef.

En revanche le prévenu doit être déclaré coupable des autres infractions et condamné à une amende de 50 000 F. Il y a lieu eu outre de confirmer les dispositions concernant la publication de la décision dans la presse.

Sur les actions civiles

1) Institut National des Appellations d'Origine

Le prévenu est à la tête d'un des domaines viticoles les plus importants du Gaillacois. La falsification à laquelle il s'est livré est de nature à jeter la suspicion sur la qualité des vins de Gaillac AOC et de causer ainsi une atteinte importante au bon renom de ces produits.

La constitution de partie civile de l'Institut National des Appellations d'Origine est donc pleinement justifiée et il convient d'y faire droit.

Il y a lieu en outre d'allouer à l'INAO une indemnité de 6 000 F pour frais irrépétibles.

2) Union départementale des associations familiales du Tarn

Le vin falsifié par G n'a pas été commercialisé. On ne saurait donc considérer que l'intérêt des consommateurs a été lésé. L'UDAF ne justifiant pas avoir subi un préjudice certain et direct, sa constitution de partie civile doit être rejetée.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort. Déclare les appels recevables Sur l'action publique Confirme le jugement du Tribunal correctionnel d'Albi en date du 10 juin 1999 en ce qu'il a déclaré Alain G coupables des délits de détention de boisson falsifiée et de détention de produit propre à effectuer la falsification de boisson Le réformant pour partie; Relaxe Alain G du délit de tromperie sur les qualités de la marchandise Condamne Alain G à une amende de 50 000 F; Ordonne aux frais du condamné la publication par extraits de la présente décision dans les journaux suivants "La Dépêche du Midi' édition du Tarn et "Le Tarn Libre" Dit que le coût de ces publications ne devra pas excéder la somme de 3 000 F Sur l'action civile Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'INAO et lui a alloué 53 856 F à titre de dommages et intérêts Condamne Alain G à payer à l'INAO 6 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale Réformant le jugement entrepris Déclare irrecevable la constitution de partie civile de I'UDAF du Tarn La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont chaque condamné est redevable. Fixe la contrainte par corps, s'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 750 du Code de procédure pénale Le tout en vertu des textes sus-visés.