CA Rennes, 3e ch. corr., 18 mai 2000, n° 99-00397
RENNES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gayet
Avocat général :
M. Mathieu
Conseillers :
Mme Turbe-Bion, Jeannesson
Avocat :
Me Rolland.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le Tribunal correctionnel de Vannes par jugement contradictoire en date du 11 février 1999, pour :
falsification de denrée alimentaire, boisson, substance médicamenteuse ou produit agricole vente, mise en vente denrée destinée a alimentation humaine comportant additifs alimentaires irrégulièrement utilises détention pour vente, vente ou offre de denrée alimentaire à l'étiquetage trompeur détention pour vente, vente ou offre de denrée alimentaire à l'étiquetage trompeur tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise a condamné D Daniel à 100 000 F d'amende, a ordonné la publication par extraits de la décision dans les journaux Le Télégramme et Ouest-France éditions du Morbihan, dit que le coût de ces publications ne devra pas dépasser 4 000 F, l'a condamné à trois amendes de 2 000 F chacune pour les contraventions, sur l'action civile a reçu la Fédération Départementale des Familles Rurales du Morbihan en sa constitution de partie civile ; l'a déclaré irrecevable ;
Les appels :
Appel a été interjeté par Monsieur D Daniel, le 17 février 1999 M. le Procureur de la République, le 18 février 1999 contre Monsieur D Daniel
La prévention :
Considérant qu'il est fait grief à D Daniel :
1 - d'avoir à Pontivy, Nemours, Rungis et La Trinité Porhoet du 1er avril au 14 décembre 1995, falsifié des denrées destinées à l'alimentation de l'homme, en l'espèce des rôtis crus de dindonneau surgelés, présentant un excès de viande rouge et de peau et un saumurage supérieure à 15 % et comportant de l'amidon et des liants protéiques végétaux;
Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-3 al. 1, L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation et par le Code des usages pour les produits de dinde en date du 14 mars 1980;
2 - d'avoir à Pontivy, Nemours, Rungis et La Trinité Porhoet du 1er janvier au 10 novembre 1995, incorporé des additifs dans les denrées alimentaires à des proportions supérieures aux doses d'emploi maximales autorisées, en l'espèce en ajoutant dans des rôtis crus et cuits de dindonneau surgelés, des polyphosphates à des doses supérieures à 0,3 % ;
Faits prévus et réprimés par les articles 1 et 2 du décret 89-674 du 18 décembre 1989, article 3 et l'annexe III de l'arrêté du 14 octobre 1991 ;
3 - d'avoir à Pontivy, et à La Trinité Porhoet, du 24 avril 1995 au 7 novembre 1995, porté sur l'étiquetage de denrées alimentaires, des dénominations de vente contraires à la réglementation en vigueur en matière de Répression des Fraudes et aux usages commerciaux, ainsi que des listes d'ingrédients incomplètes et falsifiées, en l'espèce en attribuant à des escalopes et rôtis de dindonneau surgelés une dénomination de vente ne faisant pas état de leur traitement par saumurage, et en n'indiquant pas dans la composition, les polyphosphates ajoutés;
D'avoir à Nemours, Rungis et La Trinité Porhoet, du 7 au 14 décembre 1995, porté sur l'étiquetage de denrées alimentaires, des dénominations de vente contraires à la réglementation en vigueur en matière de Répression des Fraudes et aux usages commerciaux, ainsi que des listes d'ingrédients incomplètes et falsifiées, en l'espèce en attribuant à des rôtis crus de dindonneau surgelés une dénomination de vente ne faisant pas état de leur traitement par saumurage, et en n'indiquant pas sur l'étiquetage, le taux de sucre et la quantité de viande rouge réellement utilisés ;
Faits prévus et réprimés par les articles 5, 6, 8 et 9 du décret 84-1147 du 7 décembre 1984 et par le Code des usages pour les produits de dinde en date du 14 mars 1980;
4 - d'avoir à Pontivy et à La Trinité Porhoet, du 4 septembre au 7 novembre 1995, trompé la SA Sodipa, son co-contractant, sur les qualités substantielles et la composition d'escalopes et rôtis crus de dindonneau surgelés, en l'espèce en n'indiquant pas le saumurage des produits dans leur dénomination de vente;
D'avoir à Nemours, Rungis et La Trinité Porhoet, du 7 au 14 décembre 1995, trompé le centre hospitalier de Nemours contractant même par l'intermédiaire d'un tiers, en l'espèce la SA Cedral, sur les qualités substantielles et la composition de rôtis crus de dindonneau surgelés, en l'espèce en n'indiquant pas le saumurage du produit dans sa dénomination de vente et en ne spécifiant pas la présence de sel dans la liste des ingrédients ;
Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1, 216-2 et 216-3 du Code de la consommation;
En la forme :
Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;
Au fond :
1) Sur les délits de falsification de denrées et de tromperie
a) Sur la validité des résultats d'expertise
Considérant que la SA X sise à La Trinité Porhoet (56), dont Daniel D est le Président directeur général, est spécialisée dans la découpe et l'élaboration de viandes de dinde destinées au marché de la collectivité ;
Qu'elle commercialise ces produits de marque "Y" auprès de grossistes tels la SA Sodipa sise à Pontivy, la SA Cedral, grossiste à Rungis, ainsi qu'auprès du centre hospitalier de Nemours;
Que les poursuites trouvent leur origine dans 3 contrôles effectués par des agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes respectivement à Pontivy (Morbihan), à Nemours (Seine et Marne) et à Rungis (Val de Marne)
Que le prévenu conteste les conditions dans lesquelles certaines analyses ont été réalisées, concluant au caractère probant des seules expertises ayant porté sur les échantillons 197 et 198 (escalopes de dindonneau surgelées et rôtis de dindonneau) et prétendant que tous les autres échantillons n'ont pu faire l'objet d'une contre-expertise contradictoire portant à la fois sur l'échantillon détenu par le Service des fraudes et sur celui séquestré chez le tiers auprès duquel le prélèvement a en lieu;
Considérant que l'expertise contradictoire ordonnée par le magistrat instructeur le 18 mars 1997 dans les formes prescrites aux articles L. 215-9 et suivants du Code de la consommation tendait à l'analyse de 4 échantillons prélevés par les Directions départementales de la DGCCRF ;
Que seuls ceux adressés par la SA Sodipa de Pontivy portant les numéros administratifs 197 et 198 du Morbihan ont pu être analysés à la fois par Monsieur Pinel, expert choisi par Monsieur D et par Monsieur Sudraud du Laboratoire Interrégional de la Répression des Fraudes
Que pour ces échantillons, les experts ont confirmé les résultats obtenus par le Laboratoire de la Répression des Fraudes en 1995 et 1996, à savoir :
- pour le n° 197 (prélèvements sur un lot de 74 emballages d'escalopes de dindonneau surgelées) : présence non déclarée de sucres et de sel et taux de saumurage d'environ 10 %,
- et pour le n° 198 (prélèvements sur un lot de 27 emballages de rôtis de dindonneau "50-50 hydratés surgelés") : présence non déclarée de polyphosphate, sel, concentration protéique végétal et amidon, taux de saumurage supérieur à 20 %, la dose d'emploi de polyphosphate et le taux de saumurage étant supérieurs aux limites admises par le code des produits à base de dinde, applicable en l'espèce;
Considérant que les échantillons prélevés par la Direction des fraudes de Seine et Marne le 14 décembre 1995 dans les locaux du centre hospitalier de Nemours sur des rôtis de dindonneau "50-50" hydratés surgelés, objet du "n° SA 77 de Seine et Marne" n'ont pu être analysés contradictoirement, ayant été détruits lors de travaux effectués dans la zone de réfrigération et congélation;
Qu'il en est de même des échantillons prélevés sur un lot de 5 rôtis cuits de dindonneau sous le n° 5180, et laissés en la possession de la société Aymonier Frères à Rungis (Val de Marne), laquelle a connu courant janvier 1997 une panne du groupe de congélation;
Que si monsieur Sudraud a, à titre purement indicatif, indiqué des résultats à partir des échantillons détenus par la DGCCRF, ses conclusions ne respectent pas le critère de fiabilité exigé par la loi en l'absence de tout caractère contradictoire, Monsieur Pinel n'ayant pu se faire remettre le troisième échantillon à lui destiné et n'ayant donc pu exécuter la mission à lui impartie;
Que les dispositions légales contenues dans les articles L. 215-9 et suivants du Code de la consommation n'ayant pas été respectées pour les deux dernières analyses comprises dans la demande d'expertise, les échantillons litigieux doivent être écartés des débats ; qu'un doute subsistant quant à la fiabilité des résultats de première analyse, le prévenu sera relaxé du chef des délits de tromperie et de falsification de denrées relatifs aux produits contrôlés à Rungis et à Nemours ;
b) Sur les faits de falsification de denrées
Considérant que la discussion porte sur des escalopes et rôtis de dindonneau fabriqués par la SA X et objet du contrôle effectué à la SA Sodipa à Pontivy le 7 décembre 1995 ;
Considérant que le Code des usages des produits crus de dinde, en date du 14 mars 1980 n'autorise pas l'incorporation d'amidon et de liant protéique végétal et limite à 15 % le taux de saumurage ;
Que par ailleurs l'arrêté du 14 octobre 1991 fixe à 0,3 % le taux maximum de polyphosphates autorisé;
Que la présence dans les produits en question de telles substances interdites et de cet additif à une dose supérieure à la dose réglementaire, en l'occurrence à 0,4 % telle que mise en évidence par le laboratoire d'analyses de Massy de la DGCCRE, et confirmé par l'expertise, de même que l'existence d'un taux de saumurage supérieur au seuil maximum des 15 %, à savoir 20 %, caractérisent l'infraction de falsification de denrées;
c) Sur les faits de tromperie
Considérant que le prévenu à qui il est reproché d'avoir commercialisé des escalopes de dindonneau surgelées traitées par saumurage sans que l'acheteur soit informé de ce traitement et du taux de saumurage, fait plaider sa relaxe de ce chef au motif qu'il n'en est résulté aucune incidence sur le prix pratiqué, qui serait resté le même en observant ces prescriptions ; qu'il invoque une simple erreur d'étiquetage ;
Que s'agissant des rôtis de dindonneau "50-50" hydratés, la faible dose de sel mise en évidence accrédite sa bonne foi;
Mais considérant qu'au regard des articles L. 213-1 et suivants du Code de la consommation, le taux de saumurage de 10 % environ retrouvé dans les escalopes de dindonneau tant par le laboratoire d'analyses de la DGCCRF que par les experts commis par le magistrat instructeur devait être annoncé au consommateur pour des impératifs de santé publique et non eu égard aux conditions financières de vente desdits produits ;
Que de même la présence de sel même à une dose faible décelée dans les échantillons de rôtis de dindonneau retenus aurait dû être déclarée au niveau de la dénomination de vente en tant que produits "saumurés", le terme d'"hydratés" ayant trait à un simple traitement à base d'eau sans adjonction de sel ;
Considérant dans ces conditions et sous les réserves précitées quant aux produits ayant donné lieu à des prélèvements d'échantillons non soumis à expertise contradictoire, qu'il convient de déclarer Daniel D coupable du surplus de la prévention relative aux faits de tromperie et de falsification de denrées ;
Que l'amende prononcée en première instance est fondée tant dans le principe que dans son montant;
Que seuls des impératifs financiers ont participé aux faits délictueux, le saumurage faisant baisser le prix de revient du produit au kilo et l'usage de liants protéiques végétaux permettant de masquer le véritable taux de saumurage ;
Considérant par ailleurs que les faits ont contribué à induire en erreur l'acheteur, pensant acheter des produits dénués de sel, tel le centre hospitalier de Nemours;
Qu'enfin le prévenu a déjà été condamné pour des faits de même nature;
Considérant en revanche que les poursuites portent sur des fabrications de produits remontant à 4 voire 5 années ;
Qu'il n'apparaît pas que l'entreprise X ait fait l'objet de nouvelles verbalisations de la part de la DGCCRF, ainsi que s'en prévaut le prévenu;
Que la peine accessoire de publication prononcée par les premiers juges n'apparaît dès lors pas appropriée, non plus que celle d'affichage, également encourue ;
Que le jugement déféré sera réformé en ce sens ;
2) Sur les contraventions relatives à l'étiquetage et à l'emploi d'additifs alimentaires
Considérant qu'à l'occasion du contrôle effectué le 10 novembre 1995, les agents de la DGCCRF du Val de Marne ont contrôlé au siège de la SA Aymonier Frères à Rungis un lot constitué de 5 rôtis cuits de dindonneau de 2 kg chacun fabriqués par la SA Sovipor ;
Que pour autant que les échantillons ont été écartés des poursuites du chef de falsification et tromperie, il reste que s'agissant d'un produit traité par saumurage, l'étiquetage aurait dû annoncer ce traitement au niveau de la dénomination de vente, à savoir "rôti cuit de dindonneau saumuré", ainsi que l'existence de polyphosphates au niveau de la liste des ingrédients, indépendamment du dépassement ou non de la dose d'emploi tolérée, leur présence non contestée par le prévenu ayant été confirmée par l'emploi d'un mélange dénommé " glutoni 50 ";
Considérant par ailleurs que le contrôle effectué le 14 décembre 1995 par les agents de la DGCCRF de Seine et Marne au centre hospitalier de Nemours et ayant porté sur des rôtis de dindonneau 50-50 hydratés surgelés provenant de la SA X et commercialisés par l'intermédiaire de la SA Cedral à Rungis a révélé également un étiquetage non conforme;
Qu'ainsi, indépendamment des résultats d'analyses, la présence, même faible, de sel, valablement exprimée en NACL, devait être déclarée et le produit dénommé "saumuré" ainsi qu'il a été évoqué plus haut, le qualificatif d'hydraté ayant trait à un produit traité à l'eau, sans adjonction de sel ;
Que de même le contrôle sus-énoncé opéré le 7 décembre 1995 auprès de la SA Sodipa à Pontivy a mis en évidence l'absence d'indication d'un taux de saumurage de 10 % environ dans la dénomination de vente des escalopes de dindonneau, et l'absence de la mention "produit saumuré" dans la dénomination de vente des rôtis de dindonneau "50-50" hydratés ;
Que les faits contraventionnels ainsi retenus, et au demeurant non contestés par le prévenu, sont suffisamment établis par les éléments du dossier;
Que les 3 amendes de 2 000 F chacune prononcées par le tribunal doivent être confirmées ;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de D Daniel, en la forme Reçoit les appels, au fond Réformant partiellement le jugement déféré Dit et juge qu'il n'a pu être procédé à une expertise contradictoire s'agissant des échantillons numérotés SA 77 de Seine et Marne et 5180 de Corse du Sud; En conséquence relaxe au bénéfice du doute Daniel D du chef des délits de falsification et de tromperie relativement aux produits concernés par lesdits échantillons Le déclare coupable du surplus des faits délictueux et des 3 contraventions relatives à l'étiquetage et à l'emploi d'additifs alimentaire Confirme l'amende de 100 000 F prononcée pour les délits et les 3 amendes de 2 000 F chacune prononcées pour les faits contraventionnels Prononce la contrainte par corps; Dit n'y avoir lieu à affichage et publication du présent arrêt La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné, Le tout par application des articles susvisés, des articles 800-1,749 et 750 du Code de procédure pénale.