CA Paris, 13e ch. A, 15 septembre 1999, n° 98-01618
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Conseillers :
MM. Castel, Seltensperger
Avocats :
Mes Vilbert, Coutrelis.
Avocat général :
M. Blanc
Rappel de la procédure:
La prévention:
L Francis est poursuivi pour avoir, le 28 juin 1995, à Nanteuil-les-Meaux, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, trompé les consommateurs, contractants, sur la nature, l'espèce, l'origine, la composition, la quantité, l'identité ou les qualités substantielles de bonbons de chocolat, en l'espèce en commercialisant sous la dénomination "Truffes" des bonbons de chocolat contenant des matières grasses végétales et désignant sous le terme truffes crème fraîche des bonbons de chocolat fabriqués à base de beurre et de poudre de lait entier.
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a:
déclaré L Francis coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,
faits commis le 28 juin 1995, à Nanteuil-les-Meaux,
infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 Code de la consommation
et, en application de cet article,
l'a condamné à 50 000 F d'amende,
ordonné l'insertion par extrait du jugement dans les journaux "Le Monde" et "Le Figaro" aux frais du condamné, déclaré la SA X civilement responsable, dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 600 F dont est redevable chaque condamné.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
X (SA), le 23 décembre 1997,
Monsieur L Francis, le 23 décembre 1997,
M. le Procureur de la République, le 24 décembre 1997, contre X (SA), Monsieur L Francis;
Décision:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Sur ce
Considérant que la société X, dont le siège est à Nanteuil-les-Meaux, commercialise en France, sous la marque "Y", des chocolats et de crèmes glacées fabriqués en Belgique par la société W; qu'un contrôle a été effectué courant 1995 par les services de la DGCCRF sur la composition des "truffes" vendues par la société X; qu'il résulte de ce contrôle:
- que les "truffes" comportaient de la graisse végétale, en l'espèce de la margarine;
- que le produit appelé "truffes crème fraîche" comportait de la graisse butyrique et de la poudre de lait entier;
Considérant que les services de la DGCCRF ont estimé que la commercialisation de ces produits était constitutive du délit de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise dans la mesure où:
- la graisse végétale n'entre pas dans la composition de la "truffe" (seuls le beurre de cacao et les matières grasses provenant du lait peuvent être additionnés au chocolat);
- l'appellation "crème fraîche" est réservée à un produit contenant au moins 30 grammes de matière grasse provenant exclusivement du lait, pour 100 grammes de poids total;
Considérant que Francis L, président-directeur général de la société X, conteste le délit de tromperie qui lui est reproché et sollicite l'infirmation du jugement déféré; qu'il fait valoir, en substance, l'argumentation suivante:
- il est admis en Belgique que la "truffe" peut comporter des matières grasses végétales;
- aucun texte législatif ou réglementaire français ne définit explicitement la composition de la "truffe";
- contrairement à ce que soutient l'administration, il n'existe pas d'usage en ce domaine;
- la truffe "Y" est un "chocolat fourré" tel qu'il est défini par le décret du 13 juillet 1976 relatif aux produits de cacao et de chocolat destinés à l'alimentation humaine; or l'addition de margarine n'est pas interdite dans le chocolat fourré;
- les truffes "Y" sont des bonbons chocolatés belges; l'interdiction en France de ce produit, sous cette dénomination, serait contraire au principe de libre circulation des marchandises tel qu'il est explicité par la Cour de Justice des Communautés européennes;
- le produit "truffe crème fraîche" a été retiré de la vente à la suite du contrôle de l'administration; l'élément moral de I' infraction fait donc défaut;
Considérant que la société X, citée en qualité de civilement responsable, conteste également le délit de tromperie et fait valoir les arguments suivants:
- la dénomination "truffe" est une dénomination de fantaisie; la composition de la "truffe" n'est pas réglementée;
- l'interdiction en France de ce produit, sous cette dénomination, serait contraire au droit communautaire;
Considérant que la cour est conduite à formuler les observations suivantes:
- la commercialisation en France des produits de cacao et de chocolats destinés à l'alimentation humaine est soumise aux dispositions du décret n° 76-692 du 13 juillet 1976 et de son annexe; la composition de la "truffe" n'est explicitée ni par le décret ni par son annexe; le terme "truffe" n'y figure d'ailleurs pas;
- en revanche le paragraphe 1.28 de l'annexe définit le "bonbon au chocolat"; au terme de ce paragraphe, le "bonbon au chocolat" est un "produit de la taille d'une bouchée" dont la composition répond à certains critères; il existe trois catégories de "bonbons au chocolat"; la troisième catégorie est un mélange dont est exclue la graisse végétale;
- l'administration, se fondant sur "les usages loyaux et constants en France", estime que la "truffe" entre dans la troisième catégorie des "bonbons au chocolat", et ne peut donc comporter de graisse végétale;
- Francis L et la société X contestent cette analyse et font valoir que la composition de la truffe "Y" entre en réalité dans la première catégorie de "bonbons au chocolat", celle des "chocolats fourrés", qui peut comporter de la graisse végétale;
- s'il est vrai que l'usage peut être source de droit, il doit répondre à certaines conditions, en particulier être constant et prolongé, être communément admis et être tenu pour obligatoire; en l'espèce, la cour ne trouve pas dans les pièces qui lui sont soumises la preuve d'un usage satisfaisant aux conditions précitées et en vertu duquel la "truffe" serait nécessairement exempte de graisse végétale;
- faute de preuve d'un tel usage, le délit de tromperie n'est pas démontré en ce qui concerne la présence de graisse végétale dans la "truffe" commercialisée par la société X;
- en revanche Francis L. ne conteste pas que l'appellation "truffe crème fraîche" ne correspondait pas à la réalité dans la mesure où ce produit ne comportait pas de crème fraîche mais d'autres ingrédients; le délit de tromperie est ainsi caractérisé en ce qui concerne l'appellation "truffe crème fraîche"; le fait que le prévenu ait rapidement décidé de retirer de la vente ce produit ne supprime pas l'infraction mais sera pris en compte par la cour dans la détermination de la peine;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Après délibéré; Reçoit les appels du prévenu, du civilement responsable et du ministère public; Infirme partiellement le jugement déféré; Déclare Francis L non coupable d'avoir à Nanteuil-les- Meaux et sur le territoire national, le 28 juin 1995, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, trompé les consommateurs sur la nature, l'espèce, l'origine, la composition, la quantité, l'identité ou les qualités substantielles de bonbons en chocolat, en l'espèce en commercialisant sous l'appellation de "truffes" des bonbons en chocolat contenant des matières grasses végétales; Vu l'article 516 du Code de procédure pénale, renvoie le prévenu des fins de la poursuite en ce qui concerne cette infraction; Déclare Francis L coupable d'avoir à Nanteuil-les-Meaux et sur le territoire national, le 28 juin 1995, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, trompé les consommateurs sur la nature, l'espèce, l'origine, la composition, la quantité, l'identité ou les qualités substantielles de bonbons en chocolat, en l'espèce en commercialisant sous l'appellation de "truffes crème fraîche" des bonbons en chocolat contenant du beurre et de la poudre de lait entier; En répression, condamne Francis L à une amende de 25 000 F; Ordonne la publication par extraits du présent arrêt, aux frais du condamné, dans les journaux "Le Monde" et "Le Figaro"; Déclare la société X civilement responsable. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.