CA Paris, 13e ch. A, 12 octobre 1999, n° 99-01406
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Conseillers :
MM. Seltensperger, Ancel
Avocat :
Me Bourgeon.
Avocat général :
M. Blanc
Rappel de la procédure:
La prévention:
D Jean est poursuivi pour avoir dans l'Yonne, notamment à Auxerre, entre le 1er et le 15 mai 1995, trompé Monsieur Baudot Sébastien, contractant, sur les qualités substantielles d'un véhicule automobile d'occasion en n'informant pas l'acheteur du fait que ce véhicule avait été, antérieurement, gravement accidenté.
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré D Jean
coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis du 1er mai 1995 au 15 mai 1995, à Auxerre (89), infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation
et, en application de ces articles,
l'a condamné à 20 000 F d'amende
a ordonné, aux frais du condamné, la publication par extraits de la présente décision dans le journal l'Yonne Républicaine, ainsi que l'affichage aux portes du salon d'exposition de la SA X <adresse>à Auxerre pendant un mois
l'a condamné à payer à M. Baudot, partie civile, la somme de 10 000 F à titre de dommages- intérêts ainsi que la somme de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP
l'a condamné aux dépens de l'action civile
a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
- M. le Procureur de la République, le 11 décembre 1998 contre Monsieur D Jean
- Monsieur D Jean, le 11 décembre 1998 contre Monsieur Baudot Sébastien
- Monsieur Baudot Sébastien, le 15 décembre 1998 contre Monsieur D Jean
Décision:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels interjetés par le prévenu, le Ministère public et la partie civile à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention;
Par voie de conclusions, Jean D sollicite sa relaxe et invoque en tout état de cause une erreur de droit en application de l'article L. 122-3 du Code pénal. Subsidiairement il prie la cour de réformer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné des mesures de publicité et d'affichage. Il fait enfin valoir sur l'action civile que Sébastien Baudot ne justifie d'aucun préjudice;
Sébastien Baudot prie la cour d'élever le montant de l'indemnité qui lui a été allouée à la somme de 50 000 F et de condamner Jean D à lui payer la somme de 200 F sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Rappel des faits
Le 6 mai 1995, Sébastien Baudot a acheté un véhicule d'occasion "Citroën ZX reflex diesel" année 1995, mis la première fois en circulation en octobre 1994, ayant parcouru 13 000 kms, pour le prix de 89 040 F selon bon de commande, payé pour partie par compensation avec la valeur de reprise de son ancien véhicule, auprès du garage "SA X", dont le PDG était à l'époque, Jean D, actionnaire principal. Ce véhicule a été livré le 13 mai 1995;
Le lendemain de cette livraison, soit le 14 mai 1995, Sébastien Baudot a présenté son véhicule à un autre garagiste qui lui a révélé que cette automobile avait été gravement accidentée;
Sébastien Baudot a immédiatement sollicité la résolution amiable de la vente auprès du garage X qui n'a pas accédé à sa demande au motif que si le véhicule avait bien été accidenté, les réparations avaient été faites selon les règles de l'art.
Dans le même temps, Sébastien Baudot a sollicité l'intervention du service départemental de la Répression des Fraudes se plaignant de diverses anomalies, principalement d'une mauvaise tenue de route, de l'usure anormale d'un pneumatique et d'infiltration d'eau;
Il résulte de l'enquête faite par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) que le garage X a acheté le véhicule litigieux gravement accidenté le 23 janvier 1995 à l'un de ses clients, M. Camus, pour le prix de 82 600 F, incluant le coût des travaux de réparations effectuées par le même garage, soit 66 724,35 F, réglé par l'assureur de M. Camus après expertise amiable, au garage X;
Il est constant que par la suite les négociateurs de X, et en particulier Jean D ont délibérément omis d'informer Sébastien Baudot, préalablement à la vente de ce que le véhicule avait été endommagé et avait subi un passage au marbre;
Sur ce, LA COUR
Considérant que pour solliciter sa relaxe Jean D se prévaut d'une décision antérieure rendue en sa faveur par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 4 janvier 1986 qui a retenu que "alors qu'il n'est pas contesté que la réparation du véhicule ait été parfaite, les juges ne pouvaient, sans s'expliquer davantage, affirmer que l'absence d'accident constituait pour un véhicule une qualité substantielle"; qu'il a déduit de cette décision que dans la mesure où la réparation du véhicule avait été faite dans les règles de l'art il pouvait se dispenser d'avertir l'acquéreur de ce que ce véhicule avait été endommagé antérieurement à la vente;
Mais considérant que la cour ne saurait suivre le prévenu en ses explications que si l'obligation d'information de l'acheteur ne résulte d'aucun texte légal, elle est commandée par la bonne foi, la dissimulation et la réticence étant une des formes de la tromperie;
Qu'il est constant en l'espèce que le véhicule vendu par Jean D à Sébastien Baudot a été gravement endommagé, ce qui ressort à la fois des déclarations de l'ancien propriétaire M. Camus et du montant des réparations effectuées sur le véhicule litigieux (66 724 F);
Que M. Camus a bien précisé que les négociations sur la vente de son véhicule Citroën ZX avaient été particulièrement difficiles, Jean D lui "faisant sentir que ce véhicule avait été accidenté et qu'il ne pourrait pas le revendre dans les mêmes conditions";
Qu'en définitive le véhicule litigieux a été vendu à Sébastien Baudot à un prix de revente élevé (89 040 F) ne lui permettant pas de penser que ce véhicule avait été gravement endommagé; que le mutisme volontaire du prévenu sur l'accident antérieur a trompé Sébastien Baudot sur les qualités substantielles de la marchandise, qui s'il les avait connues, l'aurait dissuadé de contracter en l'état et ce d'autant qu'il n'est pas établi que la citroën ZX en question ait été réparée dans les règles de l'art;
Qu'en effet, le véhicule litigieux n'a pas été revu par l'expert après la réparation complète; que Sébastien Baudot s'est plaint depuis la livraison et à plusieurs reprises, de diverses anomalies de fonctionnement de son véhicule lesquelles ont été réparées soit tardivement (problème de l'étanchéité du pare brise solutionné le 25 juillet 1995) soit pas du tout (défaut de parallélisme);
Considérant que ne constitue pas une erreur de droit invincible au sens des dispositions de l'article 122-3 du Code pénal une décision de justice isolée alors qu'il appartenait au prévenu de vérifier s'il ne s'agissait pas d'une décision d'espèce non réductible à la présente affaire;
Considérant dans ces conditions que le jugement déféré sera confirmé sur la déclaration de culpabilité; qu'en revanche il sera fait une application plus modérée de la loi pénale à Jean D, qui jouit d'excellents renseignements, ainsi que précisé au dispositif;
Considérant que Sébastien Baudot ne verse aux débats aucun élément comptable précis; qu'en particulier il n'a pas produit les résultats du contrôle technique que son véhicule devait subir tous les deux ans; qu'il a cependant subi un préjudice tenant à la perte de valeur vénale de son véhicule que les premiers juges ont exactement évalué à la somme de 10 000 F; que le jugement déféré sera confirmé de ce chef;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Sébastien Baudot une indemnité complémentaire de 200 F sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Par ces motifs, LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement; Sur l'action publique: Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité; Le réformant sur la peine: Condamne Jean D à une amende de 5 000 F; Dit n'y avoir lieu à mesures de publicité et d'affichage; Sur l'action civile: Confirme le jugement déféré; Condamne Jean D à payer à Sébastien Baudot la somme de 2 200 F (tribunal et cour confondus) sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.