Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 20 janvier 1999, n° 97-07517

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mmes Marie, Content

Avocat :

Me Wizenberg.

TGI Paris, 31e ch., du 4 sep. 1997

4 septembre 1997

Rappel de la procédure:

La prévention:

A Marie-Noëlle épouse B est poursuivie pour avoir à Paris depuis 1994 et jusqu'en 1995

- trompé ses co-contractants sur les qualités substantielles de la prestation de service en réservant des locations saisonnières sans rapport avec celles ayant fait l'objet du contrat

- effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la portée des engagements pris par l'annonceur, l'identité et l'aptitude du prestataire, en l'espèce en éditant un catalogue présentant faussement l'agence X comme une agence de location spécialisée dans les prestations de luxe à l'Ile Maurice, assurant également une "assistance permanente" sur place et une "qualité de service remarquable",

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire en date du 13 juin 1997

- a reçu Marie-Noëlle A épouse B en son opposition au jugement du 19 septembre 1996

- a ordonné sa mise en liberté sous réserve du paiement préalable d'une caution de 50 000 F garantissant à hauteur de 1 000 F sa représentation en justice, à hauteur de 49 000 F la réparation des dommages causés aux victimes et le paiement de l'amende

- a renvoyé l'affaire à l'audience du 4 septembre 1997 pour examen au fond

- a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 150 F dont est redevable la condamnée

Le jugement déféré,

Vu le jugement en date du 13 juin 1997

- a déclaré recevable l'opposition formée par A Marie-Noëlle au jugement rendu en date du 19 septembre 1996 par la 31e chambre

- en conséquence, a mis ce jugement à néant

- ce jugement l'a déclarée

coupable de publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, faits commis de 1994 à 1995, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 Code de la consommation

coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis de 1994 à 1995, à Paris, infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 Code de la consommation

et, en application de ces articles,

l'a condamnée à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et à 20 000 F d'amende

l'a condamnée à payer à chacune des parties civiles

- Mme Baron Munoz Rosita veuve Bazin

- Mme Baron Munoz Michèle

- Mme Claude Vincensini

- Monsieur Mancini Gildas

- Mme Baron Munoz épouse Levi Christine

- Monsieur Michel Bourdon

la somme de 7 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du CPP

a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable la condamnée.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

- Madame A Marie-Noëlle, le 11 septembre 1997 contre Madame Bazin Rosita, Madame Baron Munoz Michèle, Monsieur Vincensini Claude, Monsieur Mancini Gildas, Madame Baron Munoz Christine, Monsieur Bourdon Michel

- M. le Procureur de la République, le 11 septembre 1997 contre Madame A Marie-Noëlle

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

A Marie-Noëlle épouse B a interjeté appel le 11 septembre 1997. Le Ministère public a interjeté appel le 11 septembre 1997 des dispositions d'un jugement contradictoire rendu le 4 septembre 1997 par le Tribunal de grande instance de Paris l'ayant condamnée à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et à 20 000 F d'amende et à payer à chacune des parties civiles,

- Mme Baron Munoz Christine épouse Levi

- Mme Baron Munoz Michèle

- Mme Bazin Rosita

- M. Bourdon Michel

- M. Mancini Gildas

- M. Vincensini Claude

la somme de 7 000 F à titre de dommages-intérêts et la somme de 1 500 F en application des dispositions de l'article 475-1 du CPP;

A Marie-Noëlle épouse B sollicite l'infirmation du jugement entrepris. Elle expose à cet effet qu'elle a créé avec son époux B Philippe, le 30 décembre 1993, une SARL intitulée Y X spécialisée dans les séjours à l'île Maurice;

Qu'elle a loué à cet effet aux périodes de vacances des villas, appartements, bungalows et bateaux dont elle a fait publier le catalogue en 1994, prenant comme domiciliation <adresse>à Paris 17e; qu'elle a fait de la publicité dans plusieurs journaux notamment Le Nouvel Observateur; que des clients décidèrent de venir en vacances à l'Ile Maurice du 22 décembre 1994 au début du mois de janvier 1995; que le propriétaire de la villa retenue n'a pu la mettre à leur disposition en raison des dégâts occasionnés par un récent cyclone; qu'elle a dû régler leurs frais de séjour dans une superbe villa, qu'elle acceptera de payer sous la contrainte; qu'à partir du mois de mars 1994, elle aura à faire aux familles Vincensini et Baron Munoz;

Madame Vincensini, projetant des vacances avec un groupe d'amis à l'île Maurice, téléphone à l'ambassade de l'île, obtient l'adresse de l'office du tourisme qui lui communique une liste d'agents de voyages. Parmi ceux-ci, X;

Au mois d'avril 1994, Mesdames Vincensini et Baron Munoz rencontrent Madame B qui dirige l'agence X. Elle leur propose la location d'une villa (pieds dans l'eau, 5 pièces + studio) dite Villa Jean, lieu dit "La Preneuse" à Rivière noire;

Le 31 mai 1994, un engagement de location concernant la Villa Jean est conclu pour la période du 18 juillet au 31 août 1994, A Marie-Noëlle représentant le propriétaire, Mesdames Baron Munoz et Vincensini le groupe locataire;

Elle facture pour 80 150 F les prestations suivantes:

- 36 000 F la Villa Jean (45 journées à 800 F)

- 600 F de transferts aéroports (2 fois 300 F)

- 32 500 F cinq voyages aller-retour adultes (5 fois 6 500 F)

- 9 750 F trois voyages aller-retour enfants (3 fois 3 250 F)

- 1 300 F deux voyages aller-retour bébés (2 fois 650 F)

et les voyages aller le 17 juillet 1994, retour le 31 août 1994

Le 15 juillet 1994, invoquant des menaces de surbooking sur le vol Air Mauritius prévu le 17 juillet 1994, Mme A propose un départ le 16 juillet 1994 sur Air France; la proposition est acceptée;

Le 16 juillet, A Marie-Noëlle a pris et payé directement chez Air France, porte Maillot les billets dus (5 fois 9 507 F soit 47 535 F), prenant à son compte la différence du fait du surbooking du vol Air Mauritius;

Compte-tenu de l'indisponibilité de la maison choisie par les personnes sur catalogue (Maison Jean), par le propriétaire qui faisait le mort, A Marie-Noëlle a offert une maison (Maison Alizé) de même standing (3 jours de location offerts), le temps de régler le problème;

Il faut noter que tout le monde n'est pas parti en même temps et que compte-tenu des bouleversements dus au refus par le propriétaire de la maison de la louer, Monsieur Levis était l'intermédiaire resté en France. Il y a eu échange de correspondances dans lesquelles il reconnaît les efforts de Mme A et les déboires qu'elle a eus à connaître

1) avec son agent de voyages

2) avec le propriétaire de la maison, Monsieur Maroussin, à Saint Jean;

Le groupe, qui était déjà sur place, se rend à la maison Saint Jean pour vérifier l'exactitude des dires de Mme A alors que logés à Alizé et font un tel scandale que le propriétaire se sent dans l'obligation de faire une fausse attestation disant ne pas la connaître ni de lui avait jamais loué sa maison, alors qu'il l'avait fait et qu'il était auparavant en relations d'affaires courantes avec X.

Pensant alors s'être fait escroquer, le groupe commence à paniquer, alerte les autorités mauriciennes, l'Ambassade de France, Air France, etc....

Marie-Noëlle A avait essayé de pallier les carences et que tout le monde soit hébergé en maison de grand standing, tout en leur proposant d'autres prestations qui n'ont jamais obtenu l'agrément du groupe;

Un mandat d'arrêt était décerné contre elle; elle se rendait fréquemment à La Réunion où son mari exerçait ses activités. Elle a été interpellée au cours d'une réception, et a passé plusieurs jours en prison. Elle sollicite en conséquence sa relaxe et maintient qu'il n'y a pas eu de tromperie sur la qualité substantielle de la marchandise qu'elle proposait ni de publicité mensongère; qu'il n'y a pas eu non plus de sa part d'intention frauduleuse; qu'elle admet cependant avoir commis des erreurs qui relèvent selon elle de la compétence des juridictions civiles. Elle invoque à cet effet que pour être punissable, la tromperie doit résulter d'une intention frauduleuse qu'elle n'a jamais eue. Elle joint par ailleurs des lettres de satisfaction totale de plusieurs clients français et étrangers;

Le Ministère public s'en rapporte à la sagesse de la cour sur la gravité et la multiplicité des faits reprochés à A Marie-Noëlle. Il lui demande de sanctionner son activité d'agent de voyage, accomplie durant plusieurs années sans être titulaire de l'autorisation prévue à cet effet par la loi du 13 juillet 1992;

Les parties civiles, Mme Baron Munoz Rosita veuve Bazin, Mme Baron Munoz Michèle, Mme Claude Vincensini, M. Gildas Mancini, Mme Baron Munoz épouse Levi Christine, M. Michel Bourdon demandent en conséquence à la cour de confirmer les dispositions du jugement du 4 septembre 1997

- en ce qu'il a reconnu A Marie-Noëlle coupable des délits reprochés,

- statuer ce que de droit sur les réquisitions de Mme l'Avocat général,

- sur les intérêts civils,

- de confirmer le jugement dont appel

- y ajoutant, condamner Mme A épouse B au paiement de la somme de 15 000 F au titre des frais d'appel et en vertu des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale

- de la condamner aux entiers dépens de l'action civile

Rappel des faits

Madame Vincensini et Madame Bazin exposent que projetant des vacances avec un groupe d'amis à l'île Maurice, elles ont obtenu de l'office du tourisme de cette île la liste des agents de voyages parmi lesquels figurait X;

En avril 1994, elles sont entrées en contact avec Mme Marie-Noëlle A qui dirigeait l'agence dénommée X. Celle-ci leur a proposé au vu d'un catalogue contenant des photos attrayantes, la location d'une villa sise à Rivière Noire, au lieu-dit La Preneuse, dénommée Villa Jean, d'une surface habitable de 100 m², prévue pour 8 à 10 personnes au bord de la plage (villa "pieds dans l'eau");

A la location, s'ajoutait une prestation de ménage à raison de 4 heures par jour;

L'intégralité de la somme totale de 80 150 F fut réglée au mois de juin 1994;

Le voyage aller devait s'effectuer le 17 juillet 1994 et le retour était prévu pour le 31 août 1994;

Le 16 juillet 1994, soit le jour du départ, avancé sur demande de Mme A, celle-ci remit aux membres du groupe une enveloppe contenant les billets d'avion ainsi qu'un message les informant que le propriétaire de la Villa Jean n'ayant pu être joint, elle avait fait préparer la maison "Alix" à Grande Baie;

Lors du départ à l'aéroport, vers 12 h 30, le groupe constatait:

- qu'il manquait un billet réservé et payé, celui de l'enfant Octave Bazin

- que les billets retour spécifiaient un retour le 27 août 1994 au lieu du 31 août 1994, comme ils avaient été réservés et payés;

Madame Bazin, ne réussissant alors pas à joindre Mme A se voyait contrainte d'acheter un autre billet d'avion pour son fils afin qu'il parte avec le groupe par le vol de 21 h 30;

A leur arrivée sur l'île Maurice, le groupe fut accueilli par un correspondant local de Mme A;

Comme convenu avec cette dernière, les billets d'avion lui furent remis afin de faire corriger la date de retour et reconfirmer les vols. Ils furent restitués 48 heures plus tard, le correspondant indiquant aux membres du groupe qu'il lui était impossible de régler les problèmes rencontrés et qu'il leur fallait se rendre eux-mêmes à l'agence Air France à Port Louis;

Là, ils constatèrent que certains billets n'étaient pas valables et Air France leur indiqua qu'ils avaient sans doute été victimes d'une escroquerie;

La compagnie organisa cependant leur retour, sans frais supplémentaires, mais à la date du 27 août 1994 et non pas à celle du 31 août ou 3 septembre 1994 comme cela avait été prévu au contrat;

Finalement, Mme Bazin et ses amis furent contraints d'organiser eux-mêmes leur séjour sur place et leur retour en France avec Air France;

La famille Baron Munoz séjourna à l'hôtel Kondike à Flic En Flac et le couple Mancini et Vincensini séjourna à l'hôtel Benjaya;

La plus grande partie de leur séjour s'est donc déroulée au milieu de tracasseries, télex, téléphones, déplacements en taxi pour visiter d'autres villas, avances de frais imprévus, démarches multiples auprès de leur avocat et de l'ambassade de France qui a dû intervenir pour que Mme A consente à payer en partie les frais de leur séjour;

Il résulte des faits énoncés que les concluants ont subi un préjudice résultant du comportement fautif de Mme Marie-Noëlle A épouse B;

Ultérieurement, toute l'organisation du séjour a été remise en cause, de la validité des billets d'avion à la réservation des maisons de vacances. Les concluants ont été dans l'obligation d'effectuer de multiples démarches afin d'assurer leur logement et leur transport;

Outre les difficultés matérielles, cette situation a généré une inquiétude permanente quant au déroulement de leur séjour et de leur retour en France. S'agissant d'une période de vacances, le préjudice moral est donc particulièrement important;

Chacun des demandeurs est donc fondé à solliciter l'allocation d'une somme de 10 000 F correspondant aux frais supplémentaires de dépassements hôteliers, taxis, téléphones, fax ainsi qu'au titre du préjudice moral subi du fait de Madame B;

Dans le courant des années 1993 et 1994, plusieurs personnes se sont adressées à l'agence X pour partir à l'Ile Maurice. Elles ont réglé billets d'avions et location de villas avant leur départ et une fois arrivées sur les lieux, aucune villa n'avait été retenue et elles ont dû de nouveau régler des frais de location et de séjour. Elles ont déposé plainte pour tromperie et publicité mensongère;

Ainsi, Madame et Monsieur Richter, Gianoli et Deambrosis avaient lu une publicité dans le Nouvel Observateur sur X, ont pris contact avec la responsable Mme A Marie-Noëlle qui leur a donné rendez-vous chez eux et présenté son catalogue; Ils ont retenu une villa présentée en page 4 de ce document avec accès direct à la plage et prestations supplémentaires (ménage et voiture) et ont acquitté en sus des billets de transport, 6 600 F pour les deux premiers, 8 400 F pour le troisième;

Arrivés à l'île Maurice, ils constatèrent que les villas n'étaient que des bungalows et ils ont dû payer de nouveau tous leurs frais de séjour car s'ils avaient été réservés, ils n'avaient pas été payés;

Un groupe de touristes avait également obtenu de l'ambassade de l'île Maurice la liste des agents de voyage et l'agence X en France leur avait été recommandée. Contactée par leurs soins, Madame B leur a montré son catalogue sur lequel ils ont retenu une villa de 100 m², pieds dans l'eau pour un mois et demi au prix de 36 000 F;

A leur arrivée, ils ont dû de nouveau acquitter des frais de séjour, la villa proposée n'avait jamais été mise en location par le propriétaire. Par la suite, Madame B a remboursé leurs frais. Or, le catalogue faisait état de sept ans d'expérience, d'une assistance permanente et d'une qualité de service remarquable;

Il résultait de l'enquête que X a eu successivement deux adresses à Paris; que la prévenue a quitté les locaux sans régler la société de domiciliation; que sur les cinq numéros de téléphone au nom de l'agence, trois étaient erronés, aucune mention d'inscription au registre du commerce ne figurait sur le catalogue et les chèques étaient établis au nom de Mme A ou de l'agence MTV qui prenait les billets de transport;

A Marie-Noëlle a trompé ses co-contractants en leur faisant croire qu'ils louaient des villas luxueuses, qui n'étaient en réalité que des bungalows, en général indisponibles; elle a effectué une publicité mensongère notamment dans le Nouvel Observateur en faisant croire qu'elle était propriétaire de ces villas ou pouvait en disposer;

Elle exerce l'activité d'agent de voyage sans être titulaire des autorisations et agréments prévus par la loi du 13 juillet 1992, tout en faisant croire à sa clientèle qu'elle en disposait;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Confirme le jugement déféré sur la culpabilité de A Marie-Noëlle épouse B; L'infirmant en répression, La condamne à 3 mois d'emprisonnement avec sursis, Confirme le jugement entrepris en ses dispositions civiles, Déboute pour le surplus; Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable la condamnée.