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Décisions

CA Paris, 9e ch. B, 16 septembre 1999, n° 98-07247

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thin

Avocat général :

M. Millet

Conseillers :

MM. Barrau, Remenieras

Avocats :

Mes Fédida, Imbert

CA Paris n° 98-07247

16 septembre 1999

Rappel de la procédure:

La prévention:

C Gilbert est prévenu d'avoir à Vitry et Santeny, entre janvier 1995 et janvier 1996, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit:

- trompé ou tenté de tromper des contractants sur la nature, l'origine, les qualités substantielles, l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués d'une marchandise vendue, en l'espèce en commercialisant sous la qualification de super ou de super sans plomb un mélange de toluène et de naphta ne répondant pas aux spécifications administratives normalisant ces carburants.

- mis en vente et vendu pour la carburation un mélange de naphta et de toluène, produits pétroliers, d'une quantité totale de quatre millions de litres dont la mise en vente et la vente pour cet usage n'ont pas été autorisés par arrêté du ministère du Buget et de l'Industrie pris en application de l'article 265 ter du Code des douanes, et ainsi éludé le recouvrement de taxes d'un montant total de 12 000 000 F.

- falsifié un passeport au nom de Taylor Georges, et fait usage de ce faux administratif pour ouvrir un compte bancaire au préjudice de l'agence CIC de La Varenne-Saint-Hilaire.

- étant dirigeant de droit ou de fait de la SARL X, fait des biens de celle-ci un usage abusif dans son intérêt personnel ou au profit de sociétés dans lesquelles il était intéressé, en l'espèce en faisant supporter par la société des dépenses personnelles, et en transférant sans contrepartie sur des sociétés tierces les recettes provenant de son activité.

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré C Gilbert coupable:

- d'abus des biens ou du crédit d'une SARL par un gérant à des fins personnelles, de janvier 1995 à janvier 1996, à Vitry-sur-Seine et Santeny, infraction prévue et réprimée par les articles 425, 425 4°, 431 de la loi 66-537 du 24-07-1966,

- de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, de janvier 1995 à janvier 1996, à Vitry-sur-Seine et Santeny, infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Cade de la consommation,

- de faux dans un document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité et usage, de janvier 1995 à janvier 1996, à Vitry-sur-Seine et Santeny, infraction prévue et réprimée par les articles 441-2 al. 1, 441-1 al. 1, 441-10, 441-11 du Code pénal,

- d'importation non déclarée de marchandise prohibée, de janvier 1995 à janvier 1996, à Vitry-sur-Seine et Santeny, infraction prévue et réprimée par les articles 414 al. 1, 423, 424, 425, 426, 427, 437 al.1, 438, 432 bis 1°, 369 du Code des douanes,

et, en application de ces articles,

* l'a condamné à la peine de 4 ans d'emprisonnement dont 3 ans avec sursis,

* a ordonné la confiscation du scellé 5-96,

* a déclaré la société X solidairement responsable avec Gilbert C, du paiement des réparations civiles accordées,

* a condamné solidairement Gilbert C et la société X à payer à l'administration des Douanes:

15 248 190 F (art. 377 bis du Code des douanes) au titre des taxes éludées,

21 712 500 F (art. 414 du Code des douanes) à titre d'amende douanière,

21 712 500 F (art. 435 du Code des douanes) pour tenir lieu de confiscation de la marchandise échappée,

* a dit que les sommes, voiture et téléphones portables retenus en sûreté des pénalités seront alloués à l'administration des Douanes qui affectera leur valeur au paiement partiel des pénalités,

* a prononcé la contrainte par corps en vertu des articles 382 § 2 du Code des douanes et 750 du Code de procédure pénale,

* a condamné Gilbert C, à payer au Conseil national des professions de l'automobile "CNPA", partie civile la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur C Gilbert, le 15 juillet 1998, sur les dispositions pénales et civiles.

Monsieur le Procureur de la République, le 15 juillet 1998 contre Monsieur C Gilbert.

Décision:

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme:

Considérant que te prévenu et le ministère public ont régulièrement interjeté appel du jugement rendu le 9 juillet 1998 par le Tribunal de grande instance de Créteil; que ces appels formés dans le délai légal sont recevables;

Considérant que bien que régulièrement cité à la mairie de son domicile, M. C ne comparaît pas; que la preuve ne figurant pas au dossier de ce qu'il aurait eu effectivement connaissance de la date d'audience, il sera statué à son égard par défaut;

Au fond:

Considérant que les premiers juges, après rappel de la prévention ont exactement relaté les circonstances de la cause; qu'il convient à cet égard de se référer aux énonciations du jugement entrepris;

Qu'il suffit de rappeler que la SARL X, dont le siège est à Vitry-sur-Seine à l'adresse d'une société de domiciliation, a pour objet "l'achat, la vente, l'import-export de véhicules de toutes natures, marques et modèles, tous produits et pièces de rechange d'automobiles, tous produits solvants ou combustibles, et la location de véhicules automobiles"; que le gérant, seul détenteur de la signature en banque est M. C; que la comptabilité sociale, limitée à l'enregistrement informatique des opérations était tenue à l'extérieur de la société, le gérant assurant lui-même la saisie des données de base, mais qu'aucun livre comptable n'a été ouvert;

Considérant que l'activité sociale a en réalité consisté à vendre à des détaillants du carburant sous les appellations de "super-carburant" et de "super sans plomb";

Considérant qu'un contrôle opéré par les services des douanes a révélé qu'en réalité, la société commercialisait sous ces appellations un mélange de naphta et de toluène, produits pétroliers non autorisés pour la carburation, auquel il était adjoint un colorant jaune ou vert, selon la dénomination sous laquelle le produit était proposé à la vente; que ce mélange était élaboré dans les cuves dont disposait la société à Santeny;

Considérant que le prévenu n'a pas contesté les faits, en indiquant qu'il avait rencontré un personnage qu'il désigne sous le nom de John Doherty, et qui lui aurait prêté les fonds nécessaires à la création de la société; que celui-ci lui aurait également donné les références d'un ingénieur chimiste demeurant en Amérique latine, lequel lui aurait, par téléphone, communiqué la formule du mélange; que lui-même aurait adapté cette formule aux données climatiques françaises, et aurait dans un premier temps ajouté le produit ainsi obtenu avec du carburant autorisé que peu à peu, il avait diminué la proportion de carburant véritable, pour ne plus livrer autre chose que le mélange, vendu à un prix inférieur de 10 % environ au prix du marché;

Considérant qu'il a admis avoir ainsi cédé pour une valeur de 27 millions de francs de mélange à des détaillants de la région parisienne, entre les mois de janvier 1995 et de janvier 1996; que selon l'acte introductif d'instance fiscale, la fraude porte sur 3 750 000 litres de mélange, d'une valeur de revente de 21 712 000 F;

Considérant que les investigations opérées pour déterminer la destination donnée aux fonds ainsi obtenus ont révélé que M. C s'était fait ouvrir un compte au CIC de La Varenne-Saint- Hilaire sous le faux nom de Georges Taylor, en présentant un faux passeport du Honduras Britannique, établi sous cette identité, et supportant sa photographie; que ce passeport a été découvert à son domicile par les enquêteurs;

Considérant qu'il a Soutenu avoir acquis ce document avec d'autres de même nature, auprès d'une société britannique, à laquelle il avait adressé sa photographie, et le prix demandé;

Considérant que ce compte a été alimenté par des chèques tirés sur les comptes de la société X: que les comptes sociaux ont été débités à destination de comptes ouverts au nom de sociétés écrans domiciliées au Costa Rica, que C prétend avoir créées lui-même par l'intermédiaire de personnes faisant des publicités à cette fin dans le "Herald Tribune", ou encore au bénéfice des comptes de Doherty; que le total de ces paiements non justifiés par des factures, s'élève à 14 302 953 F, auxquels il convient d'ajouter une somme de 141 760 F prélevée sans cause apparente par le prévenu sur les comptes sociaux, ainsi qu'un achat de parts de SICAV à hauteur de plus de 65 000 F.; qu'il ressort de ces constatations que l'intégralité des bénéfices dégagés par l'activité de la société X a été appréhendée par les intéressés;

Considérant que ces faits caractérisent à la charge de M. C les délits de faux document administratif et usage, d'abus de biens sociaux, et de tromperie sur la nature et les qualités substantielles du produit vendu, ainsi que le délit douanier de détournement de produits pétroliers de leur destination privilégiée, délit réputé importation sans déclaration de marchandises prohibées que le montant des taxes éludées s'élève à 15 248 190 F;

Sur la peine:

Considérant qu'il résulte de la procédure que le prévenu a en toute connaissance de cause participé à une fraude de grande ampleur dont le profit a été intégralement dissipé, et pour sa plus grande part, exporté au bénéfice de personnages dont l'identification reste aléatoire; que faisant de la durée et des modalités d'exécution de la peine une appréciation différente de celle des premiers juges, la cour infligera à M. Gilbert C une peine de trois ans d'emprisonnement qu'il convient afin de s'assurer de la mise à exécution de la peine, et compte tenu du défaut de comparution du prévenu de décerner à son encontre un mandat d'arrêt;

Sur l'action douanière:

Considérant que l'administration des Douanes, exerçant l'action fiscale, sollicite la confirmation du jugement; qu'il convient de faire droit à cette demande;

Sur l'action civile:

Considérant que le Conseil national des professions de l'automobile, partie civile, reprenant ses demandes de première instance, sollicite la condamnation du prévenu à lui verser une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, et en outre 10 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Considérant sur la demande principale que la partie civile non appelante, n'est pas recevable à demander en cause d'appel une somme supérieure à celle qui lui a été accordée par les premiers juges; que ceux-ci ayant fait une exacte appréciation du préjudice subi par la partie civile, le jugement sera confirmé sur ce point que l'équité commande d'allouer en outre à la partie civile une somme de 4 000 F au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel;

Par ces motifs: LA COUR Statuant publiquement, par défaut. à l'égard de Gilbert C, prévenu contradictoirement, à l'égard de l'administration des Douanes, du CNPA parties civiles et en second ressort; En la forme, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public; Au fond, Confirmant pour partie, infirmant pour partie le jugement dont appel; Confirme le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité, et émendant sur la peine, condamne M. Gilbert C à la peine de trois ans d'emprisonnement; Vu l'article 465 du Code de procédure pénale, décerne à son encontre mandat d'arrêt: Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions, et y ajoutant, condamne en outre M. Gilbert C à verser à la partie civile une somme de quatre mille francs (4 000 F) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Déboute les parties de tous chefs de demandes plus amples ou contraires.