Cass. crim., 19 septembre 2000, n° 99-85.223
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Blondet
Avocat général :
M. Lucas
Avocat :
SCP Tiffreau.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par X Roger, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 6 mai 1999, qui, pour exercice illégal de la pharmacie, publicité pharmaceutique illicite et mise en vente de denrées falsifiées ou toxiques, l'a condamné à 100 000 francs d'amende, a ordonné la publication de la condamnation et a prononcé sur les intérêts civils; - Vu le mémoire produit; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-2, L. 213-3, L. 216-8 du Code de la consommation, 1er et 15-2 du décret du 15 avril 1912, 111-4 du Code pénal, 485, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, et des libertés fondamentales, du principe fondamental de droit communautaire de sécurité juridique, fausse interprétation, défaut de base légale et défaut de motifs;
"en ce que l'arrêt attaqué, infirmant le jugement déféré, a déclaré Roger X coupable d'avoir mis en vente un produit servant à l'alimentation de l'homme qu'il savait être falsifié, corrompu ou toxique, en l'espèce un complément alimentaire dénommé A;
"aux motifs qu'il résulte de la procédure que Roger X commercialisait le produit A exclusivement composé de carnitine; la carnitine étant le seul ingrédient du produit s'analyse en un dérivé de deux acides aminés, la lysine et la méthionine qui se trouve soit dans certaines viandes soit par synthèse dans l'organisme humain au niveau du foie, des reins et du cerveau; ce produit est selon le prévenu lui-même qualifié de complément alimentaire et ne figure pas parmi les acides aminés des additifs alimentaires autorisés par l'arrêté du 4 août 1986 relatif à l'emploi des substances d'addition dans la fabrication ou la préparation des denrées alimentaires; si la lysine et la méthionine sont autorisées individuellement, la carnitine n'est pas désignée et autorisée en tant que telle; c'est d'ailleurs pour cette raison que l'Administration avait rappelé, mais en vain, au prévenu le 14 mai 1993, qu'il devait cesser toute mise sur le marché ou commercialisation dès lors, que l'analyse avait au surplus, conclu à la non-conformité du produit en raison d'une teneur en Carnitine de 58,7 g/1000 Kcal, alors que la dose maximale autorisée est de 100 mg/1000 Kcal; le fait de fabriquer ou de mettre en vente des produits contenant un additif ou un ingrédient non autorisé ou dépassant considérablement la dose autorisée constitue une falsification (...);
"alors que 1°) si la loi réprime "l'addition" de "produits chimiques" non autorisés à des "denrées alimentaires", elle autorise la fabrication et la commercialisation de "compléments alimentaires", qui sont des "produits destinés à être ingérés en complément de l'alimentation courante", composés de simples nutriments; qu'en l'espèce, en énonçant que le fait de fabriquer ou de mettre en vente des produits contenant un additif "ou un ingrédient" non autorisé constituait une falsification, et en retenant, pour condamner Roger X, que le produit litigieux, qualifié de "complément alimentaire", n'était composé que de carnitine, "dérivé de deux acides aminés" qui se trouve dans l'alimentation courante, dont l'utilisation n'était pas expressément "autorisée", la cour d'appel a violé les textes visés au moyen;
"alors que 2°) par ailleurs, en faisant alternativement application de la réglementation propre aux "produits destinés à une alimentation particulière", distincte de celle applicable aux "compléments alimentaires", et en retenant une concentration excessive de carnitine par rapport à la "dose maximale autorisée", sans autre précision, quant à l'apport réel en carnitine du produit litigieux et à sa nocivité, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Y, qui distribue en France, sous la marque B, les produits de la société belge Z, a commercialisé, sous le nom de "A", un produit contenant de la carnitine; que Roger X, président de la société, est poursuivi, en application de l'article L. 213-3, alinéa 1, 2, du Code de la consommation, pour exposition, mise en vente ou vente de denrées falsifiées ou toxiques;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de ce délit, les juges du second degré retiennent que la dose de carnitine contenue dans le produit incriminé, que le demandeur présente comme un complément alimentaire exclusivement composé de cette substance, excède celle autorisée par la réglementation applicable aux additifs entrant dans la fabrication d'aliments destinés à une alimentation particulière;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, et dès lors que l'emploi de la carnitine n'est autorisé dans l'alimentation humaine qu'à titre d'additif à but nutritionnel, dans les conditions et limites prévues par l'arrêté du 4 août 1984 modifié relatif à l'emploi de substances d'addition dans la fabrication des aliments destinés à une alimentation particulière, la cour d'appel a justifié sa décision; d'où il suit que le moyen doit être écarté;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 511, L. 512 et L. 517 du Code de la santé publique, 485, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale et défaut de motifs;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Roger X coupable d'exercice illégal de la pharmacie et d'infraction aux règles de la publicité sur les médicaments, en ayant commercialisé les produits C et D;
"aux motifs que le prévenu demande qu'il soit sursis à statuer dans l'attente du résultat des expertises scientifiques en cours sur le rôle de la vitamine C; la vitamine C est un complément nutritionnel indispensable à l'homme dont les besoins quotidiens oscillent entre 50 et 70 mg par jour et dont le meilleur apport quotidien eu égard aux habitudes alimentaires se situe entre 60 et 100 mg; l'absorption excessive de vitamine C sans contrôle ni précautions est maintenant qualifiée de potentiellement dangereuse sur la santé des consommateurs et le seuil de sécurité au-delà duquel les risques de complications se manifestent tels l'augmentation des taux sanguins d'oestrogène chez la femme sous oestrogénothérapie, les risques importants de formation de calculs rénaux, a été fixé à 1 000 mg d'apport journalier ainsi que cela résulte du rapport d'enquête de la DGCCRF de septembre 1992 et de celui du Conseil Supérieur de l'Hygiène Publique de septembre 1995; en définitive, en dépit des errements du passé, il est désormais admis que la vitamine C a un rôle métabolique essentiel qui à dose forte ne peut être considéré comme n'ayant pas d'effet sur la santé des consommateurs lesquels n'ont pas toujours l'information suffisante pour apprécier l'utilité et la nocivité du produit, le guide formulaire proposé par le prévenu à la clientèle via les distributeurs ne comportant aucune information à cet égard; le produit concerné, C et D doit au bénéfice des motifs développés être considéré comme étant administré en vue de restaurer, corriger ou modifier les fonctions organiques et constitue un médicament par fonction au sens de l'article L. 511 du Code de la santé publique (...);
"alors que la qualification d'un produit en médicament "par fonction" doit résulter d'une appréciation concrète, tenant compte de ses éventuelles propriétés pharmacologiques, telles qu'elles peuvent être établies en l'état actuel de la connaissance scientifique, de ses modalités d'emploi, de l'ampleur de sa diffusion, de la connaissance qu'en ont les consommateurs et des risques que peut entraîner son utilisation; qu'en l'espèce, en déduisant du seul effet nocif de la vitamine C "à forte dose" que les produits litigieux étaient des médicaments "par fonction", sans apprécier s'ils pouvaient raisonnablement être administrés en vue de restaurer, corriger ou modifier une quelconque fonction organique au sens de l'article L. 511 du Code de la santé publique, après avoir constaté, au demeurant, que la vitamine C était un "complément nutritionnel", la cour d'appel a violé les textes visés au moyen";
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 511, L. 512 et L. 517 du Code de la santé publique, 485, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale et défaut de motifs;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Roger X coupable d'exercice illégal de la pharmacie et d'infraction aux règles de la publicité sur les médicaments, en ayant commercialisé des produits D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N;
"aux motifs que après l'avoir contesté, Roger X a admis que la brochure intitulée "la nutrition Orthomoléculaire" était diffusée aux revendeurs pour être finalement vendue aux consommateurs au prix de 5 francs; l'examen de cette brochure révèle qu'elle s'analyse en un descriptif des produits visés à la prévention comportant pour chacun des produits la formule chimique, les indications et la posologie; est un médicament par présentation tout produit présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives chaque fois qu'il apparaît même de manière implicite mais certaine aux yeux d'un consommateur moyennement avisé et que le produit devrait eu égard à sa présentation avoir les propriétés dont il s'agit; en l'espèce, les produits vendus sont présentés pour prévenir différentes affections par leurs propriétés intrinsèques alléguées tel : - D et E lesquels comme leur nom l'indique sont présentés comme des produits destinés selon la brochure à lutter contre l'ostéoporose et l'artériosclérose, - N présenté comme devant prévenir la cataracte selon le même document, - F serait une association d'antioxydants soufrés et de subtances intervenant sur le métabolisme hépatique et lipidique favorisant ainsi la détoxication de l'organisme, - G destiné à atténuer le syndrome prémenstruel des femmes, - H aussi présenté comme devant lutter contre les états de fatigue, de céphalées, prise de poids et gonflements, - M s'analysant en deux acides aminés à prendre à jeun dès lors que l'action favorise le processus d'éveil et la tonicité, - I est destiné à prévenir selon la brochure les affections liées aux inflammations et à la douleur, - J comme son nom l'indique implicitement est destiné à lutter contre les problèmes de constipation, - K destiné à prévenir les pathologies cardio vasculaires, - L devant enfin prévenir les surcharges en cholestérol; tous ces produits sont donc présentés comme ayant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies ou possèdent des propriétés permettant de corriger, restaurer ou modifier une fonction organique (...);
"alors que 1°) il résulte des constatations des juges du fond que les produits susvisés étaient présentés comme utiles au bon fonctionnement de l'organisme (lutte contre l'état de fatigue, tonicité favorisée etc.); qu'en affirmant qu'ils étaient présentés comme ayant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des "maladies humaines", c'est-à-dire qu'il s'agissait de "médicaments par présentation", la cour d'appel a violé les textes susvisés;
"alors que 2°) au surplus, en affirmant que ces produits possédaient des propriétés permettant de corriger, restaurer ou modifier une fonction organique, c'est-à-dire qu'ils étaient des médicaments "par fonction", sans procéder à une appréciation concrète, tenant compte de leurs éventuelles propriétés pharmacologiques, telles qu'elles auraient pu être établies en l'état actuel de la connaissance scientifique, de leurs modalités d'emploi, de l'ampleur de leur diffusion, de la connaissance qu'en ont les consommateurs et des risques qu'aurait pu entraîner leur utilisation, la cour d'appel a violé les textes susvisés";
Les moyens étant réunis; - Attendu que, pour déclarer Roger X coupable d'exercice illégal de la pharmacie et de publicité pharmaceutique illicite, les juges,après avoir relevé qu'il n'est pas titulaire du diplôme de pharmacien, retiennent que la société qu'il dirige présentait chacun des produits proposés à la vente comme possédant des propriétés curatives et préventives à l'égard des maladies humaines;qu'ils ajoutent que la vitamine C qu'il a commercialisée, sous les noms de "C" et "D", constitue un médicament, dès lors qu'elle est administrée à fortes doses, sous forme d'un produit de synthèse, en vue de restaurer les fonctions organiques;
Attendu que, pour le déclarer en outre coupable de publicité pharmaceutique illicite, les juges relèvent que la société qu'il dirige diffusait dans le public, au prix de 5 francs, une brochure intitulée "La nutrition orthomoléculaire", dans laquelle les produits visés à la prévention faisaient l'objet d'un descriptif comportant leur formule chimique, leurs indications et une posologie;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision; qu'en effet, selon l'article L. 511 du Code de la santé publique, sont considérés comme médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales ainsi que tout produit pouvant être administré à l'homme ou à l'animal en vue de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques;d'où il suit que les moyens doivent être écartés;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette le pourvoi.