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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 31 mars 1999, n° 98-06868

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

DGCCRF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocats généraux :

Mme Auclair, Avocat: Me Montenot.

Conseillers :

Mme Marie, M. Seltensperger

TGI Créteil, 15e ch., du 22 juin 1998

22 juin 1998

Rappel de la procédure:

La prévention:

S Catherine est poursuivie pour avoir à Rungis et sur le territoire national courant novembre 1995

- trompé le contractant sur la composition et les risques inhérents à l'emploi d'une marchandise vendue, en l'espèce, en distribuant des mangues dans des emballages munis d'une étiquette ne mentionnant pas la présence de résidus de pesticides, avec cette circonstance que la tromperie a eu pour effet de rendre la marchandise dangereuse pour l'homme

- mis en vente et vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme, en l'espèce 3 876 cartons de mangues, qu'elle savait falsifiées, corrompues ou toxiques

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire,

- a relaxé Mme S Catherine épouse D des faits d'exposition ou vente de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié, corrompu ou toxique et l'a relaxée de ce chef de prévention

l'a déclarée

coupable de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal, faits commis courant novembre 1995, à Rungis, infraction prévue par les articles L. 213-2, L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-2, L. 213- 1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation

et, en application de ces articles, l'a condamnée à 30 000 F d'amende

a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable la condamnée.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

M. le Procureur de la République, le 25 juin 1998 contre Mme S Catherine

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel du ministère public à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention;

Mme S Catherine épouse D présente et assistée de son conseil, sollicite la confirmation de sa relaxe par substitution de motifs et l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déclarée coupable de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise pouvant entraîner un danger pour la santé de l'homme;

A cet effet, elle fait valoir:

Que la société X dont elle est dirigeante a acheté à un importateur allemand, la société Peter Cremer, un lot de mangues en provenance du Brésil produites par la société brésilienne Agrolina;

Qu'elle en a importé 2 040 canons dont 879 étaient revendus à un grossiste de Rungis, la société Comexa également et par ailleurs importateur de mangues;

Que cette société Comexa en a vendu 20 colis à la société Alsace (SCAP) à Colmar où ils ont été contrôlés par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et que les résultats de l'analyse du 1er février 1996 révélaient la présence de deux produits non autorisés sur les fruits, à savoir:

- le prochloraz, à raison de 0,2 milligramme par kilo

- l'hydroxycarbofuran, à raison de 0,2 milligramme par kilo

Qu'aux termes de l'arrêté du 5 août 1992, le carbofuran est un produit qui n'est pas autorisé, tandis que le prochloraz ne l'est que sur les champignons et les céréales dans des quantités d'ailleurs bien supérieures à celles qui ont été trouvées sur les mangues;

Qu'elle a sollicité une contre-expertise qui concluait à la présence du seul prochloraz dans des quantités d'ailleurs moindres de celles qui avaient été trouvées par le premier laboratoire, soit 0,1 milligramme par kilo;

Que l'expert qui a procédé à cette contre-expertise précisait que c'était la première fois au cours de sa longue pratique d'expertise relative aux incidents de toute nature survenant dans la commercialisation des fruits et légumes qu'il se trouvait en présence de ce type de pesticide le prochloraz, produit chimique pratiquement inconnu dans la profession;

Que le producteur brésilien avait déclaré à l'importateur allemand qu'il n'utilisait pas le prochloraz;

Que l'expert a rappelé que, pour que ce produit produise un effet mortel sur un rat en une seule fois, elle est de 1 600 milligramme par kilogramme

Reconnaissant que l'article L. 213-3 du Code de la consommation est applicable aux fruits et légumes frais contrairement à ce que le tribunal avait estimé, elle sollicite la confirmation du jugement entrepris par substitution de motifs s'agissant de la prévention d'exposition ou vente de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié, corrompu ou toxique;

La prévenue fait en effet valoir que la preuve n'est pas rapportée qu'elle ait eu connaissance du fait que les produits qu'elle importait avaient été traités au prochloraz;

Sur la poursuite du chef de tromperie, elle soutient que si l'article L. 213-2 du Code de la consommation porte au double les peines prévues à l'article L. 213-1 relatif au délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise, si les produits révélés ont rendu l'utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de l'homme ou de l'animal, il faut tout de même que soit rapportée la preuve que le produit aurait eu pour effet de rendre l'utilisation des mangues dangereuses pour la santé de l'homme;

Mme S Catherine, épouse D souligne que la dose de 0,1 milligramme décelée par l'expert ne pourrait mettre en danger la santé de l'homme que s'il absorbait en une seule fois 16 tonnes de mangues avec la peau ou des mangues avec leur peau tous les jours de sa vie, et que des doses supérieures à celles autorisées en France sont admises dans des pays voisins;

Elle estime qu'il ne peut être déduit d'une absence de vérification une quelconque négligence susceptible de constituer le délit de tromperie;

Qu'eut-elle procédé à des analyses, il est de toute façon établi

- d'une part que le résultat des analyses ne lui serait parvenu que très longtemps après la commercialisation des mangues,

- d'autre part que l'analyse qu'elle aurait commandée n'aurait certainement pas porté sur du prochloraz dont personne ne connaît l'existence en France, en tout cas dans le secteur des fruits et légumes;

Que si une analyse sur tous les produits est possible, de telles analyses sont facturées à coûts prohibitifs par les laboratoires ce qui rend de telles recherches inconcevables;

Mme S Catherine, épouse D soutient en outre qu'elle ne pouvait raisonnablement procéder à la vérification de la présence d'un produit dont il est établi qu'il n'est jamais employé pour traiter des produits frais;

Que cette recherche de tous les additifs alimentaires et notamment d'additifs qui ne sont pas habituellement employés sur ces fruits constitue nécessairement une restriction à la libre circulation des marchandises contraire aux dispositions de l'article 30 du traité de Rome;

Qu'en effet, la Cour de cassation a jugé que l'article L. 212-1 du Code de la consommation qui impose à l'introducteur de vérifier la conformité des marchandises par rapport aux normes en vigueur n'est compatible avec les dispositions du traité de Rome que si la mise en œuvre de l'article L. 213-1 du Code de la consommation n'implique pas des exigences qui dépassent ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé compte-tenu d'une part de l'intérêt général en cause et d'autre part des moyens de preuve normalement disponibles pour l'importateur;

Qu'enfin, pour entrer en voie de condamnation, la cour devait avoir la certitude que les mangues contrôlées sont bien celles qui ont été introduites sur le territoire français par la société X, preuve qui est impossible à rapporter dans la mesure où les mangues trouvées chez Alsace (SCAP) provenaient de la société Comexa qui est elle-même un importateur et a donc très bien pu compléter des cartons ou en modifier la composition pour obtenir lors de la vente une homogénéité des produits présentés;

Rappel des faits

Le 29 novembre 1995, les services de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes prélevaient des échantillons de mangues du Brésil dans des entrepôts gérés pour le compte de la société Alsace (SCAP) à Colmar;

Le 1er février 1996, l'analyse concluait à la non-conformité de ces fruits en raison de la présence de résidus de pesticides, en l'espèce 0,2 milligrammes de prochloraz et 0,2 milligrammes d'hydroxycarbofuran au kilo;

Ces produits avaient été achetés à la société Comexa à Rungis qui les avait elle-même acquis auprès de la société l'X, laquelle les avait importés en France depuis Rotterdam par l'intermédiaire d'une société allemande. Les produits étaient acheminés directement depuis le port néerlandais jusqu'à Rungis;

Mme S Catherine épouse D, responsable légale de cette entreprise, reconnaissait qu'elle était l'auteur de la première mise sur le marché français de ces mangues et qu'elle ne faisait pas effectuer d'analyse pour en vérifier la conformité;

L'expert désigné par le magistrat instructeur à la demande de la prévenue confirmait la présence de prochloraz dans les mangues;

Sur ce

Sur les poursuites du chef de délit de tromperie

Considérant qu'il est constant que les mangues mises sur le marché par la prévenue contenaient un produit interdit par la législation française;

Considérant que constitue l'élément matériel du délit de tromperie la mise sur le marché d'un produit non conforme à la réglementation;

Que la prévenue a reconnu qu'elle ne procédait à aucune vérification et que l'absence d'une telle vérification ne saurait être justifiée par le principe de la libre circulation des marchandises, l'article 36 du traité de Rome permettant des restrictions à ce principe pour des raisons de santé publique, l'objectif poursuivi par les dispositions de l'article L. 213-1 du Code de la consommation;

Sur les poursuites du chef de l'exposition ou vente de denrée alimentaire, boisson ou produit agrico1e falsifié, corrompu ou toxique

Considérant que l'article L. 213-3 du Code de la consommation qui incrimine le fait d'exposer, mettre en vente ou vendre des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, des boissons et des produits agricoles ou naturels qu'ils sauront être falsifiés ou corrompus ou toxiques, ne connaissent d'exception qu'en ce qui concerne les fruits et légumes frais, fermentés ou corrompus et non les produits frais comme l'a estimé à tort le tribunal;

Considérant toutefois que ce texte suppose de la part de l'auteur de l'infraction la connaissance de la falsification;

Qu'aucun élément de la procédure n'établissant que Mme S Catherine, épouse D ait eu connaissance de la présence du prochloraz dans les mangues qu'elle importait, doit être relaxée des fins de la poursuite de ce chef par substitution de motifs;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Reçoit l'appel du ministère public; confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, par substitution de motifs en tant que de besoin; Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable la condamnée,