CA Toulouse, 3e ch., 4 novembre 1999, n° 99-00568
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Confédération syndicale des familles, Institut national des appellations d'origine, ORGECO, UFC Colomiers Ouest 31, UFC Toulouse - Que Choisir?, Direction générale des douanes et droits indirects
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boyer
Avocat général :
M. Baxerres
Conseillers :
M. Lamant, Mme Baby
Avocats :
Mes Vacarie, Dumaine, Cavalie, Vaysse.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le tribunal, par jugement en date du 26 avril 1999, a déclaré M. L Philippe coupable de falsification de denrée alimentaire, boisson, substance médicamenteuse ou produit agricole, depuis le 18 mai 1995 et 1995, à Castelnau d'Estretefond, infraction prévue par l'article L. 213-3 al. 1 1° du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-3 al. 1, L. 213- 4, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation
coupable de détention de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié; corrompu ou toxique, le 6 mai 1997, à Castelnau d'Estretefond, infraction prévue par l'article L. 213-4 al. 1 2° du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-4 al. 1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation
coupable de vente de produit naturel ou fabriqué portant une appellation d'origine régionale inexacte, courant 1997, à Castelnau d'Estretefond, infraction prévue par les articles L. 115-16 aL.3, L. 115-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 115-16 al. 3, al. l, al. 2, L. 213-1 du Code de la consommation
coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, courant 1997, à Castelnau d'Estretefond, infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation
et, en application de ces articles, l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 F d'amende avec sursis.
Confédération syndicale des familles, 1 F à titre de dommages-intérêts, 1 500 F au titre de l'article 475-1 du CPP
Institut national des appellations d'origine, 15 000 F à titre de dommages-intérêts, 3 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP
Organisation générale des consommateurs, 1 F à titre de dommages-intérêts
UFC de Colomiers Ouest 31, 1 F à titre de dommages-intérêts, 250 F au titre de l'article 475-1 du CPP
Union fédérale des consommateurs de Toulouse - Que Choisir?, 1 F à titre de dommages-intérêts, 250 F au titre de l'article 475-1 du CPP
Direction générale des douanes et droits indirects, condamne conjointement L Philippe et X de Saint-Guilhem à lui payer des amendes et pénalités douanières
Les appels:
Appel a été interjeté par:
M. L Philippe, le 3 mai 1999
Institut national des appellations d'origine, le 10 mai 1999 contre M. L Philippe
M. le Procureur de la République, le 10 mai 1999 contre M. L Philippe
Décision:
M. L Philippe est le gérant du groupement foncier agricole de Saint-Guilhem, qui exploite à Castelnau d'Estretefonds plusieurs hectares de vigne situés dans l'aire délimitée de l'appellation "Côtes du Frontonnais", telle qu'elle est fixée par le décret du 7 février 1975 modifié.
Le 30 janvier 1997, les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont prélevé dans une surface de vente 4 bouteilles de vin rosé provenant du domaine de Saint-Guilhem, et mentionnant un taux d'alcool de 11,5 % en volume.
Le laboratoire interrégional de Talence dépendant de cette administration a procédé à l'analyse de ce vin, et conclu à sa non-conformité
- pour enrichissement de 3,5 % en volume, supérieur à la limite légale de 2 %,
- pour titre alcoométrique (12,3 % vol.) supérieur au titre indiqué (11,5 % Vol.)
Des contrôles analogues ont ensuite été effectués sur deux vins rouges produits dans le domaine de Saint-Guilhem:
- ces deux vins rouges titraient 11,7 % vol.,
- l'un d'entre eux apparaissait enrichi de 2,5 % vol., taux supérieur à la limite légale,
- l'autre apparaissait enrichi de 2 % vol., soit le taux maximal autorisé.
Eu égard aux volumes concernés, il résultait de ces analyses l'utilisation de 759,04 kg de sucre au moins, et il était relevé
- que M. L avait déclaré ne détenir aucun stock de sucre au 31 août 1995,
- qu'il n'avait pas fait de déclaration préalable d'enrichissement par saccharose, comme les textes réglementaires l'imposent,
- qu' il ne tenait pas le registre d'enrichissement réglementaire.
Enfin, compte tenu du taux d'enrichissement déterminé par l'analyse, il apparaissait que le degré avant enrichissement était, pour le vin rosé comme pour les deux vins rouges analysés, inférieur au taux minimal de 10,5 % requis pour prétendre à l'appellation "Côtes du Frontonnais".
M. L n'a pas contesté que le vin rosé ait un taux alcoométrique supérieur à celui figurant sur l'étiquette, une autre analyse ayant également conclu à un taux de 12,3 %. Il n'a pas non plus contesté l'absence de déclaration préalable de chaptalisation, ni le défaut de déclaration de stock et d'achat de sucre.
Il a cependant contesté le taux de chaptalisation obtenu lors des analyses, affirmant qu'il n'avait jamais dépassé le taux légal de 2 %.
M. L a été poursuivi par le Ministère public pour:
- falsification de boissons destinées à la vente et détention de boissons
falsifiées,
- tromperie sur les qualités d'un produit naturel, par indication d'une appellation d'origine qu'il savait inexacte.
Il a fait l'objet, ainsi que X domaine de Saint-Guilhem, d'une citation à comparaître à la requête de l'administration des douanes, du chef:
- d'infractions sur les vins, à savoir:
* défaut de déclaration préalable d'intention d'enrichissement,
* sur-chaptalisation et enrichissement de moûts ne présentant pas le titre alcoométrique volumique minimum requis pour bénéficier de l'appellation contrôlée "Côtes du Prontonnais",
- d'infractions sur les sucres, à savoir:
* détention de 759 kg de sucre sans déclaration préalable et sans fourniture de justification d'emploi,
* non-paiement de la taxe sur les sucres utilisés irrégulièrement.
Le Tribunal correctionnel de Toulouse, par jugement contradictoire du 26 avril 1999, l'a reconnu coupable de l'ensemble de ces infractions, et l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 F d'amende avec sursis sur l'action publique, ainsi que, sur l'action douanière, à 4 amendes de 1 000 F, deux pénalités proportionnelles de 90 000 F, une fois la somme de 90000 F pour tenir lieu de confiscation des vins, une pénalité proportionnelle de 3 795 F et la même somme pour tenir lieu de confiscation du sucre, une pénalité proportionnelle de 607 F et 607 F de taxe sur les sucres.
Les constitutions de partie civile de l'Institut national des appellations d'origine, de la Confédération syndicale des familles, des Unions fédérales de consommateurs de Toulouse et Colomiers et de l'ORGECO (Organisation générale des consommateurs) ont été accueillies: l'INAO a obtenu 15 000 F de dommages-intérêts et 3 000 F sur le fondement de l'article 475- 1 du Code de procédure pénale, chacune des associations de consommateurs a obtenu 1 F de dommages-intérêts, la Confédération syndicale des familles se voyant allouer 1 500 F au titre de l'article 475-1, et les UFC Toulouse et Colomiers 250 F à ce même titre.
M. L a relevé appel de cette décision le 3 mai 1999, suivi le 10 mai de l'INAO et du Procureur de la République.
Devant la cour, M. L conteste les résultats du laboratoire interrégional de la DGCCRF, en faisant valoir:
- que ce laboratoire n'est pas accrédité pour l'analyse de l'enrichissement par sucre de betterave par application de la résonance magnétique nucléaire du deutérium, dite "RMN Martin", méthode qu'il a appliquée pour déterminer le taux de chaptalisation de ses vins,
- que la marge d'erreur est de 0,5 % en plus ou en moins, ce qui signifie qu'un taux d'enrichissement trouvé de 2,5 % reste conforme au maximum légal autorisé de 2 %,
- qu'il est physiquement impossible que le via rosé, obtenu par saignée peu de temps après la mise en cuve, ait un degré d'alcool inférieur au vin rouge, dès lors que la macération aboutit précisément à une diminution du taux d'alcool de l'ordre de 1 %.
Il demande donc à la cour de le relaxer, les éléments matériel et intentionnel des délits poursuivis n'étant pas établis.
L'Institut national des appellations d'origine demande que les dommages-intérêts qui lui ont été alloués soient augmentés à 64 015 F, que l'arrêt à intervenir soit publié aux frais de M. L, et sollicite une somme de 6 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
La Direction des douanes sollicite la confirmation.
L'Avocat général requiert également la confirmation.
Les Unions fédérales de consommateurs de Toulouse et Colomiers demandent la confirmation, et l'allocation d'une somme complémentaire de 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Enfin, la Confédération syndicale des familles sollicite, outre la confirmation, la somme de 3 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Décision:
Les appels ont été régularisés dans les forme et délai prévus par la loi, et sont donc recevables,
M. L a finalement reconnu qu'il avait omis de déclarer son intention de procéder à la chaptalisation de sa récolte 1995, et qu'il n'avait pas respecté la réglementation sur la circulation des sucres.
Il admet également que son vin rosé 1995 avait un taux alcoométrique supérieur à celui qui apparaissait sur l'étiquette, à savoir 12,3 % au lieu de 11,5 %. Il considère cependant qu'il n'y a pas tromperie, essentiellement du fait de l'absence d'intention frauduleuse.
Il nie en revanche la sur-chaptalisation, et prétend que les taux d'alcoométrie avant adjonction de sucre, tels qu'ils ont été obtenus par calcul à partir des analyses du laboratoire interrégional de Talence, sont faux: dès lors, il nie avoir usurpé pour ses vins l'appellation contrôlée "Côtes du Frontonnais".
Sur l'action publique:
I - Sur la falsification
L'élément matériel du délit apparaît constitué dès lors que M. L a procédé à une adjonction de sucre non autorisée, faute d'avoir souscrit la déclaration préalable prévue par l'article 422 du Code général des impôts.
Il subsiste cependant un doute quant à sa mauvaise foi: même s'il ne s'agissait pas de sa première vendange et si le dossier montre qu'il n'était pas très attentif aux aspects réglementaires de sa profession (défaut de registre, mise en demeure en 1994), il justifie de difficultés personnelles à cette époque, ainsi que de sa volonté de régulariser sa situation dès avant le contrôle de la DGCCRF.
Sa volonté de produire un vin de qualité est unanimement reconnue, y compris par des professionnels concurrents.
On voit mal par ailleurs quel pouvait être son intérêt à ne pas déclarer une opération qui est autorisée, systématiquement pratiquée par les vignerons de l'appellation, et dont le coût fiscal est faible.
L'infraction de falsification n'étant pas constituée, celle de détention de produits falsifiés doit également être écartée.
II - Sur la tromperie
Il est en premier lieu reproché à M. L d'avoir trompé les consommateurs en indiquant sur l'étiquette de son vin rosé un taux d'alcool inférieur au taux réel, soit 11,5° au lieu de 12,3°.
Là encore, s'il n'est pas contesté que les éléments matériels de l'infraction sont réunis, à savoir la fourniture d'un produit dans le cadre d'un contrat à titre onéreux, il apparaît que l'intention frauduleuse n'est pas établie M. L reconnaît avoir commis une erreur, mais nie la volonté de tromper le consommateur. Il observe à juste titre que le consommateur considère un taux d'alcool élevé comme le signe d'un vin de qualité: s'il avait eu l'intention de tromper, il aurait indiqué un taux supérieur au taux réel, et non un taux inférieur.
Il est ensuite reproché à M. L d'avoir usurpé l'appellation "Côtes du Frontonnais", en venant sous cette appellation des vins qui ne présentaient pas les caractéristiques requises, comme ne titrant pas, avant adjonction de sucre, le degré minimum fixé par les textes.
Les poursuites se fondent ici sur les résultats d'analyse fournis par le laboratoire régional de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui a déterminé l'enrichissement des vins par application de la résonance magnétique nucléaire du deutérium, dite méthode "RMN Martin".
Or, M. L observe que les analyses ont été réalisées par un laboratoire qui n'était pas accrédité pour les pratiquer, ce qui autorise à mettre en doute les résultats obtenus, d'autant que la méthode est relativement récente, et qu'elle est complexe et délicate à interpréter. Elle suppose notamment le recours à un échantillon témoin particulier. Or, le résultat est fourni sans explications, et il n'a pas été répondu aux réserves émises par le prévenu à cet égard.
M. L souligne aussi le caractère aberrant des résultats, qui:
- d'une part donnent à penser que le vin rosé présentait, avant sucrage, un taux d'alcool inférieur au vin rouge, alors que le mode d'obtention du vin rosé, par saignée au début de la macération, permet d'affirmer que ce vin présente un taux d'alcool plus élevé. En effet, la macération a pour effet de diminuer le taux d'alcool, du fait de la dilution progressive du jus des rafles, non sucré, dans le jus de raisin. Tous les professionnels cités par M. L sont unanimes pour fixer à 0,8 ou 1° cette diminution.
- d'autre part, s'il fallait retenir comme valables les analyses du laboratoire de l'administration, cela disqualifierait les tests organoleptiques pratiqués par l'Institut national des appellations d'origine: on ne comprendrait pas en effet que ces tests, pratiqués sur la production de M. L, n'aient pas permis de déceler des anomalies aussi graves qu'une insuffisance de 2 degrés par rapport au minimum autorisé pour bénéficier de l'appellation.
Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter les résultats des tests pratiqués pour déterminer le taux d'enrichissement des vins produits par le domaine de Saint-Guilhem, et de constater que la preuve d'un enrichissement excessif, et donc d'une usurpation de l'appellation contrôlée n'est pas rapportée.
La cour constate que les délits reprochés ne sont pas établis, et que M. L doit être renvoyé des fins de la poursuite.
Sur l'action douanière
M. L a reconnu le défaut de déclaration d'enrichissement et doit être condamné de ce chef. Eu égard aux circonstances, la cour entend cependant faire application de l'article 1800 du Code général des impôts, en libérant M. L de la confiscation prévue pour cette infraction par l'article 1804 du même code, par le paiement d'une somme arbitrée à 30 000 F. De la même façon, la pénalité proportionnelle sera réduite à 30 000 F, l'amende étant simplement confirmée.
La preuve de la sur-chaptalisation et de l'enrichissement de moûts ne présentant pas le titre alcoométrique minimum requis pour bénéficier de l'appellation contrôlée "Côtes du Frontonnais" n'étant pas rapportée, la demande présentée par l'administration de ce chef sera écartée.
L'infraction de détention irrégulière de sucre e été reconnue par M. L: la condamnation sera confirmée en ce qui concerne la peine d'amende. Toutefois, la quantité concernée n'est pas établie, les calculs effectués à partir des analyses écartées des débats ne pouvant être retenus.
La cour n'est donc pas en mesure d'établir le montant de ta pénalité proportionnelle ni celui de la confiscation en valeur.
Enfin, l'infraction de défaut de paiement de la taxe sur les sucres est également constituée, et la peine d'amende sera confirmée, la cour, faute de justification du volume de sucre concerné, n'étant pas en mesure d'établir le montant de la pénalité proportionnelle ni celui de la confiscation en valeur.
Sur l'action civile
Le prévenu étant renvoyé des fins de la poursuite, les constitutions de partie civile doivent être déclarées irrecevables.
Par ces motifs: La COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à signifier à l'égard de toutes les parties et en dernier ressort, En la forme, Reçoit les appels de M. L, de l'INAO et du ministère public, au fond, Sur l'action publique, Infirme le jugement déféré, Renvoie M. L des fins de ta poursuite sans peine ni dépens, Sur l'action douanière, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré M. L coupable de défaut de déclaration préalable d'enrichissement, de détention irrégulière de sucre et de défaut de paiement de la taxe sur les sucres, L'infirme en ce qu'il l'a reconnu coupable de sur-chaptalisation et d'enrichissement de moûts ne présentant pas le titre alcoométrique minimum, Le réformant sur les condamnations, Condamne solidairement M. L et le GFA de Saint-Guilhem à payer: - pour le défaut de déclaration d'enrichissement: * une amende de 1 000 F * une somme de 30 000 F à titre de pénalité proportionnelle * une somme de 30 000 F pour tenir lieu de confiscation en valeur - pour la détention irrégulière de sucre, une amende de 1 000 F - pour le défaut de paiement de la taxe sur les sucres, une amende de 1 000 F; Sur l'action civile, Infirmant le jugement déféré, Déclare irrecevables les constitutions de partie civile de l'INAO, de l'ORGECO, de la Confédération syndicale des familles, des Unions fédérales de consommateurs de Toulouse et Colomiers. Fixe la contrainte par corps, s'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 750 du Code de procédure pénale.