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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 23 juin 1999, n° 98-06598

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Conseillers :

MM. Castel, Seltensperger

Avocat :

Me Bembaron.

Avocat général :

M. Blanc

TGI Evry, 5e ch., du 3 juin 1998

3 juin 1998

Rappel de la procédure:

La prévention:

B David est poursuivi par ordonnance de renvoi du juge d'instruction en date du 5 février 1998 suivie d'une citation, remise à personne, contre émargement le 8 avril 1998, pour avoir, à Brétigny-sur-Orge:

- du 11 janvier 1996 au 3 mai 1996, tenté de tromper diverses personnes sur les qualités substantielles, l'aptitude à l'emploi d'une marchandise vendue, en l'espèce des médicaments (Elusanes mate, Elusanes marron d'inde, Fluogom, Kalori balance, Natura médical), et de la parapharmacie (divers produits de beauté), ces produits proposés à la vente étant périmés.

- courant mai, juin 1995, omis de porter les mentions obligatoires sur l'ordonnancier à la suite de la délivrance de médicaments soumis au régime des substances vénéneuses.

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a:

Déclaré B David:

- coupable de tentative de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

faits commis du 11 janvier 1996 au 3 mai 1996, à Brétigny-sur-Orge,

infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation, art. 121-5 du Code pénal et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-1, L. 216-3 du Code de la consommation, art. 121-5 du Code pénal

- coupable d'infraction aux règlements sur le commerce ou l'emploi de substances vénéneuses,

faits commis de mai à juin 1995, à Brétigny-sur-Orge,

infraction prévue par l'article L. 626 al. 1 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 626 al. 1, al. 5 du Code de la santé publique

et, en application de ces articles

vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal,

l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 F d'amende,

aussitôt le Président lui a donné l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code pénal,

à titre de peine complémentaire,

ordonné à l'encontre de B David la confiscation des scellés,

vu l'article 473 du Code de procédure pénale,

dit que la contrainte par corps s'exercera, s'il y a lieu, à l'encontre du prévenu dans les conditions prévues par les articles 749 et suivants du Code de procédure pénale.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur B David, le 5 juin 1998, sur les dispositions pénales et civiles;

M. le Procureur de la République, le 11 juin 1998, contre Monsieur B David;

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Sur ce

Considérant que les services de l'inspection régionale de la pharmacie, relevant de la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales d'Ile-de-France, ont procédé le 11 janvier 1996 à un contrôle dans l'officine exploitée par David B, pharmacien à Brétigny-sur- Orge;

Considérant que les pharmaciens inspecteurs de la santé publique ont constaté en substance:

- que les locaux étaient sales et mal tenus;

- que l'ordonnancier sur lequel doivent être inscrites les préparations magistrales était "dans un état déplorable" (pages arrachées ou tachées; absence du nom et l'adresse d'un malade à l'occasion de la délivrance d'un médicament; ratures et surcharges);

- que certains médicaments étaient placés à la portée de la clientèle alors qu'ils n'auraient pas dû l'être, en application du Code de la santé publique;

- qu'un certain nombre de médicaments étaient périmés;

Considérant que dans le cadre d'une information ouverte par le parquet d'Evry, les gendarmes de la brigade de Marolles-en-Hurepoix, accompagnés par un pharmacien inspecteur, ont effectué un nouveau contrôle sur place le 3 mai 1996; qu'ils ont pu constater:

- la présence de produits de parapharmacie périmés dans la surface accessible au public;

- la présence de médicaments périmés dans les meubles à tiroirs et les réfrigérateurs;

Considérant qu'à l'issue de l'information, David B a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sous une double prévention; qu'il lui est reproché:

- d'avoir à Brétigny, courant 1996 et en tout cas les 11 janvier et 3 mai 1996, tenté de tromper diverses personnes sur les qualités substantielles et l'aptitude à l'emploi d'une marchandise vendue, en l'espèce des médicaments (gélules Elusanes mates, Elusanes marron d'inde, tablette à mâcher Fluogum, gélules Kalori balance, ampoules buvables Natura médica) et des articles de parapharmacie (divers produits de beauté), ces produits proposés à la vente étant périmés;

- d'avoir à Brétigny, courant mai et juin 1995, omis de porter les mentions obligatoires sur l'ordonnancier à la suite de la délivrance de médicaments soumis au régime des substances vénéneuses;

Considérant que le tribunal a retenu la culpabilité du prévenu pour ces deux infractions, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 F, et a prononcé la confiscation des produits saisis;

Considérant que devant la cour, le prévenu conteste sa culpabilité et sollicite sa relaxe;

1 - En ce qui concerne la tentative de tromperie sur les qualités substantielles et l'aptitude à l'emploi de certaines marchandises

Considérant, en premier lieu, que la défense fait grief au tribunal d'avoir excédé les limites de sa saisine en examinant des faits non visés dans la prévention; qu'elle demande à la cour de se conformer aux termes de l'ordonnance de renvoi;

Considérant que l'ordonnance de renvoi évoque deux catégories de produits périmés:

- certains médicaments (gélules Elusanes mate, gélules Elusanes marron d'inde, tablette à mâcher Fluogum, gélules Kalori balance, ampoules buvables Natura médica);

- des produits de beauté;

Considérant que le jugement comporte l'attendu suivant: "il n'y a pas lieu de restreindre la saisine du tribunal aux seuls noms mentionnés dans l'ordonnance de renvoi qui figurent à titre indicatif et non limitatif (.)";

Considérant que le tribunal a manifestement pris en compte, pour apprécier la culpabilité du prévenu, l'ensemble des médicaments périmés découverts dans l'officine, et non pas seulement ceux mentionnés dans l'ordonnance de renvoi; que le jugement cite d'ailleurs un certain nombre d'autres médicaments tels que le Cefaperos, le Becotide, le Betnesol et l'Amodex;

Considérant qu'au plan procédural, l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction fixe la saisine "in rem" de la juridiction de jugement, qui est liée par les termes de cette ordonnance;

Considérant que s'il est permis de s'interroger sur les motifs pour lesquels le Procureur de la République d'Evry, dans son réquisitoire définitif du 30 janvier 1998, et le juge d'instruction, dans son ordonnance de renvoi du 5 février 1998, n'ont pas cru devoir retenir dans la prévention l'ensemble des médicaments périmés, il n'en demeure pas moins que l'énumération figurant dans l'ordonnance (gélules Elusanes mate, gélules Elusanes marron d'inde, tablette à mâcher Fluogum, gélules Kalori balance, ampoules buvables Natura médica) est limitative; que le tribunal ne pouvait, sans excéder les limites de sa saisine, évoquer d'autres médicaments; que la cour fera droit à la requête de la défense et s'en tiendra aux termes de l'ordonnance de renvoi;

Considérant, en second lieu, qu'il est établi par les pièces du dossier que les produits litigieux étaient bien périmés:

- les pharmaciens inspecteurs ont constaté le 11 janvier 1996 la présence, dans les rayonnages accessibles au public, de 7 boîtes de gélules Elusanes mate (péremption octobre 1995), de 6 boîtes de gélules Elusanes marron d'inde (péremption juillet 1995), de 3 boîtes de tablettes à mâcher Fluogum (péremption mai 1993), de 5 boîtes de gélules Kalori balance (péremption mars 1995), et de 2 boîtes d'ampoules buvables Natura médica (péremption août et novembre 1995);

- les gendarmes et Stéphane Lange, pharmacien inspecteur qui les accompagnait, ont constaté le 3 mai 1996 la présence, dans la surface accessible au public, de produits de parapharmacie périmés (produits cosmétiques et d'hygiène corporelle);

Considérant que le prévenu invoque sa bonne foi en faisant valoir en substance les arguments suivants:

- les produits périmés sont repris par les distributeurs; toutefois les retours sont étalés dans le temps, ce qui explique la présence de produits périmés dans l'officine;

- au moment de la vente, la date de péremption est vérifiée à la caisse; un produit périmé n'est pas vendu;

- en tout état de cause le dépassement de la date de péremption ne signifie pas que le produit ait perdu ses qualités substantielles ni son aptitude à l'emploi;

Considérant que la cour admet l'argument selon lequel la présence de produits périmés dans une pharmacie n'est pas anormale à partir du moment où ces produits sont soigneusement mis à l'écart et stockés en vue de leur récupération par les distributeurs;

Considérant en revanche qu'il est inacceptable que des produits périmés (médicaments ou articles de parapharmacie) soient conservés dans des rayonnages et à la libre disposition du public; que le client, naturellement enclin à faire confiance au pharmacien, n'a pas de raison de vérifier la date de péremption; que même si les employés de l'officine ont affirmé aux gendarmes qu'elles vérifiaient la date de péremption, un oubli est toujours possible;

Considérant qu'en ne retirant pas de manière systématique les produits périmés des rayonnages accessibles au public, David B a commis une indiscutable négligence; que cette négligence est d'autant plus caractérisée qu'il n'a pas tenu compte des observations formulées par les services de l'inspection de la pharmacie le 11 janvier 1996, puisque des manquements ont à nouveau été constaté le 3 mai 1996;

Considérant que ces défaillances ne suffisent pas à caractériser le délit de tentative de tromperie;

Considérant que la défense fait observer à juste titre que le dépassement de la date de péremption ne suffit pas à démontrer que les produits litigieux aient perdu leurs qualités substantielles ou leur aptitude à l'emploi;

Considérant qu'il résulte d'une expertise toxicologique ordonnée par le juge d'instruction que certains médicaments saisis dans l'officine - non visés dans la prévention - avaient conservé toutes leurs propriétés malgré le dépassement de la date de péremption; que tel est le cas d'une boîte de Mercilon dont la date de péremption était janvier 1994; que selon le rapport d'expertise, le "titre" du produit périmé était identique au "titre" du produit non périmé, ce qui signifie que les effets thérapeutiques du produit périmé étaient restées intactes;

Considérant qu'en l'absence d'expertise technique, il n'est pas établi que les médicaments et articles de parapharmacie visés dans la prévention avaient perdu leurs qualités substantielles ou leur aptitude à l'emploi;

Considérant dès lors que l'un des éléments constitutifs de la tentative de tromperie fait défaut; que la culpabilité du prévenu ne sera pas retenue pour cette infraction;

2 - En ce qui concerne l'absence de certaines mentions obligatoires sur l'ordonnancier

Considérant que ce grief repose sur le rapport de l'inspection de la pharmacie qui a constaté, à l'occasion d'une préparation, l'absence du nom et de l'adresse d'une cliente;

Considérant que le prévenu fait valoir:

- qu'il s'agissait d'une cliente habituelle de la pharmacie dont le traitement était régulièrement renouvelé par son médecin;

- qu'il était aisé d'identifier cette cliente à partir des autres indications figurant sur l'ordonnancier;

- qu'il s'agit d'une omission matérielle sans conséquence;

Considérant que la défense produit les photocopies de nombreuses pages de l'ordonnancier; qu'il semble bien, à l'examen de ces pièces, que l'omission du nom et de l'adresse de cette cliente soit un cas isolé;

Considérant d'ailleurs que les pharmaciens inspecteurs n'ont relevé qu'une anomalie de cette nature au regard de la réglementation (les autres griefs formulés par les pharmaciens inspecteurs sur la tenue du registre n'entrent pas dans la prévention);

Considérant en conséquence que la culpabilité du prévenu ne sera pas non plus retenue pour cette infraction;

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement Après délibéré, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, Infirme le jugement déféré, Déclare David B non coupable d'avoir: - à Brétigny, courant 1996 et en tout cas les 11 janvier et 3 mai 1996, tenté de tromper diverses personnes sur les qualités substantielles et l'aptitude à l'emploi d'une marchandise vendue, en l'espèce des médicaments (Elusanes mate, Elusanes marron d'inde, Fluogum, Kalori balance, Natura médica) et des articles de parapharmacie (divers produits de beauté), ces produits proposés à la vente étant périmés; - à Brétigny, courant mai et juin 1995, omis de porter les mentions obligatoires sur l'ordonnancier à la suite de la délivrance de médicaments soumis au régime des substances vénéneuses; Vu l'article 516 du Code de procédure pénale, renvoie le prévenu des fins de la poursuite.