CA Paris, 1re ch. H, 30 mars 2004, n° ECOC0400200X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Novartis Pharma (SAS), Laboratoires Sandoz (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, DGCCRF
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Delmas-Goyon
Avoué :
SCP Monin
Avocat :
SCP Vogel
Après avoir, à l'audience publique du 17 février 2004, entendu les conseils des parties, les observations du ministre chargé de l'Economie et celles du Ministère public, le conseil des parties ayant eu la parole en dernier;
Vu la décision n° 03-D-35 du 24 juillet 2003, par laquelle le Conseil de la concurrence, saisi le 5 janvier 1998 par le ministre chargé de l'Economie de politiques mises en œuvre par les laboratoires Sandoz, devenus en 1997 Novartis Pharma SA, sur le marché de certaines spécialités pharmaceutiques destinées aux hôpitaux, a:
- retenu que la société Sandoz, devenue Novartis Pharma, a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce en pratiquant des remises liées sur les ventes de ses spécialités contenant de la ciclosporine, dont elle détient le monopole, et celles de six autres spécialités soumises à concurrence,
- estimé qu'il n'est pas établi qu'elle ait enfreint les dispositions de cet article en pratiquant des prix de prédation sur la vente de sa spécialité Vepeside,
- infligé à la société Sandoz, devenue Novartis Pharma, une sanction pécuniaire de 7,8 millions d'euros,
- et ordonné la publication de sa décision dans une édition de la revue "le Moniteur Hospitalier" dans un délai de trois mois à compter de sa notification;
Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation de cette décision, déposé le 29 août 2003 par la société Novartis Pharma,
Vu le recours incident déposé le 29 septembre 2003 par le ministre chargé de l'Economie,
Vu le mémoire et le mémoire en réplique respectivement déposés les 30 septembre 2003 et 26 janvier 2004 par la société Novartis Pharma, auxquels il est renvoyé, par lesquels elle demande à la cour, vu les dispositions de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH), de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Code de commerce, notamment les articles L. 420-2 et L. 464-2, de:
à titre principal,
- rejeter le recours incident du ministre chargé de l'Economie,
- dire et juger que par les observations déposées le 17 novembre 2003, le Conseil de la concurrence a commis une atteinte au droit à un procès loyal et équitable résultant de l'article 6-1 de la CESDH, au motif que ces observations ont ajouté un grief et des éléments nouveaux et ont excédé la simple justification de la décision,
- dire et juger que la notification des griefs et le rapport sont irréguliers, en ce qu'ils ne sont ni datés ni signés du rapporteur, contrairement aux exigences de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et aux garanties essentielles d'une bonne justice qu'impose le droit à un procès loyal et équitable,
- constater que la durée excessive de l'instruction n'a pas garanti à la société Novartis Pharma le droit à un procès loyal et équitable prévu par l'article 6-1 de la CESDH, constater que les débats oraux devant le Conseil de la concurrence n'ont pas été publics, contrairement aux exigences de l'article 6 de la CESDH;
- en conséquence, annuler la décision;
à titre subsidiaire, si la décision n'était pas annulée,
- dire et juger que les remises de regroupement calculées sur la base du chiffre d'affaires total, proposées par les laboratoires Sandoz entre 1994 et 1996, ne constituent pas des remises de fidélité et ne sont pas sanctionnables au titre de l'article L. 420-2 du Code de commerce, tant par elles-mêmes que par l'absence d'effet sensible,
- en conséquence, rejeter l'ensemble des demandes du ministre de l'Economie, notamment celles tendant à qualifier l'existence de griefs d'entente (sic) pour les appels d'offres de Caen et de Clermont-Ferrand et demandant l'aggravation de la sanction,
- en conséquence, réformant la décision du Conseil de la concurrence, dire qu'il y a lieu de décider la mise hors de cause de la société Novartis Pharma,
à titre infiniment subsidiaire, si les remises des laboratoires Sandoz étaient qualifiées d'abus de position dominante sanctionnables sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce,
- dire et juger que le Conseil de la concurrence a prononcé une sanction disproportionnée compte tenu de la réalité des faits reprochés, du préjudice susceptible d'avoir été causé à l'économie et de la situation de la société Novartis Pharma,
- rejeter l'ensemble des demandes du ministre chargé de l'Economie, notamment celles tendant à qualifier l'existence de grief d'entente (sic) pour les appels d'offres de Caen et de Clermont-Ferrand, ainsi qu'à aggraver la sanction,
- en conséquence, réformer la décision du Conseil de la concurrence en supprimant la sanction prononcée ou à tout le moins en réduisant le montant de façon très considérable,
- ordonner la restitution immédiate de la caution bancaire délivrée au Trésor Public par la société Novartis Pharma en garantie du paiement de la condamnation prononcée à son encontre,
- dire et juger que cette restitution doit s'accompagner du remboursement de l'ensemble des frais, droits, charges, intérêts et accessoires acquittés par la société Novartis Pharma, en tant que de besoin au prorata de la réduction de la sanction, le tout assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de la caution,
- ordonner le remboursement immédiat et intégral des frais acquittés au titre de l'injonction prononcée par le Conseil d'avoir à publier l'intégralité de la décision,
- en tout état de cause, dire et juger qu'il y a lieu de condamner le ministre chargé de l'Economie au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les observations déposées le 17 novembre 2003 par le ministre chargé de l'Economie, aux termes desquelles il demande à la cour de rejeter le recours formé par la société Novartis Pharma, mais de réformer la décision du Conseil en la condamnant pour les marchés de Caen et de Clermont-Ferrand et d'augmenter le montant des sanctions prononcées,
Vu les observations écrites déposées le 17 novembre 2003 par le Conseil de la concurrence, par lesquelles il réfute les moyens avancés par la société requérante,
Vu les observations écrites du Ministère public mises à la disposition de la requérante le 17 février 2004, aux termes desquelles il conclut que, la décision déférée n'étant pas affectée dans sa légalité tant externe qu'interne, il n'y a pas lieu à annulation, que même si l'effet des pratiques examinées n'est pas démontré sur les marchés passés par les centres hospitaliers de Caen et de Clermont-Ferrand, ces pratiques sont néanmoins qualifiables au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce et que le Conseil a justifié la détermination du montant de la sanction au regard des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce,
La requérante ayant pu répliquer à l'ensemble des observations présentées lors de l'instruction écrite et à l'audience,
Sur ce, LA COUR,
Sur les moyens de procédure:
Sur les observations du Conseil,
Considérant que selon la société Novartis Pharma, en indiquant dans ses observations écrites que "les remises pratiquées par les laboratoires Sandoz variaient de 0,25% à 2% selon les hôpitaux, sans que des critères objectifs de fixation puissent être identifiés", le Conseil de la concurrence prétend, sous couvert de réponse aux arguments de la requérante, établir l'existence d'une discrimination entre les hôpitaux qui ont bénéficié de la remise proposée par les laboratoires Sandoz, accusation qui n'a jamais été soulevée en cours d'instruction; qu'en outre, le Conseil propose pour qualifier l'abus de position dominante, une délimitation des marchés pertinents autre que celle retenue dans sa décision, invitant la cour à retenir pour cadre d'analyse, non plus les marchés nationaux de produits, mais les seuls lots d'appels d'offres organisés par tel ou tel acheteur public pris individuellement;
Que les observations du Conseil qui, de ce fait, modifieraient et ajouteraient à la décision attaquée, conduiraient à une violation du principe d'égalité des armes et d'effectivité du recours, donc à une violation de l'article 6-1 de la CESDH garantissant le droit à un procès loyal et équitable, justifiant l'annulation de façon indivisible de la procédure de recours et de la décision du Conseil ou, à titre subsidiaire, l'irrecevabilité desdites observations;
Considérant que le Conseil de la concurrence, qui n'est pas partie à l'instance, tient de l'article 9 du décret du 19 octobre 1987 la faculté de présenter des observations écrites, lesquelles ne sont pas en elles-mêmes de nature à fausser le débat dans la mesure où les parties ont la possibilité d'y répliquer,
Considérant qu'en l'espèce, en énonçant dans ses observations qu'il est de jurisprudence constante qu'en matière de marchés publics, "... chaque marché public passé selon la procédure de l'appel d'offres constitue un marché de référence ... " et qu'il "a donc pu identifier autant de marchés pertinents qu'il existait de procédures d'appel d'offres", le Conseil n'a pas proposé une nouvelle définition des marchés pertinents en cause ni ajouté à sa décision ainsi que lui en fait grief la requérante, dès lors que dans cette décision il a longuement analysé l'effet d'éviction des remises incriminées sur les différents marchés d'appels d'offres examinés et qu'il a apprécié les effets de la pratique anticoncurrentielle en cause sur ces différents marchés;
Considérant, par ailleurs, que dans le mémoire déposé à l'appui de son recours, la société Novartis Pharma a fourni une justification économique des remises pour lesquelles elle a été sanctionnée, faisant valoir pour la première fois devant la cour que ces remises, qui caractériseraient une forme de remises sur ventes par assortiment, constitueraient la rétrocession aux établissements hospitaliers d'économies de gamme;
Que dans ses observations en réponse, le Conseil a contesté la justification économique ainsi avancée, répliquant que les remises pratiquées variaient de 0,25% à 2% sans que des critères objectifs de fixation puissent être identifiés, en citant des exemples de taux de remise tirés du rapport; qu'ainsi que le soutient la requérante, il s'agit bien d'un élément d'argumentation qui ne figurait pas dans sa décision puisque la société Novartis Pharma n'avait elle-même développé jusqu'alors aucune argumentation d'ordre économique pour justifier les remises incriminées;
Considérant, cependant, qu'il ne peut être reproché au Conseil d'ajouter à sa décision, seule déférée à la connaissance du juge du recours, dès lors que ses observations ont en l'espèce pour seul objet, au soutien de la décision, de répliquer à un moyen nouveau développé par la requérante à l'aide d'éléments de fait contenus dans le rapport, à l'exclusion de toute formulation d'un nouveau grief de discrimination à son encontre;
Que la réplique de la requérante à ces observations ayant permis que le principe de la contradiction soit pleinement respecté, il convient de rejeter les moyens tant d'annulation que d'irrecevabilité soulevés;
Sur la datation et la signature de la notification des griefs et du rapport,
Considérant que la notification des griefs et le rapport, qui constituent des actes d'instruction d'une procédure soumise aux textes spécifiques régissant la matière, ne revêtent pas la qualification de décision prise par une administration de l'Etat au sens de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations; qu'ils ne sont pas soumis à l'obligation de signature prévue par l'article 4 de cette loi;
Que dès lors qu'il n'existe aucune ambiguïté sur l'auteur et la date de ces actes de procédure, dont le nom est expressément indiqué en page de couverture et la date sur les lettres de notification les accompagnant, il n'est démontré aucune atteinte aux garanties essentielles d'une bonne justice qu'impose le droit à un procès loyal et équitable;
Que ce moyen d'annulation ne saurait être accueilli;
Sur la durée de l'instruction,
Considérant qu'à supposer même excessive, en l'espèce, la durée de la procédure, la sanction de la violation du principe d'un délai raisonnable ne résiderait pas dans l'annulation de la décision du Conseil, mais dans la réparation du préjudice en résultant;
Qu'au surplus, il n'est pas démontré en quoi la durée de la procédure aurait porté atteinte de manière concrète aux droits de la requérante;
Que ce moyen d'annulation ne peut qu'être encore rejeté;
Sur la publicité des débats,
Considérant que l'absence de publicité des débats devant le Conseil, en application de l'article L. 463-7 alinéa 1er du Code de commerce, ne saurait faire grief à la requérante puisqu'elle a eu la possibilité, dont elle a usé, d'assister à la séance et d'y être entendue ou de se faire représenter;
Que la référence à la publicité donnée par le Conseil à sa décision qui, selon elle, retranscrirait ses arguments de façon parcellaire et ferait état d'éléments inexacts, est à cet égard inopérante dès lors que cette critique est sans rapport avec l'absence de publicité des débats et qu'en tout état de cause, elle a été mise à même de faire valoir ses moyens de défense tant au cours de ces débats qu'au cours de la procédure écrite qui les a précédés;
Qu'au surplus, la décision prise par le Conseil subit le contrôle effectif d'une juridiction offrant toutes les garanties d'un tribunal au sens de l'article 6 de la CESDH;
Qu'il convient de rejeter également ce moyen d'annulation;
Sur le fond,
Considérant que le Conseil de la concurrence a relevé que les laboratoires Sandoz commercialisaient deux spécialités pharmaceutiques dans le domaine de l'immunologie, le Sandimmun et le Néoral, protégées par un brevet, dont le principe actif est la ciclosporine, aucun autre médicament de même effet n'existant à l'époque des faits; qu'il n'est pas contesté que les laboratoires Sandoz détenaient une position dominante, en France, sur ce marché;
Qu'en 1994, 1995 et 1996, les laboratoires Sandoz ont proposé à 23 établissements hospitaliers universitaires (CHU) localisés sur l'ensemble du territoire national, une remise sur la totalité de leurs achats, y compris ceux de ciclosporine dont les laboratoires Sandoz détenaient le monopole, sous la condition que l'hôpital s'approvisionne exclusivement auprès d'eux en un certain nombre de spécialités déclarées par eux "prioritaires" soumises à la concurrence d'autres laboratoires, le refus de leur attribuer les lots correspondant à ces spécialités prioritaires entraînant l'absence de remise, y compris sur la ciclosporine; que le taux de cette remise variait de 0,25% à 2% du chiffre d'affaires;
Sur la nature de la remise,
Considérant que la requérante fait valoir qu'il s'agissait à l'époque d'une remise couramment pratiquée par les laboratoires pharmaceutiques, prévue par les règlements d'appels d'offres en cas d'attribution de plusieurs lots, et qui n'avait fait l'objet d'aucune critique jusqu'à ce que des remises de même type soient sanctionnées en 1996;
Qu'elle conteste la qualification de "remises sur ventes liées" retenue par le Conseil, soulignant qu'il s'agirait en réalité de remises sur ventes par assortiment", économiquement justifiées par la rétrocession aux acheteurs d'une partie des économies de gamme que permet toute vente groupée d'un assortiment de produits;
Mais considérant que la remise incriminée était assise sur la totalité du chiffre d'affaires réalisé par les laboratoires Sandoz avec les établissements hospitaliers auxquels elle était proposée, à la condition que ceux-ci attribuent aux laboratoires Sandoz les lots correspondant aux spécialités, désignées par eux comme prioritaires, pour lesquelles ils étaient en concurrence avec d'autres laboratoires;qu'elle avait donc pour objectif, en s'appuyant sur la détention du monopole des deux spécialités à base de ciclosporine, d'inciter les acheteurs à privilégier les spécialités en concurrence que les laboratoires Sandoz souhaitaient promouvoir, même si leur prix était plus élevé que celui des concurrents, puisqu'en résultait une économie sur l'ensemble de leurs achats, et surtout sur l'achat des spécialités sous monopole, dont il n'est pas discuté qu'elles étaient classées parmi les plus coûteuses pour les hôpitaux; que c'est ainsi que des représentants d'établissements hospitaliers entendus au cours de l'enquête ont déclaré avoir privilégié des produits sous concurrence des laboratoires Sandoz, bien que plus chers, leur intérêt résidant dans l'économie réalisée sur l'achat de la ciclosporine, spécialité onéreuse et "incontournable" dont ils ne pouvaient se passer,
Considérant qu'au surplus, l'objectif aujourd'hui allégué de la remise tenant à la contrepartie de l'achat d'un assortiment de produits, est contredit par celui énoncé par le directeur commercial des laboratoires Sandoz lors de son audition du 5 mars 1997 par les enquêteurs, duquel ne ressort aucune notion d'économie d'assortiment, mais la volonté de promouvoir la vente des spécialités définies comme prioritaires auprès des CHU avec lesquels les laboratoires Sandoz réalisaient une part importante de leur chiffre d'affaires et souhaitaient mettre en place un partenariat;
Que cet objectif est en outre confirmé par les critères de fixation des remises tels qu'indiqués en page 33 du mémoire en réplique de la requérante qui, se référant à la déclaration de son directeur commercial, énonce que les remises "étaient principalement fixées sur la base d'un critère de partenariat avec les établissements spécialisés dans les axes thérapeutiques majeurs des laboratoires Sandoz, à savoir la cancérologie et l'immunologie, ce critère reposait sur la notoriété et l'expérience de l'établissement sur ces deux bases thérapeutiques"... "cette fourchette de remise étant à peu près proportionnelle à l'importance du partenariat et des leaders présents dans les établissements hospitaliers";
Qu'il est d'ailleurs observé qu'au cours de l'enquête et de la procédure devant le Conseil de la concurrence, la société Novartis Pharma n'a jamais prétendu que la remise s'analysait en une remise d'assortiment par laquelle elle aurait fait bénéficier ses clients d'une partie des économies résultant de la vente d'un assortiment de produits;
Considérant, enfin, qu'au-delà de l'objectif exprimé, la requérante ne démontre pas, et ne soutient d'ailleurs pas, que la remise aurait été proposée à des hôpitaux qui n'étaient pas acheteurs de ciclosporine, ni que son taux aurait été lié à l'importance de l'assortiment retenu par l'hôpital, ce qui eût été de nature à conforter la qualification de remise sur ventes par assortiment alléguée;
Considérant que la remise incriminée a donc bien la nature d'une remise sur ventes liées qui, si elle n'est pas en elle-même illicite, le devient lorsque, comme en l'espèce, liant l'achat d'un produit en monopole dont l'acheteur à qui elle est proposée ne peut se passer, à celui de produits en concurrence commercialisés sur des marchés connexes, elle ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée et tend à empêcher l'approvisionnement des acheteurs auprès d'entreprises concurrentes sur ces marchés connexes;
Considérant qu'il importe peu à cet égard que les hôpitaux aient pu se procurer chaque spécialité séparément, mais à un prix différent, ou que les hôpitaux qui refusaient ce type de remise parce que n'acceptant aucune forme d'offre groupée, tels ceux de Paris, Lyon et Marseille, aient pu négocier d'autres remises de nature quantitative sur leurs achats de ciclosporine dans le cadre d'un marché négocié portant sur des quantités particulièrement importantes;
Considérant, par ailleurs, que même si les règlements d'appels d'offres ont à l'époque des faits encouragé les laboratoires à proposer des remises en contrepartie de l'attribution de plusieurs lots, il n'est pas établi qu'ils les auraient incités à pratiquer de telles remises dans les mêmes conditions que celles offertes par les laboratoires Sandoz, ni que celles-ci aient bénéficié d'une quelconque tolérance administrative; qu'en outre, les pratiques anticoncurrentielles d'autres laboratoires, à les supposer même établies, ne sauraient justifier les pratiques incriminées;
Considérant, en conséquence, que le Conseil a pu retenir que le système de remise sur ventes liées proposé par les laboratoires Sandoz de 1994 à 1996 avait un objet anticoncurrentiel et caractérisait l'exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce;
Sur l'effet anticoncurrentiel des remises,
Considérant que la requérante conteste que les pratiques qui lui sont reprochées aient eu un effet anticoncurrentiel, en l'absence de preuve d'effets d'éviction des marchés pertinents de produits et d'effet sensible sur le fonctionnement de ces marchés, la perte relevée par le Conseil de 23 lots d'appels d'offres par des entreprises concurrentes n'ayant eu en tout état de cause qu'un effet infinitésimal;
Que le ministre chargé de l'Economie convie la cour à sanctionner, en outre, les pratiques mises en œuvre sur les marchés d'appels d'offres des CHU de Caen et Clermont-Ferrand, abandonnées par le Conseil;
Considérant que le marché pertinent se définit comme le lieu où se rencontrent l'offre et la demande de produits et services considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres;
Considérant que l'enquête ne révèle pas en l'espèce que la nature de la demande de produits et le comportement des acheteurs auraient été sensiblement différents d'un appel d'offres à l'autre, alors que les produits proposés par les laboratoires sur l'ensemble du territoire national sont les mêmes et que la demande des acheteurs est soumise aux mêmes contraintes de limitation des dépenses de santé et répond à la satisfaction des mêmes besoins, ou que les soumissions des laboratoires aux appels d'offres ne s'effectuaient pas dans des conditions analogues sur l'ensemble du territoire, au-delà des modalités particulières pouvant résulter de chaque appel d'offres; qu'il n'apparaît donc pas que dans le secteur en cause, l'offre et la demande s'exprimeraient de façon différente en fonction de chaque appel d'offres;
Qu'il s'agit ainsi d'une juxtaposition de marchés d'appels d'offres passés par des CHU répartis sur l'ensemble du territoire national, à l'occasion desquels le même mécanisme de remise a été proposé, susceptible d'entraîner le même comportement des acheteurs;
Qu'il s'ensuit qu'au-delà du marché particulier résultant du croisement de l'appel d'offres et des soumissions déposées il convient, pour définir le marché pertinent sur lequel les pratiques incriminées ont pu avoir un effet, de retenir le marché plus général des produits où sont actifs l'ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à ces appels d'offres, c'est-à-dire les marchés nationaux des spécialités en cause vendues aux hôpitaux, ainsi que le soutient à juste titre la société requérante, soit les six marchés de la dihodropirine, de la bromocriptine, de la calcitonine, du calcium, de l'étoposide et des immunoglobulines, ce dernier devant être retenu au titre des marchés pertinents dans la mesure où les laboratoires Sandoz ont régulièrement inclus les sandoglobulines parmi les produits dont l'achat pouvait donner lieu à la remise en 1996;
Considérant que sur chacun de ces marchés de produits, le système de remise adopté par les laboratoires Sandoz était de nature à modifier le comportement des acheteurs en les incitant, lorsqu'ils n'étaient pas liés par une prescription précise des médecins, à privilégier l'offre des spécialités des laboratoires Sandoz en concurrence que ceux-ci avaient choisi de promouvoir, comme illustré par les déclarations du pharmacien chef de service du CHU de Besançon: "S'agissant des laboratoires Sandoz, ceux-ci nous faisaient en 1994 une remise de 0,5% sur le chiffre d'affaires global, tous produits confondus (environ 7 millions de F, soit 35 000 F de ristourne supplémentaire). Si le moins disant concernant la loi n° 8 (calcium per os) aval été choisi ..., nous aurions perdu 34 575 F. Il va de soi que nous avions tout intérêt à choisir Sandoz, surtout dans le contexte économique dans lequel nous nous trouvions. Le chiffre d'affaires de Sandoz est essentiellement constitué par un produit en monopole (le Sandimmun) qui représente 6,5 millions de francs. C'est parce que nous ne pouvions pas nous passer de ce produit que nous avons été amenés à choisir Sandoz en ce qui concerne le calcium";
Qu'est inopérante l'argumentation de la requérante selon laquelle ces remises ne constituaient pas, par leur montant, un gain financier suffisamment attractif pour affecter la liberté de choix des établissements hospitaliers, dès lors que quand bien même elles auraient représenté une réduction de prix relativement mineure des spécialités en concurrence, elles constituaient pour les hôpitaux une économie beaucoup plus importante sur leurs achats de ciclosporine, spécialité parmi les plus onéreuses, dont le chiffre d'affaires était en 1996 de 400 millions de francs;
Qu'il est également à noter que des médicaments génériques étaient commercialisés sur trois des marchés pertinents de produits, ceux de l'étoposide, de la calcitonine et de la bromocriptine, et constituaient d'ailleurs la seule concurrence à l'étoposide sous forme injectable des laboratoires Sandoz, ceux-ci conservant le monopole de la forme orale de ce produit;
Considérant que la pratique incriminée était ainsi de nature à fausser de manière sensible la concurrence existant sur les marchés de produits en cause et à limiter l'accès à ces marchés;
Que cette analyse ne peut être contredite par l'absence d'effet fidélisant à long terme de la remise, en raison de la durée limitée des marchés d'appels d'offres, dès lors que la modification du comportement des acheteurs qu'elle avait pour objet de susciter portait sur la durée, au minimum annuelle, des marchés d'appels d'offres, et ce aussi longtemps que la remise serait proposée;
Considérant, par ailleurs, qu'il ressort des énonciations de la décision du Conseil que la remise sur ventes liées a bien été proposée à l'occasion des marchés d'appels d'offres passés par le CHU de Caen en 1994, 1995 et 1996 et celui de Clermont-Ferrand en 1996; qu'il n'y a donc pas lieu d'exclure ces marchés d'appels d'offres du champ de mise en œuvre de la pratique au motif retenu par le Conseil qu'il n'est pas établi que le choix de ces hôpitaux en faveur des laboratoires Sandoz ait été en relation directe avec la remise proposée, l'objet et l'effet potentiellement anticoncurrentiels de la pratique suffisant à justifier une sanction au regard des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce;
Considérant que l'enquête a en outre permis d'établir la concrétisation de cet effet anticoncurrentiel sur cinq des marchés pertinents par l'élimination de concurrents qui avaient déposé des offres de prix inférieures à celles des laboratoires Sandoz, lors de l'attribution de 23 lots d'appels d'offres par huit CHU régionaux ou départementaux, dont les acheteurs ont expressément reconnu s'être fondés sur le prix plus bas offert globalement par les laboratoires Sandoz en raison de la remise consentie sur l'ensemble de leurs achats;
Considérant, en revanche, qu'en l'absence d'analyse des autres composantes de la politique commerciale des laboratoires Sandoz, et notamment des remises par ailleurs proposées aux hôpitaux, ne peut être retenu l'effet discriminatoire de la remise incriminée souligné par le ministre chargé de l'Economie, entre les hôpitaux ayant bénéficié de la remise sur ventes liées et ceux à qui elle n'a pas été proposée ou qui l'ont refusée, cet effet discriminatoire n'étant pas en l'état établi;
Sur les sanctions:
Considérant que la requérante dénonce le caractère selon elle manifestement disproportionné de la sanction infligée, qui représente 1% de son chiffre d'affaires de l'année 2002, au regard tant de la gravité des faits reprochés, que de leur incidence réelle sur l'économie et de sa situation particulière,
Que le ministre chargé de l'Economie sollicite une augmentation du montant de la sanction pécuniaire prononcée, qu'il propose de fixer à 15 millions d'euros;
Considérant qu'en soulignant que les laboratoires Sandoz ont abusé pendant trois ans de leur situation de monopole sur un marché particulièrement important pour étendre indûment les avantages de cette position conquise grâce à l'innovation majeure que constituait la ciclosporine à six marchés connexes sur lesquels, à l'inverse, ils étaient fortement concurrencés, politique proposée et approuvée par la direction générale de cette entreprise importante et jouissant d'une grande notoriété, le Conseil a exactement apprécié la gravité intrinsèque de la pratique sanctionnée, étant observé que ne sont en cause en l'espèce, ni l'exploitation par l'entreprise de son brevet sur le marché en monopole, ni la juste rémunération de l'investissement qu'elle a consenti pour la recherche et le développement;
Que par ailleurs, les laboratoires Sandoz ne pouvaient ignorer qu'une remise sur ventes liées, pratique en elle-même régulière, peut devenir illicite lorsqu'elle s'appuie sur une situation de monopole, alors que l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-2 du Code de commerce, mentionne parmi les abus de position dominante ceux consistant en ventes liées et que ce type de pratique avait été antérieurement condamné par la Commission et par la Cour de justice des Communautés européennes;
Considérant, en revanche, que la requérante fait utilement valoir que le Conseil a retenu à tort qu'il n'a été mis fin à ces pratiques que lorsque l'enquête administrative a débuté;
Qu'en effet, aucune justification ne vient étayer cette affirmation, alors que le directeur commercial des laboratoires Sandoz a indiqué lors de son audition du 13 février 1997 que "depuis le 13 septembre 1996, nous avons suspendu l'octroi de toute remise supplémentaire prenant la forme d'une remise sur chiffre d'affaires global. L'affaire Lilly France nous a amenés à nous interroger sur la forme que devaient prendre les remises que nous souhaitions proposer", le contenu de cette déclaration n'ayant pas été contesté par le Conseil;
Qu'il convient donc de retenir, dans le sens d'une atténuation de la gravité de la pratique, que l'entreprise y a mis fin spontanément;
Considérant, s'agissant du dommage à l'économie, que le Conseil a relevé, d'une part, que les achats de ciclosporine constituaient le poste le plus important des achats de médicaments par les hôpitaux (409 millions de francs en 1996), le chiffre d'affaires total que les laboratoires Sandoz ont réalisé avec les hôpitaux en 1996 étant de 710 millions de francs, d'autre part, que l'augmentation du prix de la ciclosporine, médicament en monopole, a représenté pendant la période considérée un gain financier important d'environ 16 millions de francs, enfin, que des médicaments génériques figurent parmi les spécialités que les laboratoires Sandoz se sont efforcés d'évincer;
Mais considérant que c'est à tort que le Conseil a fait porter son analyse du dommage à l'économie essentiellement sur le marché sous monopole de la ciclosporine, alors qu'il se déduit de l'analyse des pratiques examinées que les marchés affectés ont été principalement les six marchés de produits sur lesquels les laboratoires Sandoz ont cherché à s'abstraire d'une concurrence normale en s'appuyant sur la position de monopole dont ils jouissaient sur le marché de la ciclosporine;
Qu'au surplus, il n'est pas démontré que ces pratiques aient pu avoir un effet négatif sur le marché de la ciclosporine lui-même, étant observé qu'en l'absence de toute donnée sur l'évolution des marges réalisées par les laboratoires Sandoz, le chiffre d'affaires supplémentaire de 16 millions de francs produit par les hausses de prix de la ciclosporine ne peut être qualifié de "gain financier important", la requérante observant sans être démentie que ces hausses de prix, de 4% sur la période de trois ans examinée, ont été inférieures à l'inflation et à l'évolution des taux directeurs de l'augmentation des budgets des hôpitaux;
Que pour autant, la société Novartis Pharma n'établit pas de manière concrète en quoi la relativement faible amplitude de ces baisses de prix, jointe à la remise sur ventes liées accordée, aurait eu globalement un effet bénéfique pour les hôpitaux par transfert d'un surplus en leur faveur;
Considérant que le dommage à l'économie s'apprécie notamment en fonction de l'étendue du marché affecté par les pratiques anticoncurrentielles, de la durée et des effets conjoncturels et structurels de ces pratiques;
Considérant tout d'abord, que sur les six marchés nationaux concernés, 23 CHU se sont vu proposer pendant trois ans la remise incriminée, à savoir les principaux CHU existant sur le territoire national, à l'exclusion de ceux de Paris, Lyon et Marseille qui refusent par principe ce type d'offre;
Que même si aucun effet d'éviction de produits concurrents n'a été mis en évidence sur chacun des six marchés pertinents, et même s'il n'a pas été démontré que la remise sur ventes liées ait modifié la décision des acheteurs dans un nombre substantiel d'appels d'offres ainsi que le soutient la requérante, il n'en demeure pas moins que ce type de pratique a pu empêcher les concurrents de se développer dans des conditions normales sur les marchés concernés et dissuader de nouveaux entrants;
Qu'en outre, des faits avérés d'éviction de spécialités concurrentes, proposées à un prix plus bas que celles des laboratoires Sandoz, ont été constatés sur cinq de ces marchés lors de l'attribution de 23 lots d'appels d'offres par huit CHU;
Considérant, ensuite, que les effets tant conjoncturels que structurels des pratiques sur les marchés pertinents sont établis;
Considérant, en effet, que le dommage à l'économie ne peut se réduire à une "perte" objectivement mesurable qui serait facteur de l'étendue des marchés en cause;qu'au-delà de la perte de marge subie par les entreprises concurrentes évincées sur laquelle la requérante fonde son argumentation, la menace d'éviction et la réalité de cette éviction de l'un ou l'autre des lots d'appels d'offres a incontestablement affaibli leur capacité concurrentielle;
Qu'il convient de souligner que sur trois des marchés de produits concernés, des médicaments génériques figurent parmi les spécialités concurrentes évincées et qu'à l'évidence, les pratiques examinées ne peuvent qu'avoir dissuadé les fabricants de ces produits de se développer et de pénétrer de nouveaux marchés; que le dommage à l'économie en résultant doit être apprécié au regard de la part du marché national que représentent globalement en France les médicaments génériques, estimée à 3,5% du volume total des prescriptions en 1999 et insignifiante par rapport à celle qu'occupent ces médicaments dans d'autres pays notamment européens ainsi que le relève le rapport, et ce alors que leur coût pour la collectivité est sensiblement inférieur à celui des autres médicaments de marque et qu'ils favorisent une baisse du prix moyen du médicament lorsqu'ils sont présents sur un marché;
Considérant enfin, s'agissant de la situation individuelle de l'entreprise, que le Conseil a noté qu'antérieurement à la fusion réalisée en 1997 entre les groupes Ciba-Geigi et Sandoz, le chiffre d'affaires réalisé en France par les laboratoires Sandoz représentait 53% du chiffre d'affaires de l'ensemble que constituera la société Novartis Pharma, lequel s'est élevé au 31 décembre 2002 à 779,5 millions d'euros;
Considérant qu'en fonction des éléments généraux et particuliers recueillis, la sanction pécuniaire de 7,8 millions d'euros infligée à la société Novartis Pharma, très inférieure au plafond fixé par l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, représente une juste appréciation de la gravité des pratiques, du dommage causé à l'économie et de la situation individuelle de l'entreprise, le recours de la société Novartis Pharma et le recours incident du ministre chargé de l'Economie étant rejetés;
Par ces motifs: Rejette le recours formé par la société Novartis Pharma et le recours incident formé par le ministre chargé de l'Economie; Laisse les dépens à la charge de la société Novartis Pharma.