CA Paris, 1re ch. G, 17 septembre 2003, n° 2001-08541
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Swatch AG (SA)
Défendeur :
Métro Cash and Carry France (SARL), Métro libre service de gros (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Grellier, Main
Conseillers :
MM. Faucher, Remenieras, Mme Pénichon
Avoués :
Me Moreau, SCP Regnier-Bequet
Avocats :
Mes Gontier, Chapoullie
La cour statue, en suite de l'arrêt de la Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique du 30 janvier 2001 - ayant dans toutes ses dispositions cassé l'arrêt rendu le 11 juin 1998 par la Cour d'appel de Versailles et renvoyé la cause et les parties devant la cour de céans, sur l'appel interjeté par la société de droit suisse Swatch AG contre le jugement rendu le 28 octobre 1994 par le Tribunal de commerce de Nanterre, qui l'a déboutée de toutes ses demandes contre la société Métro libre service de gros de Nanterre, aux droits de laquelle se trouve la société Métro Cash and Carry France (société Métro), l'a condamnée à payer à cette société 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge.
La société Métro libre service de gros, exploitant à Nanterre un magasin-entrepôt à cette enseigne, ayant organisé du 17 au 31 décembre 1993, avec sept autres magasins-entrepôts exploités sous la même enseigne dans la région parisienne ainsi qu'à Bordeaux et Versailles, une opération promotionnelle portant sur 21 modèles de montres de marque Swatch, présentés sur une page d'un catalogue publicitaire distribué pour annoncer l'opération, la société Swatch sur la base notamment des constatations faites le 17 décembre 1993 par un huissier de justice désigné à sa requête, l'a fait assigner, le 10 mars 1994, pour faire juger qu'elle s'était rendue coupable de pratiques de marque d'appel et prix d'appel, publicité trompeuse, concurrence déloyale et parasitaire et agissements déloyaux, réclamant réparation du préjudice résultant de ces fautes.
Vu les dernières écritures, signifiées le 28 février 2003, aux termes desquelles la société Swatch, appelante, demande à la cour, au visa des articles L. 115-33 et L. 121-1 du Code de la consommation, 5 de l'arrêté n° 77-105 P du 2 septembre 1997, 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu L. 442-2 du Code de commerce, 1382 Code civil et L. 716-13 du Code de la propriété intellectuelle,
- d'infirmer le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a débouté la société Métro de sa demande de dommages et intérêts,
- de dire qu'en ne disposant dans son magasin, le premier jour de l'opération promotionnelle, que de 15 montres au total et en disposant en toute hypothèse d'un nombre de montres insuffisant pour satisfaire la demande de la clientèle pendant la durée de l'opération promotionnelle, sans pouvoir s'en procurer dans les délais adéquats eu égard à leur nature, la société Métro a cherché à tromper les consommateurs et s'est rendue coupable de pratique de marque d'appel,
- de dire qu'en commercialisant les montres visées dans le catalogue publicitaire à un prix sensiblement supérieur à celui annoncé la société Métro a trompé le consommateur et s'est rendu coupable de pratique de prix d'appel ou que, si elle a vendu aux prix annoncés, elle s'est rendue coupable de revente à perte.
- de dire qu'en cherchant à profiter de la notoriété de la marque Swatch la société Métro s'est rendue coupable de concurrence parasitaire et a agi de manière déloyale
- de condamner la société Métro à lui payer 92 000 euros à titre de dommages et intérêts.
- de l'autoriser à faire publier l'arrêt à intervenir dans 5 journaux de son choix, aux frais de la société Métro dans la limite de 3 100 euros HT par insertion,
- de débouter la société Métro de toutes ses prétentions et de la condamner à lui payer 20 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens de première instance et d'appel;
- Vu les dernières écritures, signifiées le 18 novembre 2002, par lesquelles la société Métro Cash and Carry France, venant aux droits de la société Métro Libre service de gros, intimée et incidemment appelante, prie la cour de:
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté l'intégralité des prétentions de la société Swatch, dès lors que la société Métro de Nanterre disposait, elle-même ou par l'intermédiaire des autres sociétés Métro concernées, de quantités suffisantes de chacun des 21 modèles présentés pour répondre à bref délai à lademande de la clientèle, que les prix promotionnels annoncés ont été effectivement appliqués, nonobstant l'indication dans le rayon, le premier jour de l'opération, du prix des montres avant promotion et que ces prix n'étaient pas inférieurs au prix d'achat toutes taxes comprises, tenant compte d'un avoir accordé par le fournisseur à la centrale d'achat.
Métro, agissant en qualité de mandataire et que la société Swatch, qui n'a pas d'activité en France, ne peut y avoir subi un quelconque préjudice du fait d'actes prétendus de concurrence déloyale ou parasitaire,
- condamner la société Swatch à lui payer 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 20 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens;
Considérant qu'est illicite toute offre publicitaire portant sur des produits de marque dont le distributeur ne dispose pas en quantité suffisante pour satisfaire à la demande de la clientèle dans des délais adéquats eu égard à leur nature; que, s'agissant, comme en l'espèce de montres proposées à des prix relativement faibles, allant de 159 à 335 F (prix annoncés sur le catalogue publicitaire) ou de 165 à 395 F (prix relevés par l'huissier) selon les modèles, cette disponibilité devait être quasi immédiate, le consommateur, même averti et lui-même commerçant et artisan comme ceux qui fréquentaient le magasin Métro de Nanterre, ayant pour habitude d'emporter aussitôt une marchandise de cette sorte et de ce prix;
Considérant que la société Métro de Nanterre, indépendante des sept autres sociétés Métro participant à l'opération promotionnelle litigieuse, tant juridiquement qu'en ce qui concerne son stock, individualisé ainsi qu'il résulte de la facture du fournisseur UWT du 27 septembre 1993, a acquis de cette dernière société, à la date ci-dessus, 197 montres de marque Swatch, de 21 modèles différents; qu'elle les a aussitôt offertes à la vente, hors toute promotion, aux prix hors taxes respectivement de 165 F, 205 F, 325 F et 395 F, selon les modèles, ainsi regroupés en quatre catégories de prix: montres analogiques avec bracelet plastique (8 modèles), montres analogiques avec bracelet cuir (6 modèles), montres automatiques avec (4 modèles) montres chronographes (3 modèles); que ce sont les mêmes modèles qui ont fait ensuite l'objet de l'opération promotionnelle litigieuse, organisée du 17 au 31 décembre 1993 et annoncée dans le catalogue publicitaire "Métro News", qui présentait les montres, à des prix indiqués respectivement de 159 F, 189 F, 209 F et 335 F selon la catégorie;
Considérant qu'il résulte des constatations de l'huissier de justice Venezia, dont on peut regretter que celui-ci n'ait pas spécifié dans son procès-verbal l'heure à laquelle elles ont étaient faites, que, le 17 décembre 1993, premier jour de l'opération promotionnelle, 15 montres Swatch se trouvaient exposées à la vente dans le magasin Métro de Nanterre, au prix respectivement de 165 F, 205 F, 325 F et 395 F, cependant qu'aucune autre ne se trouvait en stock;
Que la société Métro, pour soutenir que ces constatations insuffisamment circonstanciées ne sont pas probantes, produit outre la facture d'achat de la société UWT déjà évoquée et les factures de même nature émises pour les sept autres magasins concernés par l'opération, une liste "interrogation article-mouvements par magasin" faisant apparaître les ventes et les stocks à l'exception toutefois des montres offertes au prix promotionnel de 189 F avant le lancement de la promotion, une liste des ventes et stocks du magasin de Nanterre pour les 21 modèles de montres Swatch au 23 décembre 1993 et un état des ventes et stocks pour les 8 magasins concernés au 31 décembre 1993, à la fin de l'opération;
Mais considérant qu'il résulte des propres pièces de la société Métro, selon le tableau synthétique (pièce 18) que celle-ci a établi, qu'au premier jour de la promotion le magasin de Nanterre, qui ne détenait plus que 118 des 197 montres Swatch acquises auprès d'UWT, ne disposait d'aucune montre dans trois modèles, d'une seule montre dans 4 modèles et de deux montres dans 3 modèles; que, dès le lendemain 18 décembre, selon le tableau récapitulatif établi par Swatch (pièce 16) et non utilement critiqué sur ce point par Métro, le magasin de Nanterre n'avait plus aucune montre dans 11 modèles et une montre seulement dans 4 modèles;
Qu'il apparaît ainsi que, même en tenant pour conformes à la réalité, nonobstant les constatations faites par la SCP Venezia, les états de ventes et de stocks produits par la société Métro, celle-ci ne disposait pas, dans son magasin de Nanterre, de montres Swatch en quantités suffisantes, dans les différents modèles ayant fait l'objet de la publicité, pour satisfaire à la demande raisonnable des consommateurs pendant toute la période de promotion, alors qu'elle n'avait pas l'intention de se réapprovisionner,ainsi qu'il résulte de la mention "dans la limite des stocks disponibles" figurant au bas de la page du catalogue "Métro News" consacré aux montres Swatch, qu'elle ne s'est effectivement pas réapprovisionnée au cours de la période de promotion et que, en raison de la disponibilité immédiate ou quasi immédiate qu'imposent les habitudes des consommateurs par ce type de produit, la société Métro de Nanterre ne pouvait envisager de répondre à la demande des clients en utilisant les stocks des autres magasins Métro de Bordeaux et Marseille, ni même de ceux de la région parisienne; qu'à cet égard la société Métro ne donne d'ailleurs aucune précision sur les conditions, notamment de délai, dans lesquelles elle aurait pu satisfaire à des demandes de clients en puisant dans les stocks d'autres magasins Métro participant à l'opération;
Que la cour observe, à titre surabondant, qu'à supposer que l'on puisse considérer - ce qui n'est pas pour les raisons déjà exposées - les stocks des 8 magasins concernés comme constituant un seul et même stock ne pourrait cependant être regardé comme suffisant pour répondre à une demande raisonnable dès lors que, pour 11 modèles sur 21, les stocks cumuls étaient inférieurs à 24, soit moins de 3 montres par magasin, que pour 5 modèles ils étaient inférieurs à 16, soit 2 par magasin, et n'étaient même que 5, soit moins d'une montre par magasin, pour un modèle (88659);
Considérant que la société Métro s'est dès lors rendue coupable, ainsi que le fait valoir la société Swatch, de publicité trompeuse, enfreignant en particulier les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation et de l'article 5 de l'arrêté n° 77-105P du 2 septembre 1997, selon lesquelles "aucune publicité de prix ou de réduction de prix à l'égard du consommateur ne peut être effectuée sur des articles qui ne sont pas disponibles à la vente pendant la période à laquelle se rapporte cette publicité";
Qu'elle s'est encore, par-là, rendue coupable de la pratique de marque d'appel, utilisant la grande notoriété de la marque Swatch pour attirer des clients au moyen d'une opération de promotion en grande partie fictive;
Sur les griefs de publicité trompeuse sur le prix et de prix d'appel:
Considérant qu'il n'est pas contesté que, le premier jour de l'opération promotionnelle, les prix des montres Swatch en promotion affichés dans le magasin de Nanterre étaient supérieurs, dans les quatre catégories, à ceux annoncés dans le catalogue, ainsi que l'a constaté l'huissier Venezia;
Que la société Métro soutient cependant que c'est par suite d'une négligence qu'il en a été ainsi, les prix affichés demeurant ceux pratiqués antérieurement, depuis le 27 septembre 1993, pour les mêmes articles, mais que les prix réellement demandés et payés à la caisse par les clients étaient bien conformes à la publicité;
Qu'en effet, alors que l'huissier, n'a pas constaté que les prix affichés étaient ceux appliqués à la caisse la société Métro établit, par la production de facturettes de cartes bancaires datées du 17 décembre 1993, que le prix de vente réel, pour les différents modèles de montres objet de la promotion, a bien été celui annoncé dans le catalogue "Métro News";
Que les griefs de publicité trompeuse sur le prix et de pratique de prix d'appel ne sont donc pas fondés;
Sur le grief, alternatif, de revente à perte:
Considérant que les 6 modèles de montres "analogiques" modèle basique bracelet cuir, que la société Métro reconnaît avoir acheté au prix unitaire de 190 F HT le 27 septembre 1993, ont été offerts à la vente et effectivement vendus, à l'occasion de l'opération promotionnelle, au prix de 189 F HT sans que soit invoqué aucun élément de nature à justifier la revente à prix moindre que le prix d'achat;
Que s'agissant des montres automatiques (4 modèles référencés SAN-400, SANS-101, SAK-106, SAM-400), il résulte de la facture n° 934724 du 27 septembre 1993 de la société UWT qu'elles ont été acquises par Métro au prix de 295 F HT;que la société Métro les a vendues, à partir du 17 décembre 1993, au prix de 209 F;
Que la société Métro soutient toutefois que le prix d'achat réel des montres concernées était de 209 F HT, dès lors qu'on doit tenir compte d'un avoir de 15 824 F consenti par la société UWT, au titre de sa participation à l'action promotionnelle litigieuse, pour les montres automatiques Swatch, à la société Métro Centrale d'achat (MCA), agissant en qualité de mandataire "pour le compte des sociétés affiliées", de sorte qu'il n'y aurait pas revente à perte;
Mais considérant que l'avoir invoqué, consenti sous la forme d'une "participation", ne peut être pris en compte pour le calcul du seuil de revente à perte des montres automatiques Swatch acquises par Métro le 27 septembre 1993 dès lors qu'il résulte d'un contrat conclu le 9 novembre 1993, plus d'un mois après l'établissement de la facture de vente des montres, que son montant ne figure pas sur cette facture et qu'il ne s'agit donc pas d'un rabais, remise ou ristourne certain en son principe et chiffrable dans son montant au jour de la vente et répondant par-là aux exigences de l'articles 31 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans sa rédaction antérieure à la loi du 31 juillet 1996, applicable aux faits de l'espèce;
Qu'à supposer même, au demeurant, que cet avoir puisse être pris en considération, il ne pouvait ramener à 209 F HT le prix d'achat réel des montres automatiques Swatch achetées par la société Métro de Nanterre, dès lors qu'il devrait être imputé non sur le prix global des 184 montres automatiques Swatch achetées par les 8 magasins Métro ayant participé à l'opération promotionnelle litigieuse, comme le fait l'intimée, mais sur le prix global, qu'elle s'abstient d'indiquer, des montres du modèle considéré achetées par les 23 sociétés Métro, représentées par MCA, avec lesquelles a été conclu le contrat d'actions promotionnelles;
Qu'ainsi la société Métro, a enfreint les dispositions de l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-4 du Code de commerce,ce qui résulte encore surabondamment de la mention d'une marge négative, pour les 4 modèles de montres automatiques, sur l'état des ventes pendant la période de promotion que ladite société a elle-même produit (pièce n° 8);
Sur le grief de concurrence déloyale et parasitaire:
Considérant qu'ainsi que le fait valoir la société Métro, la société Swatch ne commercialisait pas elle-même ses montres en France à l'époque des faits litigieux, pas plus d'ailleurs qu'elle ne le fait aujourd'hui, la distribution exclusive de ses produits sur le marché français ayant été confiée à la société SMH, devenue The Swatch Group, de sorte que seule cette société pourrait se plaindre d'une concurrence déloyale et parasitaire de la part de la société Métro et invoquer de ce chef un préjudice direct;
Sur le préjudice:
Considérant que la pratique de marque d'appel et la revente à perte dont la société Métro s'est rendue coupable ont nécessairement causé un préjudice à la société Swatch, propriétaire de la marque dont elle assure la promotion au niveau international avec des effets sur le marché français, où la marque Swatch jouit d'une grande notoriété, organisant par ailleurs la distribution des produits de sa marque;
Que ce préjudice, tenant à ce que les efforts de Swatch pour maintenir la réputation de sa marque et organiser la distribution de ses produits se sont trouvés contrecarrés par les pratiques susvisées, cependant que la société Métro a pu bénéficier indûment de la notoriété résultant de ses efforts, peut être évalué à 15 000 euros;
Que, compte tenu de la nature des faits, la publication de la présente décision apparaît comme une réparation complémentaire adéquate et nécessaire dans les conditions prévues au dispositif;
Considérant que succombant, la société Métro ne peut prétendre à une indemnité pour procédure abusive, que lui avaient au demeurant déjà refusée les premiers juges, non plus qu'à une somme au titre de ses frais irrépétibles cependant qu'elle devra supporter les dépens de première instance et d'appel; qu'il est en outre équitable de la condamner à payer à la société Swatch une somme sur le fondement de l'article 700 du NCPC;
Par ces motifs: Vu l'arrêt de la Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique du 30 janvier 2001; Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il a débouté la société Métro libre service de gros de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive; Dit que la société Métro libre service de gros, aux droits de laquelle se trouve la société Métro Cash and Carry France, s'est rendue coupable de publicité trompeuse, pratique de marque d'appel et revente à perte; La condamne à payer à la société Swatch AG la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 8 000 euros en application de l'article 700 du NCPC; Autorise la société Swatch à faire publier dans trois journaux de son choix, aux frais de Métro Cash and Carry France, dans la limite de 2 000 euros hors taxes par insertion; Déboute les parties de toutes les autres demandes; Condamne la société Métro Cash and Carry France aux dépens de première instance et d'appel et admet Maître Moreau, avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.