Conseil Conc., 30 mars 2004, n° 04-D-08
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Marché de travaux d'assainissement de la commune de Pontacq
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Toulemont-Dakouré, par Mme Pasturel, vice-présidente, Mme Perrot, MM. Flichy, Piot, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 27 septembre 2000, sous le n° F 1264, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relatives à un appel d'offres organisé en 1998-1999 par la ville de Pontacq (64) pour l'extension de son réseau d'assainissement; - Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86 1243 du 1er décembre 1986 et le décret n° 2002-689 du 3 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce; - Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et par les sociétés Bayol, SOBATP, HIRIART, CEGETP, BSTP, SNATP, SADE et SOGEA Sud-Ouest; - Vu les autres pièces du dossier; - La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés SEE Camille Bayol, SA CEGEPT, SA SOBATP, l'entreprise Jean Hiriart, BSTP, SA SNATP, SADE Compagnie Générale de Travaux Hydrauliques et la SA EFFIPARC SUD OUEST anciennement dénommée SOGEA Sud-Ouest entendus au cours de la séance du 27 janvier 2004; la commune de Pontacq ayant été régulièrement convoquée; - Adopte la décision suivante:
I. Constatations
A. L'APPEL D'OFFRES
1. Par délibération du 30 juillet 1998, le conseil municipal de la ville de Pontacq (64) a lancé un appel d'offres ouvert, soumis au Code des marchés publics, pour des travaux d'extension de son réseau d'assainissement (cote 53 bis des annexes du rapport). L'avant-projet a été confié au bureau d'études SOGELERG-SOGREAH, en qualité de maître d'œuvre. Le projet porte sur la réalisation, en un seul lot, d'une tranche ferme (route de Barzun) et de deux tranches conditionnelles, la première pour les secteurs de la route de Nay et de la boulangerie industrielle, la seconde pour le bassin d'orage. L'avis d'appel public à la concurrence, publié au BOAMP du 29 octobre 1998, a fixé la date limite de réception des plis au 30 novembre 1998.
2. La commission des appels d'offres (CAO) s'est réunie le 2 décembre 1998, afin d'ouvrir les 16 plis reçus (cote 55). Elle a retenu les 5 offres les moins-disantes, les autres dépassant les prévisions financières de la commune, et a chargé le maître d'œuvre d'étudier ces 5 propositions qui émanaient des entreprises ou groupements suivants: Bayol/SOBATP, BSTP/SNATP, Hiriart/CEGETP, Sade et SOGEA.
3. L'étude comparative des offres réalisée par le maître d'œuvre (cote 67) a souligné le caractère élevé de leur montant, y compris en ce qui concerne la solution de base du groupement le moins-disant, constitué des sociétés Bayol et SOBATP. La CAO, au cours d'une deuxième réunion qui s'est tenue le 16 décembre 1998, a demandé au maître d'œuvre d'étudier de façon plus approfondie les variantes proposées par le groupement le moins-disant et autorisées par le CCTP, dont le prix s'approchait davantage de son estimation. Une réunion avec ce groupement s'est tenue le 6 janvier 1998, à l'initiative du maître d'œuvre qui souhaitait obtenir des précisions d'ordre technique sur la faisabilité et l'intérêt des variantes proposées. Au cours de la troisième réunion de la CAO, qui s'est tenue le 14 janvier 1999, le maître d'œuvre a émis de sérieuses réserves, tant techniques que financières, sur ces variantes et a proposé de déclarer l'appel d'offres infructueux. Le représentant de la DDCCRF, présent à cette réunion, n'a pas exclu, pour sa part, que l'exercice de la concurrence ait été faussé.
4. La CAO a, néanmoins, décidé d'attribuer le marché au groupement Bayol/SOBATP, moins-disant, en retenant une variante d'un montant de 5 889 070 francs HT, qui était la plus proche de l'estimation initiale du maître d'œuvre (5 755 413 francs HT), sous réserve que les aménagements souhaités par ce dernier soient réalisés sans modifications de prix. Un échange de courrier entre le maître d'œuvre et l'attributaire du marché fait état de la poursuite des discussions qui ont abouti à un montant de marché de 5 872 192 francs HT porté in fine sur l'acte d'engagement en date du 27 novembre 1998, qui a été signé le 18 janvier 1999 par le maire de la commune de Pontacq (cote 99).
5. Dans une lettre reçue le 29 mars 1999 (cote 130), le préfet du département, après avoir relevé que le dossier du marché comportait plusieurs irrégularités de procédure au regard du Code des marchés publics, a demandé au maire de Pontacq d'annuler l'opération et de recommencer la procédure. C'est dans ces conditions qu'une nouvelle consultation a été lancée, avec le même cahier des clauses techniques particulières (CCTP), par avis d'appel public à la concurrence paru au BOAMP du 22 avril 1999. La CAO du 26 mai 1999 a enregistré 9 offres, dont une émanant à nouveau du groupement Bayol/SOBATP, accompagnée de variantes. La CAO du 9 juin 1999 a retenu, après accord de la direction départementale de l'équipement (DDE), maître d'œuvre du second appel d'offres, l'une des variantes proposées par ce groupement, pour un montant de 5 832 006,40 francs HT.
B. LES ENTREPRISES
6. La société d'exploitation des établissements Camille Bayol (SEE Bayol) est une société anonyme au capital de 250 000 FF. Elle est dirigée par Mme Adrienne X, présidente du conseil d'administration, et par M. René Y, directeur général. Avec un effectif d'une vingtaine de personnes, son activité s'étend sur le département des Hautes Pyrénées et les aires limitrophes du Gers et des Pyrénées Atlantiques. Cette entreprise s'est présentée en groupement avec la SOBATP, qui appartenait à une holding moins bien implantée localement. Elle est mandataire du groupement. Elle a déjà réalisé des travaux d'assainissement à la suite d'un appel d'offres lancé, en juin 1998, par la ville de Pontacq.
7. La société SOBATP, (Société Basque de Travaux Publics) est une SA au capital de 602 000 FF, présidée par M. Bernard Z. Implantée traditionnellement au pays basque et dans les Landes, elle est spécialisée dans les travaux d'assainissement et d'adduction d'eau. Elle appartient au groupe Etchart qui, en 1989, s'est constitué en holding.
8. La société SA Jean HIRIART, au capital de 2 100 000 FF, fait également partie du groupe Etchart. Cette société a été successivement dirigée par M. Firmin A, président du conseil d'administration, aujourd'hui décédé, puis par M. Pierre Z. Elle exerce principalement ses activités dans l'ouest du département des Pyrénées Atlantiques et le sud des Landes.
9. La société Compagnie d'Entreprise Générale de Travaux Publics (CEGETP), au capital de 2 000 000 FF, a été créée en juillet 1998 par le groupe Etchart. Initialement constituée sous la forme de société en nom collectif dont les co-gérants étaient M. B et M. C, elle s'est transformée, le 1er janvier 2001, en une société anonyme dont le conseil d'administration est présidé par M. Bernard Z.
10. La SARL BSTP, au capital de 50 000 FF, a été créée en février 1994. Elle exerce une activité d'entreprise générale. Son capital est partagé à égalité entre M. René Y, par ailleurs directeur général de Bayol, et Mme D. L'actuel gérant, M. Jacques D, a succédé à M. René Y le 1er novembre 1997. Cette entreprise est principalement présente autour de Pau et dans le sud des Landes.
11. La Société Nouvelle d'Assainissement et Travaux Publics (SNATP), est une société en nom collectif qui a pour gérant M. Denis E. Elle exploite à Poey-de-Lescar (64) une agence dont le chef est M. Henri F. Elle exerce son activité principalement dans les Pyrénées Atlantiques, les Landes et la Gironde.
12. La Compagnie générale de travaux d'hydrauliques (SADE) est une SA au capital de 80 566 800 FF, qui appartient au groupe Vivendi. Cette entreprise n'a pas, contrairement aux autres, d'implantation locale et répond systématiquement aux appels d'offres pour des travaux d'eau et assainissement.
13. SOGEA Sud-Ouest est une agence de l'entreprise SOGEA, contrôlée au moment de l'appel d'offres par le groupe Vivendi.
C. LES FAITS RELEVÉS
1. ANALYSE DES PROPOSITIONS
14. La CAO du 2 décembre 1998 a enregistré 15 propositions sur les 16 initialement reçues. Les offres dépassent l'estimation du maître d'œuvre de 35 à 64 %, ainsi qu'il ressort du tableau dressé par la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Pyrénées-Atlantiques (cote 29):
EMPLACEMENT TABLEAU
(Les entreprises dont le nom est souligné sont mandataires des groupements)
15. Seuls les trois groupements ont présenté des variantes, autorisées par le règlement de la consultation. La variante I est proposée par les 3 groupements. Elle consiste en un réemploi de matériaux extraits à la place du grave 0-100. Le groupement Bayol/SOBATP a proposé deux autres variantes: dans la variante II, il est proposé de rehausser le profil de la solution de base de 1 mètre, tout en gardant le remblaiement en grave 0-100 alors que, dans la variante III, il est proposé d'associer les modifications techniques présentes dans les variantes I et II, en rehaussant le profil de la solution de base de 1 mètre et en réemployant les matériaux extraits.
16. Selon l'étude comparative des cinq propositions arrivées en tête à laquelle il a été procédé par le maître d'œuvre sur demande de la CAO (cote 67), les différences importantes constatées entre l'estimation initiale du maître d'œuvre et ces cinq offres trouvent leur origine essentiellement dans le prix P 203, qui regroupe les travaux nécessaires à l'enfouissement d'une canalisation en PVC sous voirie, pour une tranchée type. Le maître d'œuvre a donc demandé aux entreprises de détailler précisément les prix unitaires et les quantités proposés pour cette prestation, afin d'expliquer la différence constatée avec le prix au mètre linéaire habituellement pratiqué par les entreprises. Seuls l'entreprise Sogea, et les groupements Hiriart/CEGETP et Bayol/SOBATP ont répondu à cette demande. Selon le maître d'œuvre, les estimations détaillées qui ont été fournies présentent certaines incohérences.
17. Entendu, le 16 septembre 1999, par les enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, le maître d'œuvre a justifié sa propre évaluation du prix P203 de la façon suivante: "Chargée du dossier des travaux de la commune de Pontacq, j'ai repris l'avant-projet d'un de mes collaborateurs, (dont je vous remets copie de l'estimation en annexe 1) qui contient une évaluation complète du mètre linéaire de tranchée, élaborée à partir de prix relevés dans les marchés en cours, dont nous avons eu la préparation. J'ai pris la suite pour réaliser le projet proprement dit, technique et financier, qui a consisté:
- à calculer les quantités à mettre en œuvre, poste par poste, en fonction de la profondeur moyenne des fouilles;
- à établir un bordereau de prix unitaires prévisionnels, pour arriver à l'estimation finale, qui a été porté à la connaissance du maître d'ouvrage. Je vous remets copie du bordereau de prix en précisant qu'il n'a pas été adressé au maître d'ouvrage (annexe 2) et l'estimation des travaux (annexe 3)".
18. S'agissant de la décomposition du prix P203, le maître d'œuvre déclare: "Dans l'étude comparative du prix P 203, que j'ai présenté à la commission dans mon rapport du 15 décembre 1998, j'ai utilisé les prix pratiqués pour d'autres chantiers dont j'avais connaissance, en particulier celui de juin 1998 de Pontacq. "
19. Le tableau suivant, élaboré par le maître d'œuvre, compare l'estimation de celui-ci aux prix pratiqués par les entreprises pour le type de prestations en cause dans le cadre de différents marchés exécutés dans le Sud-Ouest de la France (cote 78 du rapport).
EMPLACEMENT TABLEAU
20. L'analyse des variantes II et III, du groupement Bayol/SOBATP, à laquelle il a été procédé dans un second temps par le maître d'œuvre, sur demande de la CAO (cote 81), a été présentée à la séance du 14 janvier 1999. S'agissant de la variante III, dont les principales caractéristiques consistaient dans la suppression du géotextile, le remplacement de l'enrobé à chaud par du bi-couche, la réutilisation des déblais en remblais et le rehaussement du profil de 0,80 m à 1,10 m sur certaines antennes, le maître d'œuvre a émis de fortes réserves relativement aux conséquences de ces choix techniques sur le fonctionnement de certains secteurs du réseau (vitesses discontinues empêchant l'auto-curage du réseau, conditions de branchement de certaines maisons, pompes de refoulement pour compenser le rehaussement du profil ...). Il a noté, en particulier, que la suppression du géotextile pouvait entraîner des risques de rupture de canalisations, que le remplacement de l'enrobé à chaud par du bi-couche était prescrit dans le CCTP et que la réutilisation des déblais nécessitait un certain nombre de traitements préalables. La société SADE, dans ses observations, partage ces réserves: "Il n'est pas étonnant pour la société SADE que ces variantes aient soulevé des réserves de la part de Sogelerg et de la DDE, quant aux conséquences en termes de pentes de réseaux et de problèmes prévisibles en matière d'auto-curage, de nécessité de stations de relèvement et de coûts de fonctionnement ultérieurs en résultant, de qualité des remblais et de problèmes possibles à terme en matière de stabilité et de pérennité. La SADE n'a bien entendu pas soumis de telles variantes car elle n'a pas pour habitude de proposer des solutions techniques affaiblissant la qualité des projets ou la pérennité des ouvrages ou augmentant leurs charges de fonctionnement ultérieures."
2. LES SIMILITUDES DE PRIX RELEVÉES
21. Le tableau suivant, extrait du rapport d'enquête (cote 09), dresse la liste des similitudes de prix relevées entre les offres des entreprises mises en cause:
EMPLACEMENT TABLEAU
22. La fréquence de ces similitudes a été notée par le représentant de la DDCCRF dans le procès-verbal de la CAO du 14 janvier 1999: "L'analyse du maître d'œuvre a fait apparaître de nombreuses similitudes des montants des sous-détails des prix de plusieurs offres: (34 sur 61 constituant l'ensemble des tranches du marché). La fréquence élevée de prix identiques ne peut être le fruit du hasard mais l'indice d'une présomption d'échange d'informations entre les entreprises".
23. S'agissant, en particulier, de la prestation faisant l'objet du prix P203, les offres de base des entreprises étaient les suivantes (cote 12 du rapport):
EMPLACEMENT TABLEAU
3. LES ÉTUDES PRÉALABLES AUX TRAVAUX
24. Seul le groupement moins-disant a pu, lors de l'enquête réalisée par la DDCCRF, présenter une étude précise et détaillée des travaux préalable au dépôt des offres (cotes 203 à 257). La SNATP a remis une étude, réalisée par un consultant extérieur, dans ses observations en réponse à la notification de griefs. Les sociétés Sade et SOGEA ont affirmé avoir réalisé une étude sans pour autant avoir été en mesure de la présenter au cours de la procédure.
4. LES SOUS-DÉTAILS DE PRIX P203
25. A la demande du maître d'œuvre et postérieurement au dépôt des offres, les sociétés Hiriart et Bayol ainsi que la SOGEA ont remis des éléments détaillés permettant de vérifier les choix effectués en ce qui concerne les quantités mises en œuvre et les prix unitaires retenus.
EMPLACEMENT TABLEAU
26. Le maître d'œuvre, au cours de son audition du 16 septembre 1999, a explicité la manière dont il avait évalué les dimensions de la tranchée type: "La profondeur moyenne des tranchées, telle qu'elle résulte des prescriptions du CCTP, a été calculée par mes soins à 2,30 m selon l'annexe 4, fiche de calcul que je vous remets. Pour chaque regard, on calcule la différence entre le niveau de terrain naturel et le fil d'eau de la canalisation. Pour chaque section, on peut calculer le fil d'eau moyen. Le fil d'eau moyen est calculé en pondérant chaque fil d'eau moyen par la longueur de la section. La profondeur moyenne est égale au fil d'eau moyen général majoré de 20 cm". Il a précisé que toutes les entreprises soumissionnaires étaient en possession de ces informations: "Tous ces éléments figurent bien évidemment dans les plans d'accompagnement du CCTP et remis avec le dossier de consultation ". En ce qui concerne le calcul précis du prix P203, il a ajouté: "Les prix que j'ai mentionnés ont été établis en multipliant chaque prix unitaire de ces marchés par les quantités déduites de la tranchée type: un mètre linéaire, 1,15 m de large (cf. page 18 du CCTP) et 2,30 m de profondeur moyenne ( cf. fiche de calcul remise ci-avant) " (cotes 33-35 du rapport).
27. Cependant, les lignes "sciage de chaussée" et "démolition de chaussée" qui figurent dans les sous-détails remis au maître d'œuvre sur sa demande, par les entreprises Hiriart et Bayol mentionnent toutes deux une largeur de 1,60 m, correspondant, en réalité, à une tranchée de 1,30 m de large, le découpage de la chaussée s'effectuant sur une largeur supérieure à celle de la tranchée, alors que le dossier d'appel d'offres indiquait 1,15 m. Les observations communes des entreprises du groupe Etchart, en réponse à la notification de griefs confirment cette constatation: "Les entreprises Sobatp, Hiriart, et Cegetp ont retenu une largeur de tranchée de 1,30m au lieu des 1,15 m préconisés par le maître d'œuvre" (cotes 589 à 596 du rapport). La société Bayol, dans ses observations, fournit un détail explicatif du choix de la largeur de tranchée à 1,30 m et conclut: "Que dans ces conditions, la société Bayol a préconisé et calculé une largeur moyenne de tranchée à 1,30 m ... par conséquent qu'il s'avère que la SEE Bayol en "prenant ses distances" vis-à-vis du CCTP arrêté par le maître d'œuvre n'a fait qu'une juste et exacte application des dispositions techniques professionnelles" (cote 437 du rapport).
28. De même, la comparaison des lignes "Blindage des fouilles" fait apparaître que la profondeur moyenne des tranchées est évaluée de manière identique par les deux groupements à 2,70 m (5,40: 2) au lieu des 2,30 m préconisés par le maître d'œuvre dans ses plans d'accompagnement. Il peut être noté également que les deux groupements ont fait le même choix d'une réfection provisoire de la chaussée en grave émulsion et d'un revêtement définitif en enrobé à chaud.
5. LES DÉCLARATIONS DES DIRIGEANTS
29. Un ingénieur chef de centre de l'entreprise SADE, M. G., a déclaré, le 18 mai 1999: "j'ai effectivement réalisé l'étude du marché des travaux d'assainissement des eaux usées de la commune de Pontacq. Je vous confirme que n'ayant pas eu le marché, nous n'avons pas conservé le dossier. L'étude a été réalisée soit sur PROTEE, logiciel interne à la SADE, soit de façon manuscrite". Quant à l'identité de prix P203 constatée entre les offres des sociétés SADE et SOGEA, elle appelle la réponse suivante de la part d'un des directeurs de cette dernière: "Je n'ai pas de commentaire et d'explication à donner. Cette unicité de prix me paraît, en fait, sans signification. Ce qui compte, c'est le prix global".
30. Le directeur de l'agence de Poey-de-Lescar (64) de la SNATP, M. F., a indiqué: "Je n'ai pas réalisé d'étude pour ce marché. C'est M. D., qui l'a réalisée et qui nous l'a transmise en copie. J'ai soumissionné parce que M. D. me l'avait demandé et que j'avais confiance en ses capacités d'étude" ( cote 384). M. D., de l'entreprise BSTP, a déclaré, de son côté: "L'étude de ce marché a été faite par M. Henri F., responsable de l'agence locale SNATP, qui m'a communiqué les prix en venant à mon bureau et nous avons tapé et mis en page les propositions de prix sur les documents du marché ainsi que les pièces administratives" ( cote 384).
31. Le président de la société Hiriart, M. A., a indiqué: "La société SOBATP m'a informé qu'elle était très intéressée par ce marché. Pour ne pas nous faire concurrence à l'intérieur du groupe, nous n'avons pas réalisé une étude poussée pour ce marché. Nous répondons systématiquement aux appels d'offres. Nous prenons les dossiers et faisons une proposition pour récupérer la caution. Nous nous téléphonons pour nous mettre d'accord sur l'entreprise du groupe qui sera intéressée par le marché. Ma société a proposé un prix P203 à 1 240,56 francs. Ce prix est élevé dans la mesure où les travaux de pose paraissaient difficiles. Cela dit, notre étude n'a pas été très approfondie. Concernant la profondeur des fouilles, nous l'avons estimée en moyenne à 2,70 m mais sans "fignoler" l'étude" (cote 390). Quant au chargé d'affaires de l'entreprise CEGETP, M. H., il précise: "Je n'ai réalisé aucune étude particulière pour répondre à l'appel d'offres de la commune de Pontacq et je n'ai fait que retranscrire l'étude communiquée par M. C., co-gérant de Cegetp et directeur de SOBATP. Cette décision a été prise au niveau du groupe. Compte tenu de son niveau d'activité et de ses disponibilités à étudier ce marché, une troisième entreprise du groupe, SOBATP, était intéressée par l'obtention des travaux" (cote 397).
D. LES GRIEFS NOTIFIÉS
32. Sur la base des constatations qui précèdent, il est reproché, sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce:
- à l'entreprise BSTP d'avoir participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner, par concertation préalable aux dépôts des offres, le groupement le moins-disant et d'avoir dissimulé au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage la réalité des liens personnels qu'elle entretient avec la société Bayol, mandataire d'un groupement ayant présenté une offre autonome.
- à l'entreprise SNATP d'avoir participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner, par concertation préalable aux dépôts des offres, le groupement le moins-disant.
- à l'entreprise Jean Hiriart d'avoir participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner, par concertation préalable aux dépôts des offres, le groupement le moins-disant et d'avoir dissimulé au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage son appartenance commune avec l'entreprise SOBATP, soumissionnaire dans un groupement ayant présenté une offre autonome, au groupe ETCHART.
- à l'entreprise CEGETP d'avoir participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner, par concertation préalable aux dépôts des offres, le groupement le moins-disant et d'avoir dissimulé au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage son appartenance commune avec l'entreprise SOBATP, soumissionnaire dans un groupement ayant présenté une offre autonome, au groupe ETCHART.
- à l'entreprise SADE d'avoir participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner, par concertation préalable aux dépôts des offres, le groupement le moins-disant et d'avoir dissimulé au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage son appartenance commune avec l'entreprise SOGEA Sud-Ouest, soumissionnaire dans un groupement ayant présenté une offre autonome, au groupe VIVENDI.
- à l'entreprise SOGEA Sud-Ouest d'avoir participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner, par concertation préalable aux dépôts des offres, le groupement le moins-disant et d'avoir dissimulé au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage son appartenance commune avec l'entreprise SADE, soumissionnaire dans un groupement ayant présenté une offre autonome, au groupe VIVENDI.
- à l'entreprise Bayol d'avoir participé à une entente par le biais d'une concertation préalable aux dépôts des offres en proposant, en groupement, l'offre la moins-disante afin d'obtenir le marché et d'avoir dissimulé au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage la réalité des liens personnels qu'elle entretient avec la société BSTP, mandataire d'un groupement ayant présenté une offre autonome.
- à l'entreprise SOBATP d'avoir participé à une entente par le biais d'une concertation préalable aux dépôts des offres en proposant, en groupement, l'offre la moins-disante afin d'obtenir le marché et d'avoir dissimulé au maître d'œuvre et au maître d'ouvrage son appartenance commune avec les entreprises Jean Hiriart et CEGETP, soumissionnaires au sein d'un groupement ayant présenté une offre autonome, au groupe ETCHART.
II. Discussion
1. SUR LE GRIEF NOTIFIÉ AUX SOCIÉTÉS BSTP ET SNATP
33. Les entreprises BSTP et SNATP font valoir qu'il n'existe au dossier aucun indice laissant présumer que l'offre qu'elles ont présentée en groupement serait une offre de couverture et qu'elles se seraient préalablement concertées avec les autres entreprises mises en cause pour convenir que le groupement Bayol/SOBATP serait attributaire du marché.
34. A l'appui du grief notifié, le rapport retient, en premier lieu, que l'offre du groupement était largement supérieure à l'estimation initiale du maître d'œuvre. Il relève, en deuxième lieu, sur la base des déclarations contradictoires du directeur d'agence de SNATP et du gérant de BSTP, recueillies au cours de l'enquête administrative, que ces deux entreprises ne justifient pas avoir effectué d'étude des travaux à réaliser préalablement au dépôt de leur offre. Il souligne, en troisième lieu, que certaines prestations sont proposées dans l'offre du groupement BSTP/SNATP à des prix identiques à ceux de l'offre du groupement Hiriart/CEGETP (7 prix identiques), ou de l'offre du groupement Bayol/SOBATP (2 prix identiques).
35. Sur le premier point, toutes les entreprises mises en cause s'accordent à affirmer que le maître d'œuvre a gravement sous-estimé le coût des travaux nécessaires faute d'avoir pris en compte l'ensemble des contraintes techniques du marché. Aucun élément du dossier ne permettant de valider l'évaluation initiale du maître d'œuvre, le niveau élevé des offres par rapport à cette estimation ne peut constituer un indice de l'existence d'une entente entre les dépositaires de ces offres.
36. S'agissant de l'absence d'étude préalable, les entreprises SNATP et BSTP affirment, dans leurs observations en réponse à la notification de griefs, qu'une étude a bien été effectuée à l'initiative de la SNATP. De fait, cette dernière société a annexé à ses observations l'étude, intitulée "Commune de Pontacq Assainissement eaux usées - Programme 1998-1999", qui a été réalisée par un consultant extérieur avec lequel elle travaillait régulièrement à l'époque. Cette étude, datée du 16 novembre 1998, a donné lieu à l'établissement d'une facture du 30 novembre 1998, adressée à la SNATP. Dès lors, le deuxième indice relevé à la charge du groupement en cause doit également être écarté.
37. Enfin, la SNATP explique les similitudes de prix dénoncées en indiquant "qu'elles portent généralement sur des prix qui figurent dans tous les bordereaux de prix et qui sont le fruit d'un calcul récurrent, techniquement bien établi, ce qui ne permet bien souvent pas d'y déroger" et qu'"elles résultent de la présentation arrondie des prix résultats de l'étude". Aucun élément du dossier ne permet de contredire ces indications. Or, le seul constat d'une situation pouvant relever d'un parallélisme de comportement et à l'appui de laquelle sont fournies des explications a priori plausibles, ne peut suffire à établir l'existence d'une entente.
38. Il résulte de ce qui précède que les éléments recueillis ne constituent pas un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes pour apporter la preuve de la participation des sociétés BSTP et SNATP à une entente anticoncurrentielle.
2. SUR LES GRIEFS NOTIFIÉS AUX SOCIÉTÉS SOGEA ET SADE
39. Les entreprises SADE et SOGEA font valoir qu'il n'existe au dossier aucun indice démontrant qu'elles auraient déposé des offres de couverture après s'être concertées avec les autres entreprises mises en cause pour convenir de l'attribution du marché au groupement Bayol/SOBATP.
40. Outre le niveau élevé des offres déposées, indice réfuté au paragraphe 35 ci-dessus, le rapport a relevé à la charge des sociétés SOGEA et SADE le fait qu'elles ont proposé un prix P203 identique et que, de plus, la société SADE n'aurait effectué aucune étude préalable au dépôt de son offre.
41. Toutefois, un ingénieur chef de centre de la société SADE a affirmé, dans un procès-verbal du 18 mai 1999: "J'ai effectivement réalisé l'étude du marché de travaux d'assainissement des eaux usées de la commune de Pontacq, je vous confirme que n'ayant pas eu le marché, nous n'avons pas conservé le dossier. L'étude a été réalisée soit sur PROTEE, logiciel interne à la SADE, soit de façon manuscrite". Quant à l'entreprise SOGEA, elle a, pour sa part, rappelé dans son mémoire en réponse au rapport "avoir réalisé une étude très poussée et détaillée dans le cadre de l'appel d'offres concerné, ce qui n'a jamais été contesté ni dans le rapport administratif ni dans la notification de griefs ni le rapport du rapporteur". Cette affirmation est confortée par les déclarations du directeur de l'activité TP hydraulique de SOGEA à Pessac, recueillies par procès-verbal du 4 juin 1999 (cote 408) et suivant lesquelles: "les études pour ce marché ont été faites par la SOGEA à Pessac. Les prix sont arrêtés avec le chef d'agence à Anglet (64) qui est depuis parti à la retraite".
42. En revanche, aucune explication plausible ne peut être trouvée au fait que les sociétés SADE et SOGEA aient, toutes deux, proposé un prix identique de 2 099 200 francs pour la prestation cotée P203, alors qu'elles ont elles-mêmes insisté sur les difficultés qu'elles avaient rencontrées dans l'évaluation des coûts de ce poste, qualifié de "fourre-tout", et qui comprenait 10 sous-rubriques dans le détail fourni par l'entreprise. Elles ont, notamment, dénoncé les erreurs et les imprécisions entachant, selon elles, l'estimation initiale du maître d'œuvre qui, de ce fait même, ne pouvait leur servir de référence commune.
43. La société SOGEA ne fournit aucune explication sur cette identité de prix. La société SADE soutient qu'elle est simplement le fruit du hasard, la probabilité que deux entreprises, parmi les cinq dont les offres ont été étudiées, parviennent à la même estimation étant, selon elle, forte: "d'un strict point de vue mathématique, il existait plus de deux chances sur trois que deux des cinq entreprises retenues par la notification de griefs proposent le même prix. Le calcul de probabilité que deux au moins de ces 5 offres soient identiques donne pour résultat 0,70. Il y avait donc 70 % de chances que deux au moins de ces 5 entreprises proposent le même prix P203 parmi ces dix prix, à supposer que les deux entreprises aient répondu au hasard".
44. Cependant, le calcul de probabilité effectué par la société SADE présente plusieurs biais qui faussent son résultat. En premier lieu, ce calcul est implicitement basé sur l'hypothèse selon laquelle, les prix constatés ex-post s'échelonnant de 1 190 francs à 1 280 francs le mètre linéaire, les entreprises n'auraient eu, au moment où elles ont établi leurs offres, que le choix de prix situés dans cette fourchette et arrondis à la dizaine de francs près, hypothèse que rien ne justifie. De plus, les sommes totales auxquelles parviennent SADE et SOGEA pour le prix litigieux sont, en réalité, le résultat de l'addition de plusieurs sous-totaux, le poste P203, étant composé de 10 rubriques, et la probabilité que deux des cinq entreprises déposent, par pure coïncidence, des offres identiques pour chacune de ces dix rubriques est, en réalité, très faible.
45. Pour autant, l'instruction n'a relevé aucun élément laissant présumer que les entreprises SOGEA et SADE, qui n'avaient, au surplus, aucun lien financier, juridique ou personnel avec le groupement Bayol/SOBATP, attributaire du marché, auraient, comme le leur reproche le grief, "participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner par concertation préalable aux dépôts des offres le groupement moins-disant".
46. En conséquence, les entreprises SADE et SOGEA sont mises hors de cause.
3. SUR LES GRIEFS NOTIFIÉS AUX SOCIÉTÉS DU GROUPE ETCHART (SOBATP, HIRIART ET CEGETP) ET À LA SOCIÉTÉ BAYOL
47. Les sociétés Bayol et SOBATP, d'une part, et les sociétés Hiriart et CEGETP, d'autre part, qui ont présenté des offres en groupement, contestent s'être concertées entre elles pour convenir de l'attribution du marché au groupement Bayol/SOBATP.
48. Cependant, les déclarations du président de la société Hiriart, M. A., et du chargé d'affaires de la société CEGETP, M. H., reproduites au paragraphe 28 ci-dessus, établissent sans équivoque qu'a été prise, au niveau du groupe Etchart auquel appartiennent ces deux entreprises, la décision de faire en sorte que la société SOBATP, qui appartenait aussi au groupe précité et qui était "très intéressée par l'obtention du marché", réalise ce marché, pour lequel elle a effectivement déposé une offre en groupement avec la société Bayol. Les représentants des entreprises Hiriart et CEGETP ont, de plus, confirmé n'avoir réalisé "aucune étude particulière" pour répondre à l'appel d'offres et s'être contentés de recopier l'étude communiquée par le co-gérant de la société CEGETP, qui était également directeur de la SOBATP.
49. Les sociétés du groupe Etchart font encore valoir pour leur défense que le maître d'œuvre ne pouvait ignorer les liens unissant ces trois entreprises, qui "appartiennent notoirement au groupe Etchart et qui partagent le même logo".
50. Aux termes d'une jurisprudence constante, qui a été rappelée dans la décision 03-D-01 relative au comportement des sociétés du groupe "Air Liquide" dans le secteur des gaz médicaux, le Conseil considère, cependant, qu'il est loisible à des entreprises, ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt des offres. Il est également loisible à des entreprises, ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de renoncer, généralement ou ponctuellement, à cette autonomie commerciale, à l'occasion des mises en concurrence ou d'une mise en concurrence et de se concerter pour décider quelle sera l'entreprise qui déposera une offre ou de se concerter pour établir cette offre, à la condition de ne déposer qu'une seule offre.
51. En revanche, si de telles entreprises déposent plusieurs offres, la pluralité de ces offres manifeste l'autonomie commerciale des entreprises qui les présentent et l'indépendance de ces offres. Mais, si ces offres multiples ont été établies en concertation, ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, ces offres ne sont plus indépendantes. Dès lors, les présenter comme telles trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence et cette pratique a, en conséquence, un objet ou, potentiellement, un effet anticoncurrentiel. Il est, par ailleurs, sans incidence sur la qualification de cette pratique que le responsable du marché ait connu les liens juridiques unissant les sociétés concernées, dès lors que l'existence de tels liens n'implique pas nécessairement la concertation ou l'échange d'informations.
52. Quant aux similitudes de prix plus particulièrement révélées par l'examen des études détaillées du prix P203, fournies par les sociétés Bayol et Hiriart au maître d'œuvre sur sa demande, elles n'ont reçu aucune explication plausible autre que la transmission de l'étude détaillée de prix établie par le groupement Bayol/SOBATP au groupement Hiriart/CEGETP. Ces sous-détails de prix montrent, en effet, qu'ils ont été établis, dans les deux cas, sur la base des mêmes choix techniques alors que ces choix ne pouvaient être déduits des indications fournies dans le dossier d'appel d'offres.
53. Ainsi, le choix de la profondeur moyenne des tranchées est, comme il a été indiqué au paragraphe 28 ci-dessus, de 2,70 m pour les deux groupements, au lieu des 2,30 m préconisés par le maître d'œuvre dans ses plans d'accompagnement et des 2 m 60 retenus dans l'étude d'un ingénieur-conseil expert près d'une cour d'appel, en date du 19 novembre 2001, effectuée à la demande de la SOBATP (cote 897). A ce propos, les sociétés du groupe Etchart croient pouvoir souligner dans leurs observations: "Seul l'examen des profils en long figurant dans les plans du DCE a permis la détermination d'une profondeur moyenne estimée par les entreprises SOBATP, Hiriart et GEGETP à 2,7 m" tandis que la société Bayol ne fournit pas d'explication sur le choix de la profondeur à 2,70 m et évoque simplement le fait qu' "il convient de relever que cette profondeur moyenne n'a jamais été évoquée dans les dossiers et documents remis aux entreprises". Cependant, ces déclarations sont contraires à celles du maître d'œuvre rapportées au paragraphe 26 et selon lesquelles la profondeur pouvait se déduire des plans d'accompagnement. La société SOGEA écrit à ce propos que "la profondeur de tranchée prise en compte dans l'élaboration du prix P203 ne peut en aucun cas se limiter à la profondeur moyenne de 2,3 m, même si le profil en long fourni au dossier d'appel d'offres permet de l'estimer".
54. De même, les indications portées en ce qui concerne les revêtements provisoires et définitifs destinés à la réfection de la chaussée font apparaître que les entreprises Bayol et Hiriart ont l'une et l'autre retenu une largeur de tranchée de 1,30 m alors que le dossier d'appel d'offres préconisait une largeur de la tranchée type de 1,15 m. Dans leurs observations en réponse à la notification de griefs, les sociétés du groupe Etchart soutiennent que la largeur de 1,30 m est donnée par "un tableau de détermination des largeurs conforme au fascicule 70 et au bordereau Charte qualité utilisé par la plupart des maîtres d'œuvre" et est retenue par d'autres maîtres d'ouvrage pour des marchés similaires (cote 596). Elles fournissent cependant une nouvelle évaluation du prix P203 fondée sur l'étude de l'ingénieur-conseil expert, précitée, qui retient une largeur type de 1 m 35. Par ailleurs, la société SOGEA produit, à l'appui de ses observations en réponse à la notification de griefs, une nouvelle estimation du prix unitaire n° P203 "calculé suivant le bordereau de prix de la charte de qualité agence de l'eau Adour Garonne Gironde", dans laquelle la largeur de tranchée est de 1,50 m (cote 582).
55. L'étude de l'ingénieur-conseil expert missionné par la SOBATP souligne, par ailleurs, les contradictions contenues dans les documents du marché en ce qui concerne la nature du revêtement de chaussée. Ainsi, tandis que le bordereau des prix unitaires (BPU) prévoit que le revêtement provisoire sera en grave émulsion (enrobé à froid) sur 5 cm d'épaisseur, le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) indique, à l'article 5.8.6, en contradiction avec son article 5.8, un rétablissement de la chaussée par un bicouche (revêtement superficiel mélangeant émulsion de bitume chaude et gravillons froids). Le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) dispose, en son article 2, que s'il y a contradiction entre les pièces constitutives du marché, le CCTP prévaut sur le BPU mais il y a, en réalité, selon l'étude, dans le dossier du marché de Pontacq, "trois prescriptions différentes, dont deux sont dans le CCTP, parfaitement contradictoires". Cependant, les deux groupements Bayol-SOBATP et Hiriart-CEGETP ont, l'un et l'autre, retenu, dans le sous-détail du prix P203, un revêtement provisoire en grave émulsion. Ce choix identique, au surplus contraire aux préconisations du CCTP qui devaient prévaloir sur celles du BPU, demeure inexpliqué.
56. La société Bayol, mandataire du groupement constitué avec la société SOBATP et qui a signé l'étude détaillée du prix P203 transmise au maître d'œuvre, ne pouvait ignorer que les mêmes estimations avaient été utilisées dans l'offre déposée par le groupement Hiriart/CEGETP, et que celle-ci constituait, de fait, une offre de couverture.
57. Il résulte du faisceau d'indices graves, précis et concordants ainsi relevés que les sociétés Bayol, Hiriart, Cegetp et Sobatp ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
4. SUR LES SANCTIONS
58. L'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit, dans sa rédaction applicable aux pratiques en cause, que le Conseil de la concurrence peut "infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est pour une entreprise de 5 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé en France au cours du dernier exercice clos (.)".
59. Pour apprécier la gravité des faits, il y a lieu de tenir compte de ce que les pratiques retenues ont eu pour objet et pu avoir pour effet de faire échec au déroulement normal de la procédure d'appel d'offres organisée pour une mise en concurrence des entreprises. Les pratiques anticoncurrentielles recensées sont répréhensibles du seul fait de leur existence, peu important que leur auteur ait, en définitive, obtenu ou non le marché ou que celui-ci ait été annulé pour d'autres raisons que celles tenant au respect des règles de concurrence, car ces pratiques ont abouti à fausser le jeu de la concurrence que les règles des marchés publics ont pour objet même d'assurer.
60. La concertation dont il s'agit en l'espèce s'est traduite par des surcoûts à la charge de la collectivité locale de Pontacq. Le maître d'ouvrage a été contraint d'examiner la seule variante dont le montant était le moins éloigné de l'estimation du maître d'œuvre, en négociant de gré à gré avec le groupement concerné, ce qui ne permet d'optimiser ni le prix ni la qualité de la prestation proposée. Le caractère sous-optimal des caractéristiques techniques de la variante retenue a, d'ailleurs, été dénoncé par le maître d'œuvre.
61. Il résulte des constatations précédentes que la société Bayol a participé à une entente, par le biais d'une concertation préalable au dépôt des offres, en proposant l'offre la moins-disante, en collaboration avec l'entreprise SOBATP, afin d'obtenir le marché. Le chiffre d'affaires du dernier exercice clos de la société Bayol s'est élevé à 5 763 265 euros; en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 58 000 euros.
62. Il résulte des constatations précédentes que la société SOBATP a participé à une entente, par le biais d'une concertation préalable au dépôt des offres, en proposant l'offre la moins-disante, en collaboration avec la société Bayol, afin d'obtenir le marché. Le chiffre d'affaires du dernier exercice clos de la société SOBATP s'est élevé à 4 844 327 euros; en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 48 000 euros.
63. Il résulte des constatations précédentes que la société Hiriart a participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner, par concertation préalable au dépôt des offres, le groupement le moins disant. Le chiffre d'affaires du dernier exercice clos de la société Hiriart s'est élevé à 4 193 950 euros; en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 42 000 euros.
64. Il résulte des constations précédentes que la société CEGETP a participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner, par concertation préalable au dépôt des offres, le groupement le moins-disant. Le chiffre d'affaires du dernier exercice clos de la société CEGETP s'est élevé à 6 549 357 euros; en fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 65 000 euros.
DECISION
Article 1: Il est établi que les sociétés SEE CAMILLE Bayol, SOBATP, Jean HIRIART, CEGETP ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du livre IV du Code de commerce.
Article 2: Sont infligées les sanctions suivantes:
- pour la société SEE CAMILLE Bayol: 58 000 euros
- pour la société SOBATP: 48 000 euros
- pour l'entreprise Jean HIRIART: 42 000 euros
- pour la société CEGETP: 65 000 euros
Article 3: Il n'est pas établi que les sociétés SADE Compagnie Générale de Travaux Hydrauliques, EFFIPARC SUD OUEST anciennement dénommée SOGEA Sud-Ouest, SNATP et BSTP ont, en infraction avec les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, participé à une entente en pratiquant une offre de couverture ayant pour objet de désigner par concertation préalable au dépôt des offres le groupement le moins-disant.