CA Paris, 14e ch. A, 30 avril 2003, n° 2003-01190
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sanofi Synthelabo France (SA)
Défendeur :
Yamanouchi Pharma (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
Mme Percheron, M. Beaufrère
Avoués :
SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, Me Pamart
Avocats :
Mes Henriot-Bellargent, Samyn.
Vu l'appel formé le 17 janvier 2003 par la société Sanofi Synthelabo France d'une ordonnance rendue le 23 décembre 2002 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris, qui lui a interdit sous astreinte de publier des documents publicitaires pour un médicament contenant la mention "soulage l'ensemble des symptômes prostatiques et vésicaux" et a ordonné la publication de cette interdiction dans trois revues médicales,
Vu les conclusions du 7 mars 2003, par lesquelles la société Sanofi Synthelabo France demande à la cour, à titre principal, d'annuler l'ordonnance entreprise et de condamner la société Yamanouchi Pharma à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, subsidiairement, de la réformer, de lui donner acte qu'elle a cessé la diffusion des documents litigieux, de rejeter les demandes d'astreinte et de publication des décisions de justice, de dire n'y avoir lieu de commettre un huissier pour constater le rappel des documents publicitaires en circulation, qu'elle s'engage à effectuer aux besoins dans les huit jours de la signification de l'arrêt et, en tout état de cause, de condamner la société Yamanouchi Pharma à lui payer la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions du 27 février 2003, par lesquelles la société Yamanouchi Pharma demande à la cour de déclarer irrecevable la demande d'annulation de l'ordonnance de la société Sanofi Synthelabo France, de confirmer celle-ci pour les mesures prises, de l'infirmer partiellement pour le surplus, de constater que les mentions incriminées sont illicites, d'interdire en conséquence la diffusion des documents litigieux sous astreinte de 3 000 euros par infraction constatée, de désigner un huissier pour contrôler la reprise par la société Sanofi Synthelabo France et la destruction de ces documents diffusés auprès des visiteurs médicaux et des médecins, sous astreinte de 30 000 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours, de l'autoriser à effectuer les publications judiciaires nécessaires en cas de carence de la société Sanofi Synthelabo France et de condamner celle-ci à payer une somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Considérant que la société Sanofi Synthelabo France a diffusé en janvier et septembre 2002 auprès des médecins des publicités pour un médicament dénommé "xatral", destiné au traitement des symptômes fonctionnels de l'hypertrophie bénigne de la prostate; que la société Yamanouchi Pharma, fabricant d'un médicament concurrent dénommé "omix", l'a assignée en référé pour voir supprimer de ces publicités des mentions qu'elle estime illicites; que le premier juge a fait droit en partie à cette demande, en interdisant à la société Sanofi Synthelabo France d'utiliser la mention "soulage l'ensemble des symptômes prostatiques et vésicaux", a ordonné la publication de cette interdiction dans trois revues de la presse médicale et a rejeté les autres demandes de la société Yamanouchi Pharma; que la société Sanofi Synthelabo France a relevé appel de cette décision;
Sur la procédure:
Considérant que la société Sanofi Synthelabo France, qui n'a pas sollicité du premier juge la nullité de l'assignation délivrée suivant la procédure prévue par l'article 486, alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile et qui a pu répondre en connaissance de cause aux prétentions adverses, n'est pas fondée à poursuivre l'annulation de l'ordonnance entreprise;
Sur les mesures de référé:
Considérant que, pour contester la décision attaquée, la société Sanofi Synthelabo France fait valoir que les mentions incriminées et les références figurant dans ses publicités sont exactes et ne contreviennent pas aux dispositions légales; que, plus particulièrement, ces publicités se rapportant expressément à l'hypertrophie bénigne de la prostate, comme il y est indiqué clairement à plusieurs endroits, la mention "soulage l'ensemble des symptômes vésicaux et prostatiques" n'est pas susceptible d'induire en erreur des praticiens, qui, au surplus, connaissent les indications thérapeutiques d'un médicament couramment prescrit depuis de nombreuses années;
Considérant, cependant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 121-1 du Code de la consommation et R. 5047-1 du Code de la santé publique que les publicités pour des médicaments adressés aux professionnels de la santé doivent, sans ambiguïté due notamment à leur présentation, ni risque d'erreur, permettre aux praticiens de se faire une idée personnelle de la valeur thérapeutique de ces médicaments;
Or, considérant en l'espèce que la société Sanofi Synthelabo France reconnaît que le médicament "xatral" est uniquement destiné au traitement symptomatique de l'hypertrophie bénigne de la prostate et ne saurait, comme l'indiquent les publicités, "soulager l'ensemble des symptômes" liés aux différentes pathologies de la prostate;que s'il est exact que les documents publicitaires en cause rappellent à deux endroits que ce médicament concerne le traitement de l'hypertrophie bénigne de la prostate, la présentation retenue par la société Sanofi Synthelabo France met nettement en évidence la mention contestée;que dans la publicité éditée en janvier 2002, cette mention figure dans un encadré de pleine page disposé de manière telle que l'ouverture du dépliant lui confère une place centrale dans le document et, attirant inévitablement le regard des lecteurs, en constitue en réalité l'un des messages principaux; que, suivant la même disposition générale, la publicité de septembre 2002 renforce cette insistance en plaçant le mot "l'ensemble" en lettres blanches de grand caractère sur fond rouge, adoptant la même typographie que le mot "prouvée" figurant dans la même page dans l'expression "une efficacité prouvée sur la vessie et la prostate; que, dans ces deux documents, la limitation de l'efficacité du "xatral" aux seuls symptômes de l'hypertrophie bénigne de la prostate ne figure pas sur la même page, mais sur d'autres parties du dépliant, qui en deviennent le verso à l'ouverture;
Considérant qu'il résulte de ces éléments que, par une présentation habilement tendancieuse, la société Sanofi Synthelabo France vise à persuader les médecins destinataires de l'existence de propriétés du "xatral" plus étendues que celles médicalement admises;que le glissement ainsi opéré dans le même document entre des données médicales établies et reconnues et des affirmations inexactes, mais volontairement mises en exergue, contrevient aux règles ci-dessus rappelées en matière de publicité pour les médicaments, qui impose, compte tenu de la nature et de l'usage thérapeutique de ces produits, une rigueur particulière dans leurs présentations publicitaires;que la mention contestée constitue ainsi un trouble manifestement illicite, dont le premier juge a, dès lors qu'il n'est pas prouvé que la diffusion de l'ensemble des documents publicitaires en cause ait effectivement cessé, ordonné la cessation par des mesures appropriées qu'il convient de confirmer;
Considérant, en revanche, que les autres mentions incriminées par la société Yamanouchi Pharma ne représentent pas une violation suffisamment manifeste des dispositions légales pour justifier, en référé, leur interdiction; que même s'ils sont scientifiquement contestables, les termes "anti-prostatique" et "pro-vésical" ne comportent pas pour les médecins prescripteurs, en raison de leur généralité, le même risque d'ambiguïté que la mention "soulage l'ensemble des symptômes vésicaux et prostatiques", qui fait référence à un effet thérapeutique direct; que l'indication selon laquelle le "xatral" provoque une "diminution de l'obstruction infra-vésical", qui figurait sur la publicité du mois de janvier 2002 et qui n'est pas cliniquement vérifiée chez l'homme, a été supprimée et n'est plus revendiquée par la société Sanofi Synthelabo France; que le premier juge a donc justement considéré qu'il n'y avait pas lieu d'interdire en référé l'emploi de ces mentions dans les documents publicitaires relatifs au "xatral";
Considérant qu'en l'état, l'astreinte qui assortit l'interdiction confirmée par le présent arrêt suffit à assurer l'exécution de la mesure, sans qu'il soit nécessaire, comme le demande la société Yamanouchi Pharma, de désigner un huissier pour vérifier le retrait des publicités illicites par la société Sanofi Synthelabo France; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande;
Considérant que, s'agissant avant tout d'un différend de nature commerciale entre laboratoires pharmaceutiques concurrents, la mesure de publication ordonnée par le premier juge n'apparaît pas nécessaire à la sauvegarde des droits des parties ou des intérêts des tiers; qu'il convient d'infirmer ce chef de l'ordonnance attaquée;
Considérant que la confirmation de l'interdiction prononcée par le premier juge commande de mettre à la charge de la société Sanofi Synthelabo France les frais de la procédure d'appel, dans les limites fixées au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs, Déclare recevable l'appel de la société Sanofi Synthelabo France, Confirme l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Paris du 23 décembre 2002, sauf la disposition ordonnant à la société Sanofi Synthelabo France de publier l'interdiction dans trois revues de la presse médicale, Dit n'y avoir lieu à référé de ce chef, Condamne la société Sanofi Synthelabo France à payer à la société Yamanouchi Pharma la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Sanofi Synthelabo France aux dépens, qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.