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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 29 septembre 2000, n° 1998-16778

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chagnon (Epoux), Bellegueille (Epoux)

Défendeur :

Fina France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacomet

Conseillers :

Mmes Collot, Radenne

Avoués :

SCP Roblin-Chaix De Lavarene, SCP Dauthy-Naboudet

Avocats :

Mes Pinto, Regnault

T. com. Paris, 8e ch., du 20 mai 1998

20 mai 1998

LA COUR est saisie de l'appel, déclaré le 10/07/1998, d'un jugement rendu le 20/05/1998, par le Tribunal de commerce de Paris.

L'objet du litige porte essentiellement sur les demandes de la SA Fina France en paiement de diverses sommes au titre des contrats successifs de location-gérance situés à Carcassonne et Albi, qui l'avaient liée aux époux Chagnon, à la suite de la dénonciation, le 18/05/1995, par ceux-ci du dernier de ces contrats. Les demandes de la SA Fina France sont dirigées tant contre les époux Chagnon que contre les époux Bellegueille, qui s'étaient portés cautions solidaires de leurs engagements. Pour s'opposer à ces prétentions, les époux Chagnon et Bellegueille, à titre principal, sollicitent la requalification des contrats en mandats, se prévalent du non-respect du délai contractuel de réflexion, et de l'absence de paiement des minima garantis, et soutiennent que la SA Fina France serait à l'origine de la rupture.

Le tribunal a statué ainsi qu'il suit :

- condamne solidairement à titre provisionnel M. et Mme Chagnon à payer à la SA Fina France une somme de 500 000 F augmentée des intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter du 13 mars 1996,

- condamne solidairement M. et Mme Bellegueille en leur qualité de cautions à payer à la SA Fina France une somme de 408 159,14 F augmentée des intérêts au taux légal majoré de 5 points à compter du 13 mars 1996,

- et pour le surplus, avant dire droit, désigne M. Pierre Touchard en qualité d'expert avec la mission de:

* examiner les comptes de M. et Mme Chagnon,

* analyser les dépenses et les recettes,

* donner son avis sur les réintégrations et déductions pratiquées ou demandées par les parties,

* indiquer au regard de la rémunération brute de référence prévue dans les AIP si M. et Mme Chagnon ont reçu de Fina les minimums garantis. D'une manière générale, donner son avis sur les comptes présentés, faire les comptes entre les parties et leur donner, autant que faire se peut, les moyens de se rapprocher,

* fixe à 6 000 F le montant de la provision à consigner par Fina avant le 1er juin 1998,

- réserve les dépens pour cette partie du dispositif,

- dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif du présent jugement, les en déboute respectivement,

- ordonne l'exécution provisoire sans constitution de garantie,

- condamne les défendeurs à payer à la SA Fina France la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamne les défendeurs aux dépens.

Les époux Chagnon et Bellegueille, appelants, demandent à la cour de :

- infirmer le jugement,

- statuant à nouveau, vu les articles 12 du nouveau Code de procédure civile et 1134 du Code civil, 94 du Code de commerce, 2000 du Code civil, vu les accords professionnels, vu la loi Doubin,

- dire et juger que les relations commerciales entre la société Fina et les époux Chagnon se caractérisent par un contrat de commissionnaire,

- en conséquence, condamner la société Fina au versement d'une somme de 428 623 F au titre des minimums garantis dus aux époux Chagnon par la société Fina sur le fondement des accords professionnels,

À titre subsidiaire, condamner Fina au versement d'une somme de 345 094 F,

- dire et juger que l'article 1 de la loi Doubin et les AIP n'ont pas été respectés,

- dire en conséquence que le consentement des époux Chagnon a été vicié, et que la société Fina a engagé sa responsabilité contractuelle,

- dire et juger que la société Fina porte la responsabilité de la rupture,

- en conséquence, la condamner au versement de deux années de commissions, à titre de dommages-intérêts, soit 400 000 F sauf à parfaire à dire d'expert,

À titre infiniment subsidiaire, dire et juger que Fina est tenue de respecter les dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail dans ses relations avec les époux Chagnon,

- la condamner en conséquence à leur payer le montant des salaires en heures normales et en heures supplémentaires,

- dire et juger que ces sommes seront revalorisées à dire d'expert, dont Fina, débitrice de l'obligation, aura la charge,

- dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal capitalisés à compter du 25 juillet 1995, date de la fin de l'exploitation,

- condamner la société Fina au versement d'une somme de 80 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La SA Fina France, intimée, demande à la cour de:

- confirmer le jugement,

- condamner M. et Mme Chagnon à lui payer la somme de 500 000 F augmentée des intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 13 mars 1996,

- condamner solidairement M. et Mme Bellegueille à lui payer la somme de 408 159,14 F augmentée des intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 13 mars 1996,

- condamner solidairement M. et Mme Chagnon et M. et Mme Bellegueille à lui payer la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

La cour, en ce qui concerne les faits, la procédure, les moyens et prétentions des parties, se réfère au jugement et aux conclusions d'appel.

Sur ce

Considérant que, pour critiquer le jugement sur les condamnations prononcées, les appelants revendiquent l'application des dispositions de l'article 2000 du Code civil, en soutenant que les contrats litigieux devraient être requalifiés en contrats de mandat, puisque, selon eux, la société Fina France, fournisseur exclusif des produits pétroliers fixait elle-même les prix de vente à la pompe, que les époux Chagnon n'étaient ni maîtres de leurs charges d'exploitation, ni des recettes de celle-ci, qu'ils ont, en fait, réalisé au nom et pour le compte de la société Fina, la vente en exclusivité de ses produits, selon des conditions de fonctionnement, des modalités de livraison et des tarifs imposés par cette société, en sorte qu'ils ne bénéficiaient pas de l'indépendance qui caractérise le contrat de location-gérance;

Considérant qu'il n'est pas discuté que chacun des contrats était conclu pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction, plaçait les obligations des parties sous le régime juridique de la location-gérance, portait sur l'exploitation d'un fonds de commerce de station-service, vente de carburants, lubrifiants, lavage, graissage, vidange, petit entretien, contrôle, vente et pose de pneumatiques et d'accessoires pour automobiles et automobilistes, shop ;

Considérant que le premier de ces contrats stipulait notamment:

- le versement d'une redevance annuelle de 112 500 F payable par douzième,

- une clause d'exclusivité (article III) selon laquelle les locataires gérants réservaient à la SA Fina France, l'exclusivité de la fourniture de tous les produits et assimilés (carburants, lubrifiants et autres sources d'énergie) nécessaires au fonctionnement des moteurs de véhicules ou à l'usage de combustibles dans la mesure toutefois, où ces produits sont fabriqués ou distribués par Fina, les preneurs étant libres du choix de leurs fournisseurs pour tous les autres produits et articles et du choix des services qu'ils offrent, à condition que leur nature et leur importance ne modifient pas la destination du fonds de commerce donné en location-gérance et ne soient pas préjudiciables à la vente des produits pétroliers constituant l'activité de base de la station-service et n'altèrent pas l'image de marque de Fina, cette clause prévoyant, en outre, l'interdiction aux preneurs de vendre des produits et articles commercialisés par une société pétrolière concurrente, dans l'hypothèse où Fina commercialiserait un produit équivalent sous sa propre marque;

Considérant que, parallèlement, et par acte du même jour, la SA Fina France consentait aux époux Chagnon un crédit fournisseur pour un montant de 220 000 F pour lequel les époux Bellegueille, par acte du 23/09/1993 se portaient cautions solidaires;

Considérant que le second contrat stipulait, entre autre pour sa part:

- une redevance annuelle de 72 000 F payable par douzième,

- une clause d'exclusivité (article 2-1) ainsi rédigée:

" Pendant toute la durée du présent contrat, eu égard aux droits de Fina sur l'ensemble des installations et équipements du fonds de commerce en ce incluses les installations de graissage et de vidange d'huile ainsi que sur la clientèle, les preneurs réservent à Fina l'exclusivité de leurs achats :

a) de carburants pour véhicule à moteur et/ou de combustibles

b) de lubrifiants ou produits pétroliers connexes utilisés dans la station-service eu égard à la mise à disposition par Fina des installations de graissage ou d'équipements de vidange d'huile et s'engagent à maintenir constamment un stock des produits sus-mentionnés adéquat pour répondre en toutes circonstances, sauf force majeure, à la demande de la clientèle de Fina "

Considérant que, parallèlement et par acte du même jour la société Fina France consentait aux époux Chagnon un crédit fournisseur pour un montant de 300 000 F pour lequel, les époux Bellegueille, par acte du 02/07/1994 se portaient cautions solidaires;

Considérant que la société Fina France ne demeurait pas propriétaire du stockce que contredisent les stipulations contractuelles ;

Considérant que, si le prix de vente des carburants par la société Fina France aux époux Chagnon, était fixé d'un commun accord après communication par ceux-ci à la société Fina France des prix de détail pratiqués par les distributeurs concurrents les plus proches, les documents contractuels prévoyant que le prix facturé par la société Fina France serait au maximum le prix le plus élevé constaté dans chaque catégorie de produits, diminué de 14 centimes HT, il ne saurait en être déduit que la société Fina France imposait un prix de revente au détail, ce qui eût été contraire aux conditions générales de location-gérance, selon lesquelles les preneurs fixent librement et sous leur responsabilité leurs prix de revente au détail, dès lors, d'une part que cette limitation de la liberté de fixation n'était que la conséquence des conditions de la concurrence imposant un alignement sur les prix des distributeurs concurrents et non d'une décision du fournisseur, d'autre part, que le dispositif mis en place par les stipulations contractuelles avait seulement pour effet de permettre aux époux Chagnon de dégager une marge minimale par litre sur la base du prix le plus élevé pratiqué par les concurrents directs ;

Considérant qu'il s'en suit que, les appelants n'établissant pas que les relations contractuelles étaient d'une nature, autre que l'achat de produits en vue de la revente, ils ne peuvent qu'être déboutés de leur demande de requalification de contrat et que, par voie de conséquence, les dispositions de l'article 2000 du Code civil ne sont pas applicables ;

Considérant qu'après avoir sollicité la requalification des contrats de location-gérance, des 04/06/1993 pour la station-service de Carcassonne et du 30/06/1994 pour celle d'Albi, les appelants ont invoqué, pour chacun de ces contrats, le non-respect du délai de réflexion, en se prévalant, en substance, de ce dernier chef, des dispositions des accords interprofessionnels, signés le 12/01/1994, qui prévoient un délai de réflexion et une information préalable, de ce que ces accords ne seraient qu'une application de l'article 1 de la loi, dite Doubin, du 31/12/1989, de ce que la SA Fina France n'aurait pas, avant la signature de ces contrats, remis, le document prévu par ce dernier texte ni laissé un délai de réflexion, en sorte que les époux Chagnon n'auraient pu apprécier la réalité économique du contrat, la situation concurrentielle du site et la portée des reconnaissances de dettes qu'ils ont signées, et qu'il s'en suivrait que la SA Fina France aurait engagé sa responsabilité contractuelle à leur égard et qu'elle ne pourrait qu'être déboutée de ses demandes;

Considérant qu'il convient de rechercher si la loi dite Doubin du 31/12/1989 est applicable, eu égard aux dispositions d'ordre public de cette dernière ;

Considérant, au vu des stipulations contractuelles précitées, les conventions litigieuses entrent dans le champ d'application de la loi Doubin, dès lors, d'une part, qu'il est manifeste que par de telles conventions, la SA Fina France, qui ne le discute pas sérieusement, a exigé des époux Chagnon un engagement de quasi-exclusivité, d'autre part, que celles-ci prévoient la mise à la disposition de l'enseigne, du nom commercial ou de la marque ce qui n'est pas non plus discuté, et, enfin, qu'il suffit, pour que la loi Doubin soit applicable que les parties soient liées par des stipulations contractuelles prévoyant d'un côté la mise à disposition d'une enseigne, du nom commercial ou de la marque, et d'un autre un engagement de quasi-exclusivité pour l'exercice de l'activité concernée;

Considérant, que, par application de l'article 1 de ladite loi, la SA Fina France était tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des parties de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères qui lui permettent de s'engager, en connaissance de cause,que, selon l'alinéa 2 de cet article, ce document dont le contenu est fixé par Décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitation, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ de ses exclusivités, tandis qu'il résulte du Décret du 04/04/1991, que ces informations portent tant sur l'identification juridique de l'entreprise, le contrat à conclure, que sur des informations d'ordre économique quant au marché et l'expérience professionnelle du fournisseur, le réseau de distribution, la situation de la concurrence ;

Considérant, que, spécialement, selon ce Décret doivent être fournies "une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services faisant l'objet du contrat et des perspectives de développement du marché " tandis que, sauf à priver d'une large portée lesdites dispositions au regard des perspectives de développement du marché, ces informations incluaient la communication de données d'ensemble, eu égard à la spécificité des produits pétroliers, sur le phénomène technique avéré de la dilatation et de la contraction des hydrocarbures, les paramètres nécessaires pour en apprécier la mesure, comme sur les conséquences d'ordre financier, habituellement constatées, découlant de ce phénomène, en ce qui concerne les pertes, hors toute faute du locataire-gérant, et son influence sur la faiblesse du résultat pouvant être obtenu sur les produits ainsi livrés et vendus, seules de nature à permettre au candidat distributeur d'apprécier les efforts à accomplir sur les autres produits pour parvenir à un équilibre de son exploitation et la limite de ce qu'il pouvait accepter pour son endettement initial ;

Considérant qu'il est manifeste que, l'obligation de fournir le document précité, qui doit s'apprécier relativement à chaque contrat, n'a pas été respectée, par la SA Fina France, ce qu'elle ne conteste pas ;

Considérant que la SA Fina France soutient qu'avant ces deux contrats, les époux Chagnon avaient exploité une première station-service, qu'ils avaient effectué un stage de formation de trois semaines, que pour la station-service de Carcassonne ils avaient bénéficié d'un délai de réflexion de trois semaines avant de s'engager, et qu'ainsi, en tout état de cause lors de la location-gérance de la station d'Albi ils étaient des professionnels avertis, parfaitement informés ;

Considérant que cette argumentation est vaine, dès lors, d'une part, que la qualité de professionnels avertis ne saurait résulter de l'exercice de plusieurs locations-gérances, dans trois stations-service différentes sur une période de moins de trois ans,d'autre part, que la SA Fina France, n'indique pas quelle information a été donnée au cours du stage,de troisième part, que le respect de la loi Doubin et donc, la remise des informations précitées s'apprécie, lors de chaque contrat, spécialement, lorsqu'il s'agit de stations-service distinctes,et, enfin que ne saurait s'induire d'un délai de réflexion, allégué seulement pour l'un des contrats, la remise des informations précitées, dont la loi exige qu'elles soient données préalablement et par écrit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède une altération du consentement des époux Chagnon, au moment de la signature de chacun des contrats litigieux, dès lors, d'une part, qu'en l'absence de remise du document précité il incombe à la SA Fina France d'établir la parfaite connaissance exclusive de tout vice de consentement qu'avaient les époux Chagnon lorsqu'ils se sont engagés, d'autre part, que cette société Fina France, ne rapporte cette preuve par aucun élément précis et vérifiable, et, enfin, que, eu égard au contenu du document exigé par la loi et le Décret précités, ces époux Chagnon ont été privés de précisions et d'informations essentielles, qu'il leur était pour certaines, difficiles voire impossible de se procurer ;

Considérant que, par une telle carence, la SA Fina France, a engagé sa responsabilité à l'encontre des époux Chagnon;

Considérant qu'il importe peu que les intimés aient qualifié de contractuelle cette responsabilité qui est quasi-délictuelle, la faute à l'origine du dommage ayant été commise lors de la période qui a précédé la conclusion du contrat, dès lors, d'une part, qu'il appartient au juge de donner aux faits leurs exactes qualifications, d'autre part, que la SA Fina France n'a pu se méprendre sur la faute qui lui était reprochée et l'exacte nature de sa responsabilité, et enfin, que tous les éléments de la responsabilité quasi-délictuelle ont été contradictoirement discutés ;

Considérant que le préjudice résultant de cette faute, ne peut qu'être, l'indemnisation des pertes normales d'exploitation subies à l'occasion de ces contrats, sans qu'il y ait faute, dans le cadre de cette exploitation du locataire-gérant, dès lors que, si ce dernier avait obtenu l'information précitée il aurait pu, soit ne pas conclure soit limiter ses engagements financiers pour parvenir à une gestion équilibrée;

Considérant que, au vu des pièces produites que la société Fina France a réclamé aux époux Chagnon, la somme de 108 159,14 F au titre de l'exploitation de la station-service de Carcassonne et celle de 438 872,77 F au titre de celle d'Albi, soit ensemble 547 031,91 F, ce montant étant ramené à la somme de 500 000 F pour tenir compte de ce que le jugement avait sursis à statuer sur les comptes de l'année 1994, tandis que les époux Chagnon, sollicitent, outre l'infirmation du jugement sur les condamnations prononcées, la somme de 345 094 F ;

Considérant que les sommes réclamées par la SA Fina France, soit le solde de 108 159,14 F sur le montant de 158 832,58 F que les époux Chagnon avaient reconnu devoir au titre de la station-service de Carcassonne et 438 872,77 F au titre de la station-service d'Albi, se rapportent à des dettes normales d'exploitation, ce qui n'est pas sérieusement discuté, dès lors qu'elles ont été générées principalement par les crédits fournisseurs initiaux, outre différentes factures ;

Considérant qu'il y a lieu de rechercher, si hors ces dettes, les époux Chagnon ont subi d'autres pertes normales d'exploitation;

Considérant qu'eu égard à la décision du tribunal qui a sursis à statuer sur les comptes de l'année 1994, il y a lieu de procéder à l'analyse des comptes par année d'exploitation ;

Considérant que, contrairement à ce que prétend la société Fina, l'accord intervenu entre les parties au titre de la gestion de la station-service de Carcassonne, n'exclut pas un réexamen de la situation, dès lors, d'une part, que celui-ci ne vise que les minima garantis par les accords interprofessionnels, d'autre part, qu'il n'a nullement pris en compte un vice du consentement, et, enfin que l'accord dont s'agit se renferme sur son objet ;

Considérant, au vu du jugement, non sérieusement discuté à cet égard, que, pour l'année 1993, après prise en compte du résultat de la station-service de Toulouse, le résultat d'exploitation était positif pour un montant de 94 826 F, auquel il convenait d'ajouter une somme de 55 000 F versée par application des accords interprofessionnels soit ensemble 149 826 F et qu'il s'ensuit que pour cette année les époux Chagnon n'ont pas subi d'autres pertes d'exploitation ;

Considérant, eu égard, à la décision de sursis à statuer du tribunal quant aux comptes de 1994 sur lesquels ce tribunal s'est ultérieurement prononcé, par une décision non soumise à la cour, celle-ci ne peut se prononcer sur les demandes formées pour 1994 ;

Considérant que, relativement aux comptes de l'année 1995, eu égard aux contestations formées par la société Fina, et à l'absence de contradiction sérieuse sur ce point des appelants il y a lieu de déduire de la perte alléguée de 160 492 F les montants suivants 22 536,77 F (marges négatives pour certains produits non justifiées), 73 977 F (chèques impayés et douteux), 47 493,86 F (vol de marchandises) 26 299 F (abandon du stock lors de la fin des relations contractuelles) étant précisé qu'il n'est nullement caractérisé que de telles pertes soient liées à une gestion normale, et qu'elles apparaissent comme le fait, soit d'imprudence ou d'insuffisance, soit comme un refus de collaborer lors de l'inventaire de fin de gestion, qu'allèguent la société Fina France sans être sérieusement contredite à cet égard ;

Considérant qu'il s'en suit que les comptes, avant application des accords interprofessionnels traduisent un résultat positif de 9814,54 F ;

Considérant qu'en vertu de ces accords les appelants réclament une somme de 105 426 F que ne discute pas la SA Fina France, dont il n'est pas discuté qu'elle n'a pas été payée aux époux Chagnon ;

Considérant ainsi qu'au titre de l'année 1995, les époux Chagnon n'ont pas subi d'autres pertes d'exploitation;

Considérant, en conclusion de ce qui précède, et compte tenu de ce qui a été indiqué sur la nature du préjudice subi résultant du non-respect de la loi Doubin, la SA Fina France ne peut qu'être déboutée de ses demandes, sans qu'il y ait lieu de la condamner à payer la somme de 105 426 F, précitée, eu égard à l'exonération des époux Chagnon du paiement des pertes normales d'exploitation ;

Considérant que, au vu de ce qui précède, la demande de la société Fina France, dirigée contre les époux Bellegueille est sans objet ;

Considérant que, vainement les époux Chagnon pour solliciter une somme de 400 000 F, représentant deux années de commission, se prévalent de ce que la société Fina serait à l'origine de la rupture d'un contrat de mandat d'intérêt commun, dès lors, d'une part, que par le non-respect de la loi Doubin, la SA Fina France a engagé non sa responsabilité contractuelle mais quasi-délictuelle, d'autre part que les conséquences de ce manquement ont été réparées ainsi qu'il a été dit, de troisième part, que les obligations réciproques dérivaient non d'un contrat de mandat mais de location-gérance;

Considérant qu'à titre subsidiaire les appelants, pour réclamer un salaire en heures normales et supplémentaires pour l'activité qu'ils ont exercée, se prévalent de l'application des dispositions de l'article L. 781-1 du Code du travail, selon lesquelles " toute personne travaillant dans un local agréé ou fourni à des conditions de travail imposées, dont la tâche consiste à distribuer exclusivement ou quasi exclusivement des produits d'un même fournisseur revendus à des prix imposés, doit être protégée par les dispositions du Code du travail dans ses relations avec le fournisseur ;

Considérant qu'il y a lieu d'examiner cette demande, dès lors, que par le présent arrêt, les prétentions des appelants n'ont pas été intégralement satisfaites ;

Considérant, que comme il a été dit, la société Fina France n'imposait pas les prix de revente au détail des produits qu'elle fournissait, les modalités de fixation du prix étant celles relatives au prix de vente par le fournisseur au distributeur et non celui facturé par ce dernier au détail ;

Considérant que l'éventuelle transmission d'éléments d'information propres à faciliter la gestion n'est pas susceptible d'être regardée comme une instruction à caractère impératif;

Considérant qu'il résulte des stipulations contractuelles que les modalités d'exercice des époux Chagnon n'étaient pas définies et imposées par la SA Fina France, dès lors, d'une part, que selon ces dernières, les locataires-gérants étaient libres, sans qu'une pratique contraire soit établie, de fixer les horaires d'ouverture de la station, de choisir leurs fournisseurs pour les produits autre que ceux visés dans les contrats de fourniture exclusive d'autre part, que les conditions de tenue de la comptabilité n'étaient pas révélatrices d'un lien de subordination, de troisième part, que les appelants se bornent à procéder par affirmations ou à invoquer des jurisprudences sans caractériser par des clauses des contrats ou des faits précis l'existence de directives quant aux modalités d'exploitation et à la politique publicitaire et commerciale des preneurs, dont la liberté en ce domaine est au contraire affirmée, sans qu'il soit démontré que la pratique aurait été différente ;

Considérant qu'il s'en suit que les conditions d'application de l'article précité ne sont pas réunies et que les appelants qui n'établissent aucun lien de subordination dans le cadre d'une relation de travail ne peuvent qu'être déboutés de leurs demandes de ce chef;

Considérant que les conditions d'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne sont pas réunies, le jugement étant réformé sur cet article ;

Considérant qu'il y a lieu de faire masse des dépens de première instance et d'appel qui seront partagés par moitié, entre, d'une part, la SA Fina France et, d'autre part, les époux Chagnon et Bellegueille;

Par ces motifs, Infirme le jugement, Statuant à nouveau et y ajoutant, Déboute la SA Fina France de ses demandes, Rejette le surplus des demandes, Fait masse des dépens de première instance et d'appel qui sont partagés par moitié entre, d'une part la SA Fina France, et, d'autre part, les époux Chagnon et Bellegueille, Admet les avoués chacun en ce qui les concerne au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.