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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 12 décembre 2003, n° 2003-07517

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

LCJ Diffusion (SA)

Défendeur :

Laboratoire Bioderma (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cuinat

Conseillers :

MM. Seltensperger, Maunand

Avoués :

SCP Gaultier-Kistner-Gaultier, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Bremond, Jakubowicz

T. com. Créteil, prés., du 19 mars 2003

19 mars 2003

Vu l'appel formé par la SA LCJ Diffusion contre une ordonnance de référé du 19 mars 2003 rendue par le président du Tribunal de commerce de Créteil qui, faisant droit à la demande de la SARL Laboratoire Bioderma, a:

- donné acte à la SARL Laboratoire Bioderma de son affirmation de pratiquer les mêmes conditions commerciales à tous ses distributeurs et de son impossibilité, par conséquent, de communiquer d'autres conditions commerciales que celle appliquées à la SA LCJ Diffusion;

- constaté, compte tenu de cette affirmation de la SARL Laboratoire Bioderma, que la SA LCJ Diffusion participe à la revente à perte des produits de la gamme "Bioderma" compte tenu du prix d'achat effectif pratiqué par la SARL Laboratoire Bioderma auprès de tous ses clients:

- par conséquent, vu le trouble manifestement illicite:

* fait interdiction à la SA LCJ Diffusion de vendre les produits de la gamme "Bioderma" à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif au sens des dispositions de l'article L. 422-2 du Code de commerce, et ce, sous astreinte définitive de 250 euros par infraction constatée à compter du 8e jour suivant la signification de l'ordonnance, la vente de chaque produit constituant une infraction distincte;

* fait interdiction à la SA LCJ Diffusion de diffuser le catalogue faisant état de prix de vente des produits de la gamme "Bioderma" à un prix inférieur à leur prix d'achat effectif, sous une seconde astreinte de 250 euros par infraction constatée à compter du 8e jour suivant la signification de l'ordonnance, la vente de chaque produit constituant une infraction distincte;

* ordonné la publication de l'ordonnance aux frais de la SA LCJ Diffusion dans la limite de 2 500 euros par publication, dans les revues professionnelles "Le Moniteur" et "Le Quotidien du Pharmacien";

* déclaré qu'il serait compétent pour liquider l'astreinte;

- condamné la SA LCJ Diffusion à payer la somme de 600 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens;

Vu les dernières conclusions du 23 octobre 2003 de la SA LCJ Diffusion, appelante, qui prie la cour, au visa de l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibant les pratiques anticoncurrentielles, de:

- vu le refus de la société Bioderma de communiquer les conditions de vente qu'elle consent de manière dérogatoire par rapport à ses conditions générales, ainsi que les marges arrières dont elle fait profiter ses clients, alors que ses factures établissent l'existence de promotions ne figurant pas dans son barème d'écarts;

- vu la justification par la société LCJ Diffusion de ce qu'elle ne revend pas à perte les produits qu'elle acquiert auprès d'un tiers dont elle refuse par application du secret des affaires de révéler l'identité

- débouter la société Bioderma de toutes ses demandes:

- réformer la décision entreprise, d'autant plus:

* que le premier juge a prononcé une astreinte définitive alors que l'article 34, 3e alinéa, de la loi du 9 juillet 1991 subordonne cette possibilité au prononcé préalable d'une astreinte provisoire;

* qu'en ce qui concerne l'interdiction de diffuser un catalogue, la vente de chaque produit ne peut constituer une infraction distincte, puisque cette vente est déjà prévue au titre d'une autre astreinte;

* que la publication d'une ordonnance de référé dans de telles conditions se heurte à l'évidence à une contestation sérieuse;

- condamner la société Bioderma à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel;

Vu les dernières conclusions du 10 novembre 2003 de la SARL Laboratoire Bioderma, intimée, qui prie la cour de:

- dire et juger injustifié et non fondé l'appel interjeté par la société LCJ Diffusion et l'en débouter;

- confirmer l'ordonnance entreprise, sauf à:

* rectifier l'erreur matérielle commise dans la rédaction de la condamnation à l'astreinte relative à la Diffusion du catalogue LCJ Diffusion, où il faut dire: "..., la diffusion de chaque catalogue (et non "la vente de chaque produit", comme indiqué par erreur) constituant une infraction distincte;

* étendre la mesure de publication à la revue "Cosmétique Magazine", comme il était demandé en première instance;

- condamner la société LCJ Diffusion à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens;

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'au soutien de son appel la SA LCJ Diffusion prétend qu'elle ne revend pas à perte les produits diffusés par la SARL Laboratoire Bioderma (ci-après Bioderma), dès lors qu'elle les achète à des conditions plus avantageuses auprès d'un fournisseur qui est lui-même agréé par la société Bioderma mais dont elle entend ne pas révéler l'identité en raison du secret des affaires et afin que Bioderma n'élucide pas cette source d'approvisionnement plus avantageuse, qui n'est au surplus possible que parce que Bioderma, à l'encontre de ce qu'elle affirme, pratique des conditions discriminatoires en faveur de certains de ses distributeurs agréés;

qu'il n'est pas contesté par Bioderma que LCJ Diffusion a le droit de s'approvisionner auprès d'autres distributeurs agréés;qu'en revanche, Bioderma maintient qu'elle consent à tous ses distributeurs les mêmes conditions commerciales et que LCJ Diffusion, en revendant à des prix inférieurs aux prix catalogue de Bioderma, pratique nécessairement une vente à perte qui constitue un acte de concurrence déloyale et lui cause, ainsi qu'à son réseau de distribution, un trouble manifestement illicite justifiant les mesures prises par le premier juge pour le faire cesser;

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats:

- qu'à l'examen de son catalogue avec tarif de novembre 2002 à mars 2003, il s'avère que la société LCJ Diffusion, elle-même distributeur agréé par la société Bioderma pour la revente des produits de la gamme "Bioderma", pratique auprès de ses clients des prix inférieurs à ceux que Bioderma prétend qu'elle consent à tous les distributeurs de sa gamme "Bioderma" agréés par elle,

- que LCJ Diffusion s'est, au cours de l'année 2002, approvisionnée directement auprès de Bioderma, ainsi que cette dernière en apporte la preuve en produisant 5 factures en date des 10 décembre 2001, 8 février, 15 mai, 1er juillet et 7 novembre 2002, pour des montants respectifs de 1 617,55 euros, 3 292,80 euros, 2 566,80 euros, 76,85 euros et 4 413,25 euros, soit un total d'environ 12 000 euros, sur lequel les produits litigieux apparaissent toutefois comme représentant une faible proportion;

- que LCJ Diffusion s'est également, au cours de cette même année, approvisionnée en produits Bioderma auprès d'un autre fournisseur, ainsi qu'il résulte d'un constat d'huissier établi le 27 février 2003 à la seule initiative de LCJ Diffusion et versé aux débats par une note en délibéré du 3 mars 2003 que le premier juge avait demandée aux parties, constat dans lequel l'officier ministériel relève que, s'étant rendu dans les locaux de LCJ Diffusion à la requête du président directeur général de cette société, celui-ci lui a présenté "un ensemble de factures émises par l'un de ses fournisseurs dont l'anonymat sera conservé pour des raisons de confidentialité commerciale" et qu'il a constaté que LCJ Diffusion a acheté à cette société certains produits Bioderma ainsi qu'il résulte de l'examen de ces 6 factures en date des 19 janvier, 20 avril, 30 juin, 9 juillet, 18 juillet et 6 novembre 2002, pour des montants respectifs de 251,94 euros, 3 665,41 euros, 4 393,01 euros, 1 202,36 euros, 2 393,75 euros et 3 459,35 euros, soit un total d'environ 15 250 euros mais sur lequel les produits Bioderma litigieux apparaissent comme ne représentant également qu'une très faible part;

Que, sans qu'il y ait lieu de suspecter la sincérité du constat d'huissier précité, il convient de constater que LCJ Diffusion s'est, en ce qui concerne les produits revendus dans des conditions litigieuses, approvisionnée à la fois auprès de Bioderma directement, et auprès d'un autre fournisseur dont LCJ Diffusion entend ne pas révéler l'identité afin de préserver le secret des affaires quant à sa source d'approvisionnement;

Qu'il apparaît ainsi qu'en proposant a la vente, par son catalogue avec tarif de novembre 2002 à mars 2003, des produits Bioderma à des prix plus bas que ceux pratiqués à son égard et dont témoignent ses propres factures, LCJ Diffusion a nécessairement revendu à perte ceux des produits litigieux qu'elle s'était procurés directement par Bioderma;

Que cette seule constatation suffit à caractériser la revente à perte qui cause incontestablement un trouble manifestement illicite au fabricant des produits vendus par lui à un réseau de distributeurs agréés, et justifie par conséquent les mesures d'interdiction prises par le premier juge à l'encontre de la société LCJ Diffusion;

Que l'appelante objecte vainement que Bioderma pratiquerait des conditions de vente discriminatoires, dès lors qu'elle n'en apporte aucune preuve; qu'elle prétend tout aussi en vain que les factures de Bioderma établissent l'existence de promotions ne figurant pas dans son barème d'écarts et qui seraient de nature à lui permettre d'accorder des conditions discriminatoires à certains clients, alors d'une part que les échantillons sont clairement identifiés sur les factures et que, d'autre part, les mentions "Promo" correspondent toujours aux deux articles supplémentaires que Bioderma offre pour l'achat d'une douzaine, ce que montre sans la moindre équivoque chacune des "Promo" figurant sur les factures de LCJ Diffusion qui a donc bénéficié elle aussi de ce système;

Que la démonstration que l'appelante prétend faire de l'effectivité de l'approvisionnement qu'elle a pu réaliser auprès du revendeur mystérieux dont elle persiste à celer l'identité, est inopérante dès lors que les quantités d'articles ainsi acquises à des prix effectivement plus bas que ceux pratiqués par Bioderma ne sont pas significatives et ne correspondent pas, à l'évidence, à l'ampleur de l'offre qu'elle fait au public par son catalogue précité;

Qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que le premier juge a statué comme il l'a fait et que l'ordonnance entreprise doit par conséquent être confirmée en toutes ses dispositions, sauf à opérer la rectification que demande avec raison Bioderma au sujet d'une erreur matérielle ayant consisté à répéter par erreur, au sujet de la seconde astreinte, la formule "la vente de chaque produit constituant une infraction distincte", alors qu'il s'agit à l'évidence de "la diffusion de chaque catalogue";

Qu'en revanche, il n'y a pas lieu d'ajouter la revue "Cosmétique Magazine" aux deux publications ordonnées par le premier juge qui a exactement limité cette mesure en ne retenant que deux des trois revues visées dans la demande de Bioderma;

Considérant que l'appelante, qui succombe sur son recours, sera condamnée aux dépens d'appel et ne saurait par conséquent obtenir l'indemnité de procédure qu'elle sollicite pour ses frais irrépétibles;

Qu'il serait en revanche inéquitable de laisser supporter à l'intimée ses frais de procédure non compris dans les dépens;

Par ces motifs, Déclare la SA LCJ Diffusion mal fondée en son appel et l'en déboute; Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, sauf à rectifier, dans son dispositif, le dernier membre de phrase relatif à la seconde astreinte prononcée, qui doit se lire: "la diffusion de chaque catalogue constituant une infraction distincte"; Condamne la SA LCJ Diffusion à verser à la SARL Bioderma la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne également aux dépens d'appel; admet la SCP Bommart-Forster, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.