CA Paris, 4e ch. B, 16 mai 2003, n° 2001-02901
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nertor (Sté)
Défendeur :
Daimlerchrysler AG, Daimlerchrysler France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mmes Schoendoerffer, Regniez
Avoués :
Me Huyghe, SCP Arnaudy-Baechlin
Avocats :
Mes Huyghe, Baratelli, Priser, SCP Arnaudy-Baechlin.
LA COUR, statue sur l'appel interjeté par la société de droit espagnol Nertor d'un jugement contradictoirement rendu le 31 octobre 2000 par le Tribunal de grande instance de Bobigny qui, tout en disant régulière l'assignation introductive d'instance délivrée le 29 octobre 1999 et en écartant des débats ses conclusions en date du 11 juillet 2000 ainsi que celles de la société de droit allemand Daimlerchrysler AG et de sa filiale, la société Daimlerchrysler France du 8 août 2000, a estimé qu'elle avait commis des actes de contrefaçon à l'encontre de la société Daimlerchrysler AG et des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Daimlerchrysler France et l'a condamnée à verser à titre de dommages et intérêts la somme de 200 000 F à chacune des sociétés, condamnations assorties de mesures d'interdiction et de publication.
La société de droit allemand Daimlerchrysler AG est propriétaire:
- de la marque dénominative "Mercedes" déposée auprès de l'INPI le 18 octobre 1982 et renouvelée le 15 octobre 1992 sous le n° 1216088 couvrant les produits et services des classes 1 à 34;
- de la marque figurative représentant une étoile tripode déposée auprès de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et renouvelée le 14 décembre 1994 sous le n° R 414856 couvrant le territoire français pour les produits et services des classes 1 à 34.
La société Daimlerchrysler France, filiale de la société de droit allemand Daimlerchrysler AG, est le distributeur des automobiles, pièces détachées et accessoires fabriqués par sa maison mère sur le territoire français.
Ayant appris que la société Nertor exposait et offrait à la vente au "Salon Equip Auto 1999" des articles pour automobiles illicitement revêtus de la marque Mercedes et de l'étoile tripode et après avoir fait procéder le 18 octobre 1999 à une tentative de saisie-contrefaçon portant sur des serviettes désodorisantes sur le stand d'exposition de ladite société, la société Daimlerchrysler AG, ainsi que la société Daimlerchrysler France, l'ont assignée, par actes du 29 octobre 1999, en contrefaçon et concurrence déloyale.
La société Nertor, appelante, prie la cour dans ses dernières conclusions signifiées le 18 juin 2002, de:
- dire son appel recevable et bien fondé;
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;
Statuant à nouveau
- débouter les sociétés Daimlerchrysler de l'ensemble de leurs demandes;
- les condamner conjointement et solidairement à payer la somme de 4 573,47 euros de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive,
- les condamner conjointement et solidairement à payer la somme de 6 097,96 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Les sociétés Daimlerchrysler AG et Daimlerchrysler France, intimées, ont conclu en dernier lieu le 26 avril 2002 et demandent à la cour de:
- les recevoir en leurs conclusions et les y déclarer bien fondées;
En conséquence,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception du quantum des dommages et intérêts alloués aux intimées;
- débouter la société Nertor de l'ensemble de ses demandes;
Statuant à nouveau,
- condamner la société Nertor à verser à la société Daimlerchrysler AG une somme de 60 979,61 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon de marque;
- condamner la société Nertor à verser à la société Daimlerchrysler France une somme de 60 979,61 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et/ou parasitaire;
- la condamner aux dépens;
- la condamner à verser aux intimées, pour la procédure d'appel, une somme de 5 335,72 euros en application de dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cela étant exposé:
A titre liminaire:
Considérant que la société Nertor soulève in limine litis la nullité de l'acte introductif d'instance en date du 29 octobre 1999 ainsi que celle du procès-verbal de constat du 13 octobre 1999, établi à la demande de la société Daimlerchrysler AG préalablement à sa requête aux fins de saisie-contrefaçon, pour absence de traduction en espagnol;
Mais considérant d'une part que la Convention de la Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale qui régit les relations entre la France et l'Espagne n'impose aucune traduction concernant ce dernier pays;
Que c'est dès lors avec raison et motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont estimé que le moyen tiré de l'absence de traduction de l'assignation du 22 octobre 1999 était inopérant, aucun grief n'étant de surcroît démontré, la société Nertor se limitant à invoquer la nécessité et le coût de la traduction des pièces de procédure en espagnol;
Que le jugement sera confirmé sur ce point;
Considérant d'autre part que le procès-verbal de constat du 13 octobre 1999 n'a pas pour les mêmes motifs précédemment énoncés à être traduit en espagnol, que la société Nertor ne mentionne d'ailleurs pas le texte qui exigerait une telle traduction et sur lequel elle entend se fonder;
Que dans ces conditions, la cour dira le moyen relatif à la nullité du procès-verbal de constat inopérant.
Sur la contrefaçon:
Considérant que la société Nertor conteste les faits de contrefaçon qui lui sont reprochés prétendant que la marque Mercedes n° 1216088 et la marque représentant une étoile tripode n° R 414856 dont la société Daimlerchrysler AG est titulaire n'ont pas été enregistrées pour désigner des coussins de ceinture ( Me Lucchini, huissier de justice, ayant indiqué par erreur, selon elle, dans le procès-verbal de constat du 13 octobre 1999 que les produits prétendument contrefaisants étaient des serviettes désodorisantes pour véhicule) qu'elle n'a d'ailleurs pas eu l'intention de commercialiser, ces derniers constituant des accessoires décoratifs ou de protection destinés à être inclus sur les ceintures de sécurité lors de la construction des véhicules par des personnes garantissant légalement la licence des marques appartenant à la société Daimlerchrysler AG; qu'elle fait falloir qu'aucun risque de confusion dans l'esprit du public ne peut être rapporté compte tenu de l'absence de similarité entre les produits couverts par lesdites marques et son coussin de protection et que de surcroît, l'article L. 713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle prévoyant une exception au délit de contrefaçon en faveur des fabricants d'accessoires lui serait applicable;
Mais considérant qu'il résulte du procès-verbal du 13 octobre 1999 de Me Lucchini que sur le stand de la société Nertor au salon Equip Auto de Villepinte figure "une serviette désodorisante pour véhicule de tourisme enveloppée dans un étui plastique transparent sur lequel figurent l'étoile et la marque Mercedes Benz"; que le procès-verbal de tentative de saisie-contrefaçon du 18 octobre 1999 porte confirmation de ce que les "serviettes" ont été commercialisés;
Considérant que le dépôt de la marque "Mercedes" effectué par la société Daimlerchrysler AG porte notamment sur des "articles textiles non compris dans d'autres classes "; que la marque figurative (l'étoile tripode) a également été déposée en classe n° 24 correspondant aux articles en textile; que les serviettes désodorisantes font par conséquent partie des produits visés au dépôt desdites marques;
Considérant que l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle interdit la reproduction de marques sans autorisation de son propriétaire, qu'en l'espèce, la cour constate que la planche photographique annexée au constat d'huissier du 13 octobre 1999 confirme la reproduction servile sur les serviettes commercialisées par la société Nertor de la marque Mercedes et de l'étoile tripode; que sur le fondement du texte sus-visé il n'y a pas lieu de caractériser un risque de confusion; que l'absence d'élément intentionnel est inopérant;
Considérant enfin que si, comme le relèvent les premiers juges, les produits litigieux peuvent être considérés comme un accessoire automobile non indispensable, la nécessité de la référence aux marques n'est pas démontrée; bien plus, par l'apposition prédominante des marques sur l'emballage de ces produits, la société Daimlerchrysler AG apparaît comme étant à l'origine de ces derniers et non pas comme simple destinataire des produits fabriqués par la société Nertor; les conditions de l'article L. 713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle n'étant pas réunies, c'est à juste titre que le tribunal a déclaré que la société Nertor ne pouvait s'en prévaloir;
Que dans ces conditions, la cour confirmera le jugement déféré en ce qu'il a estimé que la société Nertor avait commis des actes de contrefaçon à l'encontre de la société Daimlerchrysler AG en commercialisant des articles illicitement revêtus de la marque Mercedes et de l'étoile tripode Mercedes.
Sur la concurrence déloyale:
Considérant que la société Nertor s'oppose au grief allégué à son encontre d'avoir commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Daimlerchrysler France en offrant à la vente et en commercialisant les produits litigieux, faits distincts des actes de contrefaçon ci-dessus relevés;
Mais considérant que la société Daimlerchrysler France, filiale de la société allemande Daimlerchrysler AG, est le distributeur sur le territoire français des automobiles Mercedes-Benz, qu'elle commercialise également toute une gamme d'articles et de gadgets revêtus des marques Mercedes;que les agissements de la société Nertor sont de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit des clients, cette dernière commercialisant des serviettes revêtues des signes distinctifs des produits Mercedes et apparaissant à tort comme un distributeur d'articles et de gadgets marques Mercedes, agréé ou autorisé par la société Daimlerchrysler France;
Que dans ces conditions, la société Nertor ayant utilisé et affecté des marques bénéficiant d'une notoriété exceptionnelle et d'un fort pouvoir attractif, la cour confirmera le jugement en ce qu'il a dit qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale distincts des actes de contrefaçon au préjudice de la société Daimlerchrysler France;
Sur le préjudice:
Considérant que les sociétés Daimlerchrysler AG et Daimlerchrysler France estiment que le tribunal a fait une appréciation inexacte de la situation en évaluant le préjudice subi à la somme de 200 000 F chacune et qu'elles sollicitent la réévaluation de ce montant,
Considérant toutefois qu'en cause d'appel, aucun élément nouveau n'est susceptible de faire droit à leur demande;
Qu'au contraire, les éléments de la procédure justifient une évaluation du préjudice réduite à la somme de 20 000 euros pour chaque société;
Qu'en conséquence, la décision des premiers juges sera infirmée sur ce point.
Sur les autres mesures réparatrices:
Considérant qu'il y a lieu d'interdire à la société Nertor de poursuivre sous astreinte de 762 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt;
Qu'il y a lieu d'ordonner la publication du dispositif de l'arrêt dans 2 journaux ou revues au choix des sociétés intimées, dont les frais seront supportés par la société Nertor dans la limite de 1 525 euros par extrait.
Sur la procédure abusive:
Considérant qu'il n'est pas établi que les sociétés Daimlerchrysler AG et Daimlerchrysler France aient commis une faute en exerçant la présente action ni aient manifesté la volonté de nuire, que les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive formées à leur encontre seront écartées;
Considérant que la société Nertor, qui succombe, devra supporter les dépens de première instance et d'appel, ce qui entraîne le rejet de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Qu'il est équitable de la condamner en application de ce même texte à payer aux sociétés Daimlerchrysler AG et Daimlerchrysler France réunies la somme de 2 700 euros;
Par ces motifs: Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts; Infirmant sur ce point et statuant à nouveau: Fixe le montant des dommages-intérêts à 20 000 euros pour chacune des sociétés Daimlerchrysler AG et Daimlerchrysler France; Déboute les parties de toutes autres demandes; Condamne la société Nertor a verser aux sociétés Daimlerchrysler AG et Daimlerchrysler France réunies la somme de 2 700 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Nertor aux entiers dépens et admet la SCP Arnaudy & Baechlin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.