CA Dijon, 1re ch. sect. 2, 19 décembre 2000, n° 99-01574
DIJON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Zwaans BVA (SA)
Défendeur :
Ammann-Yanmar (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Littner
Conseillers :
M. Jacquin, Mme Arnaud
Avoués :
SCP Fontaine-Tranchard & Soulard, Me Gerbay
Avocats :
Mes Evrard, Corcos
Exposé des faits et de la procédure
La société Ammann Yanmar (SA) a confié à la société Zwaans BVA la distribution en Belgique des machines de chantier qu'elle fabrique. Par lettre du 15 décembre 1995, elle lui a signifié sa décision de mettre fin à leur collaboration réciproque à partir du 1er janvier 1996, en lui accordant cependant un préavis d'un an.
Exposant que la société Zwaans BVA lui demeurait redevable de 1 452 983,88 F correspondant à des ventes de matériel, la société Ammann Yanmar l'a assignée en paiement de cette somme devant le Tribunal de commerce de Saint-Dizier, lequel s'est déclaré compétent par jugement du 21 mars 1997, confirmé par arrêt de cette cour du 8 juillet 1997. La société Zwaans BVA a alors formé une demande reconventionnelle en invoquant la résiliation abusive des relations commerciales. Par jugement du 20 février 1998, le tribunal a condamné la société Zwaans BVA à payer à la société Ammann Yanmar 2 037 500 F, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ordonné la traduction d'un document intitulé "Importeur Vertrag", daté du 17 mai 1990. Au vu de cette traduction et par jugement du 2 juillet 1999, le tribunal a dit que le contrat liant les deux sociétés est un contrat de concession exclusive à durée indéterminée, valable au regard de l'article 85-1 du traité de Rome et soumis à la loi belge du 27 juillet 1961, a constaté que la société Ammann Yanmar avait respecté un délai de préavis suffisant, a débouté la société Zwaans BVA de sa demande reconventionnelle et l'a condamnée à payer 30 000 F à la société Ammann Yanmar sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Zwaans BVA a interjeté appel de cette dernière décision.
Elle soutient que contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, la société Ammann Yanmar n'a pas respecté son préavis mais a confié, dès le début de l'année 1996, la distribution de ses produits aux sociétés Blackwood Hodge et Vemate.
Elle approuve en revanche le tribunal d'avoir considéré que leurs relations commerciales étaient régies par le contrat du 17 mai 1990, même s'il n'a pas été signé, dès lors qu'il a été exécuté, qu'il n'était pas contraire à l'article 85 du traité de Rome dans la mesure où il ne produisait que de faibles effets anticoncurrentiels et enfin qu'il était soumis à la loi belge, puisque la prestation qui le caractérise est la distribution qui a lieu en Belgique. Elle ajoute qu'en toute hypothèse, le droit français, n'autorise pas la rupture d'une convention à durée indéterminée, à tout moment, en l'absence de faute. Elle conteste avoir commis une faute qui aurait autorisé la société Ammann Yanmar à dénoncer son préavis. Elle indique qu'en droit belge, lorsqu'une concession de vente a été tacitement reconduite à deux reprises par l'effet du contrat, toute prorogation ultérieure est censée consentie pour une durée indéterminée.
Concernant le montant de l'indemnité, se prévalant des articles 2 et 3 de la loi belge du 27 juillet 1961 et au vu d'un rapport établi par M. Theunissen, Commissaire aux comptes, le 12 janvier 1999, elle sollicite la condamnation de la société Ammann Yanmar à lui payer 13 795 392 FB ou son équivalent en francs français. Elle sollicite en outre 150 000 F pour résistance abusive et 80 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Ammann Yanmar conclut à la confirmation du jugement, sauf à se voir accorder 250 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que 50 000 F en remboursement de ses frais irrépétibles.
Elle conteste que le document Importeurvertrag, non signé, ait régi ses rapports avec la société Zwaans BVA et soulève, en tant que de besoin, sa nullité sur le fondement de l'article 85 alinéa 1 du traité de Rome.
A titre subsidiaire, elle prétend que la demande est mal fondée. Elle rappelle la prohibition des engagements perpétuels et estime que le préavis d'un an accordé était raisonnable, étant observé que des mises en garde avaient été adressées antérieurement. Elle ajoute qu'elle a été amenée à prononcer une résiliation immédiate, dès lors que la société Zwaans BVA retenait ses paiements en dépit d'une mise en demeure du 9 janvier 1996. Elle considère que ce défaut de paiement de 2 147 247,88 F, qui constituait une faute grave, justifiait la résiliation immédiate.
Elle indique qu'à supposer que le document Importeurvertrag soit applicable, aucune indemnité ne serait due en vertu de l'article 11-1. Elle soutient que la loi belge du 27 juillet 1961 est tout aussi inapplicable en faisant valoir que l'article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1990 n'édicte qu'une présomption et qu'elle démontre que la prestation caractéristique du contrat, à savoir la livraison, la réception et le paiement, a eu lieu en France. Elle considère qu'elle a respecté la législation tant française que communautaire et répète que la résiliation est intervenue en raison de la faute lourde la société Zwaans BVA, ce qui la libère de toute obligation à son égard. Elle précise que ces fautes (défaillance dans la promotion des ventes et non-paiement des marchandises) sont antérieures au 26 janvier 1996, date à laquelle est paru dans la presse un article annonçant le choix d'un autre concessionnaire.
Elle conteste, en toute hypothèse, le rapport du réviseur qui n'est pas contradictoire.
Discussion
Attendu que le contrat de distribution, daté du 17 mai 1990, et non signé par les parties, stipule en son article 10-1 qu'il:
"entre en vigueur le 1er janvier 1990 pour une durée de trois ans. Il ne peut être résilié qu'après un délai de deux ans avec un préavis de douze mois à la fin de la première année. Sans résiliation, il se renouvelle automatiquement pour une durée d'un an et il peut être résilié dans le délai de douze mois à la fin de l'année suivante".
Que l'article 10-2 prévoit que:
"le droit à résiliation prématurée pour motif grave reste entier".
Qu'enfin l'article 11-1 précise que:
"En cas de résiliation du contrat effectuée selon l'article 10-1, les deux parties renoncent à toute indemnisation de quelque nature que ce soit".
Attendu que, si la société Ammann Yanmar indique que certaines dispositions du contrat n'ont pas été respectées, à savoir les articles 3-10 et 3-11, relatifs à l'information du fabricant, l'article 4, relatif à l'approbation du contrat des agents, l'article 6-2, relatif à la garantie bancaire et l'article 12-4, relatif à la clause compromissoire, il n'en demeure pas moins qu'elle ne conteste pas que la société Zwaans BVA ait été pendant cinq ans son distributeur exclusif, tel que prévu par l'article 1 "Objet du contrat" et qu'elle lui ait appliqué les conditions de paiement prévues par l'article 6-2, soit dans les 30 jours, soit dans les 60 jours; qu'il est symptomatique également de constater que dans sa lettre du 15 décembre 1995, elle lui a accordé un délai de préavis d'un an, tel que prévu par l'article 10-1 du contrat; qu'il y a lieu de considérer, ainsi que l'avait déjà fait la cour dans son arrêt du 8 juillet 1997, que ce contrat régit, de fait, les relations entre les parties;
Attendu ensuite que le Tribunal de commerce de Saint-Dizier, relevant que la part de la société Ammann Yanmar dans le marché belge des produits en cause n'étant que de 4 %, a justement considéré que le contrat litigieux échappe à l'interdiction prévue par l'article 85-l de traité de Rome; qu'il est donc valable;
Attendu que le contrat ne précise pas la loi à laquelle il est soumis; que la société Ammann Yanmar fait valoir que les produits étaient livrés et payés en France et qu'il doit être soumis à la loi française; que la société Zwaans BVA conteste le premier point en produisant aux débats quatre factures dont il paraît résulter que les livraisons avaient lieu en Belgique puisqu'il est mentionné livraison: Zwaans Vakobel NV Keeninglaan; que, quoi qu'il en soit, les ventes étant des contrats distincts du contrat de concession, le tribunal a estimé, à juste titre, que la prestation caractéristique d'un tel contrat est la distribution et qu'en l'espèce, elle incombe à la société Zwaans BVA qui a son administration centrale en Belgique; que faute d'éléments particuliers permettant d'écarter la présomption prévue par l'article 4 § 2 de la Convention de Rome, il a considéré qu'il présentait les liens les plus étroits avec ce pays et devait être soumis à sa loi;
Attendu au fond que, devant la cour, la société Ammann Yanmar ne conteste pas sérieusement ne pas avoir respecté le préavis d'un an accordé par sa lettre du 15 décembre 1995; qu'au demeurant, ceci est établi par les pièces produites par la société Zwaans BVA, à savoir, outre l'article du journal Bouwroniek du 26 janvier 1996, annonçant que la société Blackwood Hodge était son nouveau concessionnaire depuis le 1er janvier 1996, déjà soumis aux premiers juges, deux autres articles parus dans les revues Bouwbedrijt et Equipement, contenant la même information, des statistiques génie civil de l'association SIGMA mentionnant la société Blackwood Hodge comme importateur de matériel de génie civil pour la première fois en 1996 ainsi qu'une attestation de M. Eddy Witters, son ancien employé, qui déclare avoir vendu deux machines Yanmar pendant la période de février à juin 1996 par l'intermédiaire de la société Blackwood;
Attendu que si l'article 11-1 du contrat ne prévoit pas d'indemnité de résiliation, c'est bien entendu sous réserve que celle-ci soit intervenue dans les formes prévues à l'article 10-1 du même contrat;
Attendu, tout d'abord, qu'en accordant un délai de préavis d'un an à la société Zwaans BVA , la société Ammann Yanmar a admis que les reproches qu'elle formait à son encontre étaient insuffisants pour constituer un motif grave de nature à fonder un droit à résiliation anticipée; qu'elle ne peut donc invoquer maintenant le retard de paiement constaté à l'époque pour 327 889,73 F et 5 130,92 F et de prétendues insuffisances de résultat comme justifiant son attitude; qu'au demeurant, il suffirait de constater qu'il était seulement sollicité une mise à jour pour les paiements et qu'il n'est pas démontré que les insuffisances de résultat alléguées soient fautives;
Attendu qu'il est exact que postérieurement à cette date, la société Zwaans BVA (SA) n'a pas répondu à la mise en demeure de payer les nouvelles factures, venues à échéance, qui lui a été délivrée le 9 janvier 1996; que la société Ammann Yanmar en déduit qu'aucun préavis ne s'imposait plus à elle, en raison de cette faute grave et notamment le 26 janvier 1996, date de parution dans le journal Bouwroniek de l'article annonçant le choix d'un nouveau concessionnaire;
Mais attendu que cette présentation des choses apparaît fallacieuse; que la société Zwaans BVA produit aux débats la copie de la lettre qu'elle a fait adresser à la société Ammann Yanmar, par ses conseils, le 18 janvier 1996 pour lui indiquer que dans la mesure où elle avait appris qu'elle ne respecterait pas son préavis et avait engagé un nouveau concessionnaire, elle sollicitait une indemnisation et réglerait ses factures sous déduction de celle-ci; que le fait que la première vente de machine par le nouveau concessionnaire soit intervenue dès le mois de février 1996 démontre que les rapports ne se sont pas noués entre eux, de manière inopinée, après la mise en demeure du 9 janvier 1996 mais bien, en violation du délai de préavis, au moins dès le 1er janvier 1996 comme l'indiquait la page publicitaire qu'a fait paraître la société Blackwood Hodge dans la revue Equipement parue en août 1996;
Attendu que de la même façon, la société Ammann Yanmar, qui produit elle-même aux débats un bon de commande que lui a adressé la société Zwaans BVA le 24 janvier 1996 et qu'elle a refusé d'honorer, ne peut sérieusement invoquer une absence de commande pour justifier de son attitude; que le jugement doit être réformé en ce qu'il a considéré que la violation du préavis n'était pas démontrée;
Attendu, sur la réparation du préjudice, que le contrat s'étant renouvelé plus de deux fois, l'article 3 bis de la loi belge du 27 juillet 1961 prévoit que l'actuelle prorogation est censée consentie pour une durée indéterminée; que la société Zwaans BVA a droit, en application des articles 2 et 3 de ladite loi, à une indemnité de préavis ainsi qu'à une indemnité complémentaire équitable;
Attendu qu'elle sollicite les indemnités suivantes:
- manque à gagner pour la période de préavis 1 670 000 FB
- manque à gagner correspondant à l'indemnité compensatrice 6 680 000 FB
- valeur de la clientèle 4 900 000 FB
- valeur du stock à reprendre 545 392 FB
Attendu qu'il est constant que le rapport dont la société Zwaans BVA se prévaut n'est pas contradictoire; qu'il est vigoureusement critiqué par la société Ammann Yanmar (SA); qu'il convient dans ces conditions, d'ordonner aux frais avancés de l'appelante, débitrice de la preuve, une expertise, étant précisé que la durée du préavis donné par la société Ammann Yanmar n'étant pas critiquée par la société Zwaans BVA et n'étant pas critiquable eu égard aux critères d'appréciation retenus par la jurisprudence, l'indemnité compensatrice doit correspondre à une année de bénéfice semi-net;
Attendu qu'en l'état, il sera sursis à statuer sur les demandes en dommages-intérêts;
Attendu que l'équité commande en revanche d'allouer d'ores et déjà à la société Zwaans BVA 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR: Confirme le jugement en ce qu'il a dit que le contrat intitulé Importeurvertrag régit les rapports entre les parties, qu'il s'agit d'un contrat de concession exclusive à durée indéterminée, qu'il est valable au regard de l'article 85-1 du traité de Rome et qu'il est soumis à la loi belge du 27 juillet 1961, Réformant, Dit que la société Ammann Yanmar a violé le préavis d'un an qu'elle avait donné, Avant dire droit pour le surplus, Ordonne une expertise, Commet pour y procéder, M. Vieillard, 5 avenue Garibaldi, 21000 Dijon lequel aura pour mission après audition des parties et de tous sachants et connaissance prise de la lettre de M. Arts du 18 janvier 1996 et du rapport de M. Theunissen du 12 janvier 1999 ainsi que de tous documents utiles de 1°) fournir à la cour tous les éléments lui permettant de chiffrer l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité complémentaire, sachant que la première doit correspondre à une année de bénéfice semi-net et la seconde être évaluée en fonction notamment de la plus value de clientèle, 2°) proposer une évaluation de ces deux indemnités. Accorde à l'expert pour le dépôt de son rapport au service central des expertises un délai de quatre mois à compter de la notification de la consignation, Dit que l'expert devra solliciter du magistrat chargé du contrôle de l'expertise une prorogation de ce délai, si celui-ci s'avère insuffisant, Dit que la société Zwaans BVA consignera à la régie de la cour d'appel, dans les quinze jours du prononcé de la présente décision, la somme de 30 000 F - soit 4 573,47 euros - destinée à garantir le paiement des frais et honoraires de l'expert et qu'à défaut de consignation dans ce délai et selon les modalités imparties, la désignation de l'expert sera caduque, Dit que s'il estime insuffisante la provision ainsi fixée, l'expert devra, lors de la première ou au plus tard la deuxième réunion, dresser un programme de ses investigations et évaluer d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et débours, puis solliciter, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire, Dit qu'à la fin de ses opérations, l'expert pourra s'il l'estime utile éventuellement organiser une réunion de clôture au cours de laquelle il informera les parties du résultat de ses investigations et recueillera leurs ultimes observations, le tout devant être consigné dans son rapport d'expert, Dit qu'au cas où l'expert constaterait que les parties sont parvenues à se concilier, il lui appartiendrait d'en aviser immédiatement le service central de contrôle des expertises (ou le magistrat chargé du contrôle), Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus, l'expert commis pourra être remplacé, par ordonnance, à la demande de la partie la plus diligente, Dit que l'expertise aura lieu sous le contrôle du conseiller de la mise en état, Condamne la société Ammann Yanmar à payer à la société Zwaans BVA 30 000 F - soit 4 573,47 euros - sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.