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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 12 novembre 1998, n° 98-00120

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mmes Marie, Content

Avocat :

Me Lachaud.

TGI Paris, 16e ch., du 26 nov. 1997

26 novembre 1997

Rappel de la procédure

La prévention:

P Emmanuel a été poursuivi devant le tribunal pour avoir à Paris du 1er janvier 1996 au 31 mars 1996, trompé les patients de la clinique de X sur les qualités substantielles d'une prestation de service et sur les contrôles effectués dans le cadre de celle-ci, l'aptitude à l'emploi, les modes d'emplois ou les précautions à prendre en l'espèce, en utilisant pour des examens cardiologiques en électrophysiologie, des sondes de marque Bard, à plusieurs reprises après stérilisation, alors que ces dernières étaient spécifiées à usage unique par le fabricant, (chaque sonde ayant été réutilisé 13 fois en moyenne), et de s'être dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, en qualité de président directeur général de la SA X, rendu complice du délit de tromperie sur les qualités substantielles d'une prestation de service et sur les contrôles effectués dans le cadre de celle-ci, l'aptitude à l'emploi, les modes d'emplois ou les précautions à prendre reprochés à "Yves Z, en facilitant par aide et assistance la consommation de cette infraction, en l'espèce, en permettant par la fourniture de sondes Bard et d'appareils de stérilisation, la réutilisation de ces sondes spécifiées par le fabricant à usage unique, infraction prévue par les articles L. 213-1, L. 216-1 Code de la consommation et réprimée par l'article L. 213-1 Code de la consommation;

Z Yves a été poursuivi devant le tribunal pour avoir à Paris du 1er janvier 1996 au 31 mars 1996, trompé les patients de la X sur les qualités substantielles d'une prestation de service et sur les contrôles effectués dans le cadre de celle-ci, l'aptitude à l'emploi, les modes d'emplois ou les précautions à prendre en l'espèce, en utilisant pour des examens cardiologiques en électrophysiologie, des sondes de marque Bard, à plusieurs reprises après stérilisation, alors que ces dernières étaient spécifiées à usage unique par le fabricant, (chaque sonde ayant été réutilisé 13 fois en moyenne), et de s'être dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, en qualité de président directeur général de la SA X, et de s'être rendu coupable du délit de tromperie, infraction prévue par les articles L. 213-1, L. 216-1 Code de la consommation et réprimée par l'article L. 213-1 Code de la consommation;

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré P Emmanuel non coupable des faits reprochés et l'a relaxé des fins de la poursuite,

a déclaré Z Yves coupable des faits reprochés et l'a condamné à cinquante mille francs (50 000) d'amende.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur Z Yves, Alain, le 26 novembre 1997,

Le Procureur de la République, le 26 novembre 1997, contre Z Yves et P Emmanuel,

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par Yves Z et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.

Emmanuel P et Yves Z présents et assistés de leur conseil, demandent à la cour par voie de conclusions conjointes:

D'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné le docteur Z de le relaxer des fins de la poursuite et de confirmer le jugement entrepris pour le surplus.

A l'appui de leurs demandes, les concluants font valoir:

Après avoir rappelé que le docteur Yves Z, médecin spécialisé en cardiologie, exerçait, à l'époque des faits à la clinique X à Paris, dont Emmanuel P était alors le président du conseil d'administration.

Que parmi les actes médicaux de cardiologie effectués par le docteur Z figuraient les actes d'électrophysiologie ayant pour objet le diagnostic et le traitement des troubles du rythme cardiaque, affections susceptibles de mettre en danger la vie des patients qui en souffrent.

Que ces actes d'exploration et d'intervention cardiologiques sont effectués à l'aide de sondes spécialement conçues à cet effet et introduites par voie veineuse, qui transmettent à un enregistreur externe le rythme de l'activité cardiaque.

Que pour ce faire, il utilisait des sondes de marque Bard de fabrication américaine, reconnues par les professionnels comme étant les plus performantes, de telle sorte que le laboratoire Bard s'est trouvé longtemps en position de quasi-monopole sur ce marché.

Que le prix des sondes Bard est de 2 405 F pour une sonde bipolaire et de 5 101 F pour une sonde quadripolaire.

Que compte tenu d'une part de l'absence totale de prise en charge par la sécurité sociale, d'autre part de la faible cotation affectée à un acte d'exploration d'électrophysiologie par la sécurité sociale (K 100, représentant une somme de 1 260 F rémunérant l'acte médical et ne couvrant que la prestation du médecin), compte tenu enfin de la nécessité d'utiliser quelquefois plusieurs sondes pour chaque acte, les sondes Bard ont été depuis l'origine réutilisées après stérilisation, ce qui depuis vingt ans que ce type de sonde est utilisé, n'a jamais donné lieu à aucun incident de type clinique ou mécanique au préjudice des patients.

Que néanmoins en 1985, le laboratoire Bard a soudainement et unilatéralement décidé d'apposer la mention "usage unique" sur l'emballage des sondes, sans que le produit vendu n'ait subi de modification.

Que les établissements tant publics que privés, en raison des contraintes budgétaires que cela aurait entraîné, ont continué à réutiliser le matériel après stérilisation.

Que le ministère de la Santé après avoir posé le principe de la non-réutilisation par une circulaire du 14 avril 1986, est revenu sur cette position par une note d'orientation du 9 janvier 1989, pour enfin revenir par une circulaire du 29 décembre 1994 au principe de la non-réutilisation, ce qui a amené les professionnels de la santé à une négociation, soit pour voir supprimer par les industriels la mention à usage unique si elle est inappropriée, ou procéder à une baisse conséquente du prix du matériel, soit à obtenir des pouvoirs publics le retrait des circulaires susvisées.

Emmanuel P et Yves Z font observer que la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a décidé de procéder à un certain nombre de contrôles pendant cette négociation et notamment celui opéré au sein de la clinique X et soutiennent.

En premier lieu que la tromperie suppose une action positive visant à masquer la réalité, un mensonge, ou encore le silence gardé sur un élément du contrat dont est résultée une erreur dans l'esprit du cocontractant.

Qu'en l'espèce, aucune manœuvre de nature à induire en erreur les patients ne saurait être imputée au médecin poursuivi, pas plus que son éventuel silence gardé sur la réutilisation de sondes dites à "usage unique".

Que le silence ne peut constituer une omission fautive, qu'à la condition qu'un tel silence ait induit en erreur le bénéficiaire de la prestation sur un élément essentiel du contrat.

Que la preuve n'est pas rapportée que les patients aient attendu de leur médecin qu'il utilise des sondes neuves.

Qu'aucun texte législatif ou réglementaire dispose que seules des sondes neuves doivent être utilisées en électrophysiologie.

Que les circulaires susvisées ne peuvent avoir qu'une finalité incitative et non susceptible de caractériser une infraction pénale.

Qu'en outre ce texte n'a pas eu d'écho dans la communauté médicale de cardiologie et n'a ainsi fait l'objet d'aucune information dans le bulletin de la société française de cardiologie, ni d'aucune diffusion dans le bulletin de l'Ordre national des médecins.

Que le tribunal ne pouvait pas non plus se référer aux règles de l'art pour caractériser l'élément matériel de la tromperie, la restérilisation des cathéters étant, au moment des faits, une pratique généralisée faisant l'objet d'un véritable consensus de la profession.

Que selon la jurisprudence, les usages et les règles de l'art formant le consensus de la profession peuvent être assimilés aux règlements pour établir la preuve d'un comportement trompeur ou au contraire la validité d'une pratique et que la pratique constante des cardiologues, en France jusqu'à une époque récente et à l'étranger encore aujourd'hui est celle de la restérilisation des sondes d'électrophysiologie cardiaque.

Que l'usage unique n'est ni une qualité substantielle, ni une condition de l'aptitude à l'emploi.

Qu'en effet, les qualités substantielles sont définies comme étant toutes celles qui appartenant ordinairement à l'objet du contrat, ont dû, à moins de convention expresse contraire, être envisagées par les parties, ainsi que celles que les parties ont expressément attribuées au contrat.

Qu'en l'espèce la prestation de service consiste en un acte médical dont les qualités substantielles résident dans la mise en œuvre de tous les moyens nécessaires pour atteindre le résultat médical recherché.

Que l'utilisation systématique de sondes neuves ne peut être considérée en l'espèce comme une des qualités substantielles du contrat la réutilisation des sondes Bard étant unanimement considérée par la communauté scientifique en cardiologie comme un risque acceptable "au regard du bienfait apporté au patient...".

Que le tribunal a mis à la charge du docteur Z une obligation de résultat intégrale au regard de l'utilisation de son matériel, qui va au-delà de l'obligation de moyens exigée de tout médecin et, à fortiori, bien au-delà des critères d'appréciation de la tromperie sur les qualités substantielles.

Que la mention à usage unique ne figurait pas sur la sonde elle-même, mais sur un premier emballage retiré directement par les infirmières sans être présenté au médecin.

Que le jugement en retenant qu'il existait un risque minime pour la santé du patient du fait de la réhabilitation a adopté une démarche opposée à celle de la Cour suprême.

Que le tribunal n'a fait aucune démonstration de l'élément intentionnel du délit, se bornant à relever que le docteur Z ne pouvait ignorer que le patient attendait l'emploi de sondes non réutilisées.

En second lieu sur l'appel du Ministère public à l'encontre de la relaxe d'Emmanuel P, à titre principal qu'aucune infraction ne pouvant être retenue contre le docteur Z, il ne saurait y avoir de complicité d'une infraction qui n'est pas constituée.

A titre subsidiaire qu'il n'avait pas connaissance des caractéristiques des dispositifs médicaux achetés et stérilisés par l'établissement et notamment par le responsable de la pharmacie.

L'agent de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes présent à l'audience était entendu à titre de simple renseignement avec l'accord des prévenus.

Rappel des faits:

La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ayant décidé de conduire des investigations dans le domaine de la réutilisation, dans les établissements de santé, de matériels médico-chirugicaux prévus pour un usage unique, une enquête était diligentée à partir du 2 avril 1996 au sein de la clinique X, sise <adresse>à Paris;

Les enquêteurs qui n'avaient pu avoir accès à la pièce où s'effectuait la stérilisation en raison de la configuration des lieux, constataient que le l'unité cardio-vasculaire ne possédait qu'un faible nombre d'électrodes destinées à l'électrophysiologie en stock.

Le docteur Z déclarait spontanément qu'il réutilisait les sondes Bard après stérilisation en raison du coût de ces sondes et de l'absence de remboursement de ce matériel par la sécurité sociale.

Il indiquait qu'il utilisait ces sondes malgré leur coût élevé parce qu'elles donnaient de meilleurs résultats que les autres et précisait que depuis un mois, à la suite d'un colloque sur la stimulation cardiaque, il avait cessé de réutiliser des sondes d'électrophysiologie.

Aucun contrôle microbiologique n'était effectué par les enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.

L'inventaire du stock de matériel au 1er janvier 1996 montrait qu'aucune électrode d'électrophysiologie n'était détenue en pharmacie à cette date.

Les factures d'achat relative à ces dispositifs pour la période de janvier à mars 1996 faisait apparaître que pour cette période 7 sondes avaient été achetées pour pratiquer 52 interventions.

Madame Dupont directrice de la clinique X précisait que les sondes avaient été réutilisées 3 à 4 fois chacune.

Les services de la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes estimaient pour leur part qu'eu égard au nombre d'interventions pratiquées et au nombre de sondes en stock, certaines sondes avaient dû être utilisées 13 fois.

Isabelle Douchet pharmacien de la clinique X précisait que la notice relative à ces sondes excluait la restérilisation. Elle indiquait que les risques infectieux lui semblaient suffisants pour interdire le réemploi de ce matériel, sans compter les risques mécaniques (modification de la rigidité de l'électrode).

Les laboratoires Bard avaient fait effectuer le 20 juin 1993 un examen en microscopie à balayage de l'état de surface d'une sonde électrode restérilisée qui concluait à la possibilité de présence de débris cellulaires ou bactériens après cette opération.

Le Directeur des hôpitaux faisait connaître à Monsieur le Procureur de la République du Tribunal de grande instance de Paris par courrier du 30 septembre 1996 que la clinique X avait cessé ses pratiques de réutilisation des sondes après l'enquête de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, que dans le cadre du système de matériovigilance récemment mis en place, il n'avait pas été signalé d'incidents liés à la réutilisation de dispositifs médicaux par la clinique X, que toutefois on pouvait penser que la réutilisation du matériel à usage unique par des établissements de santés pouvait contribuer au développement en France des cas d'infections nosocomiales qui plaçait le pays au tout dernier rang en matière de lutte contre ces infections.

Sur ce

Sur les poursuites à l'encontre du docteur Z:

Considérant que les circulaires du 14 avril 1996 et du 29 décembre 1994 avaient pour objet de rappeler l'interdiction par la réglementation en vigueur de restériliser du matériel médico-chirurgical à usage unique compte tenu des risques inhérents à cette pratique;

Que les laboratoires Bard avaient décidé que les sondes qu'il vendait étaient à usage unique;

Qu'ils avaient fait réaliser un examen qui établissait que les sondes pouvaient comporter des débris cellulaires ou bactériens après restérilisation et qu'il n'appartient pas à la cour de se prononcer sur les motifs réels qui ont conduit les laboratoires Bard à imposer l'usage unique de leurs sondes;

Que les patients n'étaient pas avertis que ces sondes à usage unique avaient fait l'objet de plusieurs utilisations, alors qu'ils pouvaient attendre du praticien qu'il se conforme aux prescriptions des autorités sanitaires;

Qu'il s'agissait d'une qualité substantielle de ce matériel, le fabricant et les pouvoirs publics ayant décidé que ce matériel ne pouvait qu'être utilisé une fois;

Que le docteur Z a reconnu avoir utilisé ce matériel après restérilisalion et qu'il résulte de ses propres déclarations qu'il a réutilisées en connaissance de cause des sondes à usage unique après restérilisation;

Considérant que l'infraction est caractérisée dans tous ses éléments et que le jugement entrepris doit être confirmé sur la déclaration de culpabilité;

Que toutefois, il doit être fait une application moins sévère de la loi pénale au docteur Z qui avait cru pouvoir enfreindre les consignes du fabricant pour permettre aux patients de bénéficier d'un matériel coûteux et non remboursé par la sécurité sociale puisque non inscrit au tarif interministériel des prestations sanitaires et de le dispenser de peine;

Sur les poursuites à l'encontre d'Emmanuel P:

Considérant qu'il résulte des pièces de la procédure et des débats que celui-ci avait consenti une délégation de pouvoir à la directrice et à la pharmacienne de l'établissement personnes pourvus de l'autorité et de la compétence nécessaires;

Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a relaxé Emmanuel P des fins de la poursuite;

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du docteur Yves Z et du Ministère Public à l'encontre de Yves Z et d'Emmanuel P; Confirme le jugement sur la déclaration de culpabilité du docteur Yves Z et sur la relaxe d'Emmanuel P; Le Réformant sur la répression; Dispense le docteur Yves Z de peine; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.