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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 2 décembre 2003, n° 03-02497

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Guilbaud, Conseillers: MM. Nivose, Waechter

Avocat général :

M. Darbeda

Avocats :

Me Darbois, Simonnet.

TGI Paris, 31e ch., du 23 janv. 2003

23 janvier 2003

Rappel de la procédure:

La prévention:

B Eric, D Jean-Marie sont poursuivis pour avoir, sur le territoire national, de 1996 au 12 octobre 1999

- trompé ou tenté de tromper des particuliers et des professionnels de la santé en commercialisant des compléments alimentaires X dont certains ne sont pas autorisés à la vente en France et d'autres ont une concentration en minéraux et vitamines qui dépasse les doses journalières recommandées par les instances scientifiques les rendant nuisibles à l'homme

D Jean-Marie, seul, est poursuivi pour avoir, sur le territoire national, de 1996 au 12 octobre 1999

- réalisé, diffusé ou tiré profit d'une publicité destinée au public et aux professionnels de la santé en faveur d'un médicament ou d'un produit de santé à usage humain, dépourvus d'un visa préalable de l'agence du médicament ou du ministre de la Santé, en l'espèce un dépliant mentionnant la liste des produits X

- de s'être livré à des opérations réservées aux pharmaciens, sans réunir les conditions exigées pour l'exercice de la pharmacie, eu l'espèce, fabriquer et mettre en vente des produits se révélant être des médicaments

- exercé illégalement la profession de médecin, en l'espèce en prescrivant des traitements à base de produits X dont certains se révélaient être des médicaments pour guérir des pathologies graves

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire,

- a rejeté les conclusions des prévenus

- a déclaré B Eric

Coupable de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal, faits commis de 1996 au 12-10-1999 sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 213-2 1°, L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-2, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation

D Jean-Marie

Coupable de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal, faits commis de 1996 au 12 octobre 1999 sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 213-2 1°, L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-2, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation

Coupable de publicité pour un médicament a usage humain auprès de professionnels de la santé sans avoir procédé a son dépôt, faits commis de 1996 au 12 octobre 1999 sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 5422-3, L. 5122-1, L. 5122-9 al. 1, L. 5111-1 du Code de la sauté publique et réprimée par les articles L. 5422-3, L. 5422-14 al. 1 du Code de la santé publique

Coupable d'exercice illégal de la pharmacie, faits commis de 1996 au 12 octobre 1999 sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 4223-1, L. 4211-1, L. 4221-1 du Code de la santé publique et réprimée par les articles L. 4223-1, L. 4223-3 al. 1 du Code de la santé publique

Coupable d'exercice illégal de la médecine, faits commis de 1996 au 12 octobre 1999 sur le territoire national, infraction prévue par les articles L. 4161-1, L. 4161-5 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 4161-5 du Code de la santé publique

Et par application de ces articles, a condamné

B Eric à une amende de 1 000 euros

D Jean-Marie à une amende de 5 000 euros

A dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 90 euros dont est redevable chaque condamné.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

- Monsieur B Eric, le 27 janvier 2003

- Monsieur D Jean-Marie, le 27 janvier 2003

- M. le Procureur de la République, le 27 janvier 2003 contre Monsieur B Eric, Monsieur D Jean-Marie

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels des deux prévenus et du Ministère public, interjetés à l'encontre du jugement entrepris;

Rappel des faits et demandes:

Le 11 octobre 1999, la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a informé le Parquet de Paris qu'une société belge, la société X, commercialisait en France des compléments alimentaires dénommés "nutriments orthomoléculaires et eumétaboliques"

Au terme des investigations diligentées par cette administration ces produits, font l'objet de deux critiques distinctes:

1°) D'une part, annoncés comme étant de simples compléments alimentaires, ils ne seraient pas autorisés par la réglementation en raison de leur nature, de la concentration en minéraux et vitamines supérieure aux doses journalières recommandées, ces deux éléments étant constitutifs d'une falsification;

Jean-Marie D, dirigeant de la société X, a été informé dès 1996 par la DGCCRF que la vente de compléments alimentaires n'ayant pas fait l'objet d'une autorisation par voie d'arrêté était sanctionnée par le Code de la consommation en tant que vente de produits falsifiés;

2°) D'autre part, ils sont proposés comme médicaments, pour des pathologies telles que le cancer, la sclérose en plaque, le diabète; les fonctionnaires se fondent sur une brochure dénommée " médecine orthomoléculaire et eurnétabolique suggestions thérapeutiques", remise par les responsables de la société X lors de séminaires organisés pour la promotion de ses produits, laquelle définit pour une série de pathologies précises, les produits à utiliser et les posologies; parmi les 46 pathologies visées figurent le cancer, la sclérose en plaque, le diabète, l'ostéoporose, les hépatites... dès lors, selon l'administration, la présentation et le mode de commercialisation de ces produits relèveraient de l'exercice illégal de la pharmacie et de la médecine, à cause des allégations multiples relatives à des propriétés de prévention ou de traitement de maladies, et constitueraient une publicité relative aux produits autres que les médicaments, interdite par l'article L. 5422-3 du Code de la santé publique;

Certains produits ayant été analysés par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé comme étant des médicaments et la société X ne disposant pas, selon les autorités sanitaires belges, d'autorisation délivrée dans le cadre de la législation sur les médicaments, Jean-Marie D se serait rendu coupable de l'exercice illégal de la profession de pharmacien et de médecin, eu prescrivant et en diffusant des médicaments qui relèvent du monopole des pharmaciens et des médecins et il importe peu que ces produits soient vendus à des "grossistes" tels les magasins de diététique ou à des particuliers pour que l'infraction soit constituée; le prévenu reconnaît n'être titulaire ni dit diplôme de pharmacien ni de celui de docteur en médecine;

Une information judiciaire a été ouverte des chefs de mise en vente de denrées falsifiées et nuisibles à la santé de l'homme, exercice illégal des professions de médecin et de pharmacien, publicité illégale pour des médicaments;

Le 14 décembre 2000, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a conclu, sur le fondement du manuel d'information diffusé par la société X, que certains produits répondaient à la définition de médicament au sens de l'article L. 511-1 du Code de la santé publique en raison de la quantité des substances ou de leur nature (vitamine PP 20 mg 3 fois par jour; vitamine B6 dosée à 50 mg; vitamine B9 et vitamine C surdosées; acide para aminobenzoïque, pancréatine 10 mg, sulfate de chondroïtine, rutine, co-enzyme);

La perquisition diligentée dans le magasin " Y " à Paris <adresse>a permis de découvrir la présence dans certains des produits mis en vente, de vitamine B9, de pancréatine 100 mg, de sulfate de chondroïtine, de mutine et de co-enzyme, de la DHEA, des minéraux Césium et Germanium;

Eric B, exploitant ce commerce et se présentant connue détaillant dans la vente de produits diététiques, a admis ne pas s'être interrogé sur les incidences éventuelles sur la santé de l'homme de certains dosages de vitamines ni sur la nature des substances entrant dans la composition des produits découverts dans son commerce; il a précisé que la société X ne lui avait pas communiqué de renseignement particulier sur ces produits, et qu'il ne donnait aucun conseil aux clients qui selon lui "savent ce qu'ils veulent en venant dans sa boutique";

À l'audience du tribunal, Eric B a indiqué que les produits vendus étaient des compléments alimentaires et non des médicaments; Jean-Marie D a affirmé que les produits incriminés ne pouvaient être considérés comme des médicaments dès lors qu'ils ne présentaient aucun caractère dangereux et il a contesté toutes les infractions reprochées;

A l'audience de la cour, à la demande du Ministère public, Isabelle Caruro, agent de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a été entendue avec l'accord exprès des deux prévenus et de leurs avocats;

Le Ministère public fait siens les arguments développés par l'agent de la DGCCRF et requiert la confirmation du jugement déféré au motif notamment que des autorités scientifiques se sont prononcées pour indiquer qu'il y a des doses globales à ne pas dépasser et qu'un produit présenté avec des propriétés curatives ou préventives est un médicament par représentation;

Eric B prévenu, comparaît assisté de son avocat; par voie de conclusions, il entend voir infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions et demande sa relaxe à la cour aux motifs suivants:

- L'article 30 du traité de Rome, pose le principe de la libre commercialisation des marchandises vendues dans les pays de l'Espace économique européen; la République française, n'a pas adopté de Décret pour réglementer les compléments alimentaires postérieurement aux directives européennes prises en la matière et n'a notifié aucun texte préalablement, à l'exception du Décret n° 96-307 du 10 avril 1996, qui prohibe seulement l'utilisation de substances bovines dans les compléments alimentaires; les substances employées dans ce dossier n'entrant pas dans cette catégorie, l'interdiction de la vente des compléments alimentaires, en France, alors que des produits identiques sont fabriqués ou peuvent être fabriqués dans d'autres pays membres, constitue une mesure d'effet équivalent à restriction quantitative par application de l'article 28 modifié du traité de Rome qu'au surplus, il n'existe en France aucune procédure aisément accessible, inscrite dans un délai et susceptible d'un recours, permettant sur autorisation, de commercialiser des produits identiques, fabriqués ou pouvant être fabriqués dans d'autres pays membres de l'Union européenne;

- L'article 1er 2e de la directive n° 90-496-CEE du Conseil prévoit qu'elle ne s'applique pas aux compléments alimentaires et il n'est nullement justifié par la partie poursuivante de la dangerosité des produits dont la commercialisation est reprochée au prévenu;

- A titre subsidiaire, le prévenu demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, dans les affaires enregistrées sous référence C 24-00 et C 95-01, et de lui réserver de conclure à la suite de ces décisions;

- Encore plus subsidiairement, au vu de l'article 177 du traité de Rome, le prévenu demande à la cour de saisir la Cour de justice des Communautés européennes des questions préjudicielles suivantes:

"Une règle de droit interne qui interdit certaines substances dans les compléments alimentaires, sauf autorisation préalable des pouvoirs publics et qui a pour effet d'interdire la vente dans cet Etat membre de compléments alimentaires originaires d'un autre Etat membre où ces derniers ont été ou pourraient être légalement fabriqués et commercialisés, est-elle de nature à constituer une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité de Rome (devenu l'article 28 modifié) ?

"Une telle règle de droit interne trouve-t-elle sa justification dans les dispositions dérogatoires aux principes de libre circulation des marchandises en vertu de l'article 36 du traité de Rome, notamment en ce qui concerne la protection de la santé publique ?

"Une telle règle de droit interne viole-t-elle le principe de proportionnalité étant donné que l'objectif qu'elle vise pourrait être atteint par l'adoption de mesures moins restrictives ?

"Une telle règle interne en ce qu'elle ne comporte pas de clause de reconnaissance mutuelle des produits légalement fabriqués et/ou commercialisés dans un autre Etat membre de l'Union européenne, assurant un niveau de protection de la santé ou de protection des consommateurs équivalent à celui recherché, est-elle de nature à se justifier par application des articles 30 et suivants du traité de Rome ? (devenu articles 28 et suivants modifiés).

"Une procédure interne d'examen des produits dont l'emploi peut être autorisé dans les compléments alimentaires qui ne prévoit pas de délai d'instruction ni la possibilité de recours juridictionnel en cas de refus d'admission est elle conforme aux articles 30 et suivants du traité de Rome (devenus articles 28 et suivants modifiés) ?"

et de surseoir à statuer au vu de l'arrêt à intervenir de la Cour de justice des Communautés européennes.

Jean-Marie D prévenu qui comparaît, assisté de son avocat, demande par voie de conclusions à la cour, de le relaxer aux motifs suivants:

1) Sur le délit de tromperie

- Les substances objet des poursuites, n'ont pas fait l'objet d'une notification par la République française à la Commission des Communautés européennes en application des directives 83-189-CEE du 28 mars 1989, 88-182 du 22 mars 1988, 98-34 du 23 juin 1998; la République française a effectué une notification n° 98-0534-F le 17 novembre 1998 en vue de l'adoption d'un Décret concernant les compléments alimentaires auprès de la Commission des Communautés européennes mais ce Décret n'a jamais été publié au journal officiel; dès lors, aucun texte notifié préalablement n'ayant été publié, à l'exception du Décret n° 96-307 du 10 avril 1996, lequel prohibe seulement l'utilisation de substances bovines dans les compléments alimentaires, il y a lieu de constater que les substances en cause n'entrent pas dans cette catégorie, et que leur interdiction, en ce qu elle ne prévoit pas une clause de reconnaissance mutuelle des produits identiques fabriqués ou pouvant être fabriqués dans d'autres pays membres de l'Union européenne constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative prohibée par l'article 28 modifié du traité de Rome;

- L'article 1er 2e de la directive n° 90-496-CEE du Conseil prévoit que ce texte ne s'applique pas aux compléments alimentaires et il n'est nullement justifié par le Ministère public de la dangerosité des produits dont la commercialisation est reprochée au prévenu;

Subsidiairement, le prévenu demande à la cour, de surseoir à statuer dans l'attente des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes enregistrés sous références C 24-00 et C 95-01, et de lui permettre de conclure à la suite dudit arrêt;

- Plus subsidiairement, le prévenu demande à la cour de saisir la Cour de justice des Communautés européennes des questions préjudicielles suivantes:

"Une règle de droit interne qui interdit certaines substances dans les compléments alimentaires, sauf autorisation préalable des pouvoirs publics et qui a pour effet d'interdire la vente dans cet État membre de compléments alimentaires originaires d'un autre État membre où ces derniers ont été ou pourraient être légalement fabriqués et commercialisés, est-elle de nature à constituer une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité de Rome (devenu l'article 28 modifié) ?

"Une telle règle de droit interne trouve-t-elle sa justification dans les dispositions dérogatoires aux principes de libre circulation des marchandises en vertu de l'article 36 du traité de Rome, notamment en ce qui concerne la protection de la santé publique ?

"Une telle règle de droit interne viole-t-elle le principe de proportionnalité étant donné que l'objectif qu'elle vise pourrait être atteint par l'adoption de mesures moins restrictives ?

"Une telle règle interne en ce qu'elle ne comporte pas de clause de reconnaissance mutuelle des produits légalement fabriqués et/ou commercialisés dans un autre État membre de l'Union européenne, assurant un niveau de protection de la santé ou de protection des consommateurs équivalent à celui recherché, est-elle de nature à se justifier par application des articles 30 et suivants du traité de Rome ? (devenu articles 28 et suivants modifiés)

"Une procédure interne d'examen des produits dont l'emploi peut être autorisé dans les compléments alimentaires qui ne prévoit pas de délai d'instruction ni la possibilité de recours juridictionnel en cas de refus d'admission est elle conforme aux articles 30 et suivants du traité de Rome (devenus articles 28 et suivants modifiés) ?"

et de surseoir à statuer au vu de l'arrêt à intervenir de la Cour de justice des Communautés européennes;

2) Sur le délit publicité nous un médicament

- Le prévenu soutient que la cour n'est saisie que pour des faits survenus entre 1996 et le 12 octobre 1999; que la cote D.69, qui n'est pas datée, a été saisie selon procès-verbal du 5 mars 2001; que rien ne prouve que le document saisi en cote D.69 constitue une publicité émise ou diffusée entre 1996 et le 12 octobre 1999;

- L'interdiction de publicité sans autorisation préalable reprochée au prévenu pour des produits originaires d'un autre Etat membre, où ces derniers ont été légalement fabriqués et commercialisés, constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative prohibée par l'article 28 modifié du traité de Rome;

- Subsidiairement le prévenu demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes enregistré sous la référence C-22 1 2000 et de lui réserver de conclure à la suite dudit arrêt;

- Plus subsidiairement, le prévenu demande à la cour de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle suivante:

"Une règle de droit interne qui interdit, sauf autorisation préalable des pouvoirs publics de l'État membre, par voie de publicité des indications ayant trait à la santé concernant des compléments alimentaires originaires d'un autre Etat membre où ces derniers ont été ou pourraient être légalement fabriqués et commercialisés, est-elle de nature à constituer une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité de Rome (devenu l'article 28 modifié) ?

de surseoir à statuer au vu de l'arrêt à intervenir de la Cour de justice des Communautés européennes;

3) Sur le délit d'exercice illégal de la pharmacie

- Le prévenu demande à la cour de constater qu'il n'est pas établi que les produits X aient été fabriqués en France; que dès lors, l'infraction n'a pas été commise sur le territoire national; qu'à défaut de plainte préalable, de victime au sens des articles 113-7 et 113-8 du Code pénal, la loi française n'est pas applicable;

- L'assimilation à des médicaments, de compléments alimentaires originaires d'un autre Etat membre où ces derniers ont été légalement fabriqués et commercialisés, dès lors qu'ils contiennent plus de vitamines et de sels minéraux que l'apport journalier recommandé ou des substances entrant dans la composition de médicaments commercialisés en France, constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative prohibée par l'article 28 modifié du traité de Rome;

- L'application de la législation sur les médicaments aux substances et aux dosages de vitamines et sels minéraux reprochée au prévenu, n'a pas fait l'objet d'une notification par la République française à la Commission des Communautés européennes en application des directives 83-189-CEE du 28 mars 1989, 88-182 du 22 mars 1988, 98-34 du 23 juin 1998;

- Subsidiairement, le prévenu demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente des arrêts à intervenir de la Cour de justice des Communautés européennes pendant sous les références C-387-99 et C-150 2000 et de lui réserver de pouvoir conclure à la suite dudit arrêt;

Plus subsidiairement, le prévenu demande à la cour, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle suivante:

"Une règle de droit interne qui assimile à des médicaments des compléments alimentaires originaires d'un autre État membre où ces derniers ont été ou pourraient être légalement fabriqués et commercialisés, dès lors qu'ils contiennent plus de vitamines et de sels minéraux que l'apport journalier ou des substances entrant dans la composition de médicaments commercialisés dans cet État, est-elle de nature à constituer une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité de Rome (devenu l'article 28 modifié) ?"

et de surseoir à statuer au vu de l'arrêt à intervenir de la Cour de justice des Communautés européennes;

4) Sur le délit d'exercice illégal de la médecine

- Le prévenu demande à la cour de constater qu'elle n'est saisie, au titre du délit d'exercice illégal de la médecine qu'au visa de la cote D.11, laquelle a été saisie selon procès-verbal du 21 septembre 1999 (cote D.3); que cette saisie a été pratiquée en vertu des articles L. 215-1 et suivants du Code de la consommation; que l'ouverture de l'information qui remonte au 12 octobre 1999 se trouve postérieure à cette saisie; que par application de l'article L. 216-4 du même Code, toute poursuite exercée en vertu des articles L. 215-1 et suivants doit être poursuivie en vertu des chapitres II à VI du Code de la consommation; que l'exercice illégal de la médecine ne relève pas desdits chapitres; que par ailleurs, il ne ressort pas de la saisine de la cour, une quelconque habitude, nécessaire dans la qualification du délit d'exercice illégal de la médecine; que l'emploi de conseils généraux donnés dans une publication en l'absence de tous soins prescrits individuellement ne saurait constituer un exercice illégal de la médecine; que l'infraction n'a pas été commise sur le territoire national et il n'existe pas de plainte préalable de la victime au sens de l'article 113-7 du Code pénal qu'en conséquence la loi française n'est pas applicable;

Sur ce

1) Sur le délit de tromperie, reproché à Eric B et Jean-Marie D

Considérant qu'Eric B et Jean-Marie D sont poursuivis pour tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, entraînant un danger pour la santé, pour avoir commercialisé en France des compléments alimentaires X, et vendu des produits contenant des ingrédients non autorisés par le Décret de 1912;

Considérant que les prévenus ont conclu à leur relaxe dans la mesure où les compléments alimentaires sont en vente libre dans l'Espace économique européen et ces substances n'ont pas fait l'objet d'une notification par la France à la Commission des Communautés européennes en application des directives européennes; les prévenus font valoir que l'interdiction des produits en cause, fabriqués et vendus communément dans d'autres pays membres de l'Union européenne, constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative prohibée par l'article 28 du traité de Rome qui est contraire au principe de la libre commercialisation posé par le traité de Rome; ils ont soutenu que l'administration n'établit aucune raison de santé publique pour interdire les produits en cause et qu'aucun texte ne peut servir de fondement aux poursuites ils ont sollicité à titre subsidiaire, un sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d'une question préjudicielle sur ce sujet et plus subsidiairement, ont demandé de saisir cette juridiction d'une question préjudicielle;

Considérant que la DGCCRF, se borne à soutenir que le Décret du 15 avril 1912 soumet à une autorisation préalable, la commercialisation des compléments alimentaires, alors qu'il lui appartient, de démontrer que les substances en cause sont des additifs chimiques, visés par l'article 1er de ce texte, ce qui n'est pas le cas en l'espèce;

Considérant que par ailleurs, Le Décret du 14 octobre 1997, qui définit les compléments alimentaires et les intègre au Décret de 1912, ne peut servir de base aux poursuites puisque le législateur n'a pas soumis son projet à l'avis préalable de la Commission européenne, alors que le principe de la liste positive constitue une restriction à la commercialisation;

Considérant que le règlement (CE) 78-2002 du 28 janvier 2002, sur la sécurité alimentaire, d'application immédiate en droit interne, qui vise toutes les denrées alimentaires et donc les compléments alimentaires, établit un principe de liberté de mise sur le marché des denrées alimentaires, ce qui exclut le principe de la liste positive;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les produits visés aux poursuites, commercialisés par la société X sont couramment vendus dans toute l'Europe; qu'en conséquence il appartient aux autorités nationales de démontrer scientifiquement dans chaque cas, produit par produit, que la réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les objectifs visés à l'article 36 CE (désormais 30) et que la commercialisation des produits en cause présente un risque sérieux pour la santé publique;

Considérant que lors de la confrontation du 10 avril 2002, devant le magistrat instructeur, la DGCCRF a admis, à la demande de Jean-Marie D qu'elle n'avait fait faire aucun examen des produits qu'elle avait saisis; que la cour constate que les produits incriminés sont communément vendus sur le territoire de l'Espace économique européen; que l'administration ne rapporte pas la preuve par des analyses ou par des communications scientifiques pertinentes, que la commercialisation en France des produits litigieux s'oppose à des nécessités effectives de sauvegarde de la santé publique; que les avis de l'AFSSPD, visés dans le présent dossier, concernent les apports journaliers recommandés, mais ne fixent aucune limite de sécurité, au delà desquelles il y aurait un risque pour la santé;

Considérant qu'en conséquence la cour, sans même avoir à examiner les autres moyens proposés, estime que les infractions poursuivies ne sont pas caractérisées et qu'il y a lieu d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ayant condamné Eric B et Jean-Marie D pour le délit de tromperie et de renvoyer les prévenu des fins de la poursuite de ce chef d'infraction;

2) Sur les délits de publicité pour un médicament, exercice illégal de la pharmacie et de la médecine reprochés à Jean-Marie D,

Considérant que l'enquête administrative et l'information judiciaire ont établi que Jean-Marie D, avait fait éditer notamment en janvier 1998, deux manuels d'information destinés aux professionnels de la santé et aux conseillers en nutrition, intitulés "médecine orthomoléculaire et eurnétabolique mode d'emploi" et "médecine orthomoléculaire et eurnétabolique suggestions thérapeutiques", saisis au cours de l'enquête préliminaire et de l'instruction, qui étaient distribués par les responsables de la société X, lors de séminaires organisés à l'hôtel Novotel à Paris, pour la promotion de ses produits; que le prévenu ne conteste pas l'origine de ces documents qui présentent pour 46 pathologies parmi lesquelles le cancer, la sclérose en plaque, le diabète, l'ostéoporose, les hépatites, les produits X à utiliser et les posologies à prendre;

Qu'à titre d'exemples, la cour note les quelques propositions de traitements suivants:

- Angine de poitrine et menace d'infarctus "l'approche d'un infarctus se mesure aisément par l'indice de Clevay, exemples de traitements à utiliser en alternance selon les résultats d'analyse...

- Artériosclérose "le traitement suivant permet l'élimination progressive des dépôts athéromateux, des parois vasculaires et artérielles et restitue l'élasticité et la souplesse des vaisseaux..."

- Arthrose"... ces différents traitements devront être prolongés. Après amélioration il sera bon de pratiquer une cure de ..."

- Cancer "Dans tout organisme sain, des petites tumeurs se développent sans toutefois générer un cancer. Un équilibre harmonieux en éléments nutritifs et enzymatiques constitue la meilleure défense... la faculté de résister au développement d'une tumeur se trouve considérablement amoindrie" et il est proposé des traitements pour "fortifier les défenses de l'organisme" et "affaiblir les cellules cancéreuses",

- Coup de froid "A prendre dès les premiers symptômes..."

- Diabète "L'apport de pidolate de Chrome et de zinc permet de réduire la dose d'insuline",

- Eczéma "EAP Ca et pidolate de Ca donnent très rapidement d'excellents résultats",

- Grippe "La meilleure arme est la prévention, il faut renforcer le système immunitaire avant l'hiver..."

- Hypoglycémie "Pour fortifier le système neurovégétatif... pour fortifier le système nerveux..,

- Insomnies "...

Ces produits ne sont pas des somnifères, ils restituent progressivement un sommeil naturel et sans effets secondaires."

- Sclérose en plaques "Les traitements par Calciretard et RAP Ca pratiqués par le docteur Nieper ont considérablement amélioré l'état des patients"

Considérant que selon les dispositions de l'article L. 5111-1 du Code de la santé publique, reprenant les dispositions identiques de L. 5111-1 ancien:

"On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l'homme ou à l'animal, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques.

"Sont notamment considérés comme des médicaments les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas elles-mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits, soit des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique diététique, soit des propriétés de repas d'épreuve.

"Les produits utilisés pour la désinfection des locaux et pour la prothèse dentaire ne sont pas considérés comme des médicaments";

Considérant que les compléments alimentaires, produits par la société X ayant été présentés connue possédant des vertus thérapeutiques préventives ou curatives pour des maladies humaines déterminées et ci-dessus rappelées, ils constituent des médicaments par présentation ou par fonction qui entrent dans la définition du médicament reproduite ci-dessus;que Jean-Marie D a d'ailleurs précisé lors d'une confrontation que des thérapeutes et des médecins travaillaient régulièrement avec la société X et que les produits étaient parfois vendus en pharmacie, mais le plus souvent par le circuit commercial des magasins diététiques et qu'il se refusait à vendre directement à des thérapeutes;

Considérant que lors de la confrontation du 10 avril 2002, devant le magistrat instructeur, Jean-Marie D a exposé qu'il proposait aussi à sa clientèle de faire effectuer un bilan sanguin pour connaître les carences nutritionnelles d'une personne; que pour pratiquer cet examen, un tube à essai était préalablement envoyé au client par le laboratoire W en Belgique qui renvoyait le résultat des analyses par la Poste;

Considérant qu'il résulte de tous ces éléments que Jean-Marie D,d'une part, a fait réaliser des documents publicitaires comportant des allégations pour la prévention ou le traitement de certaines maladies humaines, qui constituent une publicité interdite par les articles L. 5422-1 et suivants du Code de la santé publique;que d'autre part le prévenu s'est rendu coupable d'exercice illégal de la profession de pharmacien et de médecin, en faisant diffuser des produits de santé présentés comme des médicaments possédant des propriétés curatives et préventives à l'égard des maladies humaines, et en proposant de faire réaliser des bilans sanguins avant, pendant ou après un traitement, alors qu'il ne disposait ni des autorisations administratives, ni des diplômes nécessaires à ces activités et qu'il s'est donc rendu coupable du délit d'exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, professions qui pour des raisons tenant à la santé publique, au sens de l'article 30 du traité, relèvent du monopole des médecins et pharmaciens;

Considérant que les infractions ayant été commises en partie sur le territoire national, la loi pénale française est applicable; qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité de Jean-Marie D des chefs de publicité pour un médicament, d'exercice illégal de la pharmacie et de la médecine; mais que pour mieux prendre en compte la personnalité du prévenu, il convient de modifier la peine prononcée par les premiers juges en condamnant Jean-Marie D à une amende délictuelle de 25 000 euros;

Considérant que la cour estime devoir rejeter les demandes de sursis à statuer et de questions préjudicielles formées par les prévenus;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'encontre des deux prévenus, Reçoit les appels des deux prévenus et du Ministère public Confirme le jugement déféré ayant déclaré Jean-Marie D coupable des délits de publicité pour un médicament et d'exercice illégal de la pharmacie et de la médecine, L'infirme pour le surplus, Dit que les éléments constitutifs du délit de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise, entraînant un danger pour la santé ne sont pas établis et Renvoie Eric B des fins de la poursuite sans peine ni dépens et Jean-Marie D des fins de la poursuite de ce chef; Condamne Jean-Marie D, pour publicité pour un médicament et exercice illégal de la pharmacie et de la médecine, à une amende délictuelle de 25 000 euros; Déboute les prévenus de toutes leurs autres demandes.