Ministre de l’Économie, 21 mars 2003, n° ECOC0400108Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Energizer Holdings Inc.
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 14 février 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition des activités exercées sous les marques Shick/Wilkinson Sword (ci-après "SWS") par la société Energizer Holdings Inc. (ci-après "Energizer") auprès de la société Pfizer Inc. (ci-après "Pfizer"). L'opération projetée a fait l'objet d'un protocole d'accord signé entre les parties en date du 20 janvier 2003.
I. - Les parties et l'opération
Pfizer, entité cédante, est une société de droit américain dont l'activité principale consiste en la conception, le développement, la fabrication et la commercialisation de produits pharmaceutiques à usage humain. Sous les marques SWS, Pfizer est actuellement active dans la fabrication et la commercialisation de produits de rasage (rasoirs et lames) ainsi que de produits connexes comme les produits de soins avant et après rasage et les instruments de manucure. Les produits SWS sont commercialisés dans plus de 80 pays à travers le monde. En France, les produits SWS sont commercialisés par une division de Pfizer dont les actifs, objets de la présente opération, sont actuellement la propriété de Pfizer Holding France et ont été confiés en location-gérance à sa filiale Pfizer SAS.
Le chiffre d'affaires global au niveau mondial des activités exercées sous les marques SWS sur le dernier exercice comptable (1) s'est élevé à 690,2 millions d'euros. Il est réparti géographiquement entre l'Amérique du Nord (33 %), l'Europe (35 %), le Japon (19 %) et le reste du monde (13 %). En France, les ventes de produits SWS ont généré sur ce même exercice un chiffre d'affaires de 64,2 millions d'euros.
Energizer, l'acquéreur, est une société de droit américain régie par les lois de l'Etat du Missouri. Elle est active dans la fabrication et la commercialisation de piles sèches et de lampes torches sous les marques Energizer et Eveready. Le portefeuille d'Energizer comprend les piles alcalines premium et super-premium, les piles zinc-carbone, les piles au lithium, les piles rechargeables, les piles miniatures et les lampes torches. Implantée dans quatorze pays au travers de ses usines de fabrication et d'emballage, Energizer commercialise ses produits dans 150 pays.
Sur le dernier exercice clos (2), Energizer a réalisé un chiffre d'affaires mondial d'environ 1 893 millions d'euros. Les ventes en Amérique du Nord et en Asie ont généré 78 % de ce chiffre d'affaires. Au niveau communautaire, le chiffre d'affaires d'Energizer sur l'exercice considéré s'élève à 255,5 millions d'euros. En France, les ventes d'Energizer ont généré un chiffre d'affaires de 63,9 millions d'euros.
En vertu de l'accord précité, le contrôle des actifs et des marques SWS est transféré au profit exclusif d'Energizer. L'opération constitue ainsi une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Au regard des chiffres d'affaires des entreprises concernées, il apparaît que les seuils communautaires ne sont pas franchis, mais qu'en revanche les seuils de chiffres d'affaires tels qu'énoncés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont quant à eux franchis. L'opération projetée entre donc dans le champ d'application des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce.
L'opération a également été notifiée au Bundeskartellamt et à l'Office of Fair Trading, autorités compétentes en Allemagne et au Royaume-Uni.
II. - Les marchés concernés
A. - Les marchés de produits
SWS est actif en matière de fabrication et de commercialisation de produits de rasage mécanique, de produits de soins avant et après rasage et d'instruments de manucure. Energizer n'exerce de son côté aucune activité dans les secteurs des produits de rasage, des produits de soins liés au rasage ou des produits de manucure. Ses seules activités sont liées à la production et à la commercialisation de piles sèches.
Selon les parties, SWS opère sur trois marchés distincts: le marché des produits de rasage mécanique, le marché des produits de soins avant et après rasage et le marché des instruments de manucure. Elles définissent le premier marché de produits concerné, d'une part, en excluant de ce dernier rasoirs électriques, crèmes et lotions épilatoires et appareils d'épilation et, d'autre part, en écartant l'hypothèse d'une segmentation selon les catégories de produits (rasoirs jetables - rasoirs rechargeables; rasoirs masculins - rasoirs féminins). A l'appui de cette définition, les parties se fondent sur la pratique des autorités de concurrence tant nationales que communautaires (3). Quant aux produits de soins avant et après rasage et aux produits de manucure, ils forment selon les parties deux familles de produits constituant chacune un marché pertinent. Elles énumèrent sans autres arguments les produits qui constituent chacun de ces marchés. Il convient toutefois de souligner que l'activité de SWS en matière de produits de soins avant et après rasage et de produits manucures est marginale sur chacun de ces secteurs, quelle que soit leur délimitation.
En tout état de cause, il n'apparaît pas nécessaire en l'espèce de définir avec plus de précision les marchés de produits concernés par l'opération dans la mesure où cette dernière n'emporte aucun chevauchement d'activité entre les entreprises concernées.
B. - Les marchés géographiques
Selon les parties, les marchés des produits de rasage mécanique et des produits de soins avant et après rasage ont une dimension européenne, le marché que constituerait l'ensemble des produits de manucure ayant quant à lui une dimension nationale.
L'opération n'entraînant aucun chevauchement d'activités et ne donnant donc lieu à aucune addition de parts de marché entre les entreprises concernées, et ce quelle que soit la délimitation géographique envisagée, il n'est pas nécessaire pour les besoins de la présente analyse de délimiter plus précisément la zone homogène de concurrence concernée par la présente opération.
III. - L'analyse concurrentielle
Au regard des activités exercées par Energizer et par SWS, il peut être conclu à l'absence de chevauchement et à l'absence de tout effet vertical.
Pour autant, dans l'affaire Gillette/Duracell (4), qui concernait également un rapprochement entre un producteur de piles sèches et un producteur d'instruments de rasage, la Commission européenne s'était interrogée sur la nécessité de procéder à une analyse des effets congloméraux de l'opération. En effet, en raison des positions de leader occupées par Gillette et Duracell dans leurs domaines d'activité respectifs, il était légitime de s'interroger sur le point de savoir si leur rapprochement ne risquait pas de leur conférer un pouvoir de marché tel qu'il serait de nature à réduire considérablement les chances de tout autre opérateur d'accéder à ces marchés. Ce potentiel effet congloméral n'a finalement pas été retenu par la Commission, qui a autorisé l'opération, au motif notamment que le lien entre les différents produits considérés était insuffisant pour permettre au nouvel ensemble de modifier sensiblement en sa faveur les conditions de négociation avec les acheteurs.
Au cas d'espèce, il n'apparaît pas nécessaire de procéder à une analyse d'un quelconque effet de gamme ou de portefeuille dans la mesure où, d'une part, il n'existe pas de lien entre les piles et les produits de rasage et, d'autre part, les parties à l'opération, que ce soit Energizer ou SWS, représentant en valeur 23,5 % et 18 % de leurs secteurs d'activité respectifs en France en 2001, ne sont pas les leaders dans leur domaine d'activité. Duracell demeure en effet le principal opérateur s'agissant du secteur d'activité de production et de commercialisation de piles sèches, générant 29 % du chiffre d'affaires dudit secteur en France; Gillette, leader de l'activité de production et de commercialisation de produits de rasage mécanique, représente quant à lui 70,1 % en valeur de cette dernière activité en France en 2001.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient de conclure que l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
(1) Clos le 30 novembre 2002.
(2) Du 30 septembre 2001 au 30 septembre 2002.
(3) Avis du Conseil de la concurrence n° 91-A-09 du 15 octobre 1991 sur l'affaire Gillette Company/Eemland Holdings NV, publié au BOCCRF du 14 mars 1992, page 84.
Arrêté du ministre de l'Economie du 11 mars 1992 sur l'affaire Gillette Company/Eemland Holdings NV, publié au BOCCRF du 14 mars 1992, page 84.
Décision 93-252-CEE de la Commission du 10 novembre 1992 sur les affaires n° IV-33.440 Warner Lambert/Gillette et n° IV-33.486 Bic/Gillette, publiée au JOCE n° L 116 du 12 mai 1993, page 21, point n° 5.
(4) Décision de la Commission européenne n° IV-M.386 du 8 novembre 1996.