Ministre de l’Économie, 25 avril 2003, n° ECOC0400132Y

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dossier déclaré complet le 24 mars 2003, le projet de prise de contrôle de la société Renault agriculture SA par la société Claas France Holding SA a été notifié.

I. - Les parties et l'opération

La société Claas France est une société anonyme de droit français dont 100 % du capital est détenu par la société de droit allemand Claas KgaA mbH, société mère du groupe Claas. Le groupe Claas conçoit, construit et commercialise une large gamme de machines agricoles destinées aux professionnels du secteur agricole. Son chiffre d'affaires s'est élevé, lors du dernier exercice clos, à 1,26 milliard d'euros, dont [...] millions ont été réalisés sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne et [>15] millions en France.

La société Renault Agriculture est également une société anonyme de droit français actuellement entièrement détenue par le groupe Renault. Cette filiale regroupe les activités de conception et de construction de machines agricoles, pour l'essentiel des tracteurs et des pièces détachées de tracteurs. Renault Agriculture a réalisé au titre de l'exercice 2002 un chiffre d'affaires de 634 millions d'euros, dont [>15] millions en France et [...] millions dans les autres Etats membres de l'Union européenne.

L'opération envisagée doit se dérouler en trois étapes. La première étape consiste en l'acquisition par le groupe Claas, via sa filiale Claas France, de 51 % du capital de la société Renault Agriculture.

Aux termes du pacte d'actionnaires qui sera conclu en même temps que la transaction, les groupes Renault et Claas se consentent des options de vente et d'achat réciproques portant sur le solde du capital détenu par le groupe Renault, qu'elles pourront exercer tout d'abord entre le [...] de la réalisation de la première étape (portant sur [...] % du capital), puis à partir du [...] (portant sur les [...] % du capital restant).

Le groupe Claas disposera, au sein du conseil d'administration de Renault Agriculture, de quatre administrateurs sur huit, dont une voix prépondérante. Pendant la période de transition entre la première et la seconde étape de l'opération, le groupe Renault conservera néanmoins un droit de veto concernant plusieurs types de décisions, dont [...]. La question de savoir si le groupe Renault continuera à exercer un contrôle conjoint pendant la période de transition peut donc être posée.

Toutefois, il convient de souligner que le groupe Claas pourra lever son option d'achat dans un laps de temps assez bref après la réalisation de la première étape de l'opération (1). En outre, le groupe Renault ne disposera d'aucun droit de veto concernant l'approbation [...]. En conséquence, le groupe Claas disposera de la possibilité de définir seul la stratégie de Renault Agriculture. Il résulte de ces éléments que le groupe Claas détiendra le contrôle exclusif de Renault Agriculture dès la réalisation de la première étape de l'opération.

A ce titre, la présente opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires précités, cette opération n'est pas de dimension communautaire mais relève du contrôle national des concentrations et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du même Code. L'opération a également été notifiée devant les autorités allemande, autrichienne, polonaise, tchèque et ukrainienne (*) de la concurrence.

(*) A la demande de la partie notifiante, il est précisé que l'opération n'a finalement pas été notifiée aux autorités ukrainiennes.

II. - Les marchés concernés

Les parties à l'opération sont simultanément présentes dans le secteur de la fabrication et la vente de machines agricoles. La pratique décisionnelle de la Commission a déjà eu l'occasion de distinguer plusieurs marchés pertinents selon les différents types de machines fabriquées, en raison de leurs différences de fonction, de prix et de techniques de fabrication (2). Dès lors, le marché des tracteurs se distingue de ceux des autres machines agricoles telles que les moissonneuses-batteuses, les ensileuses (fauche et hachage des fourrages verts pour leur mise en silo) et les presses (compression des fourrages ou de la paille en ballots). Au sein de la catégorie des tracteurs, la Commission a distingué le marché des tracteurs standards de celui des tracteurs horticoles, arboricoles et viticoles. De même, elle a distingué plusieurs marchés pertinents en fonction des différents types de presses (presses à balles rondes, presses à balles de grande taille, etc.).

En l'espèce, le groupe Claas fabrique et commercialise des moissonneuses-batteuses, des ensileuses automotrices, des presses à haute densité (qui fabriquent des ballots de forme cubique ou de grande taille), des presses à balle rondes (qui fabriquent des ballots de forme cylindrique), différentes machines de fenaisons (faucheuses, andaineuses et faneuses qui coupent, récoltent ou séparent le foin d'autres végétaux afin de les sécher), des automoteurs systèmes (véhicule automoteur dont la fonction essentielle est de porter des outils). En tout état de cause, le groupe Claas ne fabrique pas de tracteurs. A l'inverse, Renault Agriculture ne fabrique aucune des machines produites par le groupe Claas.

Cependant, le groupe Claas et Renault Agriculture distribuent tous deux des chargeurs télescopiques qu'ils achètent auprès d'autres fabricants pour les revendre à travers leur réseau de distribution. Ainsi, le groupe Claas achète des chargeurs télescopiques fabriqués par Caterpillar qu'il revend sous sa propre marque. Pour sa part, Renault Agriculture achète des chargeurs télescopiques auprès du fabricant JCB qu'il revend sous leur marque d'origine. La partie notifiante considère que le marché concerné en l'espèce est celui des chargeurs télescopiques en général, sans qu'il soit nécessaire de distinguer les chargeurs utilisés dans des contextes agricoles et les chargeurs télescopiques utilisés dans des contextes industriels, dès lors que, selon elle, ces deux types de chargeurs sont aisément substituables. La pratique décisionnelle de la Commission a déjà envisagé l'existence d'un marché des chargeurs télescopiques (3). Elle a également envisagé une subdivision possible du marché en fonction de la charge maximale des appareils, tout en laissant la question ouverte. La question d'une distinction d'un marché des chargeurs agricoles n'avait pas été abordée dans la mesure où les parties ne fabriquaient que des chargeurs destinés à l'industrie. En tout état de cause, la question de l'existence d'un marché distinct ne comprenant que les chargeurs télescopiques agricoles peut être laissée ouverte en l'espèce dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.

Du point de vue géographique, la Commission a considéré dans la décision New Holland/Case que la dimension des différents marchés de machines agricoles tendait à s'élargir en raison de la taille des principaux fabricants, de la concentration de la production sur quelques sites à partir desquels les machines peuvent être exportées dans tous les pays d'Europe et de la faiblesse relative des coûts de transport. Elle a néanmoins estimé que les marchés des machines agricoles continuaient à présenter une dimension nationale en raison, notamment, du rôle prépondérant du réseau de distribution et de la nécessité pour les différents opérateurs d'être implantés localement. Cet argument a également été soulevé pour ce qui concerne les chargeurs télescopiques dans la décision Fiat Geotech/Ford New Holland. En tout état de cause, la question de la délimitation géographique exacte des marchés concernés peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la dimension retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.

III. - L'analyse concurrentielle

A titre liminaire, il convient de noter que les parties distribuent leurs produits via un réseau de concessionnaires en machines agricoles. Ces derniers peuvent être indépendants ou faire partie du réseau de distribution intégré des producteurs. Ainsi, le réseau de distribution de Renault Agriculture se compose de [...] centres intégrés et de [...] concessionnaires indépendants. Le groupe Claas dispose en France de deux succursales intégrées situées à Coulommiers et à Connantre, cette dernière agence étant spécialisée dans la vente de matériel d'occasion. Les produits Claas sont également distribués par l'intermédiaire de [...] concessionnaires indépendants et de [...] centres intégrés au réseau Renault Agriculture. Les réseaux de distribution des produits Claas et Renault Agriculture se recoupent pour partie dans la mesure où [...] concessionnaires indépendants distribuent à la fois des produits Claas et Renault Agriculture et où [...] centres Renault Agriculture distribuent déjà des produits Claas.

Sur le plan horizontal, la présente opération entraîne un chevauchement d'activité sur le seul marché de la vente de chargeurs télescopiques. Si l'on considère que le marché concerné est le marché de la vente de chargeurs télescopiques agricoles limité au territoire français, les parties estiment que le volume du marché représentait sur la saison 2000/2001 environ [...] machines vendues (4). Sur la base de ce chiffre, la part de marché de Renault Agriculture représenterait [0-10] % du marché (distribution de produits JCB par le réseau de distribution intégré Renault Agriculture) et celle de Claas atteindrait [0-10] %. La nouvelle entité se placerait ainsi derrière Manitou (environ [40-50] % du marché) et Merlo ([10-20] %), sachant que JCB distribue ses machines également en dehors du réseau de distribution de Renault Agriculture (ce qui représente [10-20] % du marché). Compte tenu de ses éléments, il convient de constater que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de la vente de chargeurs télescopiques agricoles en France.

Par ailleurs, dans la mesure où la partie notifiante souligne que la force d'un fabricant de machines agricoles réside dans sa capacité à proposer une offre complète, comprenant au minimum une offre de tracteurs agricoles et une offre de machines de récolte et de fenaison, la question d'éventuels effets de gammes doit être posée.

En matière de tracteurs, la part de marché de Renault Agriculture en France peut être estimée à [10-20] % (5). Cette part de marché serait à peine supérieure, en tout état de cause inférieure à [10-20] %, si l'on devait considérer des marchés distincts de tracteurs standards, d'une part, et des tracteurs horticoles, arboricoles et viticoles, d'autre part. Dans les deux cas, Renault Agriculture est devancé par Case New Holland qui réalise une part de marché proche de [20-30] %. Les groupes AGCO et John Deere détiennent des parts similaires à celle de Renault Agriculture sur le marché des tracteurs standards. AGCO représente une part de marché d'environ [10-20] % sur le marché des tracteurs horticoles, arboricoles et viticoles tandis que SDF, un autre concurrent, possède une part d'environ [10-20] %.

De son côté, Claas atteint des parts de marché (6) d'environ [20-30] % sur le marché des moissonneuses-batteuses, [20-30] % sur le marché des presses à haute densité, [10-20] % sur celui des presses à balles rondes, [0-10] % sur celui des faucheuses, [0-10] % sur celui des andaineuses, [10-20] % sur celui des faneuses. Par ailleurs, Claas détient une part de marché de [40-50] % sur le marché des ensileuses automotrices. Pour ce qui est des automoteurs systèmes, Claas n'en a vendu aucun en France depuis 2001. On peut donc constater que Claas dispose de parts de marché significatives principalement en matière d'ensileuses automotrices, de presses à haute densité et de moissonneuses-batteuses.

Toutefois, les parts de marché de ses principaux concurrents sont également significatives sur chacun de ces marchés pris isolément. En matière de moissonneuses-batteuses, les parts de marché de Case New Holland et de John Deere s'élèvent respectivement à environ [40-50] % et [10-20] %. Pour ce qui est du marché des presses à haute densité, la part de marché de Case New Holland atteint [30-40] % et celle du groupe AGCO [10-20] %. Enfin, sur le marché des ensileuses automotrices, la part de John Deere atteint [30-40] % et celle de Case New Holland [20-30] %. En outre, il convient de souligner que ces trois concurrents sont des opérateurs actifs dans le monde entier, qu'ils proposent des gammes complètes de machines agricoles et qu'ils proposent par conséquent une offre similaire à celle de la nouvelle entité. Dès lors, le fait pour la nouvelle entité de détenir une gamme complète de machines agricoles n'est pas de nature à lui conférer un avantage lui permettant de s'abstraire de la pression concurrentielle des principaux opérateurs du marché qui disposent déjà d'une gamme similaire.

Compte tenu de ces éléments, il apparaît que l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur aucun des marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché remplacée par une fourchette.

Ces informations relèvent du "secret des affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

(1) Voir point 15 de la communication de la Commission concernant la notion de concentration au sens du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JOCE C 66 du 2 mars 1998, p. 5).

(2) Décisions de la Commission M. 009 Fiat Geotech/Ford New Holland du 8 février 1991 et M. 1571, New Holland/Case, du 28 octobre 1999.

(3) Décision M. 2882, Terex/Demag, du 16 août 2002.

(4) Source: données issues des registres des immatriculations disponibles en préfecture et compilées par l'Association auxiliaire de l'automobile (AAA).

(5) Source: données issues des registres des immatriculations disponibles en préfecture et compilées par l'Association auxiliaire de l'automobile (AAA).

(6) Source: SYGMA (Syndicat général des constructeurs de tracteurs et machines agricoles) et SECIMA (Syndicat national des entreprises de commerce international des matériels agricoles).