Ministre de l’Économie, 12 septembre 2003, n° ECOC0400120Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Cinram
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 11 août 2003, vous avez notifié l'acquisition par la société Cinram International Inc. (ci-après "Cinram") de la totalité du capital et des droits de vote d'un ensemble de six sociétés (ci-après "la cible") détenues par AOL Time Warner Inc. (ci-après "AOL Time Warner").
Cinram est un fabricant indépendant canadien de supports pré-enregistrés (CD, DVD, cassettes audio et vidéo) pour les studios de cinéma, les éditeurs de labels musicaux et les entreprises de logiciels. Cinram dispose d'usines au Canada, aux Etats-Unis, au Mexique, au Royaume-Uni et en France. Elle a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires consolidé de [...] millions d'euros (*), dont [...] dans l'Union européenne et [>15] en France.
La cible est composée d'un ensemble de six sociétés (1) constituant l'activité de fabrication de CD et DVD pré-enregistrables d'AOL Time Warner. La cible a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires consolidé de [...] millions d'euros (*), dont [...] dans l'Union européenne et [>15] en France.
(*) La somme de ces chiffres d'affaires excède 150 millions d'euros.
L'opération constitue une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce, dans la mesure où il s'agit d'une prise de contrôle exclusif de six sociétés antérieurement contrôlées par AOL Time Warner par Cinram. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette opération relève ainsi du contrôle national des concentrations.
Les parties considèrent que le marché de produits en cause est le marché de la fabrication de disques optiques pré-enregistrés incluant les CD et les DVD, pour les raisons qui suivent: du côté de l'offre, les matières premières utilisées sont les mêmes, les techniques de fabrication sont proches (2), les savoir-faire sont similaires et la plupart des acteurs fabriquent aussi bien des CD que des DVD pré-enregistrés; du côté de la demande, bien que les CD et les DVD disposent d'une capacité de stockage différente, les CD et les DVD seraient de plus en plus interchangeables. Cependant, la différence du coût de fabrication et du prix de vente entre les CD et les DVD pré-enregistrables, de l'ordre de deux fois plus élevé pour les DVD, peut conduire à envisager de différencier deux marchés. En tout état de cause, la question de savoir s'il existe un marché global de la fabrication de disques optiques pré-enregistrés ou deux marchés différenciés distinguant les CD et les DVD peut rester ouverte puisque, quels que soient les marchés retenus, les conclusions de l'analyse demeurent inchangées.
Concernant la délimitation géographique du ou des marchés concernés, les parties estiment qu'elle recouvre au moins l'Espace économique européen (ci-après l'"EEE") puisque la plupart des fabricants et leurs clients sont des acteurs internationaux, les coûts de transport sont faibles et les techniques et les équipements de production et les matières premières utilisées sont identiques quel que soit le pays de production. En effet, il est apparu lors de l'instruction que le marché est au moins de dimension européenne. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la définition exacte du marché géographique car, que l'on retienne un marché limité à l'EEE ou un marché plus étendu, les conditions de l'analyse demeurent inchangées.
La fabrication de disques optiques pré-enregistrés peut être réalisée soit par des fabricants indépendants soit par des sociétés présentes dans le domaine du film et de la musique qui produisent elles-mêmes les disques optiques en interne. Ces sociétés fabriquent des disques optiques principalement pour leurs propres besoins mais peuvent aussi produire pour des tiers. Conformément à une pratique constante, on s'attachera, pour les besoins de l'analyse, à la position des parties à l'opération et de leurs concurrents sur le "marché libre", c'est-à-dire excluant les ventes internes des sociétés à leurs propres filiales.
Si l'on considère le marché global de la fabrication des disques optiques pré-enregistrés dans l'EEE, la nouvelle entité deviendra le deuxième acteur du marché avec [0-10] % de parts de marché (Cinram [0-10] % et la cible [0-10] %) derrière Sonopress ([10-20] %). Ils feront face à de nombreux opérateurs tels que Distronics ([0-10] %), MPO ([0-10] %), KFG ([0-10] %, Technicolor ([0-10] %) et CD Albrecht ([0-10] %).
Si l'on devait considérer la fabrication de CD et DVD pré-enregistrables comme constituant deux marchés différenciés, les conclusions de l'analyse demeureraient inchangées. En effet, sur le segment de la fabrication de CD pré-enregistrables la nouvelle entité deviendra le troisième opérateur avec une part de marché de [0-10] % (Cinram [0-10] % et la cible [0-10] %) derrière Sonopress ([10-20] %) et Distronics ([10-20] %), et devant des acteurs tels que MPO ([0-10] %), KFG ([0-10] %), et CD Albrecht ([0-10] %). Sur le segment des DVD pré-enregistrables, la nouvelle entité aura une part de marché plus importante de l'ordre de [10-20] % et deviendra le deuxième acteur du marché derrière Technicolor ([20-30] %) et devant Sonopress ([10-20] %). D'autres acteurs, aussi bien opérateurs indépendants (MPO, KDG, Gema, Distronics) que des opérateurs intégrés à des studios (principalement Sony) sont à même d'exercer une pression concurrentielle. Il convient en outre de signaler qu'il s'agit d'un marché en pleine croissance et que la demande, composée notamment des grands studios de cinéma, est fortement concentrée et dispose d'un grand pouvoir de négociation.
L'acquisition de l'activité de fabrication de CD et DVD pré-enregistrés d'AOL Time Warner par Cinram a pour conséquence l'entrée sur le marché libre d'un client qui, avant l'opération, répondait à ses besoins en CD et DVD exclusivement par des achats internes. Toutefois, des accords de fabrication exclusive d'une durée de [>3] ans (3) ainsi qu'une clause de non-concurrence d'une durée de [>3] ans conclus dans le cadre de cette opération pourraient avoir pour effet de rigidifier le marché, pendant un laps de temps significatif. Bien que l'appréciation du caractère accessoire à l'opération de concentration de ces clauses relève d'une évaluation au cas par cas, on observe que leur durée excède ce qui est généralement admis par la Commission (4). En tout état de cause, la présente décision n'est réputée valider ces clauses que dans la stricte mesure où elles seraient directement liées et nécessaires à l'opération.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Veuillez agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du "secret des affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) Les six sociétés acquises sont les suivantes: WEA Manufacturing Inc., Ivy Hill Corporation, Warner Music Manufacturing Europe GmbH, Warner Music GM Merchandising Inc., Giant Merchandising et WEA LLC.
(2) Des machines supplémentaires sont toutefois nécessaires pour la fabrication de DVD pré-enregistrés.
(3) AOL Time Warner pourra cependant dès la [...] année solliciter les concurrents de Cinram pour fabriquer jusqu'à [...] % de ses besoins en CD et DVD.
(4) Communication de la Commission relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration, JOCE C 185 du 4 juillet 2001, page 5.