Ministre de l’Économie, 17 novembre 2003, n° ECOC0400113Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société groupe Sucrier SA
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 15 octobre 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition de 100 % du capital des sociétés SA sucrerie de Fontenoy (ci-après "Fontenoy") et Suikerfabriek Van Veurne NV (ci-après "Veurne") par la société groupe Sucrier SA (ci-après "groupe Sucrier").
I. - Les parties et l'opération
Groupe Sucrier est une société de droit belge qui fabrique en Belgique du sucre majoritairement industriel destiné au marché belge et à l'exportation, ainsi que de l'acide lactique par fermentation du sucre. Groupe Sucrier est une filiale à 99,7 % de la société belge Finasucre SA (ci-après "Finasucre"), qui produit à travers ses filiales du sucre de betterave et de canne et des dérivés de sucre en Europe, Australie et Afrique centrale. Lors du dernier exercice, Finasucre a réalisé un chiffre d'affaires de 417,6 millions d'euros, dont [...] dans l'Union européenne et [>15] en France (1).
Fontenoy est une société de droit belge dont l'activité principale est la production et la vente de sucre industriel destiné aux marchés belge et français, ainsi que de pulpes de betteraves destinées à l'élevage, d'écumes et de mélasse pour l'alimentation animale et les industries de fermentation. Elle est actuellement détenue à parts égales par les sociétés belges sucrerie Couplet et Warcoing. Lors du dernier exercice, Fontenoy a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 47,3 millions d'euros, exclusivement dans l'Union européenne, dont [>15] en France.
Veurne est une société de droit belge dont l'activité principale est également la production et la vente de sucre industriel, ainsi que des co-produits correspondants (pulpes, écumes et mélasse). Veurne est actuellement une filiale à 100 % de la société Warcoing. Lors du dernier exercice, Veurne a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 47,4 millions d'euros, exclusivement dans l'Union européenne, dont [< 15] en France.
Groupe Sucrier, sucrerie Couplet et Warcoing ont signé les 21 août et 30 septembre 2003 une convention-cadre prévoyant de réunir, au sein d'une nouvelle entité juridique à constituer (ci-après "Newco"), les outils de production sucrière de groupe Sucrier (soit les usines de Moerbeke et de Frasnes), de sucrerie Couplet (soit la participation de 50 % dans Fontenoy) et de Warcoing (soit Veurne et la participation de 50 % dans Fontenoy). La transaction concerne l'intégralité des activités sucrières des trois sociétés, à l'exception de la commercialisation de sucres spéciaux de sucrerie Couplet.
La structure de l'actionnariat au sein de Newco sera la suivante: 62,6 % des actions de Newco seront détenues par groupe Sucrier, 20,2 % par Warcoing, 14,2 % par sucrerie Couplet, et 3 % par Sopabe (société de participation betteravière). Le conseil d'administration de Newco comptera 11 membres, dont 6 seront nommés par groupe Sucrier, 2 par sucrerie Couplet, 2 par Warcoing et 1 par Sopabe.
Les statuts de Newco prévoient que le conseil d'administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à la réalisation de l'objet social de la société, à l'exception de ceux réservés à l'assemblée générale (résolutions relatives aux droits des actionnaires minoritaires, modification de l'objet social, fusion, liquidation ou scission de la société, augmentation ou réduction de capital). En particulier, l'article 2-4 de la convention-cadre du 30 septembre 2003, modifiée par un avenant en date du 14 octobre 2003, prévoit que le conseil d'administration de Newco "élaborera dans les meilleurs délais un plan stratégique de Newco qui couvrira les trois années à venir (...)".
A cet égard, les dispositions du pacte d'actionnaires conclu entre les sociétés groupe Sucrier, sucrerie Couplet, Warcoing et Sopabe prévoient que les décisions du conseil d'administration du Newco seront prises à la majorité simple des administrateurs présents ou représentés, à l'exception des décisions relatives à des investissements comportant un risque financier très important, qui requièrent l'unanimité. Cette unanimité est toutefois relative car, en l'absence de consensus, la proposition sera présentée à nouveau lors d'une réunion ultérieure du conseil d'administration au cours de laquelle une majorité simple des administrateurs présents ou représentés sera nécessaire. En tout état de cause, et conformément au point 27 de la communication de la Commission sur la notion de concentration au sens du règlement n° 4064-89, un droit de veto sur les investissements, lorsque leur montant est particulièrement élevé, relève davantage de la protection normale des droits d'un actionnaire minoritaire que d'un droit conférant un pouvoir de co-décision sur la politique commerciale de l'entreprise commune.
En conséquence, et au regard de la composition du conseil d'administration et des règles de majorité prévues par le pacte d'actionnaires, il n'apparaît pas que les actionnaires minoritaires au sein de Newco disposeront de droits de veto leur permettant d'influer de manière déterminante sur l'adoption de décisions stratégiques concernant l'activité de celle-ci. Ainsi, la création de la nouvelle entité s'assimile à la création d'une filiale de groupe Sucrier, sous le contrôle exclusif de ce dernier et donc à l'acquisition, par groupe Sucrier, d'un contrôle exclusif sur les sociétés Fontenoy et Veurne.
Aux fins de la présente analyse, ces deux acquisitions notifiées conjointement seront considérées comme une seule et même opération dans la mesure où elles sont prévues par le même accord (la convention-cadre du 21 août et 30 septembre 2003) et donc légalement conditionnées l'une à l'autre (2).
L'opération notifiée constitue une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce et, compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations.
II. - La définition des marchés
Marchés de produits
Selon la pratique, tant de la Commission européenne (3) que du Conseil de la concurrence (4) ou du ministre (5), les marchés de produits suivants peuvent être définis dans le cadre de l'analyse de la présente opération: le marché du sucre industriel et le marché de la mélasse (seul groupe Sucrier est actif sur le marché du sucre de bouche). En ce qui concerne les autres co-produits de la fabrication de sucre, les pulpes et les écumes sont en principe restituées aux planteurs par les sucriers et il n'existe donc pas à proprement parler de marché pour ces produits.
Les parties interviennent par ailleurs en amont dans l'achat de betteraves à sucre auprès des planteurs. Ces derniers sont en majorité belges mais il convient de faire observer que certains planteurs français, situés en zone frontalière, livrent leurs betteraves à trois des usines concernées par le regroupement (Frasnes, Moerbeke et Veurne). Ces planteurs français jouissent de droits de livraison relatifs à un quota belge de production sucrière et bénéficient par conséquent des mêmes droits et protection que les planteurs belges alimentant en betteraves les usines exploitées par les parties. Ainsi qu'il a été établi lors de décisions ministérielles précitées concernant le secteur du sucre (6), les relations commerciales entre betteraviers et sucriers sont encadrées de façon stricte par la réglementation communautaire et des accords interprofessionnels qui, en Belgique comme en France, protègent les betteraviers. Ces accords belges sont applicables aux betteraviers français dès lors qu'ils livrent en Belgique. En conséquence, l'opération ne sera pas de nature à modifier sensiblement la situation qui prévalait avant l'opération en matière d'approvisionnement des sucriers auprès des betteraviers.
Marchés géographiques
Selon la pratique communautaire et nationale, le marché du sucre industriel est de dimension nationale, compte tenu de l'existence de quotas nationaux et de l'importance des coûts de transport.
Pour la mélasse, il serait de dimension communautaire, voire mondiale, compte tenu de l'importance des flux transfrontaliers de mélasse (7). La question peut toutefois rester ouverte, l'opération n'ayant pas d'impact concurrentiel significatif sur ce marché.
III. - Analyse concurrentielle
Le volume du marché français du sucre industriel est d'environ 1,6 million de tonnes annuel pour un chiffre d'affaires correspondant de 1,2 milliard d'euros.
Sur ce marché, la part de marché de groupe Sucrier en 2001 s'est élevée approximativement à [0-10] %. L'acquisition des usines de Fontenoy et Veurne permettra à groupe Sucrier de porter cette part de marché à [0-10] %. L'opération aura donc un faible impact sur la position du nouvel ensemble sur le marché français du sucre industriel, qui demeurera confronté à la concurrence d'opérateurs importants tels qu'Union SDA, Saint-Louis Sucre et Sucre Union.
En ce qui concerne la mélasse, la production de celle-ci découlant directement de la production de sucre et les parties étant des acteurs sucriers mineurs en Europe (environ [0-10] % des quotas), l'opération n'aura pas d'impact significatif sur la concurrence.
En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au "secret des affaires" ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du "secret des affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) Ces chiffres d'affaires sont calculés en prenant en considération le chiffre d'affaires d'Euro Star, société néerlandaise acquise par groupe Sucrier en 2003 (cf. point 27 de la communication de la Commission européennne sur le calcul du chiffre d'affaires conformément au règlement communautaire n° 4064-89) à la suite d'une décision d'autorisation du ministre du 14 août 2003, en instance de publication. En tout état de cause, l'inclusion ou non d'Euro Star dans le périmètre de Finasucre n'a pas d'effets sur la contrôlabilité de la présente opération.
(2) Cf., pour un cas analogue, la décision de la Commission européenne du 14 octobre 2002 dans l'affaire M. 2897 Sita Sverige AB et Sydkraft Ecoplus AB.
(3) Décision M. 2530 Südzucker/Saint-Louis Sucre du 20 décembre 2001.
(4) Avis n° 97-A-02 du 14 janvier 1997 relatif à l'acquisition de la Compagnie française de sucrerie par la société Eridiana Béghin-Say.
(5) Lettre du ministre concernant l'acquisition du groupe Béghin-Say par les sociétés Union SDA et Union BS du 5 décembre 2002. Lettres du ministre concernant l'acquisition de certains actifs du groupe Béghin-Say par Cristal Union et SDHF du 9 décembre 2003. Lettre du ministre concernant l'acquisition de certains actifs du groupe Béghin-Say par Saint-Louis Sucre du 20 décembre 2003 (décisions en instance de publication).
(6) Lettres du ministre du 5 décembre 2002, du 9 décembre 2002 et du 20 décembre 2002 précitées.
(7) Lettre du ministre du 5 décembre 2002 précitée.